Quand j'ai vu Fleur
J'me suis dit quel prénom étrange
Puis c'est pas vraiment la saison
A faire l'amour dans les champs
Moi mon cur est chrysanthème
Et mon âme est triste*Les rumeurs m'avaient trouvé au début du mois de novembre alors que je douillais déjà sévèrement du palpitant. Le meilleur ami m'avait laissé une lettre d'adieu ainsi que ses gosses, entraînant la mieux qu'une sur dans une marche suicidaire face à une armée. Je hurlais leurs noms dans la forêt chalonnaise quand les premiers acteurs ont commencé leur scène. De leurs dialogues, je n'ai saisi que la mention à un suicide suite au décès d'un enfant. J'ai crié plus fort pour retrouver le couple maudit avant qu'ils y arrivent eux aussi. Alors j'ai pas entendu le deuxième groupe d'acteurs. Ni même le troisième. Encore moins le quatrième, occupé que j'étais à frapper sur un arbre qui n'avait rien demandé. En revanche, quand je me suis laissé glisser le long du tronc malmené pour enfouir ma tête entre mes genoux repliés, j'ai commencé à saisir quelques brides.
Ils ont causé d'un gosse mort d'une fièvre, j'ai compati intérieurement. Moi aussi j'ai perdu une fille, moi aussi j'ai un garçon de cet âge-là. Ils ont parlé d'une mère éplorée et suicidée, j'ai grimacé. Moi aussi j'y avais pensé. Ils ont rapporté un accent, un poison et un nom de famille craignos, j'ai tiqué. Fleur aussi elle est comme ça. Ils ont précisé pour les fringues noires luxueuses et le petit chien, j'ai flippé. Et si...
Excusez-moi ? Je peux vous poser quelques questions ?Et je les ai posé mes questions. Je me suis traîné jusqu'à eux, les jambes tremblantes et le regard fou. J'ai essayé de sourire quand ils ont répondu, j'ai pas réussi. J'ai insisté, leur ai fait répéter mais leurs réponses m'ont jamais plu. Au bout de la dixième répétition des mêmes données, j'ai commencé à virer cinglé. J'en ai attrapé un par la chemise pour le secouer, j'ai envoyé un gnon à l'autre qui s'interposait. Je voulais savoir pourquoi eux, pourquoi ça, pourquoi maintenant. Sauf qu'ils avaient pas la réponse alors mon insistance a fini par les agacer. Je me suis fait latter.
La gueule en sang contre l'arbre sur lequel je m'étais défoulé
-et qui doit bien se foutre de ma trogne maintenant-, j'arrivais pas à encaisser. Je me répétais « c'est pas possible, ça peut pas arriver ». Je secouais la tête de gauche à droite, incapable de supporter ce que ça impliquait. Puis j'ai fini par faire ce que je fais toujours quand je sais plus quoi faire, quand tout est perdu. J'ai rassemblé mes dernières forces pour me lever et tituber jusqu'à la taverne la plus proche. J'ai bu, encore et encore, encore et toujours. Dans l'intervalle de temps situé entre la fin de la première bouteille et l'arrivée de la deuxième, j'ai commencé à causer, déjà bien éméché à un tavernier qui n'en avait rien à cirer.
Quand j'ai vu Fleur j'me suis dit elle sort d'où celle-là. Puis c'est quoi ce prénom à la con sorti du fond d'un autre temps. Et puis moi j'aime pas bien les fleurs. Et puis j'aime pas ce qui sent bon. J'préfère les pétards aux pétales et un peu la boisson.*Un peu beaucoup passionnément à la folie comme en témoigne la bouteille qui se vide bien trop vite pour que je reste stable sur le tabouret. Je me taule sans ressentir la douleur et surtout, sans lâcher le goulot de la bouteille. Ils sont morts et ça me tue.
