[Mars 1466 au Roncier]Le mois des fous, assurément, au nom donné par un dieu guerrier. La pluie ruisselle sur les carreaux embués, martèle une mer d'étain liquide qui fait le gros dos, crache et rugit comme un chat furieux. Brave mais trempé, exténué, le petit pigeon de Nikkita est revenu à tire d'ailes de Fribourg, emportant avec lui, au chaud de ses plumes, la dernière lettre de cette correspondance renouée quelques jours plus tôt.
Le 06 Mars 1466 Quelques plumes dans le ventTrès cher Sub
Un petit mot ou une longue lettre, je ne sais encore en commençant à noircir ce vélin... Voilà plusieurs jours que l'envie me gratouille, me chatouille de t'écrire. Aussi, pour ne pas rester dans cet inconfort, je laisse la plume gratter, et tente de laisser les mots couler...
Nous voilà de retour à Montpellier... Je pense à vous tous, sur Genève. Ironie du destin, crois-tu ?
Et je voudrais laisser couler les mots, eux qui venaient si facilement.
T'écrire comme on se réfugie dans des bras de l'ami ou du compagnon, pour un instant de tendresse partagée. T'écrire juste parce que c'est toi, qui un jour d'une gueulante à Nîmes, m'a rendue humaine et permis d'aimer...
T'écrire pour tous ces mots abusés qui m'ont depuis fait perdre les miens.
T'écrire pour retrouver ce chemin, peut-être.
Le comble, venant d'une vagabonde à un égaré...!
Embrasse bien Ober, et Noellie pour moi. Cette lettre sans trop de sens pour dire que je pense à vous là haut.
Tendrement,
Nikki
Chère vagabonde aux poulaines devenues presque sédentaires,
Heureux de te lire. Mon plaisir est toujours aussi grand en retrouvant ta plume. Tu fais bien de l'aérer de temps en temps et je suis ravi que ce soit pour moi.
Le goût des choses va et vient, à nos âges nous le savons maintenant. A toi de le retrouver, je t'en sais capable, si celui t'écrire te manque comme je le ressens dans tes quelques mots.
Je serais ton compagnon épistolaire si tu le souhaite, ma plume ne demandant qu'à rennaître également.
Le tournoi approche, les gens et l'effervescance affluent. De belles rencontres, d'autres moins délectables mais de la vie, quel bonheur! Vos deux carcassent nous manquent, enfin à moi. Je ne sais trop ce que peut ressentir Noellie en ce moment. On se croise et se balance toutes sortes de saletés à la tête pour l'instant.
Ma soeur a un amoureux, ça lui va bien au teint. Elle croule sous les commande de Pouffle. Elle va m'en faire qui vont sous l'eau, équipées de tuba, pour me permettre de ne pas couler. Allez savoir pourquoi!? Enfin si, j'en ai une petite idée, mais ne t'en dis pas plus. Tu connais l'oiseau voyageur que je suis.
Donne moi de tes nouvelles,
Le plus tendrement du monde,
Sub
A vol de plumeTrès cher Sub
Egaré, boulanger, ami et tellement plus
Tout d'abord ce plaisir, à te lire à nouveau... Ta réponse si rapide, tes mots qui savent me trouver... Je te laisse imaginer ma mine en recevant ta lettre.
Compagnons épistolaires, pour faire renaître les plumes... La tienne, la mienne.
Pour un oiseau voyageur, c'est au moins aussi utile qu'un tuba, non ?
J'imagine Ober rayonnante... Elle l'était aussi au dernier Tournoi, et cela lui va bien au teint. J'aimerais être avec vous, là. Je repense à cette ambiance, à cette effervescence, et cela me fait sourire. Enfin, tu le découvres toi aussi !
Comme une andouille, je ne serai pas là pour le voir. Mea culpa. J'espère quand même que la séance d'entraînement portera ses fruits, et qu'avec Noellie vous trouverez un terrain plus... confortable.
