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RP - Mère, fils et compagnie

Fleur.des.pois
{Le 11 octobre 1465}

Sur la table en bois brut de la chambre d'auberge qu'occupait Fleur, l'alambic « petit modèle », réservé aux voyages, bouillonnait en laissant échapper un léger nuage de vapeur. Tout d'un cuivre brillant, l'appareil était mis à rude contribution depuis la veille au soir. Gaïa avait travaillé toute la nuit. Cela ne lui était pas arrivé depuis des mois, des années peut-être. Cette fièvre qui l'habitait dès qu'elle confectionnait des poisons et des potions, et qui la tenait éveillée jusqu'aux premières heures du jour... Cela lui avait manqué, mais elle n'avait oublié aucun geste de cette formidable danse qu'elle pratiquait avec bonheur.

Drago s'était endormi tôt, sa chemise de nuit sur le dos, bien lové dans les draps, son chien tout contre son dos. Seule l'Ortie avait gardé les yeux ouverts, ne sentant aucune fatigue, ni intellectuelle ni musculaire.
Un peu plus tôt, au moment de retrouver son alambic, elle avait ôté la robe noire, en brocard, à la mode vénitienne bien sûr, et s'était figée devant son coffre grand ouvert, d'où baillait un certain nombre de robes. Les doigts tremblants, elle s'était emparée d'une robe verte, celle qu'elle portait autrefois, avant de devenir veuve. Celle qu'elle portait aussi ici, quand elle fabriquait ses potions. Sans plus hésiter, Fleur l'avait de nouveau enfilé, et était redevenue dans l'instant la jeune fille qu'elle était toutes ces années plus tôt. Fleur-des-Pois l'empoisonneuse, ce soir-là, venait bel et bien de renaître de ses cendres.

Ses longs cheveux lâchés dans son dos étaient emmêlés, et de minuscules gouttelettes la parsemait comme une poussière brillante. D'un geste sûr, elle s'empara d'une fiole aux teintes mauves et en préleva une dizaine de gouttes à l'aide d'une pipette. Une fiole vide, en gré noir celle-là, fut ainsi emplie de diverses substances. Sur chaque fiole que saisissait Gaïa, une étiquette était collée à la sève. « Colchique », « laurier rose », « belladone »... Une goutte de ceci, davantage de cela, le tout mélangé avec soin, avec amour.

Répondant à un appel qu'elle seule semblait pouvoir entendre, Gaïa reposa ses ustensiles pour se précipiter vers l'alambic, qui venait de cracher ses derniers extraits dans un bol. Fleur se garda bien de mettre le nez au-dessus, et versa sans attendre le produit dans un flacon vide, de couleur bleue. L'étiquette, ici, portait le mot « aconit napel ». Sans hésiter, l'Ortie préleva une belle quantité de substance et en versa une huitaine de gouttes dans la fiole en gré noir. Elle touilla délicatement, et boucha sans attendre. Le goulot fut recouvert de cire rouge et chaude, et un petit ruban vert y fut collé, par-dessus lequel Fleur apposa son sceau, gravé de ses initiales. Ainsi, la preuve de l'authenticité de produit était fourni. Et la perfection du poison ne serait pas remise en cause. Car parfait, le poison l'était, si parfait qu'une seule gorgée suffirait à la tuer dans les deux heures à suivre.

C'était la troisième fiole que Fleur emplissait ainsi. Les poisons étaient toujours soigneusement préparés, et le vin rouge qui les accompagnait pour en allonger la durée de vie était choisi parmi les meilleurs disponibles. La première contenait tout autre chose, bien que d'une certaine façon, la triple commande était liée inextricablement. La potion était contenue dans une charmante fiole rose foncé, en forme de poire, orné d'un ruban vert et du sceau. Le produit était réservé à un usage que Fleur jugeait presque triste. Comme à chaque commande, elle avait ici choisi des plantes qui s'harmonisaient et qui étaient terriblement efficaces. L'abortif comprenait un mélange de sauge, de chardon marie, de feuilles de framboisier et de bourrache, auxquelles Fleur avait ajouté de la prêle et de la passiflore. Ce serait expéditif. C'était l'effet désiré, aussi cela tombait plutôt bien.

Une fiole, en gré blanc, un peu plus grande que les trois autres, attendait déjà d'être livrée. Posée sur un guéridon près de la porte, marqué du sceau et du ruban là encore, la mixture n'attendait que le départ de Fleur vers sa cliente. Celui-ci était, encore, lié aux trois autres produits. Bien que pour une autre personne. Gaïa avait décidé de faire ici un travail excellent, décidée à se surpasser elle-même.
Un peu d'aubépine, pour favoriser le sommeil, associée à la mélisse qui avait le même effet, garantirait à sa cliente un endormissement rapide. De la ballote et de la valériane assureraient une véritable détente, puisqu'il s'agissait de deux plantes anxiolytiques. Une goutte de belladone et une autre de pavot, pour que le sommeil soit si profond que les rêves en seraient absents. Pas trop non plus, puisque les deux plantes, à haute dose, risquaient fort d'empêcher définitivement le dormeur de se réveiller. Mais, ainsi dosées et mélangées, les plantes auraient l'effet désiré.

