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[RP] Aucune couronne ne pourra la cacher

Aimbaud
La pâle campagne soufflait un courant d'air frais par une lucarne. L'humidité, dans la salle en pierre blanche, se condensait sur les carreaux. Une vapeur paisible roulait et se torsadait autour du gros marquis, recroquevillé dans une large bassine en bois drapé. L'eau lui arrivait jusqu'au torse, mais ne pouvait recouvrir ses genoux repliés, qui flottaient comme deux îles blanches et poilues de part et d'autre du bain. C'était le matin, mais la lumière automnale peinait à percer dans cette pièce mal orientée, située près de la cour du château pour qu'on y fasse aisément monter l'eau. Aimbaud de Josselinière s'adonnait ici à ses ablutions hebdomadaires, un rituel tranquille et souvent ennuyeux qui l'obligeait à des méditations. Il méditait présentement sur une petite brosse ronde qu'il avait disposée à la surface de l'eau, et qu'il tentait de faire chavirer du bout de l'index. C'était très intéressant. Passons à autre chose.

Un coup de vent brutal referma soudainement le battant de la fenêtre. Le marquis sursauta. Une vague glacée passa sur le haut de son crâne. En observant fixement la vitre humide qui venait de claquer, il lui sembla y discerner le reflet d'une forme humaine. Il fit volte-face et chercha qui cela pouvait être. La pièce, à l'opposé, était vide. Seul, là, dans un coin, se tenait un tabouret supportant un miroir en étain, appuyé contre le mur. Les yeux noirs et myopes d'Aimbaud se braquèrent à nouveau sur la fenêtre. La silhouette s'y trouvait toujours, debout, plus proche. Il apercevait même un visage qui dardait sur lui une paire d'yeux !


AH !

Il appuya ses mains épaisses sur les bords de la bassine, prêt à s'extraire de l'eau dans un mouvement de panique. Mais en vérifiant une nouvelle fois derrière lui, il n'y avait rien. Rien d'autre, que ce miroir. Ses yeux se plissèrent en revenant à la forme humaine. Il la scruta en n'osant d'abord pas parler... Etait-il sur le point de devenir aussi fou que son père, et son père avant lui ? Il demanda à voix basse, méfiant :

Qui va là ?
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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Xx_peur_xx

Lets suppose that you were able every night to dream any dream you wanted to dream, and you would naturally as you began on this adventure of dreams, you would fulfill all your wishes. You would have every kind of pleasure, you see, and after several nights you would say, well that was pretty great, but now lets have a surprise, lets have a dream which isn't under control. Well something is going to happen to me that i don't know what it's gonna be. Then you would get more and more adventurous, and you would make further and further out gambles as to what you would dream, and finally you would dream where you are now.

The Dream of Life - Alan Watts


    Une ambiance chaud et sereine. Un instant d'intimité agrémentée d'un peu d'ennui. Le brouillard pesant de la toilette aimbaudienne était propice à ce genre d'arrivée inattendue. Qui est il ? Tout n'est encore que quiétude alors qu'il l'observe dans sa confiance naturelle. Comme s'il avait rempli la pièce de son volume imposant mais aussi de son ego, de ses qualités mais aussi de ses peurs, là-bas, enfouies sous le tapis. Et elles le guettent alors que lui ferme les yeux sur leur existence. Négligence ? Non, le marquis n'est pas un idiot mais l'ennui le poussait à laisser son esprit chavirer. La pesanteur de la pièce appelait son corps à céder à l'abîme de son bain et c'est confortablement installé dans cette torpeur que soudain, on se dévoile.


