Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

RP - Ce soir, laisse-nous te pourrir la vie *

Fleur.des.pois
{Arrête de te torturer, Niallan. Je suis là pour ça.}


Le voyage avait été long et passablement pénible. Fleur avait oublié à quel point les gens étaient bruyants et excités quand ils quittaient leur petit train-train quotidien. Déjà, sur le navire, cela avait été particulièrement agaçant, mais dans la voiture tirée par quatre chevaux pourtant énergiques, ç'avait été l'enfer. Pourtant, question enfer, Gaïa s'y connaissait plutôt bien.

- Cavolo mio, veux-tu bien donner à boire à ces pauvres gens ?


Et Fleur, avec une négligence que seule l'opulence pouvait offrir, avait tendu une gourde à son fils. Drago, après un regard étonné à sa mère, avait esquissé un fin sourire en réponse à celui que lui adressait Gaïa. La gourde avait tourné rapidement, le vin qu'elle contenait étant de meilleure qualité.
Lorsqu'elle était sortie après Drago, elle avait jeté une pièce au cocher en désignant l'intérieur de la voiture.

- Vos voyageurs dorment encore, la route les aura épuisé.

En effet, les têtes penchées sur les bustes qui se levaient au rythme lent d'un sommeil provoqué par le sédatif ajouté au vin tendaient à le prouver.

Le temps de trouver une auberge digne de ce nom, et les deux Corleone étaient prêts à recevoir - et à être reçus. En premier lieu, visiter sa vieille mère adoptive malade, qui n'en avait plus pour très longtemps. Fleur n'offrit aucun soulagement. Elle avait aimé cette femme, mais pas assez pour lui proposer d'apaiser ses souffrances. Elle avait fini par l'abandonner. Elle méritait son pardon, mais pas totalement non plus. Ensuite - et cette idée l'amusait au plus haut point - prévenir d'un court billet à certaines personnes qu'elle était de retour. Et qui serait sa première victime ?

Cette question trouva réponse quelques jours plus tard, dans la même chambre de l'auberge huppée où elle avait porté son dévolu sur son premier destinataire. Fleur, encore en chemise, présenta à son fils une tenue noire, élégante mais sobre, de bonne facture cependant. Le garçon grogna, visiblement peu content.


- Mamma, pourquoi je dois mettre ça ?
- Nous sommes en deuil, mon chéri, répondit sa mère.
- Je le sais bien. Mais il ne mérite pas que je sois bien mis...
- Tout au contraire, mon louveteau,
rétorqua Gaïa en plaquant devant elle sa nouvelle robe de deuil. N'oublie pas que nous sommes tout et qu'il n'est rien. Si on vient comme des pouilleux, nous n'aurons pas la supériorité visuelle. Les détails sont importants, Drago, n'oublie jamais ça, ajouta-t-elle en saisissant son visage enfantin entre deux doigts.

Grognant toujours, Drago se changea néanmoins sans plus protester. Sa mère savait ce qu'il convenait de faire. Elle avait plus de pratique, après tout.
Gaïa, satisfaite de le voir s'exécuter, enfila à son tour la tenue qu'elle s'était choisie. Il s'agissait d'une robe noire dégageant les épaules et valorisant grandement le décolleté, aux broderies de fils d'or, dont les manches se terminaient en pointe sur le dos de la main. Resserrée à la taille, les jupons s'occupant de gonfler le tissu autour de ses jambes, la robe était superbe et Fleur la portait bien. Cela faisait bien des années qu'elle n'avait pas pris plaisir à s'apprêter de la sorte. Bien sûr, lors des réceptions que donnait son époux, ou celles auxquelles il participait, elle portait toujours des robes époustouflantes. Elle mettait ses charmes au service des affaires de son mari et s'en sortait bien. Mais chercher sciemment à séduire, cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Depuis ses épousailles, en vérité.


- Drago, tu es prêt ?

Le garçon acquiesça, un air indifférent au visage. Il poussa un soupir en se levant.

- Mamma, tu m'as toujours dit de haïr cet homme plus que tout au monde. Pourquoi chercher à lui plaire ?


Gaïa gloussa et embrassa son fils sur les deux joues, avant de prendre place sur une chaise.

- Parce que, mon chéri, la meilleure façon d'atteindre une personne c'est de connaître ses faiblesses. Mon ange, tu es son fils, tu es sa faiblesse. Et j'ai été sa femme. Je sais qu'il a en tête l'image d'une famille heureuse et parfaite. Et je puis lui faire croire qu'il y a accès. Ainsi, lorsqu'il aura confiance en nous, nous pourrons en faire ce que nous voudrons. Puis le jeter quand on en aura marre. Le renvoyer à un état pire que la mort, mon coeur. Et tu vois, c'est ça, en fait, qui est vraiment amusant.


Gaïa sourit largement et attira son fils contre elle. Drago se blottit dans ses bras, le même sourire aux lèvres que celui qui ornait le visage de sa mère. En bas, la domestique avait ordre de les prévenir lorsque l'homme à qui elle avait écrit entrerait dans l'auberge. Parce que Fleur ne doutait pas un seul instant qu'il allait venir.
Niallan avait toujours été extrêmement prévisible.


______


Citation:

    Paris,
    Le 15 Septembre 1464

    Niallan,

    Je suis de retour en ville. Avec notre merveilleux petit garçon, mon tendre Drago. Je sais que la trop courte rencontre entre vous vous a laissé un goût amer à tous deux et je suis décidée à changer cela. Pas pour toi, je n'ai aucune considération pour ta personne. Mais mon fils est revenu perturbé et mal dans sa peau. Je ne le supporte pas.

    Profitant du décès imminent d'une amie d'autrefois pour retourner en France, je serai enchantée de te revoir en chair et en os pour au moins que mon garçon adoré puisse tenter d'être plus heureux qu'il ne l'est. Nous ne sommes pas obligés de nous voir. Mais tu sais tout comme moi ce que c'est que de grandir sans père. Et même s'il m'a, moi, il arrivera bientôt à un âge où une mère ne pourra pas lui suffire. Ce ne sera pas avant plusieurs années, certes. Mais au cas où, s'il a des questions sur sa masculinité, je veux que ce soit son véritable père qui lui explique cela. Même si ce père... Enfin, ce n'est que toi.

    Je loge au Faisan Doré, à Paris. C'est un quartier bourgeois, charmant. Alors ne fais pas honte à ton fils. Et évite de boire, fumer, et de t'envoyer la tavernière avant de nous rencontrer. Tu seras un ange.

    A dans deux jours.

