Arnauld
17: Vous déplacez volontairement un meuble devant les escaliers. Sus aux concurrents!
Une princesse ? Mais il y en avait combien, des princesses, dans ce fichu château ? Celle-ci était sacrément louche, en tout cas. Déjà, elle avait failli le tuer puisqu'elle ne comprenait visiblement pas le concept de l'escalier, elle était flanquée de deux acolytes pas du tout princiers, et surtout, mince, elle avait des cheveux de sorcière où il ne s'y connaissait pas. Alors certes, il n'avait techniquement jamais rencontré de vraie sorcière, mais il avait une belle-mère, et... Bref, il s'égarait. Sorcière ou pas sorcière, la femme s'étaient enfuie derrière une tapisserie en poussant des cris ravis où il était question de poneys et de passage secret.
Le coup du passage secret le fit hésiter. Le mystère et le romanesque de la chose ne pouvaient pas faire autrement que l'attirer, surtout dans ce contexte de quête légendaire de princesse et de dragon. Peut-être que le couloir planqué derrière la tapisserie était le véritable chemin vers le donjon où était emprisonnée Madeleine, et les poneys qui y figuraient étaient une image pour évoquer le féroce dragon qui hantait les lieux, autrement dit un message codé pour inviter les héros comme lui à s'aventurer de l'autre côté... Ça lui plaisait ! Quelques instants après la sorcière aux cheveux blancs, Arnauld traversa donc la tapisserie. Il ne voyait rien, et il choisit donc de longer les murs pour se faire une idée des dimensions de la pièce, et chercher une éventuelle ouverture.
- Aïe ! Boudidiou...
Exploration interrompue par un ennemi aussi redoutable qu'un pied de meuble. Le pied d'Arnauld, lui, était nu, depuis sa mésaventure avec la herse, et la rencontre avec le meuble fut violente. Ravalant les larmes qui venaient lui piquer les yeux, le jeune homme poussa un juron et jugea que cette agression mobilière était un présage : il n'avait rien à faire dans ce passage secret à la noix qui menait à coup sûr à un cul de sac. Demi-tour, donc. Mais comme tout ceci l'avait agacé, il décida de ne pas rebrousser chemin sans tirer avantage de ce qu'il avait trouvé en cet endroit. Quelle meilleure arme pour un menuisier qu'un bon vieux meuble en bois dur ? Celui-ci fut donc tiré jusqu'aux escaliers, et planté là sur les marches pour bloquer le passage àd'éventuels nouveaux ennemis. C'était qu'entre les herses voleuses de bottes, les sorcières à poneys et les pieds de chêne vicieux, il aimerait bien qu'on lui lâche enfin la grappe pour qu'il puisse continuer à héroïquement délivrer la princesse.
4: On vous pousse vicieusement dans les latrines ( Theodoric_).
Il arriva donc en haut des escaliers et déboucha sur un couloir... glauque ? Non seulement on entendait le vent souffler comme si un fantôme revivait inlassablement son agonie, mais en plus un architecte décérébré avait décidé d'accrocher des miroirs sur tous les murs. Vraiment, une fois encore, une conclusion s'imposait : les châteaux étaient vraiment surcôtés.
- Votre Altesse ? hhhoouuuu, hhhhhhouuuuu M. le Dragon ? hhhhhhouuuu, houuuuu...
C'était agaçant, ces fichus courants d'air. Il n'entendait pas si on lui répondait, et puis ça faisait vraiment penser à des fantômes. Mais ce n'en était pas bien sûr. Bien sûr, ah ah. Les fantômes, ça n'existait pas. Qu'est-ce qu'il venait de voir passer contre le mur ? Rien, évidemment, seulement son reflet. On aurait dit qu'il flottait au-dessus du sol, mais c'était simplement une impression, un effet dû à l'inclinaison des miroirs, ce n'était absolument pas la réalité. Mais là ? Là ? Cette grosse masse là-haut ? Une chauve-souris ? Oui, voilà, un reflet de chauve-souris. Pas un fantôme. D'ailleurs, personne n'avait parlé de fantôme, pourquoi on lui parlait de fantômes ? Les fantômes, ça n'existait p...
- AAAAHHH !
Un grand coup dans les reins le projeta en avant, et il s'écrasa dans un recoin entre deux miroirs. Nom d'une barbe d'Aristote, ça lui avait fait un mal de chien ! Et ce que ça pouvait puer ici ! Et cette humidité... Oh, non. Il avait compris. Il était dans les latrines. Mon Dieu, ça avait au moins intérêt à être de la pisse de dragon.
Les yeux plissés et le dos tordu par la douleur, le menuisier se retourna pour voir ce qui l'avait poussé. Il resta ébahi un bon moment en croyant reconnaître l'espèce de fou en chaise roulante qu'il avait vu tabasser en lice, à Bergerac, le rédac' chef de l'AAP. Comment s'appelait-il, Patrick, Eric, un truc en ric... Theodoric ! Mais comment était-ce possible ? Etait-ce vraiment lui ? Y avait-il seulement quelqu'un ? Avec tous ces reflets et cette obscurité, Arnauld avait l'impression de devenir fou. Mais sa douleur dans les reins, alors, sa chute ? Un fantôme ne pouvait pas...
Il se redressa, s'essuyant les mains sur ses braies et secouant quelques gouttes d'urine de son pied nu, puis, chancelant, fit un pas dans le couloir. Madeleine avait plutôt intérêt à ne plus être loin, parce que cette quête héroïque commençait à sentir aussi sûrement l'arnaque que l'endroit qu'il venait de quitter sentait la pisse de dragon. Autrement dit, ça puait sérieusement.
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