Isolda.
- La relativité du temps, on l'a tous connue.
C'est cette sensation, pour une même durée, de la percevoir plus ou moins longue. Et Isolda se doute que, dans le cas présent, cinq minutes vont passer comme deux.
Une multitude de réparties lui viennent à l'esprit sans qu'elle parvienne à se décider laquelle choisir.
« Salut Dési. Moi aussi je suis contente de revoir ta sale gueule. »
« Tieeeeens, Dési, quelle bonne surprise ! Alors comme ça, ta langue est pas encore tombée ? »
« Bonjour Dési. T'as l'air en forme aujourd'hui. »
« Dési. Si tu me mets une bouffe, ta main va tomber ».
« Je vous attendais, monsieur Bond. »
« Si tu vois un bras qui vole, c'est Dési qu'a voulu m'en mettre une. »
« Tu préfères pas jouer de la guitare ? J'ai envie de viande hachée. »
Manque de bol, la brune connaît bien trop de blagues sur les lépreux que de raison. Mais l'heure n'est pas à la plaisanterie ; après quelques secondes à la considérer, ne sachant si elle doit rire ou prendre la menace au sérieux, elle prend enfin la parole.
- Hé, je suis arrivée jusqu'ici en un seul morceau et ma bourse est intacte. Ça prouve bien quelque chose, non ?
D'un geste rapide, elle sort une autre pièce et la pose sur le comptoir, demandant tacitement au tenancier l'ordre de servir un godet de vin à sa convive.
- Bon, rentrons dans le vif du sujet. Tu m'as proposée de venir ici, me voici. J'ai rien à prouver, si tu veux pas voir ma tronche, je remettrai pas les pieds ici. Je m'en porterai pas plus mal.
Tu m'avais demandé qui étaient mes parents. Il y a quelques mois, je t'aurais répondu que mon père s'appelle Louis Arsac. C'était un voleur de pacotille qui se servait de moi pour rapporter à bouffer, faire les poches, ou rentrer dans les baraques par les petits endroits. Mais il est mort en décembre.
La brune boit une gorgée de vin. En effet, il y a quelques mois, elle ne s'attendait pas à être là, dans un rade dégueulasse, à discuter de ce sujet avec une quasi-inconnue.
- Il est mort et j'ai appris dans son testament que je n'étais pas sa fille biologique. Il devait avoir peur que je lui tourne le dos. Je l'avais déjà fait une fois. Si tu veux savoir, j'ai été perdue lors d'un pari.
Son visage, habituellement neutre, se tord d'un rictus méprisant.
- T'as le droit de rire. J'en ai rien à faire. J'ai plus d'amis, jamais eu de famille, rien à faire du fric. J'ai plus rien à perdre.
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