    Gaïa





* Titre et citation : la famille Addams (légèrement modifiée, la citation)
Cavolo mio = mon chou
Mamma = Maman

_________________
Niallan
[Ce fut comme un séisme qui rase tout
Ah oui du grand banditisme, tout a tremblé chez nous*]


Ce séisme-là est situé à neuf sur l'échelle de Richter. Rien de plus puissant en théorie. Il a tout ravagé sur son passage, à commencer par ma tronche qui est passée d'un large sourire guilleret à une bouche ouverte façon carpe. Pour les couleurs, on sera passés d'un rose bonheur à un rouge fureur, en passant par un blanc livide.

Les mains tremblantes et le cœur battant, je relis pour la énième fois la missive. Aucun doute, c'est bien elle. J'ai eu envie de nombreuses fois de la revoir, tout comme j'ai souvent privé pour ne plus jamais la recroiser. Du coup, je suis assez mitigé.
Ma première envie est de l'envoyer paître dans de lointains pâturages en lui souhaitant de devenir aussi grosse que les vaches qu'elle y croisera. Mais je le fais pas. Elle connaît mes faiblesses et sait parfaitement les exploiter. Notre fils a toujours été mon talon d'Achille. J'ai beau savoir que tout ce qu'elle a écrit à son sujet est un tissu de mensonges, je ne peux m'empêcher d'espérer. Je me dis que peut-être, s'il apprend à me connaître, il m'aimera. Je soupire et replie la missive que je glisse dans un pan de ma chemise.

En parlant de chemises, justement, vous savez combien de temps il m'a fallu pour me préparer ? Environ deux heures. Deux heures de dur labeur. Deux heures au cours desquelles j'ai pris un bain, taillé ma barbe et coiffé mes cheveux. Deux heures durant lesquelles j'ai essayé une dizaine de tenues différentes avant d'opter pour un combo fatal de noir et blanc. Une chemise blanche juste lavée de bonne qualité, des braies noires bien ajustées et des bottes de cuir noir.
Et attendez que je vous parle de la corvée accessoires !

Je fais rouler mon alliance, souvenir de mon bref mariage avec Alaynna, entre mon pouce et mon index. Je pourrais la mettre pour nos retrouvailles à Paris, comme ça elle verrait que j'ai refait ma vie, peut-être même que ça la rendrait jalouse. A cette pensée, l'anneau d'or est immédiatement passé à l'annulaire gauche. Et puis comme ça elle me verra moins comme un minable qui n'a rien pu accomplir sans elle. Oui mais si elle s'aperçoit que j'ai à nouveau divorcé, qui plus est si elle est informée de la faible durée de ce mariage -même pas un mois-, je suis bon pour qu'elle se paie ma tronche et me range définitivement dans la catégorie « looser ». Je pousse un profond soupir et me masse les tempes, en pleine réflexion. C'est au cours de cette séance d'intense cogitation que se dessine un autre argument en faveur de la nudité de mon annulaire : si elle sait -et elle finira forcément par savoir- elle va penser qu'elle compte encore beaucoup trop pour moi.

Rhaaa, c'est pas possible, je l'ai même pas encore revue qu'elle commence déjà à me les briser !

D'un mouvement rageur, je balance l'alliance dans un coin de la piaule pour ajouter un petit côté mélodramatique à la scène. Je réalise quelques minutes après ce que je viens de faire et me mets à quatre pattes pour retrouver la bague, marmonnant des insanités à propos d'une italienne qui aurait mieux fait de rester dans son bled et d’assaisonner ses repas de cyanure. Quand je retrouve la bague, j'ai les nerfs prêts à lâcher. J'ai besoin d'une bière et d'une pipe -d'opium, calmez vos ardeurs-. Oui mais elle a dit « évite de boire, fumer ». Profondément agacé, j'envoie un coup de pompe dans une pierre sur le chemin menant à la taverne.

Je t'emmerde, t'as pas à me dire ce que je dois faire !
Petit coup d’œil à la jeune fille brune qui me fait face avec des yeux écarquillés. Euh, pas vous mademoiselle. Je parlais à...laissez tomber.

Dans un sourire forcé, je reprends le chemin du village. Y'a toujours eu qu'elle pour me mettre dans des états pareils. Je passe une main dans mes tifs et me prends à penser « Faut qu'on arrête on s'épuise -tout- Faut qu'on se sauve à présent -rien- »*. C'est avec cet air dans la tête que je m'installe au comptoir de la taverne de la bande et commande une pinte. A la moitié du breuvage, ça va déjà mieux et ça va définitivement bien quand mon meilleur ami se ramène et m'en offre une deuxième.

Je vais retrouver mon ex-femme.
Laquelle ?
L'italienne.
Sois plus précis.
L'empoisonneuse.
C'est une garce Niallan, si elle revient dans ta vie elle va la bousiller et tu le sais. Souviens-toi de vos mois de mariage...
C'était un carnage. Mais cette fois ce sera différent.
Ahah, si tu savais. Je serai sur mes gardes et je veux juste voir mon fils. Puis je vous ai vous, pour quand elle me rendra barge.
En parlant de ça, je vais bientôt partir avec Dae.
Quoi ? Tu te fous de moi ? Tu m'abandonnes au moment où j'en ai le plus besoin ?! **


Je passe sous silence mes vaines tentatives de le convaincre de rester, alliant supplications et négociations. Venons-en directement à mon départ à la fin de la troisième pinte -j'ai pas fumé, faut bien me rattraper- après une accolade au poto et la promesse qu'il prendra soin de Neijin en mon absence. Il est censé lui dire que je vais faire « une course », histoire de pas l'inquiéter avec la mention d'une ex-femme aussi tordue que tortionnaire.

---

Petite ellipse parsemée de « hips » pour en venir à l'apocalypse.

Quand j'arrive devant la porte du faisan doré, j'ai l'impression d'être un bon gros faisan justement. A mon grand désespoir, je suis complètement sobre et respecte ainsi toutes ses exigences. Pestant contre ce que j'assimile à de la tyrannie, je mâchonne une feuille de menthe et arrange mes cheveux devant la fenêtre. Et puis je passe la porte. Je vois une femme se précipiter à l'étage et comprends que le choc des Titans est pour bientôt. J'ai le cœur qui bat un peu trop fort, les mâchoires crispées. Je flippe, je me dis...

Bien sûr que l'on voudra retenir -rien-
Regoûter de l'autre les bras -tout-
Peut-être même tenter de revenir -tout-
Bien sûr que l'on voudra tout ça -rien- *


Mais ça se fera pas.
Parce que pour la première fois de ma vie, je suis fidèle. Même que je vais l'épouser et lui faire plein de bébés.
Parce que je me souviens de tout, de nous. Je revois les crises de colère et de larmes, je repense aux manipulations et chantages. J'entends nos cris et ressens nos ressentiments, je me souviens de la colère, de la douleur et de la tristesse.
Je ferme les yeux. Plus jamais ça.
Je les rouvre. Qu'est-ce que je fous là ?


