Septième jour de voyage...
Jour de repos.
Eavan n'avait pas beaucoup dormi et ses acrobaties nocturnes avaient ravivées l'endolorissement général dont elle souffrait. Au petit matin, elle avait prié, comme de coutume. Ses années de service au sein des Saintes Armées avaient laissé des marques... Et pas seulement sous la forme de cicatrices. Non... L'ex-Vidame conservait des habitudes. Le respect de la majorité des prières quotidiennes, fusse brèves, en était une.
Une fois parée et sur le pont, la vicomtesse négocia d'assister à la manoeuvre sans devoir trop solliciter son corps. Relayer les consignes, aller relever les niveaux des réserves du charnier : la réserve d'eau potable du bord, faire une ronde dans chaque compartiment accessible pour voir si tout allait bien avant l'entamée de leur traversée, abouter quelques cordages...
Enfin, elle alla poser sa ligne, espérant augmenter sa réserve de poissons.
Malgré les activités qui parvenaient à la distraire, la vicomtesse restait relativement pensive. Régulièrement, elle essayait de réfléchir à ce qu'elle pourrait répondre à Candyce.
Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas venir le projectile. Un frolement près de son oreille et dans ses cheveux la fit sursauter. Il fallut une paire de secondes pour qu'elle comprenne que c'était un volatile qui l'avait presque percutée dans sa phase d'approche du pont. L'oiseau en question semblait... épuisé. Ventre contre le bois, ailes à moitié étendues... Eavan nota le volume de parchemin accroché à sa patte.
Tu m'étonne que tu sois fatigué toi...
Lentement, elle alla récupérer ce qui commençait dangereusement à se rapprocher de la définition de colis et alla chercher un petit quelque chose pour que le messager puisse se restaurer avant de reprendre son envol.
Parchemins sous le bras, et laissant l'ami plumé à son repos bien mérité, la Gaelig alla trouver un coin de pont calme pour faire sa lecture. Le regard alla aux expéditeurs. Arwel, Kyra, Adrian et Diane... Eh bien. Cela tira un sourire à la vicomtesse qui commença à lire la première missive.
Arwel a écrit:Eavan,
Je vous remercie de votre missive. Nous aussi avons embarqué pour Lyon afin de nous rendre ensuite à Montbrisson pour récupérer une cargaison de cidre pour Quercus. Le souci, c'est que nous sommes bloqués à Montbrisson parce que le messire ne donne pas de nouvelles... Et Montbrisson, c'est vingt-neuf habitants... Donc, en matière de tranquillité, je crois que je suis pas mal non plus !
Concernant mes mots et mon soutien, ce fut avec plaisir, lorsque j'ai vu la situation, je me suis senti revenir quelques mois auparavant en Lyonnais-Dauphiné et j'aurais aimé qu'à ce moment-là quelqu'un prenne mon parti et me soutienne, comme j'ai pu le faire pour vous.
Lorsque vous reviendrez, nous prendrons le temps de mieux nous connaître. Peut-être finirons-nous par nous lier d'amitié, allez savoir !
Il n'est pas besoin de me remercier pour mon soutien, c'est normal !
Je vais bien, je vous remercie. J'espère que vous récupèrerez vite et que vous pourrez prendre votre revanche au retour ! Pour Adrian, je ne lui ai rien dit, en effet, et je sens que lorsqu'il saura, je vais me faire gronder ! Vous savez, grâce à lui, j'ai l'impression de vous connaître un peu mieux, il me parle souvent de vous. Pour notre petit duel, vous n'avez pas à rougir, c'est moi qui me suis enflammée à n'avoir pas combattu depuis des mois !
Nous allons bien, rassurez-vous et je transmettrai votre bonjour à Quercus.
Prenez soin de vous également, bien à vous,
Arwel Chanvigny
Un sourire en coin était apparu à la mention d'une possible revanche. C'était parfait, elle n'aurait même pas à réclamer. Et l'instant suivant, la vicomtesse se trouva de nouveau tout à fait incorrigible.
