Eliance
[Il était une fois, dans une forêt.]
"Eliance, finis ce verre et détache ta robe de ce foutu buisson"
"J'veux pas sortir comme ça !"
"Tous les Poupine de la forêt t'ont déjà vu ! Et j'ai une surprise pour toi !" J'agite mes sourcils, l'air de dire "tu vas voir, ça va te plaire".
La dernière fois qu'on lui a fait une gueule de "Tu vas voir ça va te plaire", elle s'est retrouvée pendue au milieu d'un tournoi de castagne, alors elle hésite."Une surprise, genre... surprise ?"
Répondre à une question comme ça, c'est un peu compliqué, y'a pas beaucoup d'options. "Bois"
Je lui fourre la bouteille sous le nez et disparais dans les fourrés, à la recherche de la surprise.
"Gnagna... gloup... gloup... gnagna..." Eliance râle, boit, râle, boit, boit, râle. Mais surtout, elle boit.
"T'es parti où ?!!! Tu m'abandooooonnes !"
"Fais pas de bruit jusqu'à ce que je t'appelle", que je dis au type planqué derrière le deuxième fourré.
À Eliance, je dis "Chercher ta surprise, bois encore ! Et détache ta foutue robe."
"Quoiiiiii ? elle est d'jà fendue jusque... jusque... jusqu'au centre d'la terre ! Je l'enlève pas !"
Et elle boit, parce que vraiment, sa surprise pue d'ici.
"J'espère que t'es pas en train de sous-entendre que ton nombril est crado, je t'avais dit de prendre une douche", aux deux.
"Mais qu'il est con..." Une main vient se taper sur le front de la roussi-blondasse et elle soupire et elle boit. Toujours. "J'défais quoi ?"
Je repasse la tête derrière l'arbre avec un petit sourire en coin de circonstances et une nouvelle chorégraphie de sourcils.
"Une bretelle, pour faire plus sauvage."
Gémir, c'est bien. Mais gémir d'angoisse, c'est ni le lieu ni l'occasion. "Mais je suis pas sauvageee..."
Ceci étant dit, elle est obéissante, alors elle baisse un tout petit peu une bretelle de son épaule, tenant le reste de la main pour pas que ça choit.
C'est à mon tour de me frapper le front. J'ai un boulot monstre, elle va me tuer.
"Bon, on va dire que c'est parce qu'il faut que tu boives encore, bois encore."
Je jette un coup dil à la surprise, un à Eliance. "T'aimes les italiens et les russes pas vrai ?"
"Euh... oui ?" Elle boit.
Il parle des Italiens et des Russes. "Euh... oui ? mais qu'est-ce que tu fous ! J'commence à flipper, moi !"
Elle boit. Avec un peu de chance, boire lui fera oublier qu'elle a froid, qu'elle a une bretelle de chue et qu'elle flippe.
Je commence par pousser le type qui a cru que je l'appelais, ensuite, je lui adresse un sourire infiniment rassurant.
"Alors un italien russe, ça te plairait encore plus, non ?"
Première nouvelle : boire ne fait rien oublier, ni la peur, ni le reste. Rapido, Eliance se cache de ses mains. Enfin, elle tente.
"Mais c'est qui, ça ?!!!"
Le type est parti du mauvais côté de l'élan de mes mains, forcément. Comme entrée en matière, il s'impose. Lui, c'est un grand brun barbu et costaud, aux yeux MARRONS NOISETTE qui fait un grand sourire. Il est bien habillé, avec une chemise blanche qui laisse apparaître le haut de son torse. Je toussote, l'interrompant peut-être en plein matage.
"Je te présente Rodrigo Volkov".
Sans déconner, il fait 3 degré et voilà deux abrutis sapés comme en plein mois d'août. Non, vraiment, Niallan est fort pour rendre les gens cons.
"Mais... mais... et ma surprise ?! C'pas ça ma surprise !"
Accessoirement, la surprise est pas mal du tout. Mais JAMAIS Eliance ne l'admettra. Et puis dans le noir, on voit pas la couleur des yeux, bordel !
Elle a clairement pas assez bu. Je grimace, j'ai foiré l'évaluation de son taux d'alcoolémie. Je me saisis de deux bouteilles cette fois et les lui tend, comme ça, elle pourra accessoirement éviter de remonter la bretelle qui choit.
Bon, deux bouteilles gratis, ça se refuse pas. Du coup, Eliance, en fille bien élévée (même dans un grenier), les prend, laisse choir ce qu'il y a à choir et boit. Beaucoup. En mode gavage d'oie.
Je fais signe au type de fermer son clapet pour le moment et de se contenter de sourire, il faut que je la prépare. J'attends que les bruits de gavage soient en pause pour lui causer, avec le sourire rassurant de tantôt.