    Deux yeux amusés donc, face à ceux surpris de Josselinière. Un mouvement de recul alors qu'il veut l'embrasser. Pourquoi diable est-il si horrifié ? Ce n'est pas la peine voyons. On ne lui fera rien. Aimbaud peut se raviser d'appeler toute sa garde et le dernier de ses laquais pour qu'on lui sauve la vie. Pauvre petit marquis peureux. Changeons d'attitude. On marche autour de lui. On délimite son espace : ce n'est plus son domaine ni même sa salle d'eau, c'est plus qu'un minuscule petit disque autour de son baquet. Plissait-il les yeux pour mieux voir de qui il s'agissait sous cette masse obscure ? Chaque fois, lorsqu'il se sentait pratiquement sûr de déceler l'identité de ce fauteur de trouble privé, un déplacement d'air léger mais net faisait échapper l'apparition dans son dos. Craquements de latte de bois. Un vent glacé agitait les feuilles dehors. Et derrière le noble, le château demeurait silencieux comme vide de vie.


      Je me demandais quelle serait ta première réaction, dit la voix étrangement familière du spectre. Cela fait longtemps que je t'observe. Que je me retiens d'intervenir, laissa-t-il en suspens accompagné d'un curieux petit rire.


    Il semblait tétanisé. Il n'avait sans doute jamais rien vu de tel jusqu'à présent. En fait, il ne parvenait pas à comprendre comment ceci pouvait être la réalité et c'était donc d'autant plus facile que de la travestir. De lui montrer ce qu'il ne veut pas voir : c'est quand on met les mains pour s'aveugler que l'on garde les yeux ouverts. Il ne faut alors que souffler pour retirer les œillères ennemies. Une brise glaciale pour éveiller ses sens. Ses frissons. Envahir son ventre, puis sa gorge et enfin battre plus fort dans ses tempes. Dangereux parasite.
    Il n'y avait plus à enfermer la proie privilégiée. Elle s'était murée elle-même dans une sorte de prison hideuse. Rassurez-vous : on n'en demandait pas tant. Alors, l'intrus s'installa sur une table sur laquelle étaient pliés ses vêtements. Enfin pour l'heure ils jonchaient le sol, négligemment repoussés par ce maudit cafard. Ça devait bouillir à l'intérieur de l'homme mûr.

    Comme tu dois te demander qui je suis, je ne vais pas t'ôter le plaisir de t'interroger encore et encore ... Voix suave et teintée de moquerie. Combien de temps avant la rage vengeresse ? Mais sache que je suis là pour répondre à tes questions. Car il parait évident qu'il s'en pose.

    Ensuite, le silence fut imposé. Le nouveau venu faisait comme s'il était chez lui, complètement décontracté. S'il savourait le moment, il ne laissait rien paraître d'autre que le flegme pourtant habituel chez l'autre, celui qui ne pouvait même plus se baigner tranquillement.
Aimbaud
Les clapotis sordides de l'eau accompagnaient les mouvements étonnés du maître des lieux. Il ne cessait de pivoter dans son bain, bouchée bée, pour scruter la pièce sous toutes ses coutures. La porte. Close. La table. Le miroir. Un mur nu. Un autre mur. Le seau. Le tabouret. Mur. Fenêtre. Vide. La pièce était vide. C'était impossible. C'était impossible. Mur. Tabouret. Seau. Table. Miroir. Porte fermée. Où ? Où se cachait-il ?

Ses cordes vocales vibrèrent légèrement. Appeler au secours ? Mais contre qui ? Contre quoi. Où était l'intrus ? Est-ce qu'il rêvait ?...

Ses yeux noirs firent encore le tour de la salle d'eau. Il haleta un instant. Peine perdue. Il tendit l'oreille. Son visage se referma. Ses poings fripées par l'humidité se posèrent sur le rebord du baquet, pensivement. Il ne dit rien pendant un certain moment, le nez penché sur ses mains rapprochées, semblant prier ou accuser une grave nouvelle. Il n'en comprenait pas encore les ressorts, mais il savait maintenant que cette rencontre marquerait un point décisif dans son parcours terrestre. Quelle mascarade. Il puisa à la source de son courage.