L'idée, ensuite, qu'Adrian parle d'elle éveilla un peu ses soupons. Son ex-fiancé était plus ou moins capable du meilleur comme du pire en la matière. Après tout il la connaissait bien.
Monbrisson donc ? Au calme ? Très calme. Trop calme. Parfois le calme n'était pas un mal et au moins voyageaient ils toujours à deux au minimum. Cela signifiait que peu importait où, il y avait a minima un peu de compagnie.
La Gaelig estima que cela n'appelait pas une réponse urgente. Certes elle continuerait à donner des nouvelles à Arwel mais cela pouvait attendre quelques jours.
Kyrahn a écrit:Eavan,
Comme ça me fait plaisir d'avoir de vos nouvelles .Je lis votre récit et je m'autorise à imaginer ce que voyent vos yeux et j'espère vivement pouvoir contempler ce spectacle un jour par moi-même.
J'ose espérer cependant que vous vous autorisez à être vous-même, comme vous me l'aviez si bien dit ... juste Eavan. C'est là le meilleur que je puisse vous souhaiter.
Quant à moi, Marseille me plait de plus en plus. Je suis devenue gouvernante chez Messer de Festigny lorsque je ne suis pas de garde à la Maréchaussée. Et concernant celle-ci, mes nuits de garde sont calmes, mais ça me permet au moins de mirer les étoiles... Ceci dit, Diane m'a retiré une belle épine du pied me permettant enfin d'avoir mes accès à la formation.
Seule ombre au tableau, je fête mes seize printemps la semaine prochaine et vous ne serez pas là ...
Amitiés,
Kyra
Le sourire se fit doux en parcourant les lignes de la jeune marseillaise. Un instant, le sourire se crispa : Festigny. Eavan n'avait pas vraiment apprécié l'homme. Il y avait quelque chose qu'elle ne parvenait pas forcément à définir mais qui faisait qu'elle ne chercherait sans doute pas à devenir amie avec lui. Et puis il y avait eu l'affaire avec Diane. Et cela avait fini de fermer cette porte là. Elle espérait qu'il saurait bien se comporter avec Kyra et ne pas abuser de la jeune fille.
Le sourire revint ensuite, plus amusé à la lecture de la dernière ligne. Lui manquerait elle à ce point là ? D'amusé le sourire se fit un peu mutin. Trouverait elle un moyen de faire parvenir un présent à la jeune fille de sa part ? Cela valait la peine d'être organisé.
Adrian Audisio a écrit:Eavan,
Quel plaisir de lire que tu daignes enfin prend un peu soin de toi en te reposant. Tu semblais tellement fatiguée les quelques jours avant ton départ.
Mais tes mots minquiètent quand même un peu. Tu sous-entends que tu aurais été à la manuvre ? Ne devrais-tu pas plutôt penser à rester assise afin de reposer ta jambe ?
Pour ma part, je suis parti en bateau pour aider Quercus dans une de ses campagnes commerciales. Nous sommes arrivés à Montbrisson, lieux de léchange, après avoir accosté à Lyon. Ces deux villes sont tellement vides, que même la personne avec qui Quercus doit commercer nest pas là. Heureusement quArwel, Aldéric et Quercus sont là, sinon, je serais déjà mort dennui.
Mais ne voyons pas que le négatif. Par le plus grand des hasards, le Très Haut a mis sur notre route, après certes un court détour, la tombe de mon amie décédée. Jai ainsi pu me recueillir sur sa tombe sans devoir prévoir un second voyage dans ce Lyonnais plein de vie.
Par contre, comment fais-tu pour supporter le voyage en bateau ? Après 3 jours, javais déjà envie de fuir à la nage tellement je mennuyais. Quand je pense quon vient de me proposer un voyage jusquà Alexandrie, je demande si des gens ne désirent pas ma mort.