Je ne savais pas, ce matin en t'écrivant...
Mais tu es là...
Et des mots, il me faut encore en trouver pour te dire, à toi, à toi seul peut-être de ma bouche ou de ma plume, que Black a préféré mettre un terme à notre histoire, son négoce le prenant trop.
Tu me demandais des nouvelles... J'aurais préféré t'en donner d'autres.
Sub, ta tendresse me fait du bien. J'espère que tu ne m'en voudras pas si j'en reprends une bouchée.
Tout aussi tendrement
Nikki
Nikki,
J'imagine ton désarrois. Pour autant, et vu qu'il ne sert à rien de s'appitoyer sur son sort, je te propose de prendre Aimé quelques affaires, et de venir nous rejoindre sur Genève. Le temps que tu arrives, le tournoi sera peut etre fini mais tu y verras tout un tas de personnes qui tiennent à toi. Poum me parlait encore de toi ce matin. Elle compte venir te voir sur Montpellier une fois le tournoi fini, en passant par Marseille. La route que nous devrions également prendre avec Noellie, pour suivre tout un groupe d'amis forts sympatiques.
Je ne te promets pas de te faire passer tout le chagrin qui doit pour l'heure te submerger, mais juste un peu pain et de chaleur.
Aujourd'hui, on n'a plus le droit ni d'avoir mal, ni d'être en pleurs!
J'attends tes poulaines, réveille les donc!
Ton ami, confident and co,
Sub
Le 07 Mars 1466 A vol de plumeSub,
J'ai laissé passer la nuit... Elle porte paraît-il conseil.
En une chose au moins je ne me trompe pas : c'est de ne pas croire aux adages. Si j'attendais des conseils de la nuit, c'est une maladie qui est venue me choper au saut du lit.
Décidée ce matin à venir vous rejoindre au galop, voilà que je suis clouée au lit et incapable de manger. Le comble de la vagabonde médecin ! Je verrai dans la journée si mon état s'améliore assez pour prendre la route avec Aimé.
Sais-tu que si j'arrive à vous rejoindre, il fêtera son premier anniversaire dans cette Helvétie où il est né ?
Oui j'ai du chagrin, tu peux l'imaginer. Sans doute mieux que tout autre... Que dire ? Mais si tu as quatre bouts de bois quand dans ma vie il fait froid...
J'essaierai de venir me chauffer un peu à cette chaleur.
Dis-moi, tu es vraiment devenu un oiseau voyageur ? Helvétie Marseille... Mazette.
Ton amie vagabonde perdue d'avoir été éperdue.
Nikki
Le 17 Mars 1466 En-cas et vol-au-ventMon cher Sub...
Mon... Vois-tu, ta vagabonde aux poulaines récalcitrantes ose ce possessif. Mon, parce qu'aujourd'hui, aujourd'hui surtout, tu es présent dans mon coeur.
Le Tournoi va commencer, il a déjà commencé, tu découvres Morat, sa folie, ses feux de camp, l'attente fiévreuse de cette première nuit... Les plans fous, absurdes, impossibles, qui font briller les yeux et retentir les mots, les bravades affichées et ce frisson d'impatience, d'attente, de crainte, qui te jettera ce soir dans cette fabuleuse mêlée. Demain peut-être, tu te réveilleras avec des ecchymoses ou bien un butin saugrenu entre les mains...
Ou une proie que tu n'as eu coeur d'achever, si ce n'est par ton ramage d'oiseau voyageur...
Je sais combien Montpellier peut être lointain, en cet instant, presque immatériel... Combien le monde s'estompe pour n'éclairer plus que les mines des Tournoyeurs, et celle de Morat.
Aussi ces quelques mots se veulent-ils ne peser plus que le poids d'une plume sur l'once d'un vélin vagabond, sans attente de retour. Quelques mots de tendresse et de joie pour toi, aussi faciles à digérer qu'une compote de pommes, à savourer sur place ou garder pour plus tard... D'une vagabonde immobile à un sédentaire voyageur.