Fleur c'est mes coups d'jus, c'est mes coups de foudre, c'est mes coups de blues*. C'est ma perte si je la perds. Je serre les dents, cogne contre le bois du comptoir. Je ne sens pas la force de bras musclés me soulever pour me reconduire vers la sortie et c'est à peine si je distingue à travers mes larmes le détenteur des fameux bras quand je lui parle.
Quand j'ai vu Fleur ça m'a fait comme un bras d'honneur. L'insoumission qui dit je n'ai ni Dieu ni maître ni qui que ce soit. C'est comme un doigt levé bien haut à tous les dieux tous les suppôts.*Lui aussi m'en fait un de doigt. Mais je le vois pas, je vois plus rien si ce n'est cette vie de tourments qui m'attend. Sans eux. Devant l'insurmontable de cette situation, l'esprit s'échauffe et tente de trouver une échappatoire. Peut-être qu'ils sont pas morts, que c'est juste une coïncidence. Peut-être qu'ils se sont trompés, peut-être qu'ils ont menti. Pourquoi ils auraient menti ? Les méninges alcoolisées turbinent. Pourquoi ? Parce qu'on les a payés. Qui aurait voulu faire ça, qui aurait pu ? Quelqu'un qui m'en veut, quelqu'un qui sait que je suis à Chalon, quelqu'un qui les connaît eux et notre histoire. Mais qui, bordel, qui ?! Je ferme les yeux et ouvre grand la bouche pour accueillir le liquide ambré.
Je repense à elle, avec toute la force de mon amour et de ma douleur.
Fleur elle est belle comme un accident d'bagnole, comme un poids lourd qui a plus les freins. Fleur elle est folle. Et c'est vrai que moi j'aime bien quand elle fait voler les assiettes, quand elle me fait péter les plombs*. C'est sur ce dernier point que l'espoir se fixe. Et si c'était encore une vengeance ? Après tout, elle m'a déjà fait croire -entre autres- qu'elle allait se jeter d'une falaise et qu'elle avait tué notre enfant en son sein.
C'est pas possible...Sauf que Fleur, c'est la femme qui rend l'impossible possible. Je m'accroche à cette idée en essayant de me rappeler ce que j'aurais pu faire pour mériter une telle sentence. Nos au-revoir se sont (trop) bien passés alors peut-être qu'il faut chercher du côté des lettres. Instinctivement, je porte la main à la poche qui contient l'une de ses plus belles lettres, si ce n'est la plus belle, à laquelle je n'ai toujours pas répondu. Non, ça peut pas être ça. Alors... Mains crispées sur la bouteille, je ressasse nos derniers échanges jusqu'à en venir à ma dernière lettre. Elle était peut-être trop tardive, trop brève. Trop différente de ce qu'elle attendait. Je secoue la tête. Elle aurait pas fait un truc aussi dégueulasse. Non. Si ?
La probabilité que le « si » se réalise m'aide à me relever et à marcher jusqu'au bordel. C'est pas ce que vous croyez. Une fois là-bas, je ne reluque les donzelles que pour sélectionner la plus jolie que je paye assez cher pour être sûre qu'elle remplisse sa mission. Faire parler l'un des hommes porteurs de mauvaises nouvelles parce que, c'est bien connu, les hommes sont plus enclins à parler une fois qu'ils ont baisé. C'est bien connu qu'ils ne se méfient pas des putains qui ne sont rien. Et c'est bien probable que l'un d'eux confie volontiers en voyant la beauté troussée s'épancher sur « la pauvre femme qui s'est suicidée à cause de la fièvre de son fils » qu'il a été payé pour le raconter.
Pendant ce temps, moi, j'attends. Assis au milieu des catins sans les voir, je serre les poings à m'en faire blanchir les phalanges et retiens difficilement les larmes qui s'annoncent. Et je pense à elle, encore. Plus fort.
