--Alicina
- Est-ce que tout cela est réel ? Ou bien ça se passe juste dans ma tête ?
Bien sûr que ça se passe dans ta tête, Niallan. Mais pourquoi faudrait-il en conclure que ce n'est pas réel ?
Adaptation libre de « Harry Potter et les Reliques de la Mort »
Une minute avant, j'étais Là-Haut, à m'occuper de mes petites affaires. A siéger à la droite du Seigneur, et tout le tremblement. La minute suivante, je me retrouvai là. Je ne savais même pas où j'étais, en plus.
Ah ça c'est trop fort !
Poings sur les hanches, je pensai à la chute de la blague que je venais de louper. Un quart d'heure à écouter Jules en train de me conter une ânerie pas vraiment drôle jusque-là, mais qui promettait une bonne surprise finale. Je m'étais bien soigneusement préparée à rire, et voilà qu'on m'en empêchait.
Surtout que celle-là, elle avait vraiment l'air marrante.
Depuis plusieurs mois que je vivais au Ciel, comme on dit sur Terre - parce qu'en vrai, entre nous, on l'appelle le Mont d'Or... Vague rapport à un fromage très apprécié ici - et je devais bien avouer que je m'y plaisais bien.
A mon arrivée, Saint Pierre m'expédia sans cérémonie dans le Jardin Bleu. Allez savoir pourquoi « bleu », quand on pense que l'herbe est aussi verte qu'il est possible de l'être. Faut pas toujours chercher à comprendre. J'avais déjà compris ça, de mon vivant.
Mais bref. Je m'égare. J'étais donc un peu perdue, là-bas, toute seule. Maman n'étant pas venue m'accueillir, je me retrouvais comme une idiote à ne pas savoir où aller. Heureusement, un type en tunique rouge et plastron doré, avec des feuilles autour du crâne, m'aborda sans tarder.
T'es nouvelle ? Moi c'est Jules. Jules César. Et toi ?
Alicina. Alicina la Canéda de Lantwyck, répondis-je, un peu surprise.
C'est quoi cette manie que vous avez, à votre époque, à vous rajouter des de, des la, des du et j'en passe ?
Je préfère qu'on m'appelle Al', personnellement.
A la bonne heure ! Bienvenue, Al'. Moi avant d'être ici, j'étais Imperator. Et non Empereur... C'est fou ce qu'on traduit mal le latin de nos jours.
Ouais, fis-je. Que des gougnafiers.
Allez, Al'. Viens donc que je te fasse visiter.
Je le suivis à travers les Jardins Bleus. C'était calme, paisible. Quelques filles en chiton jouaient de la lyre, c'était sympathique. Je dodelinai de la tête en rythme. Des chiens et des chats étaient en pleines conversations. Il y avait des gens de toutes les couleurs de peau. Il y avait quelque chose de drôlement exotique, ici.
J'avisai un homme, debout devant un bâton, qui griffonnait des choses sur un bout de parchemin.
C'est qui lui ? Il fait quoi ?
Oh non, va pas le voir. C'est Thalès. Il va encore nous gonfler avec son théorème. Paraitrait qu'il se serait trompé. Tu veux aller voir Charlemagne ?
Ouais ! m'enthousiasmai-je.
On quitta le Jardin, et nous nous enfonçâmes dans une espèce de sous-bois. Un clapotis d'eau nous accompagnait tandis que nous marchions. C'était décidément très chouette. Enfin, après cinq minutes de marche, on déboucha dans une clairière. Un muret de pierres blanches faisait comme un entourage, comme les fondations d'une maison toute ronde. Un homme était assis au centre. Il était en simple tunique blanche, étrangement à la mode romaine, et choisissait soigneusement des fleurs parmi un bouquet énorme que lui tendait une jeune fille.
Il fait quoi ? m'étonnai-je.
Il fleurit sa barbe... Impossible de lui parler. Viens, on va voir ailleurs.
Et nous revoilà partis. Alors qu'on gagnait le château, je ne pus m'empêcher de demander, tout en enroulant une mèche rousse autour de mon index.
Je suis pas censée rencontrer le Grand Patron ? Deos ?
Oh ! Pas si vite, Al', s'exclama César. Surtout qu'en ce moment, il est super occupé.