Son dos large se redressa hors du baquet, laissant choir une généreuse gerbe d'eau sur le dallage. Il frotta son ventre épais et sa figure dans ses paluches avant de basculer hors de l'eau. Comme si de rien n'était, laissant poireauter son visiteur - il avait déjà l'intime conviction qu'il devrait le supporter longtemps - il se dirigea vers le grand miroir. Là, il secoua fermement un drap plié avant de s'en couvrir les épaules, grelottant. Séchant studieusement son corps, il releva un regard furieux dans la glace, pointant l'étranger qui s'y trouvait. Laideur extrême. Dégoût. L'Autre était bien visible, derrière lui. Narquois, moche comme un poux, luisant, nu, rond, pauvre, l'air pathétique ! L'infâme. Il se tenait sur la table, dans le regard de la fenêtre. A trois pas de lui.

Le marquis soupira, la tête basse, commençant à comprendre que cette vision ne pouvait lui apparaître de front. Il arrangea le drap dans ses bras croisés, s'en emmitouflant. Toge ridicule. Il fronça gravement les sourcils avant de parler à sa glace :


Pourquoi te cacher dans mon dos ? Ose me faire face.
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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Xx_peur_xx

Au contraire de la raison, la folie ne porte pas de masque.

Le livre de la déraison souriante - Robert Sabatier


      Vraiment ?


    Comment continuer ? La séance tournait au ridicule. C'était comme s'il se forçait à se ficher de lui. Mais ça ne prend pas mon pauvre Marquis. Tu t'es fait une sorte d'allié pour la vie. Alors qu'il cherchait à comprendre, l'Ombre se mit à rire. C'était une sorte de petite rire nerveux suraigu. Désagréable au possible. Un œil attentif aurait remarqué que cela hérissait le poil du fier noble que voilà. En toge improvisée, à l'allure des statues antiques, le petit être du miroir se tint les côtes. Le faisait-il exprès ? Il était doué pour se rouler dans l'opprobre cet Aimbaud ! Un géant du comique de situation ! Si bien qu'il ne s'en rendait pas compte.


    Dans ton dos ? Oh noooon ! Mine affligée et ton triste feints. On ne lésine pas sur l'attitude moqueuse. Les facéties c'est tout le rôle de cet héros d'épouvante.

    Il s'approche. Se colle à lui pratiquement comme pour le laisser admirer ses traits ne serait-ce qu'un instant. L'éclair de vérité lui vrillerait-il les tempes ? Combien de temps encore pour qu'il accepte ? Le temps du déni est révolu ! Cesse donc de camper sur tes positions vieil homme !


      Sur ton dos pour être plus exact ... chuchota-t-il à l'oreille humide. Hihihi !


    A nouveau au fond de la pièce, trônant dans le baquet où l'hôte se trouvait un instant plus tôt, il barbotait joyeusement ne se préoccupant plus de rien. En fait, ce n'était plus à lui de travailler. Il avait vu. Un travail sur lui-même parviendrait à la solution gênante. On n'allait pas non plus lui préparer la tâche : le sentier éprouvant se faisait seul et au mieux, il se moquerait de son désespoir. Chacun de ces bruits d'eau était un jet de sel brûlant sur les plaies faites à l'honneur du Josselinière.

    C'était une scène assez horrible à contempler : un être décrépi par l'âge jouait outrageusement dans son baquet limite trop petit pour englober sa triste personne. Des morceaux de chairs sortaient de partout tels des bubons de la Peste mais en vérité il ne s'agissait que d'une obésité morbide et de ses bourrelets indécents. Comme si les marques de sa grosseur ne suffisaient pas, sa peau flasque laissait des rides rendre son visage terne si bien que d'un rictus forcé s'échappait le rire si énervant. Le pire restait tout de même cette calvitie blanche sur le tour de la tête et quelques cheveux solitaires et grisonnants sur le dessus. La nature n'aurait pu jeter un sort plus mauvais à cet Autre. Accablé, il n'en demeurait pas moins joueur et c'était sans doute là ce qui devait le plus vexer Aimbaud, lui qui dans la force de l'âge avait quelque peu perdu de sa jovialité par les nombreuses épreuves traversées.


