Fleur.des.pois
{Le 11 octobre 1465}
Sur la table en bois brut de la chambre d'auberge qu'occupait Fleur, l'alambic « petit modèle », réservé aux voyages, bouillonnait en laissant échapper un léger nuage de vapeur. Tout d'un cuivre brillant, l'appareil était mis à rude contribution depuis la veille au soir. Gaïa avait travaillé toute la nuit. Cela ne lui était pas arrivé depuis des mois, des années peut-être. Cette fièvre qui l'habitait dès qu'elle confectionnait des poisons et des potions, et qui la tenait éveillée jusqu'aux premières heures du jour... Cela lui avait manqué, mais elle n'avait oublié aucun geste de cette formidable danse qu'elle pratiquait avec bonheur.
Drago s'était endormi tôt, sa chemise de nuit sur le dos, bien lové dans les draps, son chien tout contre son dos. Seule l'Ortie avait gardé les yeux ouverts, ne sentant aucune fatigue, ni intellectuelle ni musculaire.
Un peu plus tôt, au moment de retrouver son alambic, elle avait ôté la robe noire, en brocard, à la mode vénitienne bien sûr, et s'était figée devant son coffre grand ouvert, d'où baillait un certain nombre de robes. Les doigts tremblants, elle s'était emparée d'une robe verte, celle qu'elle portait autrefois, avant de devenir veuve. Celle qu'elle portait aussi ici, quand elle fabriquait ses potions. Sans plus hésiter, Fleur l'avait de nouveau enfilé, et était redevenue dans l'instant la jeune fille qu'elle était toutes ces années plus tôt. Fleur-des-Pois l'empoisonneuse, ce soir-là, venait bel et bien de renaître de ses cendres.
Ses longs cheveux lâchés dans son dos étaient emmêlés, et de minuscules gouttelettes la parsemait comme une poussière brillante. D'un geste sûr, elle s'empara d'une fiole aux teintes mauves et en préleva une dizaine de gouttes à l'aide d'une pipette. Une fiole vide, en gré noir celle-là, fut ainsi emplie de diverses substances. Sur chaque fiole que saisissait Gaïa, une étiquette était collée à la sève. « Colchique », « laurier rose », « belladone »... Une goutte de ceci, davantage de cela, le tout mélangé avec soin, avec amour.
Répondant à un appel qu'elle seule semblait pouvoir entendre, Gaïa reposa ses ustensiles pour se précipiter vers l'alambic, qui venait de cracher ses derniers extraits dans un bol. Fleur se garda bien de mettre le nez au-dessus, et versa sans attendre le produit dans un flacon vide, de couleur bleue. L'étiquette, ici, portait le mot « aconit napel ». Sans hésiter, l'Ortie préleva une belle quantité de substance et en versa une huitaine de gouttes dans la fiole en gré noir. Elle touilla délicatement, et boucha sans attendre. Le goulot fut recouvert de cire rouge et chaude, et un petit ruban vert y fut collé, par-dessus lequel Fleur apposa son sceau, gravé de ses initiales. Ainsi, la preuve de l'authenticité de produit était fourni. Et la perfection du poison ne serait pas remise en cause. Car parfait, le poison l'était, si parfait qu'une seule gorgée suffirait à la tuer dans les deux heures à suivre.
C'était la troisième fiole que Fleur emplissait ainsi. Les poisons étaient toujours soigneusement préparés, et le vin rouge qui les accompagnait pour en allonger la durée de vie était choisi parmi les meilleurs disponibles. La première contenait tout autre chose, bien que d'une certaine façon, la triple commande était liée inextricablement. La potion était contenue dans une charmante fiole rose foncé, en forme de poire, orné d'un ruban vert et du sceau. Le produit était réservé à un usage que Fleur jugeait presque triste. Comme à chaque commande, elle avait ici choisi des plantes qui s'harmonisaient et qui étaient terriblement efficaces. L'abortif comprenait un mélange de sauge, de chardon marie, de feuilles de framboisier et de bourrache, auxquelles Fleur avait ajouté de la prêle et de la passiflore. Ce serait expéditif. C'était l'effet désiré, aussi cela tombait plutôt bien.
Une fiole, en gré blanc, un peu plus grande que les trois autres, attendait déjà d'être livrée. Posée sur un guéridon près de la porte, marqué du sceau et du ruban là encore, la mixture n'attendait que le départ de Fleur vers sa cliente. Celui-ci était, encore, lié aux trois autres produits. Bien que pour une autre personne. Gaïa avait décidé de faire ici un travail excellent, décidée à se surpasser elle-même.