Ah bon ? Il se passe quoi ?
Tu connais Moïse, je suppose ? Le mec des dix commandements... Figure-toi qu'il a encore paumé les tables de la Loi... Il se fait passer un de ces savons à l'heure qu'il est ! Mieux vaut pas rencontrer le Tout Puissant en ce moment.
Ah, je connais, ça. Moi aussi, je perdais tout le temps des trucs, avant.
On a tous perdu quelque chose, ici, ma vieille. La vie ! ajouta-t-il devant mon air d'incompréhension.
Là-dessus, il éclata de rire. J'en fis autant, même si je trouvais son sens de l'humour aussi développé que mon équilibre.
Mais qu'importe. Je vivais - on dit encore « vivre » parce que sinon, dire à tout bout de champ qu'on est mort, c'est drôlement déprimant - tranquillement. Et le cadre était plutôt sympathique. A voir au moins une fois. Vraiment. D'abord, le château. Il n'est pas du tout perché dans les nuages. En fait, il est plus ou moins au sommet d'une très haute montagne, d'après ce que j'ai pu voir lors de mes explorations. Le palais n'est pas en marbre, mais en pierres d'un ocre assez pâle. Le Jardin Bleu est infini. J'ai essayé d'aller jusqu'au bout une fois. Impossible. Et je suis partie une semaine ! César était comme fou à mon retour. Il m'a balancé un truc comme « J'ai cru que t'étais vivante ! » Ça l'a fait mourir de rire pendant vingt bonnes minutes.
Parfois, j'allais au Promontoire du Monde d'En-Bas. C'est de là qu'on peut voir les vivants qu'on a laissé derrière nous. Jules m'a déconseillé d'y aller trop souvent. Et il a plutôt raison. C'est vrai, que ça déprime, de les voir tous exister sans nous. Je demandais souvent à voir Héléna, Septembre, Patt'... Tous. J'allais voir Niallan tous les dimanches, pendant une heure. De onze heure à midi. Heure de la messe. Dire que j'avais cru, quand j'étais vivante, qu'il était mort ! Je me souvenais de la détresse dans laquelle j'avais pu vivre. Alors qu'il était simplement en train de voir d'autres filles... Ce que je voyais de lui me faisait mal. Alors un jour, j'ai cessé d'y aller. Je n'ai pas regardé mon ancien fiancé depuis un mois. C'est trop difficile, de le voir dans les bras des autres femmes. De savoir qu'il m'a menti. Qu'il allait voir ailleurs, même si c'était pour payer des dettes. J'aurais voulu le savoir. Même ça, je crois que j'aurais pu pardonner. Mais pas le mensonge. Mais j'avais toute la mort pour tenter de passer outre. Et puis, honnêtement, je n'avais pas la moindre envie de le voir retomber amoureux d'une autre. Le voir épouser une autre. Le voir avoir des enfants d'une autre. Même s'il y a tout à fait le droit. Je l'inciterais même à se reconstruire, mais je n'avais pas encore la force de le voir de mes propres yeux.
Jules me faisait rencontrer du monde. J'écoutais, bouche bée, les poètes mes déclamer des vers. Je rencontrais Cléopâtre, qui me conseilla d'aller me recoiffer. Autant dire que celle-là, je ne l'aimais pas beaucoup. César m'a même fait rencontrer des Rois, des Reines, des Empereurs et tout ça. J'ai d'ailleurs eu une violente dispute avec Néron.
Et puis le Mont d'Or, c'était chouette. J'avais autant de livres que j'en voulais, autant de peinture et de papier que je pouvais en désirer, et ma chambre donnait sur les Jardins. Le Palais en lui-même évoluait sans cesse. Il s'agrandissait au fur et à mesure que les morts débarquaient. Quand je demandais à Jules comment on ferait quand il n'y aurait plus la place de s'agrandir, il me regarda avec des yeux ronds en me répondant :
Où tu vois une limite à l'infini, toi ?
Evidement, vu comme ça...
