Pierre...
Et maintenant ? Maintenant, on goûte à remède des Miracles contre la douleur, la fameuse torgnole-que-tu-t'y-attendais-pas. T'avais mal là ? Et bam ! T'as trop mal ailleurs pour t'en soucier à présent. En principe. En pratique, ça fait juste très mal partout.
Sous le coup, la tête du petit muet roula de côté, et il lui sembla entendre quelque chose craquer. La souffrance éclata sous son crâne comme un caillou dans le feu, et des étincelles lui dansèrent sous les paupières. De surprise comme de douleur, il manqua de rouler au bas de l'escalier et se raccrocha au dernier moment, le souvenir de la gueule béante qui l'attendait en bas bien trop frais dans sa mémoire.
Jamais il n'avait ressenti ça. Jamais son père ne l'avait battu si fort, même lorsqu'il apprenait qu'il s'était bagarré avec d'autres enfants, et ces derniers avaient les même petits poings que les siens. Et surtout, il ne comprenait pas. Pourquoi on l'avait puni. Il venait de se faire mordre par le molosse pour avoir tenté de fuir, n'était-ce pas suffisant ? Pourquoi fallait-il se faire dévisser la gueule en prime ? La douleur de l'injustice était plus sourde que celle qui lui pulsait sous la caboche et celle qui l'élançait à la jambe, mais battrait à ses tempes plus longtemps encore.
Entendant son bourreau jurer, le gamin se recroquevilla sur lui-même, paupières closes, en attente du prochain coup. Qui ne vint pas. Un il s'entrouvrit, avec prudence, dans l'encre duquel on pouvait lire haine, terreur, supplique.
Pierre tressaillit en sentant la pogne se refermer finalement sur son bras, juste là où la marque des gros doigts s'était déjà imprimée durant le trajet au cur de la Cour, et le traîner jusqu'à la table. Ses (pas si) vieilles terreurs se réveillèrent : était-ce sur cette table serait découpé vivant pour être mangé ? Donnerait-on ses restes à bouffer au chien ? D'ailleurs, la bête lui semblait se pourlécher les babines. Elle avait goûté son sang, et en redemandait.
Trop occupé à lorgner le monstre, le môme en avait presque oublié le maître et fut pris de court par le goulot contre ses lèvres. Il toussait, crachait, luttait contre l'atroce sensation qui lui tordait les tripes quand l'alcool vint brûler ses chairs à vif. C'était pire encore que la mandale et la morsure réunies, et il laissa à nouveau échapper un piaulement inarticulé et misérable, plié en deux. Sur son menton, les larmes, la morve et la salive se mêlaient à la gnôle recrachée. Un putain de gâchis.
Quand le fouet claqua, pourtant, Pierre se mit sur ses pieds aussi vite qu'il le put, sans parvenir à masquer la grimace que cela lui arracha, ni les tremblements de sa jambe blessée. Pas encore. Il avait assez morflé pour la journée. Dans sa petite tête toute jeune, pour son âme encore tendre, il avait assez morflé pour toute vie. Pour l'heure, il était dompté. La peur le fit décamper plus vite qu'il ne l'aurait imaginé, rampant à moitié dans l'escalier.
En haut, les souffles étaient moins profonds qu'à son arrivée, et si les corps étaient toujours d'une immobilité prudente, quelques mirettes éveillées le suivirent avec animosité. Le seul repos qu'ils avaient, il le leur avait gâché, et il avait mis le Cagou de méchante humeur. Ils en feraient tous les frais. Pas un mot n'était échangé, mais Pierre comprenait assez le langage du silence pour savoir cela.
Le taiseux avisa une môme, qui grelottait plus que les autres, sans même un semblant de drap pour se couvrir. Elle avait le museau pointu sous sa tignasse rousse, et malgré ses déboires, le garçon se surpris à éprouver de la gêne. C'était la première fois qu'il observait une fille d'aussi près, parce que les filles ça apportait des problèmes, tous les autres gamins le disaient, surtout si on essayait de leur tirer les cheveux ou de vérifier ce qu'elle cachaient sous leurs jupes. Celle-là avait plus de peau visible qu'il n'aurait pu même le concevoir.
Mais il n'y avait que sur sa paillasse à elle qu'il y avait assez de place pour sa propre carcasse. Et elle avait froid. Il était mieux vêtu, et l'alcool ingurgité lui donnait l'impression d'avoir les joues en feu. Une vraie bouillotte. Il y avait peut-être moyen de négocier.
