Arystote
Trente sixième jour de voyage
Bien que les nuits soient plus que fraîches, Arystote avait dormi comme un loir. Il ne fut réveillé ni par le froid, ni par la chaleur des matinées, ni pas le bruit des vagues frappant les rochers, ni même encore par les aboiements de Platon. Il s'éveilla simplement d'avoir bien dormi et, en sortant de la tente, il cherchait déjà Eavan des yeux.
Il n'avait pas eu le temps de demander à son cousin ou au Comte de Lantosque quels étaient leurs projets pour la journée. Sans doute voudraient-ils eux-aussi se jeter dans le vide depuis le promontoire mais le Comte en restait à son projet initial qui était de partager cette expérience avec la Gaelig uniquement. Après il n'aurait su vraiment expliquer pourquoi mais au fond de lui il ne pouvait en être autrement et ça lui suffisait. Il n'était pourtant pas homme à souvent se fier à ses instincts mais lorsque le dit instinct est vécu comme une évidence, à quoi bon ne pas l'écouter ?
Tandis qu'il cherchait sa compagne de voyage, ses yeux se posèrent sur le rocher qui avait semblé attirer la concentration de la Vicomtesse de Salon-de-Provence la veille. Il esquissa un sourire en lisant les mots qu'elle avait gravé, elle n'aurait pu mieux trouver. Et lui non plus, car il trouvait enfin celle qu'il cherchait.
- Bonjorn, bien dormi, demanda t-il en souriant, ce qui n'était guère compliqué. Bien qu'il ne s'en rendait pas compte lui-même, il souriait chaque fois qu'il la voyait et comme ils voyageaient ensemble, quasiment tout le temps donc.
- Comme je n'aimerai pas mourir, le ventre vide, je vous propose de manger avant d'y aller. Il tenait dans ses mains une canne à pêche bien décidé à attraper de quoi sustenter tout le monde. Arystote était un chasseur plutôt moyen mais ayant grandi à Cassis, il maîtrisait bien mieux l'art de la pèche. C'est un art plus populaire mais il avait eu un bon professeur en la matière. Michel et lui s'étaient si souvent enfui de Cassis pour qu'Arystote puisse éviter les cours qui lui étaient prodigués ; et chaque fois ils se rendait tous les deux au port pour y emprunter une barque et pêcher. Aussi, pour une fois, le Comte de Cassis gagné son pari et apporter jusqu'au feu de camp de quoi nourrir tout le monde.
- Au fait, bravo pour le nom du feu de camp ! ajouta t-il en levant son pouce vers le haut.
Ce n'est qu'après la sieste (essayez-d'entreprendre l'ascension d'un rocher dans le nord de l'Afrique à l'heure ou le soleil est à son zénith) qu'ils purent enfin se rendre au promontoire. Arystote ne sachant trop quel parcours il leur faudrait entreprendre pour atteindre le sommet, avait décidé de laisser Platon à Guilhem quelques heures. Ils se rendirent à la cabane des caravanes marchandes où on leur indiqua, juste derrière celle-ci, l'entrée des escaliers qu'il leur fallait emprunter pour atteindre le sommet du rocher. Voilà qui leur faciliterait la tâche. Arystote avait déjà entendu parler de fous qui grimpaient à même la roche, mais il n'aurait guère été enthousiaste de devoir en faire autant. Quitte à mourir il préférait que ce ne soit pas par erreur... Aussi fut-il soulagé en apercevant les premières marches.
- Après vous ! dit-il en se disant qu'au moins si elle tombait, il pourrait la rattraper. Il soupçonnait qu'elle ne soit pas parfaitement remise de son agression ou de ses derniers combats.
Si les premières marches étaient relativement larges et régulière, le soulagement éprouvé en apercevant un escalier de pierre fut de courte durée. Après une dizaine de marches, au premier tournant, plus aucune d'entre elles ne se ressemblaient. Que ce soit la hauteur des marches, leur largeur ou même leur profondeur, rien n'était régulier et il fallait prêter attention à chaque pas ; d'autant qu'aucune rambarde n'avait été conçue en soutien. Il faut dire que les marches étaient sans doute plus vieilles qu'Hersende elle-même, ce qui tenait du miracle. Elles devaient dater de l'Antiquité, par endroit elles s'étaient effritées ce qui rendait les déplacements plus difficiles encore. Tout le promontoire était visiblement le vestige d'un passé ancien, de peuples peut-être éteints comme ça avait été le cas pour les latins, ou les grecs anciens. Le travail avait donc été manuel et bien que difficilement praticable, on ne pouvait pour autant ne pas saluer le travail que cela avait dû représenter. D'autant que cet escalier contenait un nombre incalculable de marches. Le Comte de Cassis avaient arrêtés de les compter à mi-chemin, à la trois-cent-soixante-treizième marche. Il s'était laissé entraîner dans son désir de discuter avec Eavan, de partager ses impressions sur les lieux.