"En fait...je me suis mal exprimé, c'est Rodrigo Volkov qui a ta surprise."
"ah..." Oui, là, ça change tout. Eliance regarde le Rodrigo Volmachin, d'abord en coin et puis plus franchement (merci la bouteille ingurgitée). Même pas elle repense à sa bretelle. Heureusement. Heureusement aussi qu'elle a pas les nichons à la Brigitte Barde-du-Haut, parce que déjà un téton poindrait à la claire lune.
" Alors comme ça, c'vous qui avez ma surprise ?"
Et là, elle sourit comme une quiche, rapport à la quantité d'alcool ingurgité.
Si elle n'a pas les nichons à Brigitte Barde-du-Haut, Rodrigo n'a pas le français de François le français. En fait, il bite pas un moment de ce qu'elle raconte et moi, ça m'étonne d'y comprendre quelque chose. Mais comme je suis un type sympa, je me sens obligé d'éclairer sa lanterne :
"Il parle seulement italien, t'affole pas."
Là, je tapote l'épaule du gars, du genre "vas-y, c'est à toi de jouer maintenant". Roro s'approche de l'autre Roro -Roberte, suivez un peu- et lui cause pendant deux minutes en italien, d'une voix suave, absolument pas flippante. Même pas pour Eliance, du moins c'est ce que j'espère.
Et que fait Roro-berte ? Elle cligne des yeux comme une oie gavée, et donc privée de tout réflexes de survie. Il l'a pas touché, elle a pas crié. Et, on ne sait pas pourquoi, elle sourit encore plus maintenant qu'il lui cause italien. Ça lui rappelle Diego, tout ça, alors elle sourit comme une quiche.
C'est parfait, ils sont lancés. Il manque plus que le cadre pour que l'idée germe dans l'esprit de Roro-l'oie. Ramassant les bouteilles, je tends une main à l'alcoolisée :
"Il vient avec nous, on va ... t'as pas besoin de savoir ! Debout !"
"D'accord." Ouais, parfois, c'est aussi simple que ça. Un peu d'esprit embrumé, l'impression qu'on vous veut du bien, une obéissance à toute épreuve et... une main tendue ? Là, Eliance fronce le nez. Faut pas déconner. Elle ignore la main et se lève par ses propres moyens, offrant peut-être à Roro ou Nini une vue sur le dessous de ce qui a chu. Et puis elle suit, docilement. Elle a bien l'impression que la route n'est pas droite, mais ne se demande pas si c'est la route ou une simple impression.
J'aurais tellement aimé que ce soit Roro qui voit le dessous de la bretelle. Mais ce fut moi. J'ai retenu un cri, les yeux écarquillés, et sur tout le trajet, j'ai picolé, pour oublier. Diego me tuerait, il y a le pacte, je devrais me flageller. Je vais gerber. Merde, j'ai peut-être un peu trop bu. Avant d'arriver au bordel, n'importe qui saurait où on va : la musique, les cris. Mais Eliance non, elle saura pas. Du coup, même quand on arrive pile devant le machin, avec les types qui tripotent -et autres- des donzelles dans la rue, des échanges d'argent, je me sens obligé de demander:
"Tu sais où on est ?"
Question con, bien sur qu'elle sait où ils sont. "Han, t'as vu la belle lanterne rouge ?!! Niallan, re-gar-deeee !"
Elle lui aurait bien choppé le bras pour qu'il lève les yeux sur la lanterne, mais le toucher, même bourrée, reste pas possible possible. Du coup elle se contente de s'agiter devant lui pour attirer son attention.
Parfois, quand je suis avec Eliance, j'ai l'impression d'être avec une môme de trois ans. Et c'est sacrément glauque. Ajoutez à ça le cadre qu'il faut et vous comprendrez que j'ai à nouveau trop forcé sur la bouteille et que j'ai pas eu la force d'aller voir la lanterne. J'ai parlé à Roro, ou plutôt: je lui ai montré Eliance, la porte et j'ai ouvert cette dernière pour me faufiler à l'intérieur. Le fameux Roro a donc offert son bras à Rorete et a tenté de s'exprimer. Sauf que c'était en italien alors de toute façon, on comprendrait pas.
C'est dans des instants pareils que Eliance regrette de ne pas avoir demander des cours particuliers à Diego. Non, c'est vrai, quoi. Ça sert à quoi de rester mariée deux ans à un italien infidèle si c'est pas pour connaitre les méandres de la langue italienne ? Alors RoRo-berte fronce le nez, regarde Niallan en mode "quéquidit", se doute qu'il pige que dalle et puis de toute façon, elle a lancé son regard à un dos, donc elle finit par suivre le dos, tout en ignorant une main pour la seconde fois de la soirée, offrant par la même occasion son cul à la vue italienne. Mais ça, elle n'y a pas pensé.
