Lundi 13 Juillet - Campement de lArmée Ad Gloriam Dei :
Le gouverneur navait pas dormi de la nuit, voilà le constat et devinez quoi ? Elle avait la même humeur quun étalon piqué par un taon.
Aux rayons naissants du soleil, la jeune femme qui sennuyait dans le camp encore endormi avait écrit une lettre à son fils adoptif pour lui demander comme chaque mois de ses nouvelles. Elle navait pas la fibre maternelle, cependant elle aimait ses petits bouts de gamins. Même si celui-ci en loccurrence nétait pas le sien, cétait un grand bonhomme dune quinzaine dannées, fier et déterminé, quelle avait confié à léducation dun curé de Savoie.
Pour ses jumeaux, on taira leur histoire, par décence puisque madame le gouverneur, les avait refilé à une nourrice et avait éclaté en sanglots comme une petite fille déçue lorsque le premier enfant, en loccurrence une fille avait pointé son nez sous ses jupons ; elle craignait que le deuxième soit aussi une morveuse, au lieu dun héritier.
Au final, il y en avait bien deux, mais de sexes opposés, lhonneur avait été sauvé et cétait deux petits anges aux cheveux dor et joufflus.
Donc, ce matin elle était en pleine rédaction, la langue entre les dents, appliquée, le geste souple et la réflexion très intense.
Citation:Dole, le 13 Juillet de l'An de Grâce 1457.
Mon cher Fils Alexander (Lynxx),
J'espère que vous allez bien dans votre Confédération Helvétique natale. De notre côté tout va pour le mieux.
Les petits Cjara-Angélique et Lilian ont beaucoup grandi.
Mon beau-fils Arthur est devenu seigneur et son frère Louis1er époux de ma cousine Melisende ont eu un garçon. Je vous laisse imaginer la tête de votre père lorsqu'il a appris qu'il était grand-père la trentaine à peine entamée. J'ai retenu un petit sourire...
Tout se passe bien.
Votre demi-soeur Eléanor va bientôt devenir mon écuyère, elle vient juste d'être nommée au poste de prévôt de l'Ordre de Santiago. C'est une bonne chose. Nous attendons la fin de la mobilisation actuelle afin que toute la famille soit disponible pour l'événement.
Pour ce qui est de nos cousins, certains songent à aller vivre en Lorraine, d'autres vont rester en Savoie, la cousine Asphodelle va partir loin de nous vivre dans sa vidamie. Certains disent qu'il y aurait des mariages dans l'air... à suivre. Puissiez-vous vous joindre à nous pour ces moments festifs.
Nous avons vécu des moments difficiles avec la disparition notre Vénérable cousin Leg l'Ancien, les acharnements de certains ont failli mettre en péril notre famille jusque là si soudée, mais désormais tout semble être rentré dans l'ordre et le soleil est revenu au domaine de la Dombes.
Votre père et moi, espérons agrandir encore la famille, même si la venue d'un nouvel enfant serait une vraie joie pour tous, je dois avouer je n'ai pas particulièrement envie de me retrouver à nouveau enceinte, avec un ventre énorme impossible à trimballer qui sera une contrainte pénible à gérer et qui me forcera à devoir cesser une bonne partie de mes activités. Mais enfin, comme dirait certains la volonté divine on y peut rien, même si suis fatiguée ces temps-ci.
Comme tu l'as sans doute appris, les temps sont terriblement troublés dans les duchés voisins de la Franche-Comté, c'est pourquoi ton père, Eléanor et moi traquons du vilain brigand et du Lion de Juda sur les routes de Franche Comté, les uns dans l'armée de la Comtesse Macricri et les autres avec moi ou encore avec le Gouverneur Derdekan.
C'est absolument jouissif, dommage que ma lame n'est pas encore servie une seule fois. Dieu a-t-il sans doute voulu que ça ne soit pas moi qui répande le sang, mais continue de veiller sur les actes des autres.
Pour cette mobilisation, j'ai endossé bénévolement le rôle de chevalier coordinateur des Saintes Armées. Nous sommes désormais une centaine, membres des Saintes Armées et civils proches, dispersés sur trois duchés à faire veiller à la Foy aristotélicienne, au respect de la justice et à la protection des faibles.
Mais revenons-en à vous, mon fils, qui êtes loin et me manquez. J'ai de bonne nouvelles pour vous, outre la confiance qu'on vous accorde, alors que vous êtes si loin, en terres que nous jugions quelques peu hostiles.