- Si ça se trouve c'est plus vieux que les architectures de Rome... J'ai bien fait de ne pas emmener Platon, il aurait été capable de nous faire choir. Vous me direz c'est justement pour ça que nous sommes en train de grimper ces marches...
Il n'aurait su dire combien de temps il leur fallut pour atteindre le haut. Il avait été nécessaire de s'arrêter deux ou trois fois pour reprendre leur souffle et boire de grandes rasades d'eau. Parfois, Arystote se taisait et laissait son regard parcourir aléatoirement le paysage ou la silhouette de son amie. Il la trouvait plutôt jolie en armure mais n'étant plus en armée elle n'avait nul besoin de continuer à en porter, ce qui permettait au Comte de Cassis de se rendre compte qu'elle était encore plus belle sans. L'autre changement qu'il avait pu observer venait de leur relation. Ils étaient amis sans aucun doute, ils se le disaient et étaient l'un et l'autre sincères, il n'en doutait point. Pourtant, il n'avait que peu eu le loisir de se croiser en dehors des assemblées, des conseils et des cérémonies ; ce qui les forçait à ne jamais se montrer trop familiers. Lorsqu'il avait emmménagé sur Arles, ils auraient dû pouvoir en profiter lors des moments où l'un et l'autre étaient dans la même taverne. Malheureusement, ils n'avaient pas eu le loisir d'en profiter leur attention étant sollicité en permanence par la bêtise des autres. Quitter la Provence leur avait donc permis de prendre de la distance avec les ombres qui obscurcissaient leurs esprits, leur permettant de se découvrir moins soucieux qu'à l'habitude. Il aimait leurs sourires parce qu'être heureux faisait du bien.
C'est le constat que faisait Arystote lorsqu'il vint poser son pied sur la dernière marche atteignant enfin le sommet, quelques secondes après Eavan : il était heureux, c'était une belle journée pour mourir.
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Bien que les nuits soient plus que fraîches, Arystote avait dormi comme un loir. Il ne fut réveillé ni par le froid, ni par la chaleur des matinées, ni pas le bruit des vagues frappant les rochers, ni même encore par les aboiements de Platon. Il s'éveilla simplement d'avoir bien dormi et, en sortant de la tente, il cherchait déjà Eavan des yeux.
Il n'avait pas eu le temps de demander à son cousin ou au Comte de Lantosque quels étaient leurs projets pour la journée. Sans doute voudraient-ils eux-aussi se jeter dans le vide depuis le promontoire mais le Comte en restait à son projet initial qui était de partager cette expérience avec la Gaelig uniquement. Après il n'aurait su vraiment expliquer pourquoi mais au fond de lui il ne pouvait en être autrement et ça lui suffisait. Il n'était pourtant pas homme à souvent se fier à ses instincts mais lorsque le dit instinct est vécu comme une évidence, à quoi bon ne pas l'écouter ?
Tandis qu'il cherchait sa compagne de voyage, ses yeux se posèrent sur le rocher qui avait semblé attirer la concentration de la Vicomtesse de Salon-de-Provence la veille. Il esquissa un sourire en lisant les mots qu'elle avait gravé, elle n'aurait pu mieux trouver. Et lui non plus, car il trouvait enfin celle qu'il cherchait.
- Bonjorn, bien dormi, demanda t-il en souriant, ce qui n'était guère compliqué. Bien qu'il ne s'en rendait pas compte lui-même, il souriait chaque fois qu'il la voyait et comme ils voyageaient ensemble, quasiment tout le temps donc.
- Comme je n'aimerai pas mourir, le ventre vide, je vous propose de manger avant d'y aller. Il tenait dans ses mains une canne à pêche bien décidé à attraper de quoi sustenter tout le monde. Arystote était un chasseur plutôt moyen mais ayant grandi à Cassis, il maîtrisait bien mieux l'art de la pèche. C'est un art plus populaire mais il avait eu un bon professeur en la matière. Michel et lui s'étaient si souvent enfui de Cassis pour qu'Arystote puisse éviter les cours qui lui étaient prodigués ; et chaque fois ils se rendait tous les deux au port pour y emprunter une barque et pêcher. Aussi, pour une fois, le Comte de Cassis gagné son pari et apporter jusqu'au feu de camp de quoi nourrir tout le monde.