*Louise Attaque – Du grand banditisme
**Paroles rapportées avec l'accord de JD Diego

_________________

Bannière réalisée par les grands soins de JD Calyce.
Fleur.des.pois
{Tu peux gueuler, tu peux gémir [...]
Tu peux te balancer, tu peux te débattre
Tu peux charmer ce qu'il reste de ma raison
Ça m'est égal}


La porte de la chambre s'ouvrit doucement après que le visiteur eut toqué discrètement. La petite servante fit bientôt face aux Corleone et s'inclina d'un air intimidé. Ils n'étaient pas particulièrement rassurants, dans leurs vêtements noirs, avec leurs mines étranges. Leur sourire, en particulier, n'inspirait ni joie ni bonheur, mais donnait plutôt froid dans le dos de la malheureux Mariette. Elle bafouilla quelques mots et Gaia se leva gracieusement la congédiant d'un geste désinvolte.

- Mon chéri, c'est le moment de passer à l'offensive. N'oublie pas. Tu es à la fois en colère après lui, mais également intrigué. Presque comme s'il te faisait un peu peur. Montre-moi.


Drago s'exécuta aussitôt. Si d'autres mères apprenaient la vertu à leur fils, la sienne lui avait enseigné l'art de la manipulation. Ce qui était bien plus utile en ce monde que d'être honnête et serviable. Le petit garçon se composa l'attitude parfaite : sourcils légèrement froncés, moue boudeuse comme s'il avait envie d'être ailleurs, épaules légèrement voûtées, il jeta à sa mère un regard furtif et légèrement craintif. Fleur applaudit aussitôt des deux mains.

- Tu es parfait. N'oublie pas de me dire quelque chose en italien. Il n'a jamais vraiment saisi cette langue. Je m'occupe de la traduction. Maintenant, allons-y.

Gaia releva le bas de sa robe et traversa, la tête haute et les épaules bien droites, le couloir qui menait vers les escaliers. D'un pas majestueux, elle descendit chaque degré comme s'ils menaient au trône qu'elle pensait bien siéger un jour. Son fils, juste derrière elle, la suivait comme son ombre, l'air assez convainquant dans son rôle de garçon hésitant. Enfin, tous deux parvinrent à la salle principale, meublée avec soin de petites tables nappées de blanc.

Il était là. Fleur, qui au départ engloba la silhouette de son ex-mari comme s'il s'était agi d'un meuble particulièrement inintéressant, posa enfin les yeux sur lui. Et en son for intérieur, elle déblatéra les plus grossiers jurons que comptaient la langue française et italienne. Les traits de son visage n'exprimaient rien de la colère qui l'assaillit presque immédiatement. Elle resta de marbre, son sourire le plus mutin aux lèvres, les yeux pétillant d'un mélange d'indécence et de feu, comme deux billes pleines de promesses de nuits brûlantes. L'encolure de sa robe, qui dégageait les épaules, mettait en valeur les atouts féminins qu'elle avait toujours possédé semblait-il, et qui avaient autrefois tellement ravis le père de son fils. Elle était belle, comme autrefois, peut-être plus encore, d'une certaine façon. Même si elle avait aujourd'hui juste vingt-quatre ans, et non plus seize. C'était aujourd'hui une femme, une femme accomplie et riche, qui relevait ses longs cheveux en un chignon bas, sur la nuque, plein de perles dorées, pour aller avec les broderies de sa robe.


- Niallan, fit-elle en s'approchant, commandant à son fils d'un mouvement de poignet de rester en retrait.

Il n'avait pas changé. Il avait vieilli bien sûr, mais le temps ne l'avait pas marqué comme d'autres - comme il avait pu marquer Giacomo. Il avait toujours ses cheveux blonds et toujours ses yeux bleus, et il la dominait toujours de sa taille, elle qui n'avait pas grandi d'un pouce, restant aussi petite que le jour de son départ, près de six ans auparavant.

Six ans. Elle ne l'avait pas vu depuis six années. Gaia avait oublié à quel point il pouvait être beau, parfois. Souvent, même. Trop souvent d'ailleurs. Elle avait oublié la couleur exacte de ses yeux, la forme de sa bouche, son port de tête et son air négligé qui faisait fondre toutes les femmes. Elle-même avait fondu, son fils en était la preuve. Elle avait aimé à en mourir cet homme agaçant et détestable pourtant. Et alors qu'elle le regardait avec une intensité peu commune, elle se souvint dans un frisson à peine perceptible que ces mains-là s'étaient promenées sur son corps et qu'elle les avait réclamé.

Grand Dieu, songea-t-elle en se rapprochant encore. Ce n'était pas le moment de devenir sentimentale. Elle était venue là pour lui arracher les yeux - à sa manière toujours très détournée - pas pour lui offrir une partie de jambes en l'air. Son esprit se révolta contre cette idée. Ou plutôt, son esprit se révolta contre sa première inclination, qui lui soufflait qu'elle pourrait très bien lui arracher les yeux après ladite partie de jambes en l'air. Drago était derrière elle, et Drago était en train d'apprendre les mille et unes façons de briser les parties de son père. Ce n'était pas le moment de se détourner de cet objectif.


- Cela fait bien trop longtemps, en vérité. Tu as toujours l'air de sortir d'une fosse commune, dis-moi.

Parvenue à sa hauteur, elle posa une main fine sur l'épaule de Niallan, se hissa sur la pointe des pieds, et ne déposa rien de moins qu'un baiser sur ses lèvres, son corps plaqué contre le sien comme par inadvertance. Fleur se recula l'air de rien, son agaçant sourire aux lèvres. Le goût de ses lèvres aussi, elle l'avait oublié. Tudieu, c'était bien trop agréable pour être honnête, et elle s'y connaissait, en malhonnêteté ! Gaia resta là un petit moment, sa main remontant vers la nuque du blond, avec l'air de vouloir l'embrasser à s'en décrocher la mâchoire. Puis, la partie d'elle-même qui n'était pas sous le joug du potentiel séduction du père de son fils lui intima de reprendre son jeu là où elle l'avait laissé.
Elle se tourna vers Drago et l'invita à s'approcher, sans pour autant la rejoindre tout à fait. Tout cela ayant été orchestré des heures auparavant, le petit garçon savait exactement quoi faire.


- Drago, je te présente de façon très officielle ton père. Tu l'as rencontré brièvement, puisque je t'ai rappelé près de moi terriblement vite.
- Peccato che non sia ancora morto.


Gaia fronça les sourcils, comme si elle avait été atteinte dans son âme de mère.

- C'est un engagement que j'ai toujours voulu honorer avant cela, figlio mio.
- Lei mi deve un cavallo per il mio prossimo compleanno.
- Je te l'avais promis, mon ange.