    Quand est-ce que tu craques ? Quand te verra-t-on ployer le genou et les larmes te monter aux yeux ? Allons, ne fais pas le hardi. Tu ne parviendras pas à t'en sortir indemne. Tu seras marqué par cette expérience alors autant abandonner de suite. Pourquoi cherches-tu à te battre en vain ? Cela te fera du mal et tu le sais. Depuis tout petit tu es au courant de cette destinée qui à la vue du spectacle saisissant du vieillard sénile dans son bain te paraît d'autant plus claire. Aimbaud, je suis là pour te détruire.
Aimbaud
Des gouttes d'eau espacées tombaient du crâne d'Aimbaud. Elles dévalaient son visage perplexe, collaient entre eux les cils autour de son œil sombre, écarquillé, luisant, semblable à celui du veau qu'on mène chez le boucher. Il respirait fort, de cette respiration empesée d'homme gras. Il était lourd jusque dans les poumons, jusque dans les poils du nez. Il grondait. Il frémissait.

Avec une certaine grâce, pourtant, il tourna son corps emmailloté pour faire peu-à-peu face à son démon. Il bougea lentement, comme à la chasse. Si le crissement de la poussière crayeuse, sous son pied mouillé, résonnait trop fort dans la salle d'eau, l'être immonde allait probablement disparaître encore. Il ne voulait plus subir cet extravagant cache-cache. Il lui mettait les nerfs en pelote. Le moment était venu de lui parler dans le blanc des yeux. Que cette vermine avait bleus, d'ailleurs.


Comment se peut-il...

Commença Aimbaud, en avançant progressivement vers le baquet, où l'épouvantable corps trempait, comme un morceau de viande blanche, ébouillantée, couverte ça-et-là de poils longs, fins et blanchâtres, semblant dégouliner sur elle-même sous l'effet de mille replis de peau cireuse et mouchetée de varices. Le marquis ne put réprimer l'expression de son dégoût. Sa lèvre resta retroussée sous sa moustache noire, et ses sourcils se figèrent, froncés d'incompréhension, alors qu'il contemplait ces laideurs. Ces dernières attiraient son œil de façon irrépressible, le rendant voyeur malgré-lui. Il voulait se soustraire à ce spectacle écœurant, mais une curiosité malsaine attirait sa personne à la rencontre du monstre. Il approcha.

Sa toge de drap se froissa tandis qu'il s'accroupissait près de la cuve. Ses yeux incrédules ne quittaient pas la Créature des yeux. Ils étaient à portée de souffle l'un de l'autre. Les clapotis rieurs éclaboussaient notre marquis, qui ne semblait pas remarquer qu'on le maculait d'eau. La proximité de l'étranger l'horrifiait. À cette distance, il entrevoyait son vrai visage. Une émotion désespérante s'empara de lui. Il suffoqua de tristesse. Ce parent ne lui était pas inconnu. Il lui avait seulement fallu, pour le reconnaître, prendre un peu son temps.


... Comment se peut-il que le Créateur de toute chose t'aie permis d'exister ? Tu es pitoyable.

Ce constat tomba avec un soupir. Mais comme souvent, chez Nemours, la peine ne tardait pas à se muer en colère, ses mains navrées se levèrent dans les airs pour saisir à pleine poigne la gorge du visiteur qui occupait son bain.

Je te tordrai le cou.

Il serra brutalement ce boudin muni d'une glotte flasque, sentant sous ses paumes se froisser les plis secs d'une peau écailleuse, dont les petits picots de barbe, trop souvent rasée, irritaient comme de la chaux vive.

Il serra de toutes ses forces en râlant. Le drap qui le couvrait chavira par dessus son bras. Ses épaules grasses et puissantes se nouèrent, devinrent froides à l'intérieur. L'envie de meurtre faisait frissonner tous ses muscles. Il serrait. Mais cette nuque pourtant veule, à l'apparence maladive, ne se rétractait pas sous l'étau de ses doigts. Rien ne se produisait... Cette gorge était comme faite de métal. À l'intérieur, une force surhumaine semblait œuvrer. Une force bien supérieure à celle de pauvres petites mains de marquis.

