Alicina
* Les Inconnus
Quand on n'est pas doué, on n'est pas doué. La veille au soir, je m'étais assoupie dans une charrette pleine de choux. Il faisait froid, je m'étais glissée sous une couverture. Je voulais essayer de dormir à la belle étoile. Une nouvelle expérience que je voulais tenter.
Pour une fois, Pantoufle avait été gentil. Il s'était blotti contre moi sans chercher à s'enfuir. Et bêtement, je m'étais bel et bien endormie.
Sauf qu'au matin, je n'étais plus au même endroit. Et c'est là qu'avait commencé mon calvaire.
Je ne reconnaissais rien, même en plissant les paupières très fort. J'avais beau tenter de prendre ce cours d'eau inconnu pour un ami de longue date, y'avait pas moyen. J'étais paumée au beau milieu de nulle part. Comment la charrette avait bien pu bouger toute seule ? Il ne me vint que bien tard l'idée qu'un paysan avait dû partir sans me remarquer. Sans doute qu'entre les choux et les carottes, j'avais du passer inaperçu. Flatteur, n'est-ce pas ?
Mon matou dans les bras, je quittai sans plus tarder la charrette voyageuse. J'arpentai les rues, essayant sans grand succès de ne pas paniquer. Allais-je oser demander mon chemin ? Mais comment formuler ma question ? « Bonjour, je tombe du ciel, vous pourriez m'indiquer le chemin le plus court jusqu'au village d'où je viens et dont je ne connais pas le nom, s'il vous plait ? » Un coup à finir à l'asile, ça.
On est mal, mon gros.
Pantoufle ronronna. Il m'était d'un sacré soutien, assurément. Mais voilà qu'un havre de paix se dessinait devant moi. Une auberge. La « Boussole ». Ce qui tombait plutôt bien. Je me hâtai dans cette direction. J'entrai en silence, détaillant les consommateurs. Tous des bonhommes. Et moi, dans ma robe à l'ourlet crotté, le chignon en pagaille, je faisais tâche. Une rousse et un chat orange dans une auberge, ça attirait les regards. Je vis tous les visages converger vers moi. Je tentai un sourire qui ressemblait plus à une grimace.
Salut la compagnie ! On se rince le gosier ?
Mon public restait impassible. Aucune émotion. Rien. Néant absolu. Mon art n'était pas assez reconnu. Je m'approchai du comptoir, Pantoufle toujours dans les bras. J'étais pas prête de lâcher mon seul allié, qui ne semblait pas pressé de quitter le foyer rassurant de ma poitrine.
Un verre d'aligoté ! mandai-je à voix forte. Comme si j'étais confiante. Moi paniquée ? Mais pas du tout !
Le vin arriva à point nommé. Je l'avalai d'une traite. Dieu que ça faisait du bien ! J'en commandai un autre. Et maintenant, les choses sérieuses.
On est où, exactement ?
La Boussole.
Ouais, je sais. Mais la Boussole de quelle ville ?
Paye ton coup.
Je soupirai. Je portai la main à ma ceinture en souriant... avant de grimacer comme je venais de boire un jus de navet. (J'ai horreur des navets.) J'avais perdu ma bourse dans mon périple.
Euh... Disons que j'ai pas de quoi, là, mais je peux travailler gratuitement pour payer. Ca se fait. Je suis écrivain public, sinon. Vous n'avez pas un parent éloigné à qui donner de nouvelles ?
Un mauvais sourire s'étala sur la face horrible du tavernier. Il contourna son comptoir, l'il lubrique. Je tâchai d'imaginer que ce regard écurant n'était pas le reflet des intentions du bonhomme. Il devait penser à sa femme. Ou à sa maîtresse. Ou à sa sur. Ou à...
T'peux payer en nature aussi.
... ou à moi. Je m'autorisai à paniquer, maintenant.
En nature ? Vous voulez que j'aille vous cueillir... des fleurs ? Non, c'est pas la saison. Ou des fruits ? Oh, pas la saison non plus. Mais je connais un type qui vend des choux, c'est bon pour le transit, le chou. Non ?
En nature. Fais pas ta mijaurée.
Il posa l'une de ses paluches sur mon épaule. Pantoufle feula mais l'autre n'y fit pas attention.
Attention, c'est un chat dangereux. Vous connaissez la légende des chats-garou ? Je crois que c'en est un et...
Il affirma sa prise et tendit l'autre main vers ma poitrine menue.
Euh... Quelqu'un ? A l'aide ? couinai-je d'une voix aigüe.