Ils discutaient, chacun dans une langue différente, sans se quitter des yeux. Ils semblaient tous deux avoir totalement oublié la présence de Niallan. Drago se racla la gorge et fit un pas vers sa mère, qui le serra contre elle. Puis, dans un léger frisson, elle se tourna de nouveau vers Niallan, comme sortant à moitié d'un songe captivant.

- Notre fils, vois-tu, pensais que je ne tiendrais pas la promesse que je lui ai faite lors de son dernier anniversaire. Il pensait qu'il n'aurait l'occasion de nous voir tous les deux côte à côte que le jour de ta mort. Je lui ai promis de...

Elle hésita, ou sembla hésiter, parfaite dans son rôle de mère partagée entre un profond ressentiment envers le père de son enfant et les désirs de ce même enfant.


- Je lui ai promis de lui faire voir... De lui prouver... Que nous l'avons conçu dans l'amour. Feu mon mari a lâché des mots très durs quelques jours avant les huit ans de Drago et... Depuis il est persuadé que nous ne nous aimions pas quand nous l'avons conçu. En vérité, c'est pour ça que je t'ai demandé de venir. Je sais que notre mariage s'est terminé assez mal, mais sans vouloir être ton amie pour autant, j'aimerais que mon fils ait la certitude qu'il est ici, en ce monde, parce que je l'ai voulu autant que toi.


Fleur posa un regard ferme sur Niallan, Drago caché derrière ses jupes, une partie de son visage visible derrière l'opulence de tissus. Elle ne souhaitait pas être son amie, certes non. Gaia l'avait compris presque tout de suite. Cet homme énervant lui faisait, bien malgré elle, beaucoup trop d'effet. Cette nouvelle donne entre les mains, son sourire ravageur aux lèvres et sa carte maîtresse dissimulée juste derrière elle, l'Empoisonneuse ne faisait qu'esquisser une machination qui pourrait bien plaire à la fois à son esprit de vengeance qui lui offrait des images de Niallan souffrant mille morts à ses pieds, et à son esprit basique qui lui hurlait à la rendre folle de lui arracher sa chemise sur le champ et d'envoyer Drago dans sa chambre jouer avec ses potions deux ou trois heures durant.


The Kills - Future Starts Slow
- Dommage qu'il ne soit pas encore mort.
- Tu me dois un cheval pour mon prochain anniversaire.

_________________
Niallan


Quand j'entends des pas descendre l'escalier, je reste de dos. Je suis pas prêt. Contrairement à elle, je n'ai rien préparé d'autre que ma tenue et une éventuelle fuite. Déglutissant difficilement en sentant les pas se rapprocher, je jette des coups d’œil insistants à la porte. Faut que je me tire. Les autres ont raison, j'ai assez de mômes comme ça et mes divers échecs suffisent à prouver qu'il faut que j'arrête d'essayer. Il faut que je parte, maintenant. Que je rejoigne Neijin et lui fasse cette demande en mariage que je prépare depuis des semaines. Quand elle aura dit oui, on fera une grande fête où l'alcool coulera à flots. J'oublierai sa lettre, cette escapade à Paris, on sera tellement saouls que j'en oublierai jusqu'à mon prénom... Lorsqu'elle le prononce, j'ai le cœur qui rate un battement. Sa voix n'a pas changé et me cloue sur place, annihilant toute volonté de fuite. Ça promet. Dents serrées, j'en viens à prier un dieu en qui je ne crois pas en ces termes « pitié seigneur, faites qu'elle soit devenue moche ». Le temps de me composer un sourire de circonstances et je me retourne.

Fleur...

Et merde.
Pourquoi faut-il qu'elle soit aussi belle ? Hein, pourquoi ?! Adressant un sublime lever de majeur mental à l'autre là-haut, je lutte pour ne pas me départir de mon sourire. Un sourire affable, poli et courtois. Je croise les mains derrière mon dos pour dissimuler les tremblements qui les agitent lorsqu'elle s'avance vers moi dans une robe que je crève d'envie de lui arracher. Et ces perles dans son chignon qui tomberaient au sol les unes après les autres... Du calme. Je serre mes mains un peu plus fort, élargis mon sourire et vais même jusqu'à échapper un rire tout sauf sincère quand elle fait un compliment à sa sauce -c'est à dire une insulte avec le sourire-.

Heureusement que je n'en ai pas l'odeur. De ton côté, tu n'as toujours pas grandi, j'irai même jusqu'à dire que tu t'es tassée.

Tiens, dans tes dents, ça t'apprendra à foutre le bordel dans ma tête. Je lui en veux d'être revenue autant que je lui en veux d'être partie. Ouais, bon, d'accord c'est moi qui suis parti au début, mais je serai revenu...enfin, je crois. Il suffit que nos regards se croisent pour que cette croyance devienne une certitude. Si elle était revenue, si elle s'était excusée, si elle avait arrêté de menacer la vie de notre enfant -je vous vois venir avec vos « si ma tante en avait, ce serait mon oncle »!-, on serait probablement encore mariés aujourd'hui. Je l'ai aimée, comme un dingue. Tellement que ça a failli me tuer quand elle s'est barrée. Tellement que six ans après, je l'ai pas oubliée. Tellement que ça pourrait tout bousiller. Et je veux pas ça, alors je commence ma grande révélation :

Je vais me ma...

C'est là qu'elle me prend en traître. Pourtant, j'aurais dû la voir venir, c'est pas la première fois qu'elle me fait un coup comme ça. A chaque fois qu'elle me mettait hors de moi, elle savait exactement quoi faire pour que j'arrête de gueuler. A chacune de nos retrouvailles post-séparation, elle m'embrassait. Là, comme ça, sans prévenir. Je devrais la repousser, lui hurler d'aller se faire mettre par un lama transgénique. Je fais tout le contraire. Les mains jusqu'à lors malmenées dans mon dos se rapprochent dangereusement du bas du sien alors que mes lèvres se pressent contre les siennes. Bien, Niallan, bel exemple de sagesse et de retenue promises aux autres.
Crétin, foutu crétin.

J'en oublie jusqu'à l'objet de ma venue quand je sens son corps contre le mien. Elle a toujours réussi à faire ça, éclipser le reste du monde pour devenir le mien. Mon monde. Elle l'a été avant que tout vole en éclats. Pourquoi un tel gâchis, que je me dis. Puis je me souviens quand elle s'écarte et se joue de moi. Encore. Ça aussi je me souviens. Ses tendances de garce manipulatrice, ses jeux qui n'amusaient qu'elle. Et je me raidis, je crispe les mâchoires et me retiens de justesse de l'insulter. Pour lui, cet enfant qui s'avance vers nous. Doucement, ma colère retombe quand mes yeux trouvent leurs semblables. Je souris, un vrai sourire.

Bonjour Drago. Ravi de te rencontrer officiellement.