Pour ta nièce, je suis un peu surpris de la savoir tavernière, ne la croisant que rarement en taverne. Mais dès mon retour à Arles, jessaierais de passer un tour à lOrtie dor, malgré que je ne sois pas un grand partisan de la famille Champlecy. Elle pourra peut-être me dire pourquoi la tisane me donne le hoquet.
Prend bien soin de toi et au plaisir de te lire,
Adrian
Adrian était donc du voyage dans la désertique cité de Montbrisson. Vrai qu'il se serait sans doute ennuyé seul en Arles. Le rongeur n'était semblait il pas patient. Étonnant tiens... Ironie.
Eavan secoua la tête à l'inquiétude qu'il formulait en début de courrier. Heureusement qu'il continuait d'ignorer le duel. Et dire qu'elle avait songé à lui en parler. Non. Elle ne voulait pas l'inquiéter outre mesure et si elle appréciait que l'on se soucie de sa santé, il ne fallait pas trop en faire. Après tout la Gaelig était seule depuis un moment et avait prit goût à n'avoir de compte à rendre à personne concernant les choix qu'elle faisait et les risques qu'elle prenait.
Les derniers mots l'amusèrent. Hoqueter avec de la tisane ? L'homme devrait se méfier de ses compagnons de voyage. Etait il bien certain que ce fut de la tisane ? Ricanement derrière son parchemin...
Enfin, elle prit la plus longue des missives. Un autre feuillet était roulé en plus du courrier. Intriguée, la vicomtesse commença par la missive. Nul doute qu'elle aurait au moins un début d'explication sur le quoi du comment pour qui. Ni plus ni moins.
Diane a écrit:Eavan... Eavan, Eavan, Eavan!!!
Oh Seigneur, la redondance de mes pensées multiples, vient troubler le calme de cette missive, me pardonneras-tu belle Gaelig?
Deux choses vinrent alors à l'esprit de la vicomtesse.
L'écriture de cette missive impliquait forcément la consommation de chanvre.
Qu'était donc cette épidémie de compliments sur son physique ? Que se passait il ?
Diane a écrit:Par quoi commencer??? Hmm par le début? Oui bon, certes... Je crois bien que je me parle à moi-même tout en t'écrivant... Je crois que j'ai besoin de coucher les mots autant que d'extirper les paroles d'entre mes lippes crispées d'angoisse autant que de bonheur...
Et là, je m'explique car tu dois te dire que ça y est, j'ai perdu l'esprit, je suis devenue folle et ce, pour de bon. Tu auras sans doute raison, j'ai perdu la mienne!
L'analyse de la comtesse d'Aubagne était pertinente. Eavan commençait un peu à s'inquiéter.
Diane a écrit:Tu sais à quel point je tenais à Hermess, comme j'avais du mal à me défaire de lui sans jamais y arriver... Même le soir où tu as dormi à la maison, je t'en ai parlé... De ce trouble, de ces doutes qui m'envahissaient.... Le miracle que j'attendais mais qui n'était point.
Le désarroi dont j'étais affligée le vingt Septembre, jour de mon mariage supposé... Cette attente qui me fit souffrir encore.
La manière dont j'ai cru pouvoir tourner la page, mais que je n'arrivais tout de même point à tourner... Etait ce l'homme qui me courtisait qui était trop malhonnête pour me mettre en confiance, voyant clair dans son jeu sans vouloir me l'avouer, entestée que je suis?
La peur de souffrir davantage, si toutefois c'était encore possible...? Je ne sais, mais j'ai mis fin à toute cette mascarade dès le lendemain de vostre départ, lui faisant comprendre que je méritais mieux qu'un coureur de jupons.
Voilà qui était de nouveau un peu plus sensée. Eavan se sentit soulagée. Elle songea qu'il fallait qu'elle envoi une missive à Suzanne. Quelque part elle était certaine que cette dernière n'était pas pour rien dans le courage de Diane. Une intuition.