Un peu d'aubépine, pour favoriser le sommeil, associée à la mélisse qui avait le même effet, garantirait à sa cliente un endormissement rapide. De la ballote et de la valériane assureraient une véritable détente, puisqu'il s'agissait de deux plantes anxiolytiques. Une goutte de belladone et une autre de pavot, pour que le sommeil soit si profond que les rêves en seraient absents. Pas trop non plus, puisque les deux plantes, à haute dose, risquaient fort d'empêcher définitivement le dormeur de se réveiller. Mais, ainsi dosées et mélangées, les plantes auraient l'effet désiré.
C'était étrange, songea Fleur en repoussant une mèche de cheveux, alors qu'elle achevait son ouvrage, d'avoir obtenu ces deux commandes. Des deux personnes qu'elle supposait les moins enclines à fait appel à elle. Niallan et Neijin. Un léger sourire étira les lèvres de l'empoisonneuse. Un contrat était un contrat, qu'importait qui était le client. Mais tout de même. Il y avait de quoi rire.
Drago se réveilla et s'étira. C'était le milieu de la matinée, le soleil brillait à travers le voile de nuages. Le petit garçon, les cheveux en bataille, se leva et s'approcha de sa mère qui tourna le nez vers lui sitôt qu'elle le vit bouger.
- Mamma... J'ai faim. Tu as travaillé toute la nuit ?
- On va aller manger mon ange. Oui ! Toute la nuit mais ça en valait la peine. Dans deux jours je livre les fioles à ton père, ce soir celle pour sa fiancée, et dans trois jours nous quittons ce duché.
- On va où ?
- Voir Shirine, en passant par Limoges. Je dois retrouver un menuisier. On restera là-bas quelques semaines.
Drago acquiesça en se frottant les yeux, et bailla longuement. Fleur, riant de voir son petit garçon encore tout ensommeillé, le souleva et le cala contre sa hanche.
- Mais avant, on va manger ! Tu ne deviendras pas un grand garçon si tu ne remplis pas ton ventre.
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Sur la table en bois brut de la chambre d'auberge qu'occupait Fleur, l'alambic « petit modèle », réservé aux voyages, bouillonnait en laissant échapper un léger nuage de vapeur. Tout d'un cuivre brillant, l'appareil était mis à rude contribution depuis la veille au soir. Gaïa avait travaillé toute la nuit. Cela ne lui était pas arrivé depuis des mois, des années peut-être. Cette fièvre qui l'habitait dès qu'elle confectionnait des poisons et des potions, et qui la tenait éveillée jusqu'aux premières heures du jour... Cela lui avait manqué, mais elle n'avait oublié aucun geste de cette formidable danse qu'elle pratiquait avec bonheur.
Drago s'était endormi tôt, sa chemise de nuit sur le dos, bien lové dans les draps, son chien tout contre son dos. Seule l'Ortie avait gardé les yeux ouverts, ne sentant aucune fatigue, ni intellectuelle ni musculaire.
Un peu plus tôt, au moment de retrouver son alambic, elle avait ôté la robe noire, en brocard, à la mode vénitienne bien sûr, et s'était figée devant son coffre grand ouvert, d'où baillait un certain nombre de robes. Les doigts tremblants, elle s'était emparée d'une robe verte, celle qu'elle portait autrefois, avant de devenir veuve. Celle qu'elle portait aussi ici, quand elle fabriquait ses potions. Sans plus hésiter, Fleur l'avait de nouveau enfilé, et était redevenue dans l'instant la jeune fille qu'elle était toutes ces années plus tôt. Fleur-des-Pois l'empoisonneuse, ce soir-là, venait bel et bien de renaître de ses cendres.
Ses longs cheveux lâchés dans son dos étaient emmêlés, et de minuscules gouttelettes la parsemait comme une poussière brillante. D'un geste sûr, elle s'empara d'une fiole aux teintes mauves et en préleva une dizaine de gouttes à l'aide d'une pipette. Une fiole vide, en gré noir celle-là, fut ainsi emplie de diverses substances. Sur chaque fiole que saisissait Gaïa, une étiquette était collée à la sève. « Colchique », « laurier rose », « belladone »... Une goutte de ceci, davantage de cela, le tout mélangé avec soin, avec amour.
