[Lexi
J'suis qu'un fantôme quand tu vas où j'suis pas
Tu sais ma môme
Que j'suis morgane de toi*]Je suis père. Et cest foutrement difficile. Jen voulais pas moi de toutes ces saloperies de responsabilités. Jai pris du plaisir, on men a donné. Sauf que parfois ya des « accidents », des « erreurs ». Tout ça, ça ma rattrapé cette fin de mois de décembre 1461. Je me souviens parfaitement de la première fois où je lai vue. Cétait à la Cour des Miracles, elle ma couru après en mappelant « père ». Javais marqué un temps darrêt, même un gros temps darrêt. Javais nié le tout en bloc alors que jétais persuadé que cette gamine était la mienne. Et puis, pour confirmation il y avait eu la lettre dAliénor. Mais ce nest pas ça le plus important, le plus important cest quen une journée javais ressenti plus de trucs que dans toute ma putain de vie de débauché. Dabord son annonce sur ses oncles qui la battaient et parfois pire, ensuite la vision de ses pieds nus ensanglantés et on a fini en beauté sur lautre abruti de Mathurin.
Cest là que je me suis rendu compte que cette fois-ci jarriverai pas à me barrer. Je lavais envoyée à Maçon le temps de régler quelques embrouilles (et accessoirement de me fiancer) et cest là quelle ma désobéi pour la première fois. A peine arrivée et déjà barrée avec des pilleurs cons comme des manches à balai (et encore, cest méchant pour les balais). Je peux vous dire que jai droppé sur les chemins, ma blonde amie-amante sur les talons. Tabassé deux fois mais toujours foutrement décidé à arriver à destination.
Un jour javais reçu une lettre, dune blondasse complètement siphonnée du bulbe me disant quelle avait enlevé ma fille et attendait une rançon. Mille écus ou un tonneau de bière. Je navais pas les mille écus mais je me suis jeté sur le premier tonneau venu. Je navais plus de fric, javais froid et faim mais javançais. Parce que javais peur. Un autre jour, elle mannonçait avoir réussi à senfuir et avoir retrouvé ses potes brigands. Ça, ça mavait foutu en rogne et soulagé en même temps, du coup cest moi qui lavais torché le tonneau. Et puis, peu de temps après, elle mavait écrit pour me dire quelle était gravement malade et quelle allait peut-être mourir, abandonnée par ses « amis » les brigands. Je ne métais jamais senti aussi mal, aussi désemparé. Je ne pouvais rien faire, juste prier. Alors cest ce que jai fait. Une fois, maladroitement.
Et on sétait retrouvés. Cétait bizarre. On avait beaucoup de choses à dire mais rien ne sortait. Pour être honnête je préférais passer mes soirées avec mon meilleur pote et Aphrodite plutôt quavec une morveuse. Mon chef duvre auquel il manquait des coups de pinceaux. Je me disais que si je me contentais de lui fournir à bouffer et que je lui disais daller au lit en la reprenant quelques fois sur ses grossièretés, ça passerait. Cest pas passé. Un soir elle sest pointée en me disant que si Aphrodite restait dans le groupe, elle partait avec des gus pour voir des lions en Arles. Je métais énervé, javais interdit, promis des sanctions. Aucun résultat. Alors je lavais envoyée se faire foutre. Je me souviens de ce soir-là, yavait une femme, Lenada (une conne de premier ordre) qui narrêtait pas de zieuter ma fille ce qui ma poussé à lui dire de ladopter parce que moi, javais pas signé pour ça. Personne navait jamais décidé de ma vie et ce nétait pas une mioche de dix ans qui allait sen charger.
Cest mon pote Vector qui sest chargé de désamorcer la chose. Lexi est revenue, on a parlé. Ce quon sest dit nappartient quà nous mais je peux vous dire que je ne me suis pas ennuyé. Jétais même mieux que si javais été en train de picoler ou de fumer. Pour la première fois de ma vie, quelquun comptait sur moi. Quelquun me faisait confiance. Maimait, aussi.
