Magdelon
[Limoges]
Y'a des jours comme ça où tout ne va pas pour le mieux,
Y'a des jours où tout part en couille, tout coule... (1)
Y'a des jours comme ça où tout ne va pas pour le mieux,
Y'a des jours où tout part en couille, tout coule... (1)
Tic Tac (2)
Je préfère de nager dans la mer,
de faire l'amour au bord de la rivière.
Je préfère de câliner sans fin
et de boire de la bière sans misère à noyer...
que d'aller travailler.
Plutôt plutôt jouir que d'aller travailler !
Je préfère de nager dans la mer,
de faire l'amour au bord de la rivière.
Je préfère de câliner sans fin
et de boire de la bière sans misère à noyer...
que d'aller travailler.
Plutôt plutôt jouir que d'aller travailler !
Alors que le jour décline, les derniers rayons de soleil se glissent à l'intérieur de la carrière où quelques pauvres âmes cognent à s'en bousiller les doigts les pierres granitiques qui les entourent. Le choc de l'outil contre la roche fait résonner son bruit métallique sur plusieurs lieues à la ronde, son arythmique berçant douloureusement les pauvres oreilles des ouvriers fatigués. Dans un coin, Magdelon roupille, sa frêle corpulence lui ayant permis de se faufiler au nez et à la barbe du contremaître qui aboie ses ordres comme une litanie. Il ne l'a pas vue s'installer dans ce petit recoin à l'abri du vent et de la pluie, et c'est en toute quiétude qu'un ronflement léger s'échappe de ses lèvres bleuies par le froid. Le sommeil est profond, à l'instar de ceux qui s'endorment le jour au lieu de roupiller la nuit, pris par des insomnies ou des maux plus puissants. Il est si épais et cotonneux que les pas du porion, pourtant lourds, ne suffisent pas à la tirer de sa rêverie, ou de ses cauchemars, et c'est seulement lorsque la gueule édentée se trouve à quelques millimètres de son visage juvénile que le souffle poisseux la rappelle au monde réel, loin des chimères.
Son cur, alors, pris dans un rythme tout d'un coup effréné, se lance dans une danse asynchrone qui lui laisse le souffle haché. Brunette se revoit à la Cour des miracles plusieurs semaines auparavant, essayant d'échapper à la gueule bousillée qui l'avait prise pour cible. Elle veut reculer, se relevant quelque peu, mais, acculée, ne peut que se frotter violemment à la paroi qui se trouve derrière son dos. L'horreur recommence, encore, et c'est pétrifiée que pucelle voit l'homme s'avancer, près, plus près, jusqu'à frôler son visage de sa main crasseuse. Le cri qui essaie de passer ses lèvres n'en trouve pas la force, seul un filet de voix réussit à forcer le passage tandis qu'il l'observe, rictus aux lèvres et regard mauvais. Jeunette sait combien les hommes peuvent être féroces lorsque l'agneau est pris au piège. Ses forces la quittent, bientôt ses bras tremblants vont lâcher et faire s'affaler son corps contre le sol et il sera trop tard. Trop tard. Magdelon n'est pas violente, non. Il lui arrive même de perdre tous ses moyens face à l'Homme. Mais pas cette fois-ci. Un sursaut de survie vient la prendre, faisant grimper en elle l'adrénaline nécessaire pour rétorquer avant même que porion ne puisse la violer de ses mains, de ses lèvres, de...
Je préfère de gambader dans la bruyère,
de siffler sur la colline,
de dormir sur la plage.
Je préfère de retourner la terre,
de manier la truelle, le ciseau, le laser...
que d'aller travailler.
Plutôt plutôt jouer que d'aller travailler !
de siffler sur la colline,
de dormir sur la plage.
Je préfère de retourner la terre,
de manier la truelle, le ciseau, le laser...
que d'aller travailler.
Plutôt plutôt jouer que d'aller travailler !