Répondant à un appel qu'elle seule semblait pouvoir entendre, Gaïa reposa ses ustensiles pour se précipiter vers l'alambic, qui venait de cracher ses derniers extraits dans un bol. Fleur se garda bien de mettre le nez au-dessus, et versa sans attendre le produit dans un flacon vide, de couleur bleue. L'étiquette, ici, portait le mot « aconit napel ». Sans hésiter, l'Ortie préleva une belle quantité de substance et en versa une huitaine de gouttes dans la fiole en gré noir. Elle touilla délicatement, et boucha sans attendre. Le goulot fut recouvert de cire rouge et chaude, et un petit ruban vert y fut collé, par-dessus lequel Fleur apposa son sceau, gravé de ses initiales. Ainsi, la preuve de l'authenticité de produit était fourni. Et la perfection du poison ne serait pas remise en cause. Car parfait, le poison l'était, si parfait qu'une seule gorgée suffirait à la tuer dans les deux heures à suivre.
C'était la troisième fiole que Fleur emplissait ainsi. Les poisons étaient toujours soigneusement préparés, et le vin rouge qui les accompagnait pour en allonger la durée de vie était choisi parmi les meilleurs disponibles. La première contenait tout autre chose, bien que d'une certaine façon, la triple commande était liée inextricablement. La potion était contenue dans une charmante fiole rose foncé, en forme de poire, orné d'un ruban vert et du sceau. Le produit était réservé à un usage que Fleur jugeait presque triste. Comme à chaque commande, elle avait ici choisi des plantes qui s'harmonisaient et qui étaient terriblement efficaces. L'abortif comprenait un mélange de sauge, de chardon marie, de feuilles de framboisier et de bourrache, auxquelles Fleur avait ajouté de la prêle et de la passiflore. Ce serait expéditif. C'était l'effet désiré, aussi cela tombait plutôt bien.
Une fiole, en gré blanc, un peu plus grande que les trois autres, attendait déjà d'être livrée. Posée sur un guéridon près de la porte, marqué du sceau et du ruban là encore, la mixture n'attendait que le départ de Fleur vers sa cliente. Celui-ci était, encore, lié aux trois autres produits. Bien que pour une autre personne. Gaïa avait décidé de faire ici un travail excellent, décidée à se surpasser elle-même.
Un peu d'aubépine, pour favoriser le sommeil, associée à la mélisse qui avait le même effet, garantirait à sa cliente un endormissement rapide. De la ballote et de la valériane assureraient une véritable détente, puisqu'il s'agissait de deux plantes anxiolytiques. Une goutte de belladone et une autre de pavot, pour que le sommeil soit si profond que les rêves en seraient absents. Pas trop non plus, puisque les deux plantes, à haute dose, risquaient fort d'empêcher définitivement le dormeur de se réveiller. Mais, ainsi dosées et mélangées, les plantes auraient l'effet désiré.
C'était étrange, songea Fleur en repoussant une mèche de cheveux, alors qu'elle achevait son ouvrage, d'avoir obtenu ces deux commandes. Des deux personnes qu'elle supposait les moins enclines à fait appel à elle. Niallan et Neijin. Un léger sourire étira les lèvres de l'empoisonneuse. Un contrat était un contrat, qu'importait qui était le client. Mais tout de même. Il y avait de quoi rire.
Drago se réveilla et s'étira. C'était le milieu de la matinée, le soleil brillait à travers le voile de nuages. Le petit garçon, les cheveux en bataille, se leva et s'approcha de sa mère qui tourna le nez vers lui sitôt qu'elle le vit bouger.
- Mamma... J'ai faim. Tu as travaillé toute la nuit ?
- On va aller manger mon ange. Oui ! Toute la nuit mais ça en valait la peine. Dans deux jours je livre les fioles à ton père, ce soir celle pour sa fiancée, et dans trois jours nous quittons ce duché.
- On va où ?
- Voir Shirine, en passant par Limoges. Je dois retrouver un menuisier. On restera là-bas quelques semaines.
Drago acquiesça en se frottant les yeux, et bailla longuement. Fleur, riant de voir son petit garçon encore tout ensommeillé, le souleva et le cala contre sa hanche.
- Mais avant, on va manger ! Tu ne deviendras pas un grand garçon si tu ne remplis pas ton ventre.
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