Vivia
Il avait suffit d'un regard porté sur une donzelle à la chevelure flamboyante pour que la gorge de la Corleone se serre et s'agace de maux à venir alors qu'entre ses tempes, Elle lui revient, inlassablement. Pourtant, si le tube ne cesse d'être repassé en boucle dans son crâne pour mieux s'échouer à son palpitant, elle réalise que ce carmin et ces vapeurs d'opiacés n'effaceront en rien, ce manque. Bouteille dans une main, pipe dans l'autre, la Sicilienne arpente les ruelles, retrouvant malgré elle, ce chemin qu'elle a maintes fois emprunté pour La retrouver. Silencieuse, elle avale une autre rasade, une autre bouffée alors qu'elle s'arrête devant Sa porte.
Étrangement, elle était persuadée que ses pas l'avaient éloignés de ce seuil. Mais il n'en était rien. Troublée, Vivia déglutit et sans comprendre ce que les phalanges planifient et réalisent, elle s'empare de cette clef qu'elle avait conservé ces mois durant, comme seul vestige physique de la Sorcière. Lentement, la clef est enfoncée dans la serrure et la porte est déverrouillée, sans un bruit. Trop saoule pour réfléchir, trop éprise pour s'interdire d'entrer chez Elle sans y être invitée, trop fêlée et ébréchée pour se soucier de ce manque de respect et de considération pour son intimité, Vivia pénètre dans ce qui fût durant des années Leur refuge.
Immobile durant quelques secondes pour mieux se gorger de Son parfum, de ce sentiment qui l'apaise plus efficacement que ses propres drogues, Vivia se contente de repousser cette capuche et de retirer son manteau qu'elle repose sur le dossier d'une chaise. Lentement, les jambes s'animent pour mieux se perdre dans cette ancienne prison dorée. A la lueur de quelques bougies qui tendent à mourir, l'esclave ne pipe mot alors que sa gorge se serre d'avantage jusqu'à lui piquer les pupilles et les humidifier. Pour la première fois depuis des mois, elle a l'impression de pouvoir céder, de pouvoir s'abandonner entièrement, elle et ses larmes, qui finalement s'échouent encore pudiques et maladroites sur ses joues rougies par ce froid hivernal. D'un revers de manche, elle les essuie pourtant, peu habituée à apprécier cette vulnérabilité et cette humanité qu'Elle lui évoque et anime en son sein. Depuis combien de temps n'était-elle pas venue ? Des mois, voir même une année si l'on en croit ces 8 mois de captivité. Pourtant, cette chaleur et cette odeur lui semblent intactes.
Pas après pas, elle retrouve la chambre de la Rousse et alors qu'elle en pousse la porte, elle se fige. Elle est là...Endormie. Si proche et pourtant si loin. Était-elle au courant du nombre de fois où elle dû se rattacher à ses souvenirs d'Elle et à ce frère de cur pour ne jamais flancher alors que le claquement des fouets sabattaient sur sa peau pour mieux la briser et en éclater les chairs ? Etait-elle au courant, qu'Elle était l'une de ses plus grandes faiblesses ? Probablement pas.
Elle, Sa première femme, sa perte et son tourment. Cette drogue qui plus vorace et corrosive que ces mélanges s'était encrée en son sein pour ne jamais en défaire les serres.
Les pensées encore brouillées par ces ivresses carmine et florale, Vivia finit par s'avancer de quelques pas, pour finalement se planter là, l'échine droite, les mains moites, le cur serré.
Elle ne peut, ne veut s'avancer d'avantage au risque de troubler son sommeil et d'abîmer cette esquisse. Silencieuse, la Corleone se contente donc de l'observer, de comparer ce que sa mémoire avait conservé d'Elle pour enfin, animer ses lippes en un fin murmure.
Merci.
Merci de m'avoir sorti de mes obsessions pour me révéler en tant que Femme.
Merci de m'avoir appris la douceur, la passion et la tendresse à tes côtés.
Merci de m'avoir aussi souvent bouffée qu'apaisée, de m'avoir infligée mille maux pour mieux les apaiser de tes lippes et de ton odeur...
Merci d'être encore là, en mon sein pour me rappeler à mon humanité...
Merci d'avoir su éveiller mon esprit lorsque mes bourreaux n'aspiraient qu'à le briser.
Le murmure s'échappe, simple et concis alors qu'il résume à lui seul, des pensées qui n'aspireraient qu'à se gorger de plus de mots pour se sustenter.
Pourtant, alors que le silence se brise au rythme des respirations de la Rousse, la Corleone réalise qu'elle n'y tient plus. D'un pas déterminé, elle s'anime jusqu'à se glisser sur cette couche pour plaquer aussitôt la paume de sa main contre la bouche de Sa douce pour étouffer cette frayeur qu'elle voit se dessiner dans ses iris. Chutt..C'est moi. Pour sûr, la Sorcière n'allait sûrement pas la reconnaître et pour cause, ses traits et son corps sont amaigris, sa blondeur Sicilienne se pare désormais de mèches blanchies par leffroi et enfin ses iris noirs brillent quant à eux d'un Mal plus puissant encore. Pourtant qui mieux qu'elle pouvait anticiper ce reflexe, cette main armée qui manque de s'abattre contre son propre visage.
Qui mieux qu'elle peut empester la Mort tout en suscitant l'envie..
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