Plantant son regard dans le sien, le petit muet désigna du doigt un coin vide de la couche, l'air interrogateur.
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Avatar : AaronGriffinArt
Sous le coup, la tête du petit muet roula de côté, et il lui sembla entendre quelque chose craquer. La souffrance éclata sous son crâne comme un caillou dans le feu, et des étincelles lui dansèrent sous les paupières. De surprise comme de douleur, il manqua de rouler au bas de l'escalier et se raccrocha au dernier moment, le souvenir de la gueule béante qui l'attendait en bas bien trop frais dans sa mémoire.
Jamais il n'avait ressenti ça. Jamais son père ne l'avait battu si fort, même lorsqu'il apprenait qu'il s'était bagarré avec d'autres enfants, et ces derniers avaient les même petits poings que les siens. Et surtout, il ne comprenait pas. Pourquoi on l'avait puni. Il venait de se faire mordre par le molosse pour avoir tenté de fuir, n'était-ce pas suffisant ? Pourquoi fallait-il se faire dévisser la gueule en prime ? La douleur de l'injustice était plus sourde que celle qui lui pulsait sous la caboche et celle qui l'élançait à la jambe, mais battrait à ses tempes plus longtemps encore.
Entendant son bourreau jurer, le gamin se recroquevilla sur lui-même, paupières closes, en attente du prochain coup. Qui ne vint pas. Un il s'entrouvrit, avec prudence, dans l'encre duquel on pouvait lire haine, terreur, supplique.
Pierre tressaillit en sentant la pogne se refermer finalement sur son bras, juste là où la marque des gros doigts s'était déjà imprimée durant le trajet au cur de la Cour, et le traîner jusqu'à la table. Ses (pas si) vieilles terreurs se réveillèrent : était-ce sur cette table serait découpé vivant pour être mangé ? Donnerait-on ses restes à bouffer au chien ? D'ailleurs, la bête lui semblait se pourlécher les babines. Elle avait goûté son sang, et en redemandait.
Trop occupé à lorgner le monstre, le môme en avait presque oublié le maître et fut pris de court par le goulot contre ses lèvres. Il toussait, crachait, luttait contre l'atroce sensation qui lui tordait les tripes quand l'alcool vint brûler ses chairs à vif. C'était pire encore que la mandale et la morsure réunies, et il laissa à nouveau échapper un piaulement inarticulé et misérable, plié en deux. Sur son menton, les larmes, la morve et la salive se mêlaient à la gnôle recrachée. Un putain de gâchis.
Quand le fouet claqua, pourtant, Pierre se mit sur ses pieds aussi vite qu'il le put, sans parvenir à masquer la grimace que cela lui arracha, ni les tremblements de sa jambe blessée. Pas encore. Il avait assez morflé pour la journée. Dans sa petite tête toute jeune, pour son âme encore tendre, il avait assez morflé pour toute vie. Pour l'heure, il était dompté. La peur le fit décamper plus vite qu'il ne l'aurait imaginé, rampant à moitié dans l'escalier.
En haut, les souffles étaient moins profonds qu'à son arrivée, et si les corps étaient toujours d'une immobilité prudente, quelques mirettes éveillées le suivirent avec animosité. Le seul repos qu'ils avaient, il le leur avait gâché, et il avait mis le Cagou de méchante humeur. Ils en feraient tous les frais. Pas un mot n'était échangé, mais Pierre comprenait assez le langage du silence pour savoir cela.
Le taiseux avisa une môme, qui grelottait plus que les autres, sans même un semblant de drap pour se couvrir. Elle avait le museau pointu sous sa tignasse rousse, et malgré ses déboires, le garçon se surpris à éprouver de la gêne. C'était la première fois qu'il observait une fille d'aussi près, parce que les filles ça apportait des problèmes, tous les autres gamins le disaient, surtout si on essayait de leur tirer les cheveux ou de vérifier ce qu'elle cachaient sous leurs jupes. Celle-là avait plus de peau visible qu'il n'aurait pu même le concevoir.
Mais il n'y avait que sur sa paillasse à elle qu'il y avait assez de place pour sa propre carcasse. Et elle avait froid. Il était mieux vêtu, et l'alcool ingurgité lui donnait l'impression d'avoir les joues en feu. Une vraie bouillotte. Il y avait peut-être moyen de négocier.
Plantant son regard dans le sien, le petit muet désigna du doigt un coin vide de la couche, l'air interrogateur.
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