Sabotin ayant fait acte d'adoption à ma suite, nous avons refait l'arbre généalogique de la Famille Di Cesarini, afin que y trouviez votre place. Nous avons aussi refait le blasonnement de la Maison, n'hésitez pas à me le demander.
En attendant, sachez que nous nous préparons mes compagnons et moi aux comtales prochaines avec la ferme intention de réussir notre pari. Quant à ton oncle Decnop, il est toujours en Champagne, il se repose chez les moines. J'espère qu'il reviendra vite, il me manque terriblement et nous l'attendons de pied ferme.
Pour conclure, j'espère que vous aurez la même force de vaincre et la même volonté politique que toute la Famille, ici chez vous en Confédération Helvétique.
Je sais que vous pouvez faire de grandes choses et que vous êtes doté d'un grand talent et d'un bon caractère.
Lorsque vous choisirez d'entrer dans la Communauté Aristotélicienne, si vous en faîtes le choix, comme je l'aimerai tant, sachez que je serai à vos côtés ce jour là avec votre père.
En attendant, continuez de vivre insouciant, comme un jeune homme de votre âge, jouant de votre Verbe et de votre pouvoir de séduction.
Je vous donnerai prochainement de nos nouvelles. Je ne vous oublie pas... jamais. Ni moi, ni votre père.
Dieu veille sur vous.
Je t'aime.
Votre mère.
PS : Faîtes bien attention à vous.
Le soleil était déjà plus haut dans le ciel de Dole, lorsque le Chevalier termina son parchemin. Exaspérée par la lenteur à laquelle mettait ses hommes à se lever, Epson se mit à claironner dans sa corne de brume comme au beau milieu dune chasse à court. Trépignant, lair renfrogné à limage dun chien pékinois à qui on donne un coup de pied dans le derrière.
Les bras croisés passablement agacée, elle regarda ses hommes sortirent un à un de leurs tentes, les yeux rouges injectés de sang à limage des hiboux qui vous lâche des poissons dans vos rêves dalcooliques. Même les deux gardes chargés de surveiller le camp roupillaient comme deux vieux marseillais à lheure de la sieste. Les voyant tous dans cet état pitoyable, mais ne disant rien, la rouquine se disait quavec une armée pareil, cétait comme avoir une paire de bras cassés. Seules les femmes du campement étaient déjà levées, lhabitude sans doute, de préparer le repas du matin pour tous les morveux quelles allaitaient et élevaient et leurs maris.
Soupirant elle hurla :
Retournez dormir ! Nous partirons plus tard ! Pfff
vous mesdames avec moi on va marquer nos positions sur la carte et on va trier les portraits des personnes recherchées.
Vers midi, alors quelles eurent terminées la tâche quelles sétaient confiées et que deux soldats étaient retournés surveiller le pont sur le Doubs, les autres les rejoignirent.
Bien démontez-moi ces tentes, on bouge ! Et voilà vos miches !
Epson sourit, cette histoire de miches lui rappelait quelque chose.
Pas les miennes ahuris celles dans le panier sous vos yeux, si vous comptez sur les miennes vous risquez davoir faim longtemps. Allez on se presse, on a pas toute la journée. Dans deux heures on doit rejoindre notre positions sur la Loue.
Le gouverneur fit claquer sa cravache sur ses bottes de cuir et la fit tourner entre ses doigts le temps que tous se dépêchent. Et ils filaient les gentils soldats, dociles et disciplinés sans autre choix que dobéir ou se prendre une branlée mémorable de la part dun petit bout de femme tout maigrichon, victime de syncopes régulières au caractère bien trempée et à la main de fer. Namého il ne faut pas se fier aux apparences la louloute des Saintes Armées savaient taper là où il fallait pour blesser la condescendance des hommes en armes.
Plus vite !
Elle fronça les sourcils, ils avaient déjà perdu trop de temps, elle lança un regard noir sur tout le monde et monta à cheval brutalement, ce qui provoqua la ruade du destrier
mais aucune chute. La perfection incarnée ne tombe jamais. Tout le monde le sait. Elle lança à la manière de César du haut de son belvédère romain :
Monseigneur Haeven avec moi et Jalyia si vous le voulez bien. Arbalétriers devant les fantassins prêts à tirer et derrière pour fermer la marche ! Lanciers fouillez les fourrés avec vos pointes ! Cavaliers avec moi au devant des troupes prêts à dégainer vos épées et à assurez notre protection !