D'ailleurs, les yeux bleus fixaient leurs semblables, noirs, sans frémir aucunement.

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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Xx_peur_xx


L'oubli est une grâce.

Julien Green




      Sais-tu seulement qui je suis ?


    Car il suffit de demander ce que sont les autres. La curiosité ne l'intéresse pas. Le Créateur l'a fait horriblement moche pour qu'on se fixe sur lui. Pour être l'abîme de vos envies et que tel un dyspeptique, votre oubli ne réchappe du souvenir entêtant de ce malheureux tas de chair informe.
    Ton pire cauchemar aurait été une réponse adéquate si elle n'avait pas été si fréquemment utilisée par des épouvantails de bas étages. Non, là il n'y a pas que la peur pour étreindre la moelle glacée et humide du marquis, c'était le dégoût, la haine, le dédain et des pulsions violentes de mort. Mais en face qu'y avait-il ? Sinon une vérité criante qui ne pouvait être que l'avenir terrifiant de Nemours ?


      Regarde moi bien, gros marquis. Ne reconnais-tu pas mes traits ? Imagine moi plus jeune ... Lorsque tu prouvais ta valeur aux armes. Lorsque tu te montrais encore homme. Et reluque toi. Combien de poids as-tu pris ? De quand date ton dernier entraînement ? Dois-je seulement parler de ta condition physique ? Car ta dernière sortie politique est un échec. Tu n'es plus à même de convaincre quiconque que ton épouse. Se pourrais-t-elle qu'elle ouvre les yeux elle aussi ? Qu'elle se détourne de toi finalement et que le peuple qui t'a adoré, qui t'a accueilli toi, l'enfant de discorde, porte la même répugnance à ton égard et se demande "Comment se peut-il que le Créateur de toute chose t'aie permis d'exister ?" Ahah. Ne baisse pas le regard, Aimbaud ! TU SAIS QUI JE SUIS !



    Les murs tremblent et vacillent. Des halos de lumières donnent à la scène une ambiance plus surréaliste encore. Le sang bat dans les tempes. La gorge est nouée. Le cœur bat à un rythme effréné. Il faut de l'air. Cette pièce à la température tropicale devient invivable et l'occupant qui l'habite est encore pire. Il pousse à la folie. Peux-tu rester de marbre ? Vraiment ?
    Combien d'artifices de ton esprit peux-tu encore lutter ? Car tu sais que cet esprit n'est pas réel. Que rien de tout cela n'a existé. Qu'il ne s'agit qu'une projection de ce qui te hante dans tes nuits les plus tourmentées. Cependant la boîte de Pandore est ouverte devant tes yeux et tu ne parviens plus à les fermés comme intrigués par ce qu'elle pourrait contenir de pire. Souhaites-tu le savoir ? La brûlure de ton âme empêchera alors tout repos et tu repenseras à moi lors de tes joies dès lors incomplètes comme pendant tes désespoirs les plus profonds. La noirceur de cette désolation sur cette mémoire parasite qui morcelle le cerveau ne s'arrêtera même pas par ta perte : feu Aimbaud sera toujours reconnu comme le fou qu'il a été. Et ta lignée sera maudite par cet héritage jalousement gardé. Tu sais d'où il te vient. Tu connais ton destin sans même qu'il te l'ait été dit. Tu le ressens et le pire reste de ne pas pouvoir le dire.