Paradoxes...?
Je t'embrasse tendrement, mon Ami, complice and Co. Mes clins d'oeil et mes sourires pour tes nuits remuantes à venir.
Etreint bien fort pour moi Noe et Ober, et aussi cette folle de Poum. Je sais que tu auras plaisir à le faire...
Quant aux autres...
Marave !
Nikki
Ma très chère Nikki,
L'excitation pour moi n'est pas dans les peaux qui craquent, ni dans les os qui se rompent. A vrai dire je ne sais même pas pourquoi je suis ici. Moi dans un tournoi...
Tu penses bien que mon seul intérêt est soit de me vautrer contre de charmantes adversaires, soit de me faire soigner par de charmantes infirmières. Et vu le nombre de personnes présentes, il y a de quoi faire.
Pour l'heure j'aime à découvrir ma nièce que j'adore. Poum est une femme exceptionnelle, que je te ramène à la fin du tournoi, elle n'a que ton nom en bouche, tant elle se languit de te voir. D'autres personnes aussi, des marseillais avec qui il fait bon passer de belles soirées animées. Tu les adorerais.
Aussi et si toutefois ton état te le permet, tu pourrais nous rejoindre sur Marseille. Je vais y organiser le jeu de l'Assassin en halle histoire de soulager la charmante marseillaise qui l'organise en temps normal. L'occasion peut être de vous changer les idées à toi et à Aimé et surtout de remettre en marche tes poulaines de vagabonde!
Ce soir, on part sur le noeud et demain, on se marave. Si tu n'a pas de nouvelles de moi après demain, c'est que je giserais sous un chêne, la main sur le coeur. Si le destin s'acharne, pas de peine à avoir, je serais allé rejoindre mon fils et vous pourrez faiter ça en buvant de bonnes choppes pour moi.
Prends bien soin de toi, de tes poulaines, d'Aimé! Et réfléchis bien pour venir nous voir sur Marseille. Dans tous les cas, je te ramènerais Poum et son Jules un petit Hyan fort sympatique.
Je t'embrasse le plus tendrement du monde en espérant que tu arrives quand même à te changer les idées.
Ton chasseur prêt à en découdre par la non violence,
Sub
Le Tournoi va commencer. Sans elle, qui l'an dernier s'était promis de ne pas rater le suivant. Foin des promesses, soumises à la versatilité humaine. La vagabonde intransigeante à tenir les rarissimes faites à autrui, n'a même pas tenu la sienne propre, envers elle-même... Les promesses ne seraient-elles que gageures tentant de figer l'avenir dans une fausse certitude ?
Mais Eux y sont, eux, qui lui sont chers, et sa pensée glisse avec eux pour entrer dans la fantasmagorique danse, petite silhouette échappée qui viendra se mêler à l'ondoyante farandole des flammes egrenées de feu de camp en feu de camp, dans la nuit burlesque de Morat.
De l'Helvétie à Montpellier, de Montpellier à l'Helvétie, de l'Helvétie à Montpellier encore... Les pleins et déliés des missives tracent de leurs graciles et élégantes cursives les plénitudes et liens déliés ou renoués de ces trois dernières années.
Et voilà que par une entorse cartographique et dans la pudeur de leurs mots, Sub l'invite à nouveau à se joindre aux réjouissances phocéennes...
Sait-il, sent-il combien l'atavisme de la sauvageonne la pousse à se terrer lorsqu'elle ne peut mêler un rire spontané à la balade des gens heureux ?
Le petit pigeon s'est endormi sur le manteau de la cheminée. Une rude journée pour le messager ailé qui a bien mérité quelques heures de repos au chaud... Surveillé d'un oeil indéchiffrable par le chat 'Ouille qui tel un pacha, trône altièrement au coin de l'âtre, au risque de faire roussir sa robe immaculée.
Quant à Aimé...