Magdelon
Citation:
Vous négociez une entrée sûre avec un garde, vous lui laissez un objet en gage.
D'un air dubitatif et peu motivé, Magdelon observe la tour qui se dresse devant son regard sombre, avisant son relief, les corbeaux croassant et tournant tout autour, l'eau dégueulasse croupissant dans les douves et tout plein de choses carrément pas ragoutantes qu'elle n'avait aucune envie de toucher, même dans ses cauchemars. Sa capuche est baissée pour mieux aviser ce qui l'entoure, révélant un visage juvénile marqué par de nombreuses tâches de rousseur et un petit nez retroussé, quelques mèches châtains virevoltant autour de ses joues rougies par la fraîcheur de l'air.
- - Franchement Pedro, ce machin me donne pas du tout envie... mais bon, si y a moyen de gagner des écus, on va pas rechigner à la tâche !
Ceci dit uniquement dans le but de se donner du courage, car c'était pas gagné. Se rapprochant de l'arbre le plus proche, Magdelon entreprend d'y attacher son âne pour le retrouver à sa sortie, vérifiant qu'il ait assez à bouffer pendant son escapade d'une durée indéterminée. Fallait voir par quel bout prendre le bouzin, et dans un premier temps, la Berrichonne avise surtout les personnes qui se trouvent là, les uns et les autres commençant à courir un peu partout ou se mettant à grailler avant d'attaquer lascension. Comme d'habitude, Magdelon se sent un peu seule et plonge son visage dans l'encolure de sa vieille monture, comme pour lui confier un secret.
- - T'inquiètes, je vais revenir, c'est juste une question de minutes, le temps de libérer la donzelle qui est enfermée là-haut. De toute façon y a personne qui a l'air organisé là-dedans, ça devrait le faire.
Un baiser est déposé entre ses deux yeux et d'un pas presque assuré, la silhouette s'avance au milieu de tout ce bazar. Le pont-levis est presque descendu, mais pas assez pour s'y risquer, du côté droit, quelques chiens se disputent de la bouffe, de l'autre certains se bousculent en vue d'entrer avant les autres. Méthodique et surtout vachement attirée par l'argent vu qu'elle est totalement à la dèche en ce moment, ses pas la guident un peu plus loin que l'entrée et ses mirettes tombent sur un garde seul en train de grailler une miche de pain. Elle s'approche, un sourire collé sur le visage et avec l'air d'une biche qui vient de naître. Blanche comme neige.
- - Bonjour messire ! Y a foule aujourd'hui, paraîtrait qu'une jolie jeune fille est enfermée là-haut, c'est vrai ?
Face à son air patibulaire, mais presque, Magdelon ne perd pas contenance et décide de s'acharner un peu pour réussir à choper son ticket d'entrée sans trop galérer avec les douves ou autres cochoncetés à grimper ou enjamber.
- - Vous savez, mon oncle m'a toujours appris qu'il faut aider son prochain, c'est écrit dans un bouquin super connu. J'irais bien la délivrer mais pour ça, faudrait que j'arrive à entrer. Vous auriez pas une piste, gentil garde ?
Taiseux, il l'avise de pieds en cape et la mange du regard avec ce sourire dégueulasse qu'ont certains soudards dans les tavernes de campagne, et même des bourgs. Magdelon pince les lèvres, pas encore prête à passer à la casserole et livrer son pucelage à un garde qui pue, juste pour récupérer un peu de blé. Mais son regard accroche surtout le pendentif qui ceint son cou, un machin qui ne coûte rien et qu'elle a piqué quelques jours auparavant sur un étal en pensant le revendre mais sans succès parce qu'il vaut que dalle. Décroché, le lacet de cuir est tendu vers le garde, le petit pendentif tournoyant sur lui-même avant de lui être arraché des mains et planqué dans la mise du garde. Un coup dil à droite, un coup dil à gauche, et voici qu'il se met en branle sans un mot, Magdelon sur ses talons. Enfin, un tout petit pont est découvert, le saint Graal qui lui permettra d'entrer dans le château sans mal. Un grand sourire est adressé au garde, parce que quand même, la Berrichonne n'est pas bégueule. Elle a perdu un pendentif, mais c'est pour gagner beaucoup plus, espère-t-elle.
- - Merci ! N'en demandez pas moins de cinquante écus pour le pendentif à la revente hein, c'est au moins ce qu'il vaut !
Riant sous cape de s'être bien foutu de sa poire, la baroudeuse s'engage finalement sur le pont qui ne peut contenir qu'une personne dans sa largeur et s'enfonce, passant par une petite porte bien cachée derrière des lierres, dans la noirceur de l'édifice, ressentant déjà sur sa peau les premiers frissons de trouille et de dégoût, n'y voyant goutte une fois l'huis refermé derrière elle.