S'ensuit un échange des plus étranges. Sourcil arqué, je me demande si elle me prend pour le roi des benêts. D'accord, j'ai jamais fait l'effort d'apprendre autre chose que le français mais j'ai quand même épousé deux italiennes et ai un meilleur ami rital qui a tendance à déblatérer dans sa langue quand il est saoul ou en colère. Non puis décidément, y'a quand même quelques mots qui ressemblent au français. « Morto », par exemple, ça m'a tout l'air de vouloir dire mort et ça m'inspire pas confiance. « Cavallo » je suis persuadé que ça veut dire canasson. Alors sa traduction... Je secoue la tête dans un sourire amusé. C'est ça, prends moi pour un con.

Ça alors, c'est fou.

Je viens de décider de la stratégie à adopter. Fini le Niallan qui s'emportait quand elle mentait, finis les coups de sang suivis de coups de reins. Je veux qu'elle voit que j'ai changé, que j'ai mûri. Je veux qu'elle comprenne que ça ne m'atteint plus, qu'elle voit que je ne suis plus à sa botte, prêt à être malmené pour un baiser. C'est terminé. Alors je vais faire semblant. D'être convaincu de sa bonne foi pour ne pas être le con vaincu. D'être aussi patient que passif, aussi neutre que mon expression quand je lui réponds.

J'avais failli oublier que tu tenais toujours tes promesses.
Mais c'est de ta faute. T'avais promis qu'on s'aimerait toujours, que t'arrêterais tes crises. T'as menti.
Ce type est un chien. Mais j'imagine que tu t'en seras aperçue, ce qui explique les couleurs du veuvage.
Qui te vont très bien, soit dit en passant.
Nous ne nous sommes jamais autant aimés que lorsque nous t'avons conçu, de ça tu peux en être certain. Je suis d'ailleurs tout à fait disposé à t'en convaincre, à grand renforts d'anecdotes.
Desquelles je supprimerai les passages « va te faire pendre connard » et « j'y vais de ce pas, comme ça je serai enfin débarrassé de toi ! ».
Ta maman t'a toujours voulu autant que moi, oui...
...sauf quand elle menaçait de te tuer dans son ventre pour me punir de je ne sais quoi. Ou quand elle s'est droguée dans le but de te faire disparaître. Ou quand elle a carrément essayé d'avorter.

Je tire deux chaises proches de nous et les invite à s'asseoir dans un sourire avenant.

J'imagine que tu as déjà tout commandé, orchestré cette soirée à la perfection. Mais je tiens à faire ma part.

Je me glisse derrière elle en tenant le dossier de la chaise et baisse la tête pour que ma bouche se trouve à hauteur de son oreille.
Je ne sais pas encore par quel moyen tu prévois de saccager ma vie mais je tiens d'ors et déjà à t'informer que si tu t'en prends à l'un des miens, particulièrement à Elle...
Ma voix qui n'était déjà qu'un murmure se fait souffle alors que mes lèvres effleurent le lobe de son oreille dans une menace glaciale.
...je détruirais ce que tu as de plus précieux.

Je fais le tour de la table pour poser ma main sur l'épaule de notre fils, incline la tête sur le côté et lui souris. Elle n'a pas besoin que je précise le fond de ma pensée pour la comprendre, je le sais. Ma faiblesse est aussi la sienne et le temps où je cherchais à la préserver est terminé.
Je m'installe à la table, réajuste mon col.

Je nous commande du vin ? Il paraît que les italiens n'excellent pas en la matière... Vous pourriez en profiter pour me parler un peu de vous, de ce que vous avez fait tout ce temps.

En attendant sa réponse, je m'autorise à la regarder. Juste un peu, une fois ou deux. Juste assez pour avoir le cœur qui bat un peu trop vite, un peu trop fort. Juste assez pour me rappeler à quel point on s'est aimés, à quel point elle m'a manqué.
Je serre le poing sous la table en réponse à cette envie grandissante.
Et si...
Non.
Plus jamais ça, plus jamais Nous.
_________________

Bannière réalisée par les grands soins de JD Calyce.
Fleur.des.pois
{Glisse dans une somnolence silencieuse,
vogue sur cette brume argentée.
Lentement et sûrement, tes sens
cesseront de résister.
[...]
Crois-en moi, juste en moi.}


Il prenait la chose trop bien. Fleur se méfia aussitôt. Elle l'avait embrassé et il avait répondu, mais cela ne l'étonnait pas. Elle gageait qu'il en mourrait d'envie, de toute façon, et que son approche directe ne pouvait que lui convenir. Elle agissait, il subissait - bien qu'il ne sembla pas s'en plaindre. Et il aurait la conscience tranquille. Gaïa ne s'était jamais beaucoup souciée de sa propre conscience. Peut-être même n'en avait-elle pas, pour ce qu'elle en savait.

L'absence de réaction de Niallan, son côté affable, la fit douter. Pas de lui, elle ne lui faisait pas confiance de toute façon. Elle doutait d'elle-même, et ce n'était pas bon pour les affaires. Et s'il avait compris tout ce que Drago avait dit ? Qui sait, depuis six ans, il avait fort bien pu apprendre l'italien. Intérieurement, Fleur jura. Extérieurement, Fleur afficha un ravissant sourire et prit place comme il l'invitait à le faire, enjoignant son fils à l'imiter. Elle avait fait une erreur. Elle avait oublié de prendre en compte que l'adversaire pouvait être moins crétin qu'il n'y paraissait. Six ans auparavant, Gaïa aurait pu sortir tout ce qu'elle savait d'italien sans que le blond ne le comprenne. Aujourd'hui c'était différent. Elle avait dressé de lui, durant toutes ces années, le pire des portraits. Bête, idiot, crétin, cerveau plus réduit qu'un mollusque... Non qu'elle le soupçonnât de n'être rien de tout cela, mais peut-être avait-elle gardé en mémoire une image un peu trop sombre de son esprit analytique. Elle pencha légèrement la tête de côté sans cesser de sourire.


- Mon mari a succombé à une crise aussi violente qu'inattendue. Inattendue pour lui, du moins. C'était un très bon mari jusqu'à ce qu'il commence à frapper Drago.

Elle en rajoutait un peu, mais à peine. Dans l'esprit de l'Empoisonneuse, la gifle et les insultes de Giacomo avaient la même gravité que s'il l'avait roué de coups pendant des heures. Il n'y avait aucune demi-mesure, pour la jeune femme. Il avait imprimé ses cinq doigts sur le visage parfait de son fils adoré. Aucun pardon n'était possible. Aussi à ses yeux n'était-ce pas une exagération, lorsqu'elle affirmait que Giacomo avait frappé son fils, sous-entendant à moitié qu'il l'avait fait à plusieurs reprises. Elle garderait ce souvenir-là, c'était sa version de l'incident. Son mari avait battu son fils, elle l'avait tué. Rien d'autre.