Un coup de talons dans les flancs de son cheval et elle prit la tête du cortège avec le maître templier et quatre vigoureux cavaliers reposés de leur longue journée de la veille.
Jespère quon va trancher du bonhomme aujourdhui. Cest pas quon sennuie mais presque.
Ses soldats sennuyaient fermes et cela se lisaient sur leur visage. Le groupe arriva en milieu daprès-midi sur les berges de la Loue.
On hisse les tentes et on contrôle tout ce qui passe, surtout montrez-vous méchant. Il faut faire peur à létranger pour montrer que nous en avons dans les braies ! Si on attrape rien ce soir se sera chasse aux lièvres pour tout le monde, ça vous changera des miches.
Elle sourit.
Brieuc ne me regarde pas comme ça, lorsque je parle de ça, pareil Folinus !
La rouquine haussa les épaules et descendit de sa monture et se posa sur un muret infesté de lézards, pour écrire à Rome et tout rapporter dans les moindres détails à Son Éminence Ingeburge. Le Chef suprême du Clan Armé de Rome, qui lui avait confié la coordination des SA sur cette opération. Cétait bien la première fois, que la rouquine eut pu sauter en lair et courir partout en criant : « Je lai fait, jai lai fait ! » Une centaine de personnes mobilisées sur le théâtre dun conflit, de quoi se croire tout-puissant invincible, prêts à tout détruire et à massacrer jusquau nourrisson réformé. Mais non voyons la jeune femme restait humble, en cas de pépin elle allait devoir encaisser les reproches des uns et les critiques des autres.
Epsonstylus marmonnait entre ses dents le poème dun chevalier qui ramenait ses tripes à sa mère, mais bientôt elle du laisser son matériel décriture pour aller contrôler des bourguignons dont le patois était incompréhensible et quaucun des comtois qui laccompagnaient nétaient capables de parler. Le gouverneur tenta :
Good Afternoon ? Hallo ! Obrigado... euh... o negro gato é lindoooo ? Dobrý vecer ? Et tu quanto por tu amor ? Sakura ? Non qui ?
Les bourguignons la regardaient étrangement sans la comprendre. La rouquine soupira, elle avait tout tenté avec ces trois mots détrangers attrapés au vol à la chancellerie. Les soldats avaient vérifier les charrettes rien à signaler. Le gouverneur les laissa passer, en secouant la tête.
Plus tard, ce fut un germain perdu dans les bois quils rencontrèrent. Le Gouverneur ne put sempêcher dordonner :
Halt ! Armee von Franche-Comté ! Wir kontrollieren diesen Weg ! Keine brutale Bewegungen !*
Claquant des doigts, elle signifia la fouille obligatoire pour le voyageur. Pour adoucir la fouille elle sourit amicalement, déjà un pas, la barrière de la langue nexistait pas entre eux cette fois... Pas comme avec ces bourguignons étranges.
De nouveau, rien, le vide, le néant. La mort
non bien sûr que non, le type partit avec ses grosses moustaches blondes encore sous le nez. Saleté de germain, pourquoi ne pouvait-il pas être coupable ?
Cest que gardait des routes cest bien gentil
mais aux frais du comté sans rien attraper, la mouise totale la honte même. La rouquine pesta, tapant du pied.
Bon allez la journée est finie, vous contrôlez mais avec moins dassiduité ! Je vais dormir un peu. Si vous avez des soucis avec des étrangers, autres quanglois, germains ou tchèques, ne me dérangez pas, je cause pas espingo, ni portuguese, ni même italiano. Et sus aux bourguignons tiens !
Sa tente dressée surplombant les autres comme pour tout chef qui se respecte, elle partit roupiller un moment.
Pfiou entre des lorrains au nord-est qui poutraient tout ce qui passait parce quincapables de suivre une liste de brigands donnée par des bourguignons à lest pas foutus de parler le comtois, comme tout le monde. Des bourguignons voisins de champenois belliqueux
encore plus au nord
qui ne pensaient quà faire mordre la poussière à lArtois.
Ah quelle était belle la Franche-Comté en ce beau jour de juillet !
Mais certainement pas aider par tous ces voisins aux bourses atrophiées et pour qui il fallait chasser.
Dans son sommeil et ses rêves tourmentés elle en avait oublié la vieille Savoie, trop loin de tout ça.
*(Arretez-vous ! Armée de Franche-Comté! Nous contrôlons cette voie! Pas de mouvements brusques !)