Autre péripétie notable : la demande en mariage dun con fini. Le type mécrit pour me demander la main de ma fille, me disant quil allait faire delle une princesse. Je navais pas pris la peine de répondre et je métais pointé en taverne. Javais été cassant, blessant. Mauvais. Elle avait dix ans, il ne la méritait pas et elle navait pas besoin de lui pour être une princesse. Cétait ma princesse et je navais aucune envie de partager.
Bon, tu comptes rester longtemps le nez en lair ?Hum ? Ah oui, je my remets.Javais presque oublié que javais signé pour dix heures à la mine, de quoi mennuyer au plus haut point. Je fais semblant de trimer quelques minutes et je maccorde une nouvelle pause. Pour me remémorer le moment le plus beau et, je crois, le plus vrai de ma vie. Cétait hier. On était en taverne, je discutais avec Vec. Peinard, je mattendais à tout sauf à « ça ». Elle pousse mes mains et sinstalle sur mes genoux, nichant sa tête dans mon cou. Surpris, je cherche quoi faire. Poser mes mains. Oui, et après ? Petit coup dil à Vector qui me fait signe de lui caresser les cheveux (avant de me faire un joli doigt dhonneur). Je mexécute.
Cest là que je me suis rendu compte que jaimais cette petite blonde aux yeux verts. Plus que toutes les femmes que javais pu tenir dans mes bras, plus que Léan, plus que mon meilleur pote. Plus que tout, surement. Je métais toujours dit que je ne voulais pas de gosse et pourtant si elle meurt, jen crève.
Oh eh ! Ya ça qui vient darriver pour toi.Mmh ?Ouais, je suis pas très loquace ce soir. Et je le suis encore moins au vu de la teneur de la lettre. Rien dinquiétant à première vue. Le palpitant saffole, la pioche est presque balancée. Jai fini ma journée. Ma fille nest jamais fatiguée et si cest le cas, elle ne mécrit pas pour me le dire, ma fille ne tombe pas ou alors pas assez pour bousiller une chemise. Ma fille
il sest passé un truc. Forcément. Les pires scénarios se bousculent dans ma caboche de blond, je serre les dents.
[Attend un peu avant de t' faire emmerder
Par ces p'tits machos qui pensent qu'à une chose
Jouer au docteur non conventionné
J'y ai joué aussi, je sais de quoi j'cause]
Si quelquun a osé
Les poings se serrent, les derniers mètres sont parcourus et la porte ouverte à la volée.
Lexi ? Lexi ?! Lexi !Panique à bord. Je fouille la piaule pour la trouver au lit. Finalement je me suis peut-être inquiété pour rien. Ou peut-être pas. Son visage
La gorge nouée, je mavance pour me glisser sur le lit à ses côtés.
Lexi
Je ne sais ni quoi faire ni quoi dire. Elle a mal et je crois que cest ça qui me fait le plus mal. Saisissant son menton entre mes doigts, je mattends à une réaction de sa part pour ne trouver que souffrance. Peur, aussi. Et puis, sur la chemise, une tâche de sang.
Bordel
quest-ce qui sest passé ?Faut que je sache. Sinon je vais devenir barge. Tremblant, je défais la chemise avec toute la douceur que peut offrir mon anxiété pour découvrir le carnage. Un sein naissant entaillé. Colère. Rage. Désespoir.
Qui ?
Qui ta fait ça ?Personne na le droit de faire ça à une gamine, encore moins à la mienne de gamine. Putain. Et jai rien vu venir, je nétais pas là. Sauf que cest pas de mes envies meurtrières dont ma fille a besoin. Pas maintenant.
Viens, viens là. Je sais que ty es pour rien.Ouvrant les bras, je lenlace, moins maladroit quhier. Plus tremblant, aussi. Et puis je la serre contre moi, très fort. Parce que cest ma môme et que je suis morgane delle.
*Morgan de toi de Renaud, avec modification du prénom d'origine.
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