Je portais ma robe préférée. La rose, à bretelles larges, que je laçai sur une chemise blanche aux manches s'arrêtant aux coudes. L'ourlet de la robe ne tombait pas plus bas que mes mollets, mais tout le monde s'en fichait. Je n'avais besoin ni de bas, ni de bottines, alors je n'en mettais tout simplement pas. On pouvait aller se baigner à la Cascade des Senteurs. C'était bien, l'eau elle-même sentait la violette. Je ne sais pas trop comment c'est possible, mais comme le dirait César : dans un endroit où tu peux avaler un fût de vin en entier sans être ivre, faut pas s'étonner que l'eau sente la fleur. J'aimais bien la philosophie de l'Imperator.
Je pouvais manger tout ce que je voulais. Je n'avais qu'à le demander en cuisines. Un brasier géant brûlait derrière les fourneaux. La quantité de saucisses que ça pouvait faire griller !
Mais qui alimente ce feu ? demandai-je à César.
On suppose qu'il y a un dragon là-dessous... Mais on n'a pas encore pu le prouver.
Et voilà, à peu près, la vie que je menais depuis que j'étais morte.
Jusqu'à ce jour. Ou ce soir ? On n'a plus très bien la notion du temps, au Mont d'Or. Jules était en train de me raconter une de ses fameuses blagues, lorsque j'entendis comme un soupir. On prononçait mon prénom. Alicina. J'étais si peu habituée à l'entendre - ici, tout le monde m'appelle Al' - que j'en restai coite. Le chuchotement s'était répété... et je me retrouvai transportée ici. Je n'arrivai pas à visualiser exactement le genre d'endroit où j'étais. Les bords étaient un peu flous. Néanmoins, je reconnus sans peine l'homme avachi au bout de la table. Il avait l'air franchement en piteux état.
Je restai plantée là, sans trop savoir quoi faire. Un gros homme passa si près de moi qu'il m'aurait bousculé, s'il ne s'était pas contenté de me traverser. Je fronçai les sourcils, songeuse. Evidemment, je n'avais pas pu revenir à la vie. C'eut été trop beau. Alors qu'est-ce que je faisais là ? Et comment je pouvais seulement m'y trouver ? Je reportai mon attention sur l'homme blond. De toute façon ici, je ne connaissais que lui. J'avais déjà un but. Aller le voir.
Je m'avançai droit vers lui. Je trébuchai légèrement ce faisant, marchant sur mon propre orteil. Mon cur se mit à battre à toute vitesse, et je me pris en pleine figure tout l'amour que j'avais laissé derrière moi. Je n'avais pas cessé de l'aimer, Là-Haut. Mais les sentiments qu'on éprouvent étaient perçus avec moins de force. On sentait, oui. Mais comme à travers un voile qui nous protégeait sans doute du désespoir le plus profond. Et maintenant que j'étais là... Je ressentais à nouveau comme avant. Comme de mon vivant.
Je pris place à côté de lui. Comment aborder quelqu'un quand on est mort ? Ça, même Platon ne pourrait pas répondre. Faudrait que je lui en touche deux mots, en rentrant. Si je rentrai...
Histoire de vérifier quelque chose, je me mis brusquement à hurler. Il n'y eut pas un mouvement. J'avais donc la confirmation de ce que je craignais. J'étais un genre de fantôme. Ou une illusion. Au Mont d'Or, j'existais pour de bon, parce que c'était ma place. Mais ici, ça ne l'était plus. Je poussai un soupir à fendre l'âme. Même ma mort était compliquée.
Pourquoi étais-je ici ? Je m'interrogeai une nouvelle fois sur ce fait étrange.. Doucement, je posai un doigt sur l'avant bras de Niallan. Lui, je pouvais le sentir sous ma peau. C'était d'autant plus étrange que je traversais les autres. Mais pas lui. Et puis, je compris. Ou supposai comprendre. C'était lui qui m'avait appelé. Son désir qui m'avait mise là. Et ce désir était si puissant qu'il me permettait de le toucher sans passer au travers.
Mon Niallan, soupirai-je tristement, persuadée qu'il ne pourrait de toute façon pas m'entendre. Mais qu'est-ce que tu es en train de faire de ta vie, mon amour ?
Une larme roula sur ma joue. J'en fus un peu surprise. Je n'avais pas pleuré depuis ma mort. Mais le voir, là... Si près de moi sans possibilité de lui parler...
Je reniflai. Après tout... Tout ceci n'était peut-être qu'une illusion.