Gaïa jaugea du regard l'homme qui lui faisait face. Il était trop aimable. Bien trop aimable. Elle débarquait des siècles après être partie, l'embrassait en public et lui présentait son fils de façon fort officielle, et il ne réagissait pas plus que ça. C'était louche. Elle se méfia d'autant plus lorsqu'il se pencha vers elle pour lui susurrer des menaces. Il ne se donnait même pas la peine de faire passer la chose pour ce qu'elle n'était pas.

La première envie de Gaïa fut de se lever et d'arracher les yeux de Niallan à l'aide de la cuillère qui se trouvait sur le comptoir, abandonnée à côté d'un bol vide. Elle voulait le voir mort, là, tout de suite. Lui enfoncer un couteau dans le ventre encore et encore jusqu'à ce que son abdomen ne soit plus qu'une masse sanguinolente, un mélange peu ragoûtant de viande déchiquetée et de boyaux broyés. Elle baissa les yeux un quart de seconde pour dissimuler l'éclat meurtrier dans ses yeux et s'obligea à continuer de sourire. Le menacer serait idiot. Cela lui montrerait qu'il avait touché juste. Or, Gaïa était supposée n'avoir aucune faille.

Elle se pencha en avant, mettant en même temps son décolleté largement en valeur, et répondit un ton plus bas, l’œil pétillant d'une certaine malice.


- Oh ? Vraiment ? Quelle méthode emploierais-tu ? Pas les poisons, tu te doutes bien que je l'ai immunisé contre à peu près tout ce qui se fait. Tu lui planterais un couteau dans le ventre ? Tu l'égorgerais ? Dans ce cas, s'il te plaît, regarde-le bien dans les yeux. Tu as vu ? Ce sont exactement les tiens. Ce serait étrange, non ? Tu verrais la lumière s'éteindre dans ses yeux comme si c'était toi qui mourais... Drôle de sensation, j'imagine. Je n'en sais rien, je ne suis jamais morte.

Fleur s'adossa confortablement dans sa chaise et leva la main pour se faire emplir un verre par la demoiselle qui était venue la chercher. Précisant que le petit garçon prendrait un verre de lait au miel, elle recoiffa du bout des doigts son fils qui ne pipait mot, avant de s'intéresser de nouveau à Niallan.

- À moins que tu optes pour la méthode Lexiane ? Tu vas le laisser mourir seul devant une mare un soir d'automne ? Si je me souviens bien, il faudrait aussi qu'une armée lui passe dessus. Ce qui nécessite beaucoup de moyens. Et que tu cours après une fille. Ce qui ne nécessite qu'un jupon et un joli derrière, ce ne devrait pas être trop dur à trouver.


Elle se tut un instant, comme plongée en pleine réflexion.

- Ou alors tu achètes les services de quelques mercenaires. Tu projettes de me tuer avant ou après lui ? Avant je suppose.


L'Empoisonneuse sourit d'un air surexcité.

- J'ai hâte de voir comment tu vas te débrouiller ! Si on part effectivement du principe que tu auras assez de cran pour tuer ton fils de huit ans. Ton propre fils... Dieu te pardonne, mon chou.

Elle pouffa et avala une gorgée de vin, qu'elle savoura en soupirant de bien-être. Il n'avait pas menti sur tous les points, Niallan. Le vin français lui avait sensiblement manqué.
Drago, qui était resté silencieux jusque-là, reposa son verre de lait sur la table. Sa mère ne s'était plus donnée la peine de chuchoter, à la fin de la conversation. De plus, il avait une assez bonne ouïe pour comprendre que son géniteur avait menacé sa mère de le tuer, lui, même si la raison lui échappait totalement. Son père était un bien piètre humain, il le savait très bien. Il plissa les yeux et se concentra sur les traits du visage de l'homme en face de lui.
De son côté, Fleur avait en partie saisi de ce dont il retournait. Elle ignorait encore qui était la femme dont Niallan avait mentionné l'existence, mais s'il avait peur qu'elle touche à un de ses cheveux, c'était qu'il y tenait. Maîtresse, femme, ou fille ? Elle le saurait bien assez tôt. Gardant cette information dans un coin de sa tête, elle se tourna vers son fils.


- Mon trésor, veux-tu manger quelque chose ? Je suis certaine que ton père aura à coeur de ne pas te laisser... mourir de faim.


Un sourire plein de crocs, comme celui d'un crocodile, s'afficha sur le visage de la jeune femme. Drago, lui aussi, se mit à sourire, un peu moins largement que sa mère, en ne regardant qu'elle. Ce qui faisait que son sourire était vrai, sincère, enjoué, et non calculateur et glaçant.

- Je voudrais des seppie alla veneziana ! J'adore ça, Mamma !
- Oh... Amore, je ne suis pas sûre qu'ils sachent faire ça, ici...


Le minois de Gaïa avait radicalement changé. Elle avait rangé ses dents et l'éclat de malice, dans son regard, avait laissé place à une lueur douce, tendre, pleine de l'amour qu'elle vouait à son garçon. Elle releva le nez vers Niallan, sincèrement désireuse de combler son fils. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, sa sincérité était clairement affichée sur ses traits.

- Des calamars à l'encre de seiche ? Ils font ça ici ? En France ?

Drago lui tira la manche en pouffant de rire. Son regard alternait entre son père et sa mère, et sa joie enfantine semblait exploser tout autour de lui.

- Une fois, Mamma et moi on a vidé un chaudron de seppie, tu te rappelles, Mamma ? Giulia, la bonne, en avait fait à manger et on devait attendre mon padre Bellini. On a presque tout mangé avant qu'il ne rentre, la bonbonne était presque vide quand on a servi le dîner. Et mon padre Bellini n'a presque rien eu à manger quand nous, on avait tellement mal au ventre !

Gaïa éclata d'un rire profond et chaud, les épaules secouées par cette hilarité inattendue. Drago en faisait tout autant, et tous deux se regardaient comme si les mots n'avaient pas été nécessaires pour qu'ils se parlent. Quelques coups d'oeil jetés à Niallan l'invitaientt également à se joindre à leur souvenir joyeux.
Très consciemment, Drago essayait de lui faire regretter de ne pas avoir assisté à tout cela. Il voulait que Niallan se projette avec eux en train de s'empiffrer de calamars. Sa mère était douée pour faire cela, et il apprenait vite. Cette pensée cependant l'effleurait tout juste alors qu'il riait avec sa Mamma. Il était trop sincèrement content pour étoffer ses plans sinistres en cet instant.


- Si on trouve des calamars, je te jure de t'en préparer, fit Gaïa. Je vais écrire à Giulia, elle m'enverra sa recette. Si je sais faire des potions, je sais cuisiner. Mais Niallan ne voudra peut-être pas manger avec nous. L'encre de seiche teinte tout le calamar en noir, l'aspect est particulier mais le goût est extraordinaire.

