Voilà, tout avait été dit, et il avait fallu commencer à s'installer...
En fait, étant donné que son sac de voyage en tapisserie ne contenait guère de vêtures, elle ne mit que quelques instants pour les suspendre à la barre du rideau de sa nouvelle chambre à l'étage. Et pour ce faire, elle était allée dans l'appentis pour récupérer un morceau de fil de métal qu'elle tortillonna pour lui donner la forme de ses épaules.
Vint ensuite la découverte des lieux.
Un haut lit à baldaquin aux drapés mauve, si large qu'il pouvait accueillir bien quatre personnes.
Une table de nuit d'un côté, un pot de chambre en faïence blanche de l'autre.
En face, une console pour la toilette où trônait une vasque et un broc, et pour protéger les petits pieds, une carpette dans un ton de vieux rose.
Et sur le mur opposé à la fenêtre, une malle pour ranger des vêtements.
La fenêtre aux carreaux en losange donnait sur une arrière cour où trottinaient deux trois poulettes et un peu plus loin, un potager pouvait s'apercevoir.
Elle fit une farandole à travers toute la pièce en riant et chantant, manqua de se manger l'un des piliers du lit et se laissa tomber sur celui-ci, les bras en croix, joyeuse !
Enfin, elle se releva et fila en cuisine pour faire chauffer de l'eau pour sa toilette du soir.
Une fois celle-ci effectuée, elle prit son petit écritoire de voyage, s'installa jambe croisées sur le lit et plume en l'air devant son carnet, réfléchit...
Emploi semainier
Lundi dès l'aurore :
Nettoyer l'âtre et jeter les cendres dans le compost.
Laver les tables (même dessous)
Balayer soigneusement la grande salle, des escaliers, le perron, la cuisine et le cellier.
Remettre de la paille propre au sol.
Nettoyer les chambres et faire les lits après le départ des voyageurs. Ne pas oublier les pots de chambre.
Lundi soir :
Balayer la salle rapidement.
Vaisselle (à laver, essuyer, ranger)
Toilette
Dodo
Mardi dès l'aurore :
Astiquer et cirer la rambarde d'escalier jusqu'aux chambres.
Balayer le couloir de l'étage.
Nettoyer les chambres et faire les lits après le départ des voyageurs. Ne pas oublier les pots de chambre.
Cirer les parquets.
Jeter les ordures dans le compost de l'arrière cour pour le potager.
Laver les tables.
Mardi soir :
Balayer la salle rapidement.
Vaisselle (à laver, essuyer, ranger)
Toilette
Dodo
Mercredi dès l'aurore :
Lessive pour messire Gabrien
Repriser et rapiécer ses vêtements
Laver les tables.
Nettoyer les chambres et faire les lits après le départ des voyageurs. Ne pas oublier les pots de chambre.
Mercredi soir :
Balayer la salle rapidement.
Vaisselle (à laver, essuyer, ranger)
Toilette
Dodo
Jeudi dès l'aurore :
Laver les carreaux.
Laver tabourets et bancs.
Nettoyer les foyers et jeter les cendres dans le compost.
Nettoyer les chambres et faire les lits après le départ des voyageurs. Ne pas oublier les pots de chambre.
Jeudi soir :
Balayer la salle rapidement.
Vaisselle (à laver, essuyer, ranger)
Toilette
Dodo
Vendredi dès l'aurore :
Ménage chez messire Gabrien (balaye, cirage du sol, poussière sur les meubles, carreaux)
Retirer les toiles d'araignée dans l'auberge et le logis.
Nettoyer les chambres et faire les lits après le départ des voyageurs. Ne pas oublier les pots de chambre.
Vendredi soir :
Balayer la salle rapidement.
Vaisselle (à laver, essuyer, ranger)
Toilette
Dodo
Samedi dès l'aurore :
Suivant les besoins (rangement, pliage du linge sec, poser un baiser sur le front de Mon Chou, etc... )
Nettoyer les chambres et faire les lits après le départ des voyageurs. Ne pas oublier les pots de chambre.
Samedi soir :
Balayer la salle rapidement.
Vaisselle (à laver, essuyer, ranger)
Toilette
Dodo
Dimanche :
Ménage dans ma chambre,
Lessive de mon linge.
Messe.
Promenade.
Visites aux indigents pour leur apporter pommes, lard, pain, herbes médicinales.
Toilette
Dodo
Tous les après-midi :
Petit repos
Broderies à dessiner, broder et vendre
Aller chez le mercier pour les fournitures
Se relisant, tout en mâchouillant la plume, elle se dit qu'elle rajouterait les tâches qui se présenteraient au fur et à mesure des jours à venir.
