Aimbaud, incarné par Axelle
Comment ne pas s'étonner du froid pénétrant qui vous glaçait les os, dans ces marais du sud, où les bergers n'allaient pas sans échasses ? Le marquis de Nemours parcourait les landes, transi, sur la dernière distance qui le séparait du campement royaliste. Il lui avait fallut contourner la Garonne sur deux lieues pour rencontrer un passage praticable. Le fleuve, gorgé de pluies et de neige fondue, avait englouti plusieurs embarcadères. Le Bourguignon priait sentencieusement le ciel que ce détour ne l'eut point désorienté, et qu'il avançait toujours dans la direction donnée par les paysans du canton.
Son cheval, épuisé, ne supportait plus son poids. Des gouttes amères tombaient des naseaux de ce dernier, et les respirations vaporeuses qu'il soufflait étaient aussi lourdes que maladives. Aimbaud allait à pied, tenant cette bête au col. Et il tenait aussi son col, à lui, par lequel voulaient s'engouffrer des langues de froid qui lui coupaient la gorge. Les larges tombants de son manteau flattaient les herbes détrempées qui lui montaient jusqu'aux genoux. Son visage rougi dardait dans le brouillard un regard où l'effroi se mêlait à la détresse, tandis que ses bottes épongeaient toute l'eau du marécage. Il peinait parfois à libérer son pied d'une motte de glaise, qui tentait de l'absorber. Ses jurons vigoureux avaient progressivement cédé place à des grognements plein de désespoir et vaguement pathétiques. Il était trop épuisé pour trouver à quel patron se vouer, ou quelle sainte conception offenser.
La peur, aussi, de risquer d'approcher d'un camp ennemi, au cur de cette brume opaque et dans ce pays inconnu, l'obligeait à plus de discrétion. Il tendait parfois l'oreille, de longues minutes dans le blanc paysage, croyant avoir entendu au loin une voix humaine, qui s'avérait être en fait la plainte d'une brebis ou le cri d'un corbeau.
Dans une ultime clameur, il tira les brides de tête de sa monture, à bout de bras et d'efforts, comme celle-ci peinait à sortir le train arrière d'un trou d'eau. La fange éclata et les mousses se déchirèrent sous les sabots empêtrés. La pauvre bête suivait le marquis depuis Cahors, et n'avait put être cédée sur la route, faute de chevaux frais dans les auberges. Il n'avaient eut dans la nuit, l'un et l'autre, que deux piètres heures de repos, accordées à la hâte au détour d'un chemin. Le pressant désir d'arriver était plus fort que le besoin de sommeil.
Des frissons perceptibles agitaient le cuir de l'animal. Des nuds de nerfs paraissaient sous sa peau maculée de vase. Son il grotesque avait un éclat mat. Mauvais signe. Aimbaud relâcha la tête du cheval et s'arqua pour reprendre haleine. Sa bouche assoiffée lui commandait d'abandonner l'animal, et de poursuivre à pied jusqu'à n'importe quelle maison qui pourrait lui offrir du vin. Ses pieds, nageant dans un jus de botte et d'eau des marais absolument glacé, hurlaient qu'un feu de cheminée leur était vital. Il observa le blanc, autour de lui. Perdu.
Il attendit là, debout, près d'une heure. De temps à autres, il marchait jusqu'à un bouquet d'herbe grise pour l'arracher, et s'en venait le frotter sur le crin du cheval, avec ténacité. La maigre chaleur, sous ses doigts, disparaissait aussitôt que cessait la friction. Il bouchonnait ainsi sa monture et songeait qu'à cette heure, qu'à ce jour, et depuis plusieurs jours peut-être, Axelle était déjà morte.
Etant resté longtemps immobile, il essuya ses mains boueuses sur le cuir de son habit, puis saisit à pleines mains les sangles et les boucles de fer qui ceignaient la tête du cheval, comme s'il s'apprêtait à le broyer.