Diane a écrit:Lui aie-je dit qu'il n'arrivait point à la cheville de mon doré adoré? Non, je n'ai point été jusque ce vil procédé, même s'il l'aurait mérité vu tout ce que je sais à présent.
J'ai appris que le manque de confiance que j'avais en lui était bien justifié et que la tracassière s'annonçant bonne et n'aimant guère la méchanceté, vivant sur son nuage mensonger, se fait bien plus hypocrite qu'on ne croit, elle me rend saumâtre.
Je n'ai aucun respect pour ce genre de personnes. Comment en avoir alors qu'elles n'en ont point elles-mêmes?
Et si seulement il ne s'agissait que de respect...
Tout cela pour dire que je ne veux même plus perdre mon temps à parler d'eux, ayant décidé de les sortir de ma vie. Les laissant dans leur monde amer et plein de fausseté.
Qu'est ce que ces mots cachaient ? C'était comme si Diane n'avait pas décoléré depuis ce fameux soit en taverne et l'assassinat gratuit de chope. Dans les lignes, leur enchainement, Eavan percevait l'absence de contrôle. C'était une lettre à coeur ouvert et au gré des ressentis.
Diane a écrit:Cette vie que j'espère pleine d'espoir.
Et bien le miracle, ou tout au moins, une partie du miracle est arrivé! Hermess est de retour!!! Mais du genre, vraiment de retour...
Imagines-tu? J'ai bien mis deux jours à le réaliser... Est-ce que je le réalise à présent? je n'en suis guère sûre... Mais qu'il est bon de le revoir...
Une chose dont je suis certaine, l'amour est toujours présent en nos curs et je lui ai tout confié, tout dit parce que j'estime que je lui dois la vérité et surtout qu'il sache comme je l'aime encore.
Mon cur fait des bonds en ma poitrine, tant l'émotion est forte.. J'en suis amenée à serrer le tissu de mes houppelandes afin de savoir me contenir un minimum sans sautiller partout comme une enfant, ou résister à l'envie de le regarder avec les azurs enamourés.
Je crois que cette fois je suis mauvaise comédienne... Je ne sais point faire semblant, je suis bien trop entière pour cela...
Je prie le Très Haut depuis trois jours à présent, afin qu'il réalise le reste de mon souhait le plus cher. Ferais-tu une prière pour nous ma chère Eavan?
Hermess avait laissé un souvenir mitigé à Eavan. Mais si le bonheur de Diane était avec lui... L'avis qu'elle avait n'était pas pertinent. La prière était bien évidemment acquise, bien qu'il s'agisse davantage de choix très humains plus que d'intervention divine.
Le sourire de la Gaelig était doux et serein à la lecture de ces lignes. Simplement heureuse pour son amie.
Diane a écrit:Serais-je à nouveau pleinement heureuse un jour? Je l'espère tellement... Nous avons abordé le sujet, mais pour le moment il vient de revenir et sans doute a t-il besoin de temps pour savoir ce qu'il veut faire réellement. Alors en attendant, je vais prier pour retrouver ma vie à ses côtés, retrouver cet idéal qui nous liait, ce bonheur qui habitait nostre maison, prier pour que nos filles soient à nouveau réunies aussi.
Prier pour que nostre petit Flavien ne soit guère parti en vain...
En retrouvant Hermess, c'est aussi un peu de lui que je retrouve... Et Dieu sait comme un si tout petit être peut manquer à nos vies....
Eavan préférait ne pas s'imaginer ce que la perte d'un enfant pouvait être. Elle avait perdu ses parents de manière violente mais cela n'était pas du tout la même chose. Finalement ce qu'elle percevait comme le plus proche, c'était le décès de sa petite soeur qu'elle avait en partie élevée... Mais là encore, on était sans doute bien loin du compte.