Drago planta son regard dans celui de son père.

- Est-ce que t'es assez courageux pour manger des seppie alla veneziana avec Mamma et moi ?

Cela sonnait comme un défi. Comme si l'opinion qu'il aurait de lui pour tout le restant de sa vie dépendait de sa réponse à cette question.
Fleur entoura son fils de ses bras, après avoir terminé son verre de vin. Elle ne regardait pas Niallan, toute concentrée sur Drago. Son visage comme illuminé de l'intérieur la rendait plus douce, presque fragile. Plus humaine aussi, d'une certaine manière, sans l'éternel éclat moqueur dans ses yeux. Lorsqu'elle tourna le nez vers lui, son expression n'avait pas changé. Et pour la première fois depuis qu'elle avait décidé de lui pourrir la vie, peut-être même pour la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés des années plus tôt, Fleur avait laissé tomber les armes et ne prévoyait rien d'autre, en regardant son ex-mari, que de manger des seppie avec lui et leur fils, un jour prochain. Quant aux véritables intentions de Drago ? Lui seul les connaissait.

_________________
Niallan
[Toute une vie hantée par toi
Toi qui ne m'écoutes pas...

Alors dis-moi où ça nous mène
Toutes ces disputes, toutes ces querelles
Moi je ne sais pas.

Et toi la fille qui meurt de froid
Même blottie dans mes bras
Toi qui ne m'aimes pas*]


Oui, toi, là, juste devant moi. Toi qui m'annonces comme on annoncerait l'acquisition d'un nouveau meuble que tu as empoisonné ton mari. Toi qui penches la tête sur le côté comme le ferait un chat juste avant de gober une souris -et pas aussi jovialement que Tom & Jerry-. Toi qui me lances un regard aussi meurtrier qu'un bain d'acide. Toi qui m'aguiches pour mieux m'attirer dans tes filets, véritable veuve noire. Toi, je te hais. Je déteste cette façon que tu as de me chercher pour me faire céder et d'y arriver. Je méprise tes mensonges et tes manipulations. J'exècre tes vengeances et tes déviances par défiance. Mais je t'aime. C'est encore là, quelque part, tout au fond, sous cette couche de rancœur et de haine. J'aime que tu me résistes pour savourer d'autant plus tes abandons. J'aime que sous tes airs de garce t'aies ces faiblesses que tu me laisses frôler du doigt. J'aime ce feu que t'allumes en moi à chaque fois, j'ai envie de toi comme autrefois.

Mes yeux dans les siens, je me mords la lèvre inférieure. Elle est mon alcool. C'est tout sauf cool. Voyez, des fois, quand je bois du whisky -ou toute autre substance alcoolisée qui vous aidera à cerner la métaphore-, j'aime ça. Sur le moment. Les effets sont grisants. J'en reprends, je dépasse le moment où je suis juste « content ». J'atteins celui où je suis bourré, j'ai l'impression que rien ne peut m'arrêter et que le monde est à mes pieds. Et puis le matin je me réveille avec un mal de crâne atroce et des courbatures partout. Quand je suis au-dessus des latrines à rendre ce que j'ai bu de trop la veille, je me fais la promesse que c'est fini, plus jamais je bois. Trois jours plus tard, je recommence.
L'alcool c'est pas de l'eau, c'est même carrément mauvais pour la santé.

Fleur, c'est exactement pareil. Durant toute la durée de notre mariage, j'ai eu aussi souvent envie de ne l'avoir jamais rencontrée que de passer le restant de mes jours à ses côtés. J'aurais pu me damner pour nos moments de paix et nos réconciliations sur l'oreiller. Je voulais me barrer quand elle tapait ses crises et se transformait en tarée à enfermer.
Elle est nocive, érosive, corrosive, destructive.
Je veux plus de cette vie, j'ai plus envie. Plus la force d'aller jusqu'au divorce.
Alors quand elle dévoile outrageusement ses seins, je garde mes yeux bien en haut, dans les siens. J'encaisse toutes ses paroles sans broncher, gardant un sourire de façade même quand elle en vient à parler de Lexi -bon, d'accord, j'ai la lèvre qui tressaute et le poing qui se serre-. Puis je lui réponds, tout bas, sur un ton de confidences :

Allons, allons, tu me connais … je suis trop lâche pour faire ce genre de choses moi-même et trop stupide pour savoir me servir convenablement de poisons.

Je m'empare de mon verre de vin dans un hochement de tête appréciateur. Je bois une gorgée pour lui laisser le temps de savourer la supériorité que je lui dessine seulement pour rendre la chute plus rude. Joignant mes mains, je rapproche mon visage du sien dans un sourire carnassier. Et puis, tout bas :

Tu connais mon amour pour les jupons et tes connaissances médicales, aussi bien que ta propre expérience, te permettent de savoir que je sème des gosses un peu partout. Pour être honnête, Drago est celui qui me ressemble le moins et que j'ai le moins connu. Je me remettrai de sa mort bien plus facilement que de celle de Lexi. Au jour d'aujourd'hui, je peux même affirmer qu'elle ne m'affecterait pas plus que ça. Mais...et toi ? Il est ton seul fils, toute ta vie tourne autour de lui. Qu'adviendrait-il de toi s'il venait à mourir ?

Je mens comme un arracheur de dents. Je serai incapable de le tuer, que ce soit de mes mains ou de commanditer sa mort. Mort qui me briserait assurément. Mais c'est si bon de jouer à son petit jeu. Si bon qu'après m'être réinstallé confortablement sur ma chaise et avoir repris une gorgée de vin, je poursuis tout haut :

Comment réagirais-tu si tu le trouvais, là, étendu sur le sol, gisant dans son propre sang ? Si aucune de tes précieuses potions ne pouvait te le ramener ? J'ai hâte de voir comment tu vas surmonter ça. Si on part effectivement du principe que tu auras la force de lui survivre, ma choupinette.

Je jubile. Pour la première fois de ma vie, je joue à son jeu plus que je ne le subis. Je ne m'emporte plus, je ne lui hurle plus dessus. Non, c'est fini tout ça. Elle croyait quoi ? Que six ans plus tard, elle retrouverait le même jeunot impulsif incapable de lui résister ? Je roule des yeux et cette rotation me permet d'observer leur échange. Sourcils froncés, je les écoute parler de je ne sais quel plat rital dont le nom m'attire plus que moyen. Je comprends que Fleur me cause et après une gorgée propice à réflexion, je lui réponds.

Oui, ils font ça. Ils le font même très bien.