Tu vas marcher.
Mâcha-t'il entre ses dents, nouant les poings et les épaules pour le tirer hors de la glaise avec toute la vigueur qu'il lui restait à donner. Il tira tant et si bien que l'animal rua et renâcla. Des sauts le secouèrent et le forcèrent à s'extraire du bourbier. Les mains d'Aimbaud relâchèrent sa prise, dans la crainte d'être écrasé sous elle. Ces mêmes mains s'ouvrirent avec impuissance devant la fuite du cheval, lequel s'engouffrait déjà dans la brume, et dont la silhouette et le bruit du galop s'effaçaient peu à peu. Le marquis courait derrière à bras ouverts.
La respiration sifflante, le front moite et les joues en feu, il ne tarda pas à s'arrêter, la tête basse, cassé en deux, appuyé sur ses gros genoux, pour respirer.
Ahh...! Chi...enne de bête...! ... Chienne. Ah. Hhh.... Je vais à pied...! Tu le paieras.
Dans son essoufflement, il sentit, ténue, l'odeur d'un feu de bois. Sa tête, changée, se redressa. Il reprit la marche avec plus d'assurance, les mains ouvertes à ses côtés de peur de tomber dans le marais. Au bout d'un temps certain, suivant sa piste, il lui sembla que le brouillard était moins dense, et il put observer qu'il approchait d'un bocage au fond duquel s'entendait le bruit d'une hache frappant du bois. Il y entra prudemment, traversant bosquets et trouvant sous ses pieds, une terre plus sèche et solide. Les couleurs de toiles de tentes lui apparurent à la sortie des fourrés. Quelques arbres le dissimulèrent, le temps qu'il relève le sens des blasons cousus sur les étendards. Bouillon. Armagnac. Guyenne. L'enclume qui lui pesait sur les épaules s'envola. Un sourire d'intense soulagement illumina son visage.
Il dévala (à moitié sur les fesses) un fossé qui le séparait les premières tentes. Ses bras se hissèrent lorsqu'il se releva, maculé de feuilles mortes et de boue. On le tenait en joue. Fixant avec prudence le carreau d'arbalète qui le visait, ravalant sa salive, il garda les paumes bien visibles au dessus de lui.
Je suis le marquis de Nemours. J'ai perdu mon cheval.
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Son cheval, épuisé, ne supportait plus son poids. Des gouttes amères tombaient des naseaux de ce dernier, et les respirations vaporeuses qu'il soufflait étaient aussi lourdes que maladives. Aimbaud allait à pied, tenant cette bête au col. Et il tenait aussi son col, à lui, par lequel voulaient s'engouffrer des langues de froid qui lui coupaient la gorge. Les larges tombants de son manteau flattaient les herbes détrempées qui lui montaient jusqu'aux genoux. Son visage rougi dardait dans le brouillard un regard où l'effroi se mêlait à la détresse, tandis que ses bottes épongeaient toute l'eau du marécage. Il peinait parfois à libérer son pied d'une motte de glaise, qui tentait de l'absorber. Ses jurons vigoureux avaient progressivement cédé place à des grognements plein de désespoir et vaguement pathétiques. Il était trop épuisé pour trouver à quel patron se vouer, ou quelle sainte conception offenser.
La peur, aussi, de risquer d'approcher d'un camp ennemi, au cur de cette brume opaque et dans ce pays inconnu, l'obligeait à plus de discrétion. Il tendait parfois l'oreille, de longues minutes dans le blanc paysage, croyant avoir entendu au loin une voix humaine, qui s'avérait être en fait la plainte d'une brebis ou le cri d'un corbeau.
