Lucie
[Octobre 1465]
Cest lheure grise où le ciel hésite encore entre jour et nuit, et où la faune des faubourgs les plus mauvais se prépare à ses bacchanales nocturnes. Postée à lentrée de la rue de la Mortellerie, son regard clair étudiant les façades crevées et les silhouettes décharnées, faussement estropiées qui sy appuient, la marquise de Nemours hésite, son poing menu fermé sur la sinistre invitation quelle a reçu au matin.
Elle nest pas de ces nobles aimant à sacoquiner dans les bas quartiers. Elle est trop consciente du danger niché entre les pavés mal scellés, trop assurée du dégoût que lui inspirent les bannis qui règnent en maître sur ces empires boueux. Par dessus tout elle craint de senfoncer dans ce boyau puant pour ne jamais en revenir.
Elle ne peut pas reculer toutefois. Le serment inscrit à son sang linterdit.
- Vous trois, gardez les chevaux et la charrette, ordonne-t-elle dune voix qui à peine sélève. Capitaine, Marsault, suivez-moi.
Le premier pas est le plus difficile. La Josselinière, avec sa peau lactescente et le parfum précieux quexhale ses cheveux dénoués, avec sa lourde robe de cendal rouge et ses gardes prêts à dégainer leurs épées, est bien trop repérable dans ce monde où les femmes sont ternies des mains jusquaux âmes. Les regards se portent sur elle, concupiscents quand ils ne sont pas cupides. Malgré tout elle avance, la tête haute pour se faire croire quelle est en terrain conquis, le pas tranquille pour se faire croire quelle na pas peur, ne sarrêtant quau niveau de la Cour Brissel pour, écu clinquant montré à un pélerin de pacotille dont la cape miteuse est cousue de coquillages, indiquer doucement :
- Je cherche Samael et Judicael.
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