Arrivé dedans, elle s'arrête. C'est que c'est quand même sombre tout ça.
"Niallan ?... Dis... ils manquent de chandelles ?"
Et là, elle plisse les yeux comme tous ces gens cons qui pensent que, éventuellement, ça peut aider à voir, d 'avoir les yeux mi-clos.
On ne saura pas ce qui est passé dans la tête de Vovo quand il a vu le fessier, ni dans la mienne quand elle a causé de chandelles. J'ai décidé d'ignorer sa question, ai poussé une chaise recouverte de drôles de résidus vers ses genoux -la faisant donc asseoir contre son gré- et ai fait signe à Vovo d'en faire de même. J'ai bu, je lui ai tendu la bouteille, je me suis ravisé, j'ai bu encore et je lui ai tendu à nouveau la bouteille.
"Disons qu'actuellement, la seule chandelle, c'est moi qui la tiens. Mais ça va s'arranger..."
Je disparais un petit moment, laisse l'italien-russe déblatérer en italien-tout-court et me ramène avec une fort jolie blonde qui sassoit elle aussi à notre table. Je regarde Eliance, incline la tête sur le côté.
"Alors, ça te plaît ?"
"Chandelle... t'as beau avoir une tête de tournesol, t'es loin d'illumi..."
Il s'est barré, le con. Et l'Italien a cru bon de combler le vide. Eliance a refroncé le nez, a rien compris, a bien bu, a regardé revenir le blond et... une blonde, a cru qu'ils ont besoin d'être à plusieurs blonds pour faire de bonnes chandelles, a refroncé le nez, a trouvé ça bizarre, a cru qu'il fallait répondre à la question, là, maintenant.
"Ben... c't un peu bruyant. Tu sais, j'ai un peu d'mal avec les grands foules. Mais bon, on boit bien. Et puis y va y avoir une surprise, alors ça peut pas être trop mal, non ?"
En fait, une parcelle d'elle flippe encore et toujours. Mais elle boit, hein.
C'est désespérant. Heureusement que j'ai une multitude de plans. Il faut qu'on applique le suivant, maintenant. J'abandonne les caresses sur la cuisse de ma voisine et me relève. Je fais le signe à Roro : un poing fermé qui frappe sur une main, à l'abri du regard d'Eliance qui a, fort heureusement, le nez dans la bibine. Je vais vers le comptoir, glisse quelques mots à l'oreille d'un type ainsi que quelques écus dans sa chemise. L'air de rien, je me ramène et affiche un grand sourire.
"Tu sais, la grosse insulte qu'on dit sur les mamans, elle irait très bien ici. Fils de... On ne saurait même pas qui ça vise." Je me tourne vers la blonde, lui souris. "Sans vouloir t'offenser."
C'est à ce moment-là que le type du comptoir se ramène et chope les seins qui n'ont rien à voir avec ceux de Brigitte Barde-Du-Haut. C'est aussi à ce moment-là que Roro-Vovo se lève et colle une énorme gnon au pervers, vociférant en italien. Et moi j'attends de voir l'effet.
L'effet produit est similaire au kiss-cool. D'abord ça pique et après on aime bien. Eliance lance un regard hyper noir (en même temps dans la pénombre,on fait rarement des regards clairs), et un regard doux à son défenseur du soir. Et même un sourire. Ouais, un de ces sourires niais par excellence, en mode "il m'a défendu, monsieur muscle". La remarque débile de Niallan n'a pas pris sur elle. En même temps, parler de fils de aheum n'est pas son fort. Alors elle sourit encore à l'Italien et puis aussi à Niallan.
"T'as vu ?"
Faut pas croire, c'est pas parce que je me fous de sa gueule que j'écoute pas ce qu'elle dit. J'ai cherché longtemps avant de sélectionner ce type. D'ailleurs, le fait qu'il parle pas français n'est pas un hasard: il ne fuira pas en entendant parler Eliance et elle, elle ne s'inquiétera pas de pas le comprendre. Je joue tout de même le type étonné et hoche la tête, dans un sourire appréciateur.
"J'ai entendu que ce gars-là avait tendance à réagir impulsivement, on raconte même qu'il a fait l'amour à son ancienne femme près du type qui avait essayé de la violer. Dingue, hein ? Bon, la nana est morte, depuis, enfin, disparue. Mais il a besoin d'argent, alors...Tu connais la suite. Enfin, non. Bois plus."
Je trinque avec elle, lui fais un clin dil et siffle mon verre d'un trait, un bras autour des épaules de ma blonde du soir.
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© JD Calyce ♥