Dans une ultime clameur, il tira les brides de tête de sa monture, à bout de bras et d'efforts, comme celle-ci peinait à sortir le train arrière d'un trou d'eau. La fange éclata et les mousses se déchirèrent sous les sabots empêtrés. La pauvre bête suivait le marquis depuis Cahors, et n'avait put être cédée sur la route, faute de chevaux frais dans les auberges. Il n'avaient eut dans la nuit, l'un et l'autre, que deux piètres heures de repos, accordées à la hâte au détour d'un chemin. Le pressant désir d'arriver était plus fort que le besoin de sommeil.
Des frissons perceptibles agitaient le cuir de l'animal. Des nuds de nerfs paraissaient sous sa peau maculée de vase. Son il grotesque avait un éclat mat. Mauvais signe. Aimbaud relâcha la tête du cheval et s'arqua pour reprendre haleine. Sa bouche assoiffée lui commandait d'abandonner l'animal, et de poursuivre à pied jusqu'à n'importe quelle maison qui pourrait lui offrir du vin. Ses pieds, nageant dans un jus de botte et d'eau des marais absolument glacé, hurlaient qu'un feu de cheminée leur était vital. Il observa le blanc, autour de lui. Perdu.
Il attendit là, debout, près d'une heure. De temps à autres, il marchait jusqu'à un bouquet d'herbe grise pour l'arracher, et s'en venait le frotter sur le crin du cheval, avec ténacité. La maigre chaleur, sous ses doigts, disparaissait aussitôt que cessait la friction. Il bouchonnait ainsi sa monture et songeait qu'à cette heure, qu'à ce jour, et depuis plusieurs jours peut-être, Axelle était déjà morte.
Etant resté longtemps immobile, il essuya ses mains boueuses sur le cuir de son habit, puis saisit à pleines mains les sangles et les boucles de fer qui ceignaient la tête du cheval, comme s'il s'apprêtait à le broyer.
Tu vas marcher.
Mâcha-t'il entre ses dents, nouant les poings et les épaules pour le tirer hors de la glaise avec toute la vigueur qu'il lui restait à donner. Il tira tant et si bien que l'animal rua et renâcla. Des sauts le secouèrent et le forcèrent à s'extraire du bourbier. Les mains d'Aimbaud relâchèrent sa prise, dans la crainte d'être écrasé sous elle. Ces mêmes mains s'ouvrirent avec impuissance devant la fuite du cheval, lequel s'engouffrait déjà dans la brume, et dont la silhouette et le bruit du galop s'effaçaient peu à peu. Le marquis courait derrière à bras ouverts.
La respiration sifflante, le front moite et les joues en feu, il ne tarda pas à s'arrêter, la tête basse, cassé en deux, appuyé sur ses gros genoux, pour respirer.
Ahh...! Chi...enne de bête...! ... Chienne. Ah. Hhh.... Je vais à pied...! Tu le paieras.
Dans son essoufflement, il sentit, ténue, l'odeur d'un feu de bois. Sa tête, changée, se redressa. Il reprit la marche avec plus d'assurance, les mains ouvertes à ses côtés de peur de tomber dans le marais. Au bout d'un temps certain, suivant sa piste, il lui sembla que le brouillard était moins dense, et il put observer qu'il approchait d'un bocage au fond duquel s'entendait le bruit d'une hache frappant du bois. Il y entra prudemment, traversant bosquets et trouvant sous ses pieds, une terre plus sèche et solide. Les couleurs de toiles de tentes lui apparurent à la sortie des fourrés. Quelques arbres le dissimulèrent, le temps qu'il relève le sens des blasons cousus sur les étendards. Bouillon. Armagnac. Guyenne. L'enclume qui lui pesait sur les épaules s'envola. Un sourire d'intense soulagement illumina son visage.
Il dévala (à moitié sur les fesses) un fossé qui le séparait les premières tentes. Ses bras se hissèrent lorsqu'il se releva, maculé de feuilles mortes et de boue. On le tenait en joue. Fixant avec prudence le carreau d'arbalète qui le visait, ravalant sa salive, il garda les paumes bien visibles au dessus de lui.
Je suis le marquis de Nemours. J'ai perdu mon cheval.
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