Lucas.
Dehors lhiver étendait ses ailes depuis plusieurs semaines déjà. les chauds rayons du soleil dun été finissant nétaient plus quun lointain souvenir et avait fait place aux flocons de neige. Les toits de Paris étaient recouvert dun blanc manteau et la boue infâme des rues parisiennes avait cédé pour quelque temps sa place à un paysage plus bucolique. Assis devant une table recouverte de dorure qui lui servait de bureau, les pensées de Lucas Dentraigues saccrochaient aux récifs dun passé qui nétait pourtant pas si lointain et pour une fois, celles-ci nétaient pas occupées par une jolie femme. Il se voyait une sacoche de cuir vieilli sous la main arpentant les couloirs du palais de justice, saluant son client et lui faire signe quil navait rien à craindre, que le dossier quil avait constitué lui voudrait à lui accusé un acquittement et à lavocat quil était une somme rondelette. Souvent, il avait raison. Souvent pas toujours. A lAphrodite, il avait tourné la page dun passé désormais révolu. Les portes des palais de justice lui étaient désormais fermés et lAphrodite avait ouvert les siennes. Cest là quil avait trouvé un refuge, un endroit pour se faire oublier de ceux quil avait battu en cour et qui lui en voulaient pour cela. Avec les yeux dHadès juste à côté, Flav lui avait promis une vie à labri de ceux qui le haïssaient et qui lauraient bien vu six pieds sous terre. Car cest ainsi que Flav tenait son monde à lAphrodite. Pour chaque employé, chaque galant, le gérant avait un dossier. Lucas ne les avait jamais vu mais il imaginait bien le discret directeur consigner patiemment chaque petit écart de conduite, menacer de représailles celui qui ne voulait marcher droit, augmenter la dette de ceux ou celles qui en avaient jusque sous les fesses. Lucas Dentraigues navait pas de problèmes pécuniaires. Cest ainsi quil avait pu soffrir le luxe de disposer dautant de parfums faits à sa mesure. Cest ainsi quil avait rencontré Ambre de Monmouth.
- Justine? Pourriez-vous faire mander Rose? Jaurais besoin de mentretenir avec elle? Votre pardon? Oui, ici, dans ma chambre. Cela vous choque t-il?
Comme à chaque jour, la petite servante rousse avait fait irruption dans la chambre du Maître au petit matin. Sans poser de question, elle avait ramassé le linge épars sur le sol, avait amené au galant de quoi de restaurer après une nuit sans sommeil. Lucas avait adopté la frêle fille rousse. Pour une fois, la beauté navait rien à voir dans son choix de femme. Justine était discrète, travaillante et autonome. Trois qualités quil appréciait déjà quand il avait le loisir davoir des serviteurs. Trois qualités quil aimait retrouver chez le personnel de lAphrodite.
La plume glissait avec aisance sur le vélin ocre qui se noircissait de pattes de mouches. Lhomme aimait ce petit bruit de grattement, fidèle à celui de la patte dun faucon sur une branche. Il avait limpression que chaque courbe des lettres quil dessinait se gravait à même la missive. Car oui, cest une lettre quil rédigeait à lencre noire, une lettre destinée à une personne à qui il était redevable et qui lui avait demandé : Surprenez-moi!
- Oh! Et puis non, dites-lui de que je passerai dans sa chambre dès que jaurais terminé cette lettre. Et justine?
Sur le coin du bureau, un parchemin finissait de sécher. Lencre sy était récemment deposée, un ruban rose patientait avant de pouvoir refermer le tout. Lucas lenroula, le noua et le tendit à la petite servante.
- Que Rose en prenne connaissance avant que je la rejoigne sil vous plait.
Il ne tourna pas le regard en direction de Justine. Le bras tendu vers larrière, il relisait sa prose en attendant que la petite sexécute. Au pied du lit, sur une petite malle sétalait une robe de soirée faite de mousseline et taffetas noir dont la la servante comprit aisément quelle devait découvrir les épaules et mettre en valeur aux yeux des hommes la poitrine dun décolleté audacieux. A côté de celle-ci, elle put découvrir une paire de chaussures dont le talons devait indéniablement rehausser la beauté dune cheville féminine, de longs gants de velours noirs et un loup, lui aussi en velours noir mais rehaussé dun liseret rouge vif. Elle ne le savait pas encore, mais à vous qui lisez je vais vous le dire: sachez que dautres pièces de vêtements délicats se trouvaient sous la robe.
« Surprenez-moi! » Voilà le défi quelle lui avait lancé. Sans nul doute, la parfumeuse avait mandé une soirée à lAphrodite au Dentraigues. Le menu restait vague. Volontairement. Ambre de Monmouth avait déjà rencontré le Maître dans le passé. Elle avait ainsi pu découvrir son besoin de diriger, de contrôler la situation, damener ses interlocuteurs là où lui le désirait et elle venait de lui laisser les rênes. A lui de proposer. A lui de faire étalage de son imagination. A lui le travail, à elle le plaisir. Après tout nétait-ce pas ce quun membre de lAphrodite pouvait espérer dun galant de létablissement? Quoi de plus logique nest-ce pas? Surprendre une femme, Lucas Dentraigues en avait lhabitude oui et le premier geste dans cette direction, il sapprêtait à le poser. Mettant un poil final à la lettre quil rédigeait pendant que Justine saffairait, il posa la plume dans lencrier. Il prit son bâton de cire, un sceau de lAphrodite quil avait omis de rendre à Flav. De grosses gouttes rouges et chaudes sétalèrent sur le vélin avant que celles-ci ne subissent les effets du métal froid. Avant de nouer le tout avec un deuxième ruban rose, il déposa au bas du vélin trois gouttes dun parfum quil prit dans lune des fioles située devant lui. Le galant navait aucun doute quand au fait que la créatrice pourrait identifier ces fragrances, fruits de sa propre imagination créative. Entre le vélin et le ruban, prisonnier de ce dernier, une rose aux épines acérées complétait le message.
- Faites remettre également ceci à Rose je vous prie. Dites-lui simplement que cette lettre est destinée à Ambre de Monmouth et demandez-lui si elle accepte de la porter en personne à la Lyre dEurydice. Je vais passer la voir pour plus dexplications une fois que je me serais vêtu comme il se doit.
Quand au troisième et dernier rouleau qui gisait sur sa table, il le porterait en mains propres à lépineuse et peut-être, oui peut-être, devrait-elle payer un petit supplément pour lobtenir. Vous dites? Lucas demande un service à Rose et cest elle qui en plus devrait payer un « supplément ». Oui. Et alors? Il y a un problème?
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