Diane a écrit:Et sinon.... Pour retomber sur terre ou plutôt en mer, comment vas tu? Le traitement que je t'ai donné t'a t-il soulagé? Es-tu raisonnable depuis Marseille? Je l'espère bien et je compte bien écrire à Arystote afin qu'il veille sur toi et qu'il veille surtout à ce que tu reste raisonnable.
Le vois-tu souvent? J'espère qu'il ne reste point enfermé en sa cabine cette fois. Tu imagines si j'avais suivi cette folle idée de m'enfuir et vous suivre?
Oh Seigneur, je n'ose même point l'imaginer... Heureusement que je me suis raisonnée. J'avais bien trop peur de louper ce miracle qui se fait enfin réel.
Donnes-moi aussi des nouvelles d'Ary et de Guilhem s'il te plait, ainsi que de Franc à qui je dois écrire à propos de ses petits qui vont bien...
N'ayant pour l'instant guère croisé ses compagnons de voyage, Eavan était un peu embêtée pour répondre aux attentes de Diane... Il lui faudrait aussi sans doute lui parler de ce duel. Peut être un avis concernant ses côtes serait il a propos ? Au moins pour avoir des conseils pour faciliter le rétablissement.
Du repos par exemple.
Léger grognement de la Gaelig. Elle savait bien l'évidence. Mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Quoiqu'en ce jour du dimanche, il était certain qu'Eavan veillerait à prier plus qu'à solliciter son corps.
Diane a écrit:Et racontes-moi tout! Où en êtes-vous? J'ai fait un portrait de toi... je pense que tu en rougirais même, mais il est très réussi, je te le joins à cette missive pour que tu puisses en juger toi-même.
Juste dommage que je ne sois guère là pour profiter de cette réaction qui m'aurait surement amusée. Je pense que tu refuseras de le montrer à Ary, pourtant l'avis d'un homme pourrait être agréable.
Quoi ?
Qu'est ce que ?
Mais !
Et pourquoi l'avis d'un hom... Oh... Oh! Oh mais... Namého!!
Le regard se posa sur l'autre parchemin encore roulé. Déjà la vicomtesse se sentait rougir. Elle se força à terminer sa lecture... Mais qu'est ce que Diane avait fait ? A quoi devait elle s'attendre ?
Diane a écrit:Je vous embrasse tous et je vous aime! Vous me manquez déjà... J'aurais aimé que tu vois mon sourire... Te rassurer... J'ai terriblement peur que mon voeux ne se réalise point mais je reste pleine d'espoir.. J'espère, oui j'espère....encore.
Diane.
Bon... Diane semblait dans l'ensemble aller mieux. L'espoir était revenu.
Qu'est ce que c'était cette histoire de portrait !
Eavan plia la missive et entreprit de regarder ce qu'il en était. Avec une franchise certaine, trahissant davantage le fait qu'elle redoutait un peu ce qu'elle allait voir et donc, en réaction, le faisait vivement, elle déroula le parchemin.
Le regard se posa sur les lignes tracées au fusain. Un portrait certes. Enfin... Pas n'importe quel portrait.
La vicomtesse, désormais pivoine, releva la tête pour estimer si l'un de ses compagnons de voyage risquait d'en voir trop. Jugeant la chose trop risquée, elle entreprit de réunir ses affaires et de rejoindre sa cabine. Le tout sans jamais baisser d'un ton dans la nuance de rouge. Un des marins lui adressa même un regard inquiet lorsqu'elle le croisa en chemin et elle grommela une explication inintelligible avant de disparaitre dans ses quartiers.
Là, elle alla s'asseoir sur son coffre et prit une profonde inspiration avant de dérouler à nouveau l'esquisse. Le trait était appliqué. Diane dessinait bien. C'était certain. Honnêtement c'était flatteur. Le soucis du détail était là...
Mais fallait il vraiment qu'elle dresse son portrait dans cette circonstance ? Eavan soupçonnait bien évidemment Diane de ne pas avoir choisi le moment au hasard. Et certainement cela amusait il la comtesse... Elle repensa aux mots de la missive.