Sa main fouraille le sol à la recherche de l'arme idéale pour le mettre hors d'état de nuire. Assez pour que brunette puisse se barrer, se sauver, prendre la poudre d'escampette, bref, se faire la malle et garder cette innocence du corps dont elle est si fière. Enfin, ses doigts agrippent une pierre pleine, assez grande pour tenir dans la main, assez pointue pour asséner le coup qui le fera fuir. Alors pucelle lève son bras et frappe, latteignant à la tempe. Jamais Magdelon n'aurait cru qu'un crâne puisse faire un bruit pareil sous l'impact du granit, et surtout de son propre fait. Les yeux ronds, elle contemple, sidérée, le contremaître reculer, main portée au front avec une grimace de douleur. Et à ce moment là, son cerveau déconnecte. A nouveau, sa main s'abat, plus fort, plus hargneuse. En face d'elle ne se trouve pas l'inconnu venu lui prendre sa vertu mais son oncle, celui qui, jour après jour, portait la main sur la jeune Berrichonne pour la remettre sur le droit chemin lorsque sa gueule s'ouvrait un peu trop grande. Cette trogne qui lui fait face représente toutes les douleurs, toutes les humiliations subies depuis son plus jeune âge. Alors elle frappe. Une fois, deux fois, dix fois, jusqu'à ce que le visage ne soit plus que sang. Rouge. Poisseux. Jusqu'à ce que la folie s'apaise et la laisse pantelante, essoufflée. Jusqu'à ce que la décharge neuronale, bien trop forte pour être normale, la fasse retomber en une crise fulgurante, lançant son corps en une sarabande saccadée, convulsive et violente. Les minutes s'égrènent et soudain le calme reprend ses droits. Seul le croassement d'un corbeau vient briser le silence qui s'est installé. Il fait nuit.
Je refuse d'être tué à la tâche,
affamé au chômage pour cracher du profit.
Je préfère de suer sang et eau en choisissant pour qui pour quoi où et quand et comment...
que d'aller me détruire pour produire des nuisances qui détruisent à leur tour !
Pour découvrir la vie plutôt que la survie, pour ne plus travailler,
rien n'est à espérer, tout est à renverser,
et sur la table rase, nous pourrons nous aimer...
affamé au chômage pour cracher du profit.
Je préfère de suer sang et eau en choisissant pour qui pour quoi où et quand et comment...
que d'aller me détruire pour produire des nuisances qui détruisent à leur tour !
Pour découvrir la vie plutôt que la survie, pour ne plus travailler,
rien n'est à espérer, tout est à renverser,
et sur la table rase, nous pourrons nous aimer...
Un frisson la secoue, ses paupière s'ouvrent, sa bouche pâteuse essaie d'avaler le peu de salive qui lui reste alors que ses douleurs la réveillent pleinement. Jeunette ne se rappelle de rien, seule la nuit qui lenveloppe lui fait prendre conscience que ce n'est pas normal de se trouver là, dans l'obscurité, allongée dans le froid de décembre. Comme après chaque crise, ses membres crient leur détresse, leur tourment, après s'être débattus férocement sous l'impulsion des neurones devenus fous. Doucement, Grenouille se relève, réussissant à s'asseoir sur le sol froid et irrégulier. Les ténèbres l'entourent, il lui faut un moment avant de discerner plus en détail la silhouette allongée non loin d'elle. Allongée et immobile. Plus vraiment sûre de ce qui s'est passé, Magdelon se met à quatre pattes pour s'approcher de l'ombre, pourtant bien réelle. Ses doigts le palpent, le corps est froid. Ses yeux, doucement, s'habituent à la noirceur de la nuit, car l'astre lunaire ne lui fait pas l'honneur de sa présence ce soir pour éclairer sa vision. Sa main rencontre un liquide visqueux à hauteur du visage et soudain l'horreur de la situation vient la prendre aux tripes. Elle l'a fait. Terriblement et honteusement fait. Prise d'un haut le cur, brunette se relève, paume portée aux lèvres dessinant une voyelle muette. Les paupières écarquillées n'arrivent pas à se détacher du corps qui gît là, sans vie. Un pas, deux pas, Magdelon se détache peu à peu, à reculons, de cette scène affreuse qui s'est jouée avec et contre son grès.
Le corps se met en mouvement, les muscles sont grippés, comme rouillés par la peur et l'horreur de la situation. Mais l'instinct de survie est bien plus puissant que ses douleurs et l'extrême fatigue qui la prend après chaque crise. Brunette se met à courir, à en perdre haleine, sur des lieues, s'éloignant cheveux au vent et cur battant, prenant un chemin s'enfonçant à travers la forêt sans plus réfléchir. Partir, vite. Courir. S'échapper. Ses mains sont rouges de sang, ses habits bien trop grands pour elle, flottant sur sa carcasse fluette, imbibés du liquide épais jusqu'au plus profond des fibres qui les composent. Magdelon court, encore, jusqu'à heurter de plein fouet un obstacle qui l'arrête net dans sa course.
(1) NTM La fièvre
(2) René Binamé