- Au fait, bravo pour le nom du feu de camp ! ajouta t-il en levant son pouce vers le haut.
Ce n'est qu'après la sieste (essayez-d'entreprendre l'ascension d'un rocher dans le nord de l'Afrique à l'heure ou le soleil est à son zénith) qu'ils purent enfin se rendre au promontoire. Arystote ne sachant trop quel parcours il leur faudrait entreprendre pour atteindre le sommet, avait décidé de laisser Platon à Guilhem quelques heures. Ils se rendirent à la cabane des caravanes marchandes où on leur indiqua, juste derrière celle-ci, l'entrée des escaliers qu'il leur fallait emprunter pour atteindre le sommet du rocher. Voilà qui leur faciliterait la tâche. Arystote avait déjà entendu parler de fous qui grimpaient à même la roche, mais il n'aurait guère été enthousiaste de devoir en faire autant. Quitte à mourir il préférait que ce ne soit pas par erreur... Aussi fut-il soulagé en apercevant les premières marches.
- Après vous ! dit-il en se disant qu'au moins si elle tombait, il pourrait la rattraper. Il soupçonnait qu'elle ne soit pas parfaitement remise de son agression ou de ses derniers combats.
Si les premières marches étaient relativement larges et régulière, le soulagement éprouvé en apercevant un escalier de pierre fut de courte durée. Après une dizaine de marches, au premier tournant, plus aucune d'entre elles ne se ressemblaient. Que ce soit la hauteur des marches, leur largeur ou même leur profondeur, rien n'était régulier et il fallait prêter attention à chaque pas ; d'autant qu'aucune rambarde n'avait été conçue en soutien. Il faut dire que les marches étaient sans doute plus vieilles qu'Hersende elle-même, ce qui tenait du miracle. Elles devaient dater de l'Antiquité, par endroit elles s'étaient effritées ce qui rendait les déplacements plus difficiles encore. Tout le promontoire était visiblement le vestige d'un passé ancien, de peuples peut-être éteints comme ça avait été le cas pour les latins, ou les grecs anciens. Le travail avait donc été manuel et bien que difficilement praticable, on ne pouvait pour autant ne pas saluer le travail que cela avait dû représenter. D'autant que cet escalier contenait un nombre incalculable de marches. Le Comte de Cassis avaient arrêtés de les compter à mi-chemin, à la trois-cent-soixante-treizième marche. Il s'était laissé entraîner dans son désir de discuter avec Eavan, de partager ses impressions sur les lieux.
- Si ça se trouve c'est plus vieux que les architectures de Rome... J'ai bien fait de ne pas emmener Platon, il aurait été capable de nous faire choir. Vous me direz c'est justement pour ça que nous sommes en train de grimper ces marches...
Il n'aurait su dire combien de temps il leur fallut pour atteindre le haut. Il avait été nécessaire de s'arrêter deux ou trois fois pour reprendre leur souffle et boire de grandes rasades d'eau. Parfois, Arystote se taisait et laissait son regard parcourir aléatoirement le paysage ou la silhouette de son amie. Il la trouvait plutôt jolie en armure mais n'étant plus en armée elle n'avait nul besoin de continuer à en porter, ce qui permettait au Comte de Cassis de se rendre compte qu'elle était encore plus belle sans. L'autre changement qu'il avait pu observer venait de leur relation. Ils étaient amis sans aucun doute, ils se le disaient et étaient l'un et l'autre sincères, il n'en doutait point. Pourtant, il n'avait que peu eu le loisir de se croiser en dehors des assemblées, des conseils et des cérémonies ; ce qui les forçait à ne jamais se montrer trop familiers. Lorsqu'il avait emmménagé sur Arles, ils auraient dû pouvoir en profiter lors des moments où l'un et l'autre étaient dans la même taverne. Malheureusement, ils n'avaient pas eu le loisir d'en profiter leur attention étant sollicité en permanence par la bêtise des autres. Quitter la Provence leur avait donc permis de prendre de la distance avec les ombres qui obscurcissaient leurs esprits, leur permettant de se découvrir moins soucieux qu'à l'habitude. Il aimait leurs sourires parce qu'être heureux faisait du bien.
C'est le constat que faisait Arystote lorsqu'il vint poser son pied sur la dernière marche atteignant enfin le sommet, quelques secondes après Eavan : il était heureux, c'était une belle journée pour mourir.
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