Pepin_lavergne
- [Fin mars/début avril 1464, Poitou]
Il se mit à pleuvoir brusquement, alors que le ciel avait été jusque-là majoritairement bleu, et comme à chaque fois qu'il se trouvait sous une giboulée, Pépin lâcha un juron bien senti. Les bras chargés par des planches de bois qu'il venait d'acheter, l'Auvergnat se précipita vers l'auvent le plus proche, histoire de mettre à l'abri son précieux chargement. Lui qui comptait travailler dehors à la confection d'un lit pour son fils, Thomas, voyait ses plans retardés. Ce qui ne lui plaisait pas du tout.
Il ne fallait pas que son bois s'humidifie, et avec ce temps, ce n'était pas gagné. Peut-être pouvait-il demander au marchand devant chez qui il s'était arrêté de les accueillir, ses planches et lui, le temps de l'averse ? Pépin leva le nez vers l'enseigne qui se balançait au vent et ne put s'empêcher de sourire. Sur un gros chaudron de bois peint en noir, des lettres blanches écaillées annonçaient le nom de l'établissement. « Le Chaudron plein de Bière », ça sonnait plutôt bien, pour une taverne.
L'Auvergnat poussa la porte d'un coup d'épaule et se glissa à l'intérieur avec ses planches. Si le tavernier lui jeta un regard étonné, il ne lui demanda pas de mettre tout son bazar dehors, ce qui arrangeait plutôt Pépin. Il secoua la tête, faisant voleter les gouttes de pluie qui avaient trempé ses cheveux. Appuyant le bois contre un mur, il s'avança vers le comptoir où quelques hommes se tenaient déjà accoudés. Un feu de cheminée crépitait dans l'âtre, réchauffant l'atmosphère de l'auberge, propre et calme. Un bon endroit pour attendre la fin de la pluie, décida Pépin en portant une main à sa ceinture, avant de se raviser. Il avait de quoi payer, ce n'était pas le problème, mais il n'aimait rien tant que de se faire inviter - ce qui n'était qu'une jolie formulation pour dire qu'il préférait se servir dans la bourse de son voisin plutôt que d'ouvrir la sienne. Pépin n'était pas radin, il avait simplement le vice chevillé au corps et les doigts qui le démangeaient perpétuellement.
- Bailar a beure, fit-il au tavernier avant de se reprendre devant son air stupéfait. Une pinte, s'vous plaît.
Il ne parlait plus auvergnat que lorsqu'il était contrarié, et contrarié il l'était puisqu'il pleuvait. Alors pour s'occuper et se mettre de bonne humeur, il écarta habilement les bords de l'escarcelle de son voisin occupé à vider sa chope, plongea en toute discrétion deux doigts et en extirpa trois ou quatre écus. Nul besoin de tout sortir, il ne désirait que payer sa consommation, et dès que celle-ci parut, il fit claquer contre le bois du comptoir les deux écus demandés.
- Sale temps, pas vrai ? lança-t-il, culotté comme pas deux, à celui qu'il venait de voler.
Bizarrement, le visage de l'homme lui rappelait vaguement quelque chose. L'avait-il déjà dépouillé dans le passé ? Un sourire ravi étira les lèvres de Pépin. Il adorait retrouver ses anciennes victimes. C'était toujours agréable de s'en prendre deux fois aux mêmes, ça créait des liens et des habitudes. C'était bon pour le commerce, ça, la fidélité.
Traduction du patois auvergnat :
Bailar a beure : Donnez-moi à boire
Bailar a beure : Donnez-moi à boire
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