Fleur.des.pois
{Arrête de te torturer, Niallan. Je suis là pour ça.}
Le voyage avait été long et passablement pénible. Fleur avait oublié à quel point les gens étaient bruyants et excités quand ils quittaient leur petit train-train quotidien. Déjà, sur le navire, cela avait été particulièrement agaçant, mais dans la voiture tirée par quatre chevaux pourtant énergiques, ç'avait été l'enfer. Pourtant, question enfer, Gaïa s'y connaissait plutôt bien.
- Cavolo mio, veux-tu bien donner à boire à ces pauvres gens ?
Et Fleur, avec une négligence que seule l'opulence pouvait offrir, avait tendu une gourde à son fils. Drago, après un regard étonné à sa mère, avait esquissé un fin sourire en réponse à celui que lui adressait Gaïa. La gourde avait tourné rapidement, le vin qu'elle contenait étant de meilleure qualité.
Lorsqu'elle était sortie après Drago, elle avait jeté une pièce au cocher en désignant l'intérieur de la voiture.
- Vos voyageurs dorment encore, la route les aura épuisé.
En effet, les têtes penchées sur les bustes qui se levaient au rythme lent d'un sommeil provoqué par le sédatif ajouté au vin tendaient à le prouver.
Le temps de trouver une auberge digne de ce nom, et les deux Corleone étaient prêts à recevoir - et à être reçus. En premier lieu, visiter sa vieille mère adoptive malade, qui n'en avait plus pour très longtemps. Fleur n'offrit aucun soulagement. Elle avait aimé cette femme, mais pas assez pour lui proposer d'apaiser ses souffrances. Elle avait fini par l'abandonner. Elle méritait son pardon, mais pas totalement non plus. Ensuite - et cette idée l'amusait au plus haut point - prévenir d'un court billet à certaines personnes qu'elle était de retour. Et qui serait sa première victime ?
Cette question trouva réponse quelques jours plus tard, dans la même chambre de l'auberge huppée où elle avait porté son dévolu sur son premier destinataire. Fleur, encore en chemise, présenta à son fils une tenue noire, élégante mais sobre, de bonne facture cependant. Le garçon grogna, visiblement peu content.
- Mamma, pourquoi je dois mettre ça ?
- Nous sommes en deuil, mon chéri, répondit sa mère.
- Je le sais bien. Mais il ne mérite pas que je sois bien mis...
- Tout au contraire, mon louveteau, rétorqua Gaïa en plaquant devant elle sa nouvelle robe de deuil. N'oublie pas que nous sommes tout et qu'il n'est rien. Si on vient comme des pouilleux, nous n'aurons pas la supériorité visuelle. Les détails sont importants, Drago, n'oublie jamais ça, ajouta-t-elle en saisissant son visage enfantin entre deux doigts.
Grognant toujours, Drago se changea néanmoins sans plus protester. Sa mère savait ce qu'il convenait de faire. Elle avait plus de pratique, après tout.
Gaïa, satisfaite de le voir s'exécuter, enfila à son tour la tenue qu'elle s'était choisie. Il s'agissait d'une robe noire dégageant les épaules et valorisant grandement le décolleté, aux broderies de fils d'or, dont les manches se terminaient en pointe sur le dos de la main. Resserrée à la taille, les jupons s'occupant de gonfler le tissu autour de ses jambes, la robe était superbe et Fleur la portait bien. Cela faisait bien des années qu'elle n'avait pas pris plaisir à s'apprêter de la sorte. Bien sûr, lors des réceptions que donnait son époux, ou celles auxquelles il participait, elle portait toujours des robes époustouflantes. Elle mettait ses charmes au service des affaires de son mari et s'en sortait bien. Mais chercher sciemment à séduire, cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Depuis ses épousailles, en vérité.
- Drago, tu es prêt ?
Le garçon acquiesça, un air indifférent au visage. Il poussa un soupir en se levant.
- Mamma, tu m'as toujours dit de haïr cet homme plus que tout au monde. Pourquoi chercher à lui plaire ?
Gaïa gloussa et embrassa son fils sur les deux joues, avant de prendre place sur une chaise.
- Parce que, mon chéri, la meilleure façon d'atteindre une personne c'est de connaître ses faiblesses. Mon ange, tu es son fils, tu es sa faiblesse. Et j'ai été sa femme. Je sais qu'il a en tête l'image d'une famille heureuse et parfaite. Et je puis lui faire croire qu'il y a accès. Ainsi, lorsqu'il aura confiance en nous, nous pourrons en faire ce que nous voudrons. Puis le jeter quand on en aura marre. Le renvoyer à un état pire que la mort, mon coeur. Et tu vois, c'est ça, en fait, qui est vraiment amusant.
Gaïa sourit largement et attira son fils contre elle. Drago se blottit dans ses bras, le même sourire aux lèvres que celui qui ornait le visage de sa mère. En bas, la domestique avait ordre de les prévenir lorsque l'homme à qui elle avait écrit entrerait dans l'auberge. Parce que Fleur ne doutait pas un seul instant qu'il allait venir.
Niallan avait toujours été extrêmement prévisible.
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Citation:
- Paris,
Le 15 Septembre 1464
Niallan,
Je suis de retour en ville. Avec notre merveilleux petit garçon, mon tendre Drago. Je sais que la trop courte rencontre entre vous vous a laissé un goût amer à tous deux et je suis décidée à changer cela. Pas pour toi, je n'ai aucune considération pour ta personne. Mais mon fils est revenu perturbé et mal dans sa peau. Je ne le supporte pas.
Profitant du décès imminent d'une amie d'autrefois pour retourner en France, je serai enchantée de te revoir en chair et en os pour au moins que mon garçon adoré puisse tenter d'être plus heureux qu'il ne l'est. Nous ne sommes pas obligés de nous voir. Mais tu sais tout comme moi ce que c'est que de grandir sans père. Et même s'il m'a, moi, il arrivera bientôt à un âge où une mère ne pourra pas lui suffire. Ce ne sera pas avant plusieurs années, certes. Mais au cas où, s'il a des questions sur sa masculinité, je veux que ce soit son véritable père qui lui explique cela. Même si ce père... Enfin, ce n'est que toi.
Je loge au Faisan Doré, à Paris. C'est un quartier bourgeois, charmant. Alors ne fais pas honte à ton fils. Et évite de boire, fumer, et de t'envoyer la tavernière avant de nous rencontrer. Tu seras un ange.
A dans deux jours.
Gaïa
* Titre et citation : la famille Addams (légèrement modifiée, la citation)
Cavolo mio = mon chou
Mamma = Maman
Cavolo mio = mon chou
Mamma = Maman
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