- - Quelque part en France, mais où ? -
Quand on n'est pas doué, on n'est pas doué. La veille au soir, je m'étais assoupie dans une charrette pleine de choux. Il faisait froid, je m'étais glissée sous une couverture. Je voulais essayer de dormir à la belle étoile. Une nouvelle expérience que je voulais tenter.
Pour une fois, Pantoufle avait été gentil. Il s'était blotti contre moi sans chercher à s'enfuir. Et bêtement, je m'étais bel et bien endormie.
Sauf qu'au matin, je n'étais plus au même endroit. Et c'est là qu'avait commencé mon calvaire.
Je ne reconnaissais rien, même en plissant les paupières très fort. J'avais beau tenter de prendre ce cours d'eau inconnu pour un ami de longue date, y'avait pas moyen. J'étais paumée au beau milieu de nulle part. Comment la charrette avait bien pu bouger toute seule ? Il ne me vint que bien tard l'idée qu'un paysan avait dû partir sans me remarquer. Sans doute qu'entre les choux et les carottes, j'avais du passer inaperçu. Flatteur, n'est-ce pas ?
Mon matou dans les bras, je quittai sans plus tarder la charrette voyageuse. J'arpentai les rues, essayant sans grand succès de ne pas paniquer. Allais-je oser demander mon chemin ? Mais comment formuler ma question ? « Bonjour, je tombe du ciel, vous pourriez m'indiquer le chemin le plus court jusqu'au village d'où je viens et dont je ne connais pas le nom, s'il vous plait ? » Un coup à finir à l'asile, ça.
On est mal, mon gros.
Pantoufle ronronna. Il m'était d'un sacré soutien, assurément. Mais voilà qu'un havre de paix se dessinait devant moi. Une auberge. La « Boussole ». Ce qui tombait plutôt bien. Je me hâtai dans cette direction. J'entrai en silence, détaillant les consommateurs. Tous des bonhommes. Et moi, dans ma robe à l'ourlet crotté, le chignon en pagaille, je faisais tâche. Une rousse et un chat orange dans une auberge, ça attirait les regards. Je vis tous les visages converger vers moi. Je tentai un sourire qui ressemblait plus à une grimace.
Salut la compagnie ! On se rince le gosier ?
Mon public restait impassible. Aucune émotion. Rien. Néant absolu. Mon art n'était pas assez reconnu. Je m'approchai du comptoir, Pantoufle toujours dans les bras. J'étais pas prête de lâcher mon seul allié, qui ne semblait pas pressé de quitter le foyer rassurant de ma poitrine.
Un verre d'aligoté ! mandai-je à voix forte. Comme si j'étais confiante. Moi paniquée ? Mais pas du tout !
Le vin arriva à point nommé. Je l'avalai d'une traite. Dieu que ça faisait du bien ! J'en commandai un autre. Et maintenant, les choses sérieuses.
On est où, exactement ?
La Boussole.
Ouais, je sais. Mais la Boussole de quelle ville ?
Paye ton coup.
Je soupirai. Je portai la main à ma ceinture en souriant... avant de grimacer comme je venais de boire un jus de navet. (J'ai horreur des navets.) J'avais perdu ma bourse dans mon périple.
Euh... Disons que j'ai pas de quoi, là, mais je peux travailler gratuitement pour payer. Ca se fait. Je suis écrivain public, sinon. Vous n'avez pas un parent éloigné à qui donner de nouvelles ?
Un mauvais sourire s'étala sur la face horrible du tavernier. Il contourna son comptoir, l'il lubrique. Je tâchai d'imaginer que ce regard écurant n'était pas le reflet des intentions du bonhomme. Il devait penser à sa femme. Ou à sa maîtresse. Ou à sa sur. Ou à...
T'peux payer en nature aussi.
... ou à moi. Je m'autorisai à paniquer, maintenant.
En nature ? Vous voulez que j'aille vous cueillir... des fleurs ? Non, c'est pas la saison. Ou des fruits ? Oh, pas la saison non plus. Mais je connais un type qui vend des choux, c'est bon pour le transit, le chou. Non ?
En nature. Fais pas ta mijaurée.
Il posa l'une de ses paluches sur mon épaule. Pantoufle feula mais l'autre n'y fit pas attention.
Attention, c'est un chat dangereux. Vous connaissez la légende des chats-garou ? Je crois que c'en est un et...
Il affirma sa prise et tendit l'autre main vers ma poitrine menue.
Euh... Quelqu'un ? A l'aide ? couinai-je d'une voix aigüe.