    Dehors le vent vomissait ses cris stridents le long des murs épais de la bâtisse. De lourdes gouttes s'abattaient sur la fenêtre laissant présager une tempête d'hiver. Pas même la nature ne lui apporterait la quiétude aujourd'hui. La violence qui lui avait été faite ne saurait se faire remplacer par quelconque douceur que ce soit.
    Dans un petit sifflement mesquin, une brume obscure se forma autour du spectre. A nouveau il devenait difficile de le discerner et cela n'allait pas en s'arrangeant. Bientôt son reflet dans l'eau n'était rien d'autre qu'une épaisse fumée montante ne troublant plus la surface tranquille du bassin. Et pour cause : le mal avait été fait. Il était inutile d'en rajouter. Petit à petit, le fardeau se ferait sentir. Irrésistible. D'ailleurs, c'était précisément pour cela qu'il était idiot de vouloir trop en faire ici, il finirait par se rebeller face à cette vision des ténèbres et ainsi retarder son anéantissement.
    Finalement, cet amas impropre dont tu te moquais ne serait-elle pas ce que tu pourrais nommer par la somme de toutes tes peurs ? Non. Car personne n'oserait te croire. Cette pierre, tu la portes seul.
Aimbaud
Un cri de désespoir trancha la quiétude de la salle de pierre. Les mains du marquis de Nemours chassèrent l'eau du baquet, l'écartant de ses grosses paumes, semblables à des pelles, luttant contre cette matière maudite qui, comme des draps infinis, se repliait sans cesse sur la proie qu'il voulait saisir. Son visage détrempé observait avec horreur la disparition de l'Être. Un œil par-ci, une ride par-là. Une oreille dans cet éclat d'eau ! Un sourire édenté dans cet ondoiement. Le diable s'était mis en pièces ! Son reflet n'était plus qu'huile désordonnée, à la surface du bain. Les poings de Nemours le broyaient, le désordonnaient, ils éclaboussaient ses contours, en tentant de le saisir.

Les bras d'Aimbaud, plongés tout entiers dans la cuve tiède, relâchèrent bientôt leur étreinte. Son visage chahuté souffla une respiration nerveuse à la surface de l'eau. Au milieu des postillons, ses yeux affolés rencontrèrent leurs frères. Ils tremblaient avec le bain. Sa bouche haletante, aux dents abîmées par les sucres du vin, comme un gouffre noir et hideux, semblait prête à surgir du bouillon pour le mordre au visage. Les plis de son front étaient autant de rides à la surface de l'eau. Il respira avec pitié. La connaissance avait embrassé toutes les laideurs de sa figure. Il se trouvait changé pour le pire.

Une plainte sourde fit trembler sa gorge. Sa tête se ramassa sur le bord du baquet, rougissant son front contre l'arrête du bois. Il relâcha son corps trop lourd sur le sol, assis et mou comme un nouveau-né, abandonné dans son jus. Le ciel ne lui était plus clément. Ses privilèges avaient pris leur temps pour faner, mais tout vient à point à qui oublie sa mortalité. Comment supporter le terrassant présage d'un avenir où il serait maintenant caduc ? Comment vivre avec la certitude d'avancer toujours un peu plus vers l'ombre ? Le chemin de la vieille médiocrité donnait aux nourritures un goût amer, quand certains avaient passé le pas d'une mort épicée en tranchant leurs jeunesses aux couteaux.

Il observa le creux de ses mains, dont la peau blanche, ayant bu tout ce qu'elle pouvait d'humidité, semblait noyée. Il était déjà mort, par petits bouts. Mort de graisse et de complaisance. Fainéant, à ne faire que néant, à néant parler, vers néant basculer. Ses mains l'embrassèrent. Sa barbe rugueuse, na nuque épaisse. Son nez grossi devenant grumeleux. Ses yeux fatigués.

Elles terminèrent sur sa tête basse. Cachant la honte qui poignait en masse dans sa chevelure en clairière. Ses gros doigts n'y suffisaient plus. Ils n'étaient que pauvres fils de couture, dans cet espace dégarni. Une nudité nouvelle qui lui était née dans la malveillance. Signe risible de sa décadence, du temps qu'il avait passé à se battre, et qui le battait désormais.

Cette blessure lui avait été laissée en gage par son visiteur. Marque discrète apposée sur sa tête, qui n'en finirait plus de resserrer son étreinte, jusqu'au jour de leurs retrouvailles. Ils se reverraient, forcément. Le vieillard se coucherait avec lui quand, sur l'oreiller, on reposerait son crâne chauve, auréolé d'une orbe nue, qu'aucune couronne ne pourrait cacher.

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