En vérité, j'en ai aucune foutue idée mais rien qu'à l'idée qu'elle pourrait vanter son Italie natale pendant les dix prochaines minutes, j'ai eu envie de mentir. C'est après qu'il se passe un truc étrange. Je veux dire, incroyable. Du même niveau que le Yéti chevauchant le monstre du Loch Ness dans les cités d'or. Les yeux écarquillés, j'observe mon ex-femme et notre fils sans comprendre dans quelle dimension parallèle j'ai atterri. Ils me regardent. Est-ce que je dois dire quelque chose ? Hébété, je me contente d'un sourire de profond demeuré. Ils ont l'air tellement normaux, tellement humains, tellement... Je croise le regard bleu de mon fils et c'est là que je me mets à rire, en écho à son hilarité. Puis je la regarde elle et je souris, sincère.

[Parfois la nuit je rêve de toi
Toi qui n'existes pas*]


Retour à Drago et à sa question qui me ramène à la réalité. Je contracte mes phalanges autour du verre de vin et lui souris alors qu'à l'intérieur de moi, ça gueule. Et pas qu'un peu. Non, j'ai aucune envie de manger un machin chelou de ton bled dont j'ignore tout. Non, j'ai pas envie que ta folle de mère puisse m'empoisonner. Non, j'ai pas envie de me retrouver encore une fois dans un jeu de quilles. Il est donc très étrange -rappelez-vous de l'intensité Yéti- que je réponde :

J'en serai très heureux. Je me resservirai même plusieurs fois, j'en suis certain.

Je lui décoche un clin d’œil et me tourne vers sa mère à laquelle je décoche un nouveau sourire exempt d'hypocrisie.

Ici, à Paris, ils n'auront pas ça, il faudra attendre qu'on soit plus proche de la mer. Mais...il me tarde d'y être.

[Alors, dis-moi où tu m'emmènes,
Je suis prêt à te suivre même
Bien malgré moi...*]



*Debout sur le zinc – La pantomime

_________________

Bannière réalisée par les grands soins de JD Calyce.
Fleur.des.pois
{T’es mal placé dans la chaîne alimentaire pour faire ta grande gueule !}


- Cessons de nous mentir, Niallan. Toi et moi savons pertinemment que tuer ton propre enfant nécessite un courage que tu n'auras jamais. Quant à savoir si je m'en remettrai... La seule chose dont on ne se remet pas, c'est sa propre mort. Mais soit, pour te faire plaisir, je vais faire pendant trente secondes semblant de croire à tes fanfaronnades. Ensuite je t'expliquerai un truc élémentaire.

Fleur le regarda, narquoise, avant de frémir en adoptant un air terrifié. Elle agrippa plus fort l'épaule de son petit garçon, ouvrant et fermant la bouche rapidement, comme si elle retenait des suppliques de pitié. Puis, brusquement, elle se mit à rire, déposant un baiser sur le front de son fils avant de se pencher en avant, son regard brun plongé dans celui de Niallan.

- Ce que je voulais te dire, mon chou, c'est que c'est un tout petit peu crétin, voire monstrueusement ridicule et stupide, de dire devant le fils qu'on vient rencontrer qu'on ne tient pas particulièrement à lui et que sa mort ne te fera ni chaud ni froid. Tu vois, je crois que ça ne l'aidera pas à t'aimer. Je suis même sûre qu'actuellement, il te hait encore plus qu'avant de te voir. C'est ça ton problème, Niallan. Tu essayes de finasser avec moi, de faire ton fanfaron, ton brave ou je ne sais quelle absurdité, mais tu n'arrives qu'à te rendre méprisable et à faire devant Drago un superbe étalage de ton manque d'intelligence. Avoue que c'est quand même drôlement idiot, n'est-ce pas ?

Fleur n'avait pas pris la peine de baisser le ton, cette fois-ci. La petite main de Drago se serra sur sa cuisse, et Gaïa lui caressa les doigts avec tendresse.

- Mets-toi bien ça dans le crâne. Tu ne gagneras pas la partie, si tu m'as comme adversaire.

Le sujet des seppie alla veneziana cependant occupait désormais toute l'attention du Lutin, qui souriait à la cantonade, ravie de la joie manifeste de son fils. Drago levait les yeux vers elle, ignorant superbement son père. Il était décidé à lui imposer dès maintenant un régime strict, composé de silence et de mépris. Cet homme n'avait qu'un intérêt très limité pour lui ; c'était du moins ce que le petit garçon en avait conclu. Sa mère seule restait fiable, sa mère seule était là, éternel pilier où s'accrocher, solide montagne malgré son gabarit de nymphette, qui serait toujours là pour se mettre en travers du monde, si le monde lui voulait du mal.

- La mer, Mamma. On pourrait y aller.
- Nous irons, mon trésor. Peut-être quand il fera plus chaud ?


Fleur, elle, n'ignorait pas superbement Niallan. Elle le regardait bien en face, avec attention, quoiqu'un sourire joyeux traînait encore sur ses lèvres. Elle tâchait de jauger l'homme en face d'elle, cet homme qui lui avait offert le plus bel amour du monde - non pas le sien, mais celui de son fils. Valait-il la peine de l'inclure ? Drago semblait décidé à faire comme s'il n'était qu'un morceau de mur particulièrement repoussant et incrusté de moisissures. Cela n'engageait à rien de bon, mais Gaïa était bien décidée à faire ramper son père. Et Drago était plus que nécessaire dans ce plan.

- Je crois que tu viens du sud de la France. Je me rappelle que tu m'avais promis une jolie chaumière où nous pourrions vivre heureux, ensemble... Peut-être pourrais-tu te débrouiller pour nous en trouver une, à Drago et moi ? Nous désirons nous installer dans une maison, vivre notre vie, avoir un repère fixe, une demeure. Tu pourrais... nous aider à être heureux ?

Elle avala une gorgée de vin, sans le quitter des yeux. Visiblement, la réponse que lui avait fait son père ne convenait pas à Drago. Il lui jeta un bref coup d'oeil, aussi sévère que celui d'un faucon, et releva le nez d'un air méprisant.

- Il dit ça mais je suis sûr qu'il ne mangera rien.
- Tu pourrais le mettre au défi, mon ange. Après tout, ce n'est pas parce que la dernière fois que l'on a servi des seppie à ton padre Bellini, il a eu beaucoup de mal à les digérer... qu'il y aura le même genre d'assaisonnement pour lui. Ce serait un moyen de vérifier que ton père tient véritablement à te connaître. Tu devrais faire un marché avec lui.


Drago regarda sa mère en souriant, et posa enfin les yeux sur son père, beaucoup plus froidement.

- Bene. Si tu manges des seppie avec moi et que tu survis... Je te promets que nous passerons du temps ensemble.

Et, à l'image de sa mère lorsqu'elle concluait une affaire, Drago tendit la main vers Niallan, un air plutôt narquois aux traits.

L'âge de glace

_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)