Satisfaite, elle s'endormit après un repas frugal fait de gruau d'avoine au miel et au lait, assorti de quartiers de pommes...
Le lendemain matin, au cri du coq du voisin - celui-là terminera peut-être sa semaine dans la marmite s'il chantait toujours aussi fort ! - elle descendit dans l'auberge mais trouva les lieux déserts.
Surprenant...
Mais elle découvrit un petit mot à son intention sur le comptoir... De Gabrien de la tour de l'Aigle
Le 16 Janvier
Chère Agnès, le bonjour vous va.
Je vous envoie ce petit mot pour calmer vos éventuelles inquiétudes. J'ai en effet dû partir sans vous avoir prévenue. Je suis actuellement à Lisieux dont je repars demain pour Argentan où je resterai une journée avant d'en revenir.
Voyez le bon côté des choses : c'est autant de vaisselle de moins à votre charge ! Je pense que nous n'aurons qu'une clientèle d'habitués pendant mon absence qui savent très bien se servir seuls et sont assez honnêtes pour payer leur dû même en l'absence du maître des lieux. Pas de besogne supplémentaire de ce côté là non plus.
Je vous ai laissé une clef de la taverne (qui ouvre aussi la porte arrière de la maison) dans mon jardin. Vous verrez, il y a au pied de la statue au bord de l'étang une pierre déscellée sous laquelle je la cache. Si vous ne la trouvez pas, demandez à n'importe qui de vous aider : la moitié du village est au courant de ma cachette !
J'en profite également pour vous demander si je peux vous rapporter un quelconque bien de mon voyage. Avez-vous besoin de quelque chose ? Un coupon de tissu pour vous faire une robe ? Un ruban pour vos cheveux ? La passementerie est réputée à Argentan. Je serais vraiment heureux de vous rendre service.Si vous me répondez "rien", je vous préviens : je vous raménerai quand même quelque chose mais.... choisi par mes soins, vous prenez donc un risque !
Contactez-moi au moindre souci, mais je ne doute pas que vous vous débrouillerez très bien.
A bientôt,
Gabrien Baudry
Han ! Vite vite, elle remonta dans sa chambre, saisit l'écritoire et...
À Gabrien
Le 16 Janvier 1466
Cher Messire Gabrien,
Lorsque je ne vous ai pas vu ouvrir votre hostellerie ce matin, en effet, je me suis inquiétée... Et c'est en entrant dans la salle a manger que j'ai trouvé votre lettre sur le comptoir. Alors point de soucis ! Je vous ai lu et vous ai bien comprise.
Dites, entre vous et moi... pourquoi fermez-vous à clef si la moitié du village connait votre cachette... C'est parce qu'il y a à craindre de l'autre moitié du village ?
Quant à un quelconque bien que vous pourriez me ramener... Alors, pour commencer... une table, sans fioritures, puis un banc, ainsi qu'un lectrin, pour ma petite chaumière...
Hiiiii je vous taquine ! Non, sincèrement, un petit "rien" me suffirait amplement, mais puisque vous insistez avec tant de gentillesse... j'ose vous demander... un peigne en os ? Le mien manque de dents - c'est un très vieil objet - et m'arrache plus la tignasse qu'il ne coiffe. Impossible d'en trouver à Honfleur. Le reste ne serait que coquetterie et je préfère rapiécer mes vielles vêtures plutôt que d'en faire des chiffonnettes. Pour l'instant, un seul mot d'ordre : é-co-no-mie !
De mon côté, pour vous remercier, je préparerai votre plat préféré. Alors, pourriez-vous me dire ce qui vous ferait envie ?
Et j'en viens au plus important, car en honnête gouvernante curieuse, je me pose une question : pour quelle raison vos pas vous mènent-ils à Argentan et Lisieux ? Du commerce peut-être ?
Votre logis et votre hostellerie sont entre de bonnes mains en attendant votre retour. Titus fait ami-ami avec Mon Chou, même s'ils se regardent encore un peu avec des yeux en chien de faïence. Quoi que là, ce serait plutôt de verre.
Bonne route à vous messire Gabrien, que le Très Haut éclaire votre chemin et vous garde le sourire.
A tout bientôt,
Agnès
Post Scriptum : c'est vraiment aimable et respectueux de votre part de m'avoir laissé cette missive...
Sourire aux lèvres, elle fila au bureau des mails puis s'en revint pour ses premiers travaux...
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