Fleur c'est mes nuits noires c'est mes nuits rouges c'est mes nuits blanches. C'est comme un train oui qui s'égare mais qui s'arrête pas dans les gares, c'est la luciole au fond des nuits, c'est comme rouler sans le permis. Fleur c'est pas la bonne mais putain qu'elle est bonne*. Tout à ces réflexions qui me foutent en vrac, je manque de ne pas voir mon espionne revenir. C'est elle qui me secoue l'épaule et me secoue tout court quand elle me fait part de ses découvertes.
Oh la salo...Ce qui s'échappe de ma bouche passé le soulagement ressemble à « salopette » sauf que ça rime plutôt avec « clope ». J'essuie les diverses traces de ma souffrance sur mon visage et me relève en envoyant valser ma table. Comment est-ce qu'elle a pu faire ça ?! J'ai la rage, tellement que si elle était en face de moi, je serais capable de lui éclater ma bouteille vide sur la tête. Une chance pour elle, c'est encore un arbre qui prend.
Espèce de pu... Comme vous vous en doutez, ce n'est pas un « putois » qui s'échappe de ma bouche tandis que j'envoie un coup de pompe dans un rocher. Elle sait que la mort de Lexi m'a détruit, elle savait qu'elle m'achèverait avec l'annonce de la leur. Et pourquoi ? Pour me faire payer ses angoisses passées que je n'aurais pu apaiser, quelle que soit la longueur de la lettre ? Je gueule une nouvelle insulte rimant cette fois avec « rascasse » et frappe un nouveau végétal. Elle m'avait promis qu'elle avait changé, qu'elle en avait fini des vengeances. Mensonges. Mensonges. Mensonges.
Il y a six ans, j'aurais sûrement réagi à son odieuse manipulation par une flopée d'insultes accompagnées d'adieux brutaux. Mais non seulement j'ai mûri mais en plus, je trouve que c'est trop léger en comparaison de ce qu'elle a fait. Le regard froid de détermination, je prends le chemin du village en vue de sélectionner à mon tour des acteurs que je paie pour répandre une rumeur aux environs de Limoges. Après leur avoir donné des écus que j'économisais jusqu'à lors pour satisfaire les exigences pécuniaires de Fleur, je leur donne quelques dernières recommandations :
Surtout, insistez bien sur le fait que l'homme n'en avait strictement rien à faire. Un de ces cons de blonds, avec un nom tout aussi con. Ozéra, quoi, comme s'il allait passer sa vie à oser. Dites bien qu'il s'est exclamé à la nouvelle du décès de son fils et de la mère de celui-ci que c'était le plus beau jour de sa vie parce qu'il n'aurait plus jamais à payer de pension. Dites qu'il riait aux éclats et qu'il en plaisantait avec ses amis à qui il aura payé une tournée pour l'occasion. Ajoutez qu'il a aussi caressé le ventre de sa MAGNIFIQUE femme en se vantant qu'elle attendait son enfant et que ça tombait bien. Vous pouvez même y aller de votre dicton : « une ex-femme de crevée, une nouvelle d'épousée ; un gosse mort, un bientôt dehors ». En les regardant partir, je souris, pipe au bec. L'esprit embrumé, je pense une dernière fois à elle.
Elle est comme un bateau d'pirates comme un chien qui a mal à la patte. Fleur elle a l'goût d'la mer elle a la fraîcheur des rivières. Elle a l'ivresse de la vodka, la folie de la Tequila. Elle est un peu Italienne, un peu française aussi. Elle est tout c'qu'on veut qu'elle soit, tous les possibles au bout des doigts. Elle t'emmène d'l'autre côté de la Terre juste quand elle ouvre les paupières. Fleur c'est mes coups d'jus c'est mes coups de foudre*. Cette fois c'est un coup de grisou, elle est allée trop loin et je compte bien lui faire payer. Ah tu veux jouer ? Alors jouons.
*Saez Marguerite avec modification Marguerite/Fleur et Mexicaine/italienne
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