Diane a écrit:...Juste dommage que je ne sois guère là pour profiter de cette réaction qui m'aurait surement amusée...
Moui... Amusée hein ?
Un grognement s'échappa d'entre les lèvres d'Eavan, qui ne parvenait pas à savoir si elle était flattée, gênée, contrariée ou en admiration des talents en dessin de son amie marseillaise.
Les yeux s'attardèrent de nouveau sur l'esquisse. Et effectivement, Eavan se regardait. L'impression était étrange. Il y avait une familiarité et pour autant, elle avait l'impression de regarder une "elle" qui n'était pas "elle". Etait ce bien elle dans ce baquet ?
Le profil était juste. L'attitude absolument détendue. Sereine et apaisée. Les yeux clos. La tête était légèrement inclinée en arrière. Les cheveux, libres, s'étendaient sur le haut de son dos et une mèche atteignait son épaule, à peine. Le soucis du détail allait jusqu'aux quelques gouttes d'eau qui se détachaient le long de la gorge... Il suffisait de suivre leur chemin pour atteindre la base du cou et se perdre dans un flouté qui marquait la limite du portrait... et sauvegardait du même coup la modestie du modèle.
Sa modestie.
Le regard s'attarda sur ces quelques zones comme un peu voilée par la censure appliquée par l'artiste... La main d'Eavan se porta à sa poitrine, là où était ce qui se cachait sous l'une de ces imprécisions : la marque reçue à Draguignan. Diane n'avait pas gommé cette marque, ni les autres... C'était simplement comme si elle était secondaires... Comme si elles n'étaient pas l'objet du portrait.
Eavan n'avait pas les traits fins. Pourtant, il y avait une sensualité certaine dans ce portrait. D'autant plus certaine qu'elle en était reconnaissante à Diane de ne pas l'avoir forcée. C'était étrange cette sensation. Tout en se reconnaissant et en reconnaissant ses lignes comme étant son corps sans liberté artistique, la vicomtesse savait regarder à ce que Diane avait perçu... non, su percevoir, de cet instant. Etait ce là aussi une part d'elle même qu'Eavan avait oublié ? La femme ? Etait elle si peu convaincue d'être capable de sensualité ?
Une part d'elle se trouvait belle. Et cela faisait longtemps.
Une part d'elle trouvait le portrait beau, et juste.
Une part d'elle se sentait aussi mal à l'aise, comme si ce portrait était une exploitation d'un moment de confiance absolue et de vulnérabilité...
Une part d'elle était gênée...
Puis, elle se souvint d'une fois, au mess des sous officiers, à l'Ost, presque dix ans auparavant... Un des soldats avait trouvé malin de la représenter nue. Elle, leur officier. L'esquisse avait circulé quelques instants à peine avant qu'Eavan n'aille mettre son poing dans un visage. Elle se souvenait encore de la lutte intérieure pour savoir si c'était une claque ou un poing qui viendrait clôturer le mouvement. Et jusqu'au dernier moment, elle n'avait pas su. Finalement c'était le poing. Mais l' "artiste" s'en était tiré à bon compte parce que l'époux d'Eavan était là et lui ne se serait pas contenté d'un unique coup pour faire rentrer la leçon.
Le souvenir tira un sourire amusé à la vicomtesse.
Elle se demanda si une esquisse comme le portrait que venait de lui offrir Diane aurait eu du succès. Là encore, quelques lignes de la missive semblèrent justement à propos.
Diane a écrit:...Je pense que tu refuseras de le montrer à Ary, pourtant l'avis d'un homme pourrait être agréable...
Et de nouveau la vicomtesse fut pivoine.
Comment diable était elle sensée ne pas y penser en le croisant ? Comment paraitre naturelle ?!
Malgré la gêne, Eavan rangea le portrait avec un soin infini. L'objet était précieux. Et il faudrait qu'elle réponde à cette lettre. _________________