C'était étrange, songea Fleur en repoussant une mèche de cheveux, alors qu'elle achevait son ouvrage, d'avoir obtenu ces deux commandes. Des deux personnes qu'elle supposait les moins enclines à fait appel à elle. Niallan et Neijin. Un léger sourire étira les lèvres de l'empoisonneuse. Un contrat était un contrat, qu'importait qui était le client. Mais tout de même. Il y avait de quoi rire.

Drago se réveilla et s'étira. C'était le milieu de la matinée, le soleil brillait à travers le voile de nuages. Le petit garçon, les cheveux en bataille, se leva et s'approcha de sa mère qui tourna le nez vers lui sitôt qu'elle le vit bouger.


- Mamma... J'ai faim. Tu as travaillé toute la nuit ?
- On va aller manger mon ange. Oui ! Toute la nuit mais ça en valait la peine. Dans deux jours je livre les fioles à ton père, ce soir celle pour sa fiancée, et dans trois jours nous quittons ce duché.
- On va où ?
- Voir Shirine, en passant par Limoges. Je dois retrouver un menuisier. On restera là-bas quelques semaines.


Drago acquiesça en se frottant les yeux, et bailla longuement. Fleur, riant de voir son petit garçon encore tout ensommeillé, le souleva et le cala contre sa hanche.

- Mais avant, on va manger ! Tu ne deviendras pas un grand garçon si tu ne remplis pas ton ventre.

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Fleur.des.pois
{Le 13 octobre 1465}

Ce serait peut-être la dernière belle journée de la saison. Il faisait beau, et tiède. Le soleil nimbait les feuilles mortes tapissant le sol de reflets d'or et de cuivre. Même dans la forêt, il ne faisait pas froid. Fleur était sortie sans cape, ne portant qu'une robe chaude, en laine noire, très simple. Un panier au creux du coude, elle marchait sur la pointe des pieds, un sourire aux lèvres, les yeux pétillants. Drago avait décidé de jouer à se cacher, et sa mère devait le retrouver.

Son œil expert, qui savait repérer les champignons, détecta bientôt une petite empreinte de chaussures, et le sourire de la Fée s'accentua. Se faisant encore plus silencieuse, elle s'approcha à pas de loup de tronc d'un gros arbre... et fit un bond de côté pour surprendre son fils. Il était bien là, tapi, une main sur la bouche pour étouffer son rire. Mais lorsqu'il vit sa mère devant lui, il ne put retenir un cri de joyeuse surprise, et éclata de rire tandis qu'elle passait les bras autour de lui.


- Mammaaaaa !

Gaïa, l'ayant saisi sous les bras, le faisait tourner, les jambes dans les airs, et tous deux riaient à s'en couper le souffle. Ils tombèrent, enchevêtrés l'un dans l'autre, hilares parmi les feuilles mortes. C'était une journée magnifique, splendide. Rien au monde n'aurait pu les rendre plus heureux l'un l'autre. Fleur hissa Drago tout contre elle et déposa un baiser sur son front, puis ses joues, et souffla très fort dans son cou, faisant voler tout autour d'elle les éclats du rire de son petit garçon.

- Oh Mamma, je voudrais rester pour toujours rien qu'avec toi.
- J'en serai profondément heureuse, mon amour.


Elle le couva des yeux, replaçant machinalement une mèche de ses cheveux. Après tout pourquoi pas, songea-t-elle. Elle voulait passer quelques temps avec Shirine dans son beau château mais ensuite ? Elle n'allait pas passer sa vie là-bas. Et ce rêve étrange, d'une chaumière en bord de mer, où vivre heureuse jusqu'à la fin des temps, ne serait-il pas possible ? Elle était certaine, au fond, qu'elle ne retrouverait jamais l'amour. Elle l'avait déjà vécu, et puis il y avait Henri, qu'elle aimerait de loin. Niallan, c'était terminé depuis une éternité, et puis il allait se marier, bâtir sa propre existence, avoir des enfants légitimes - dont il tâcherait de s'occuper, sans doute. Mais bien entendu, comme toujours, il trouverait le moyen de faire voler son bonheur en éclats. Cela ne concernait plus l'Ortie, elle ne se consacrait qu'au bonheur de son fils. Alors pourquoi ne pas s'octroyer une vie plus calme ? Une vie heureuse ? Son fils mènerait une vraie vie de petit garçon, il apprendrait comme les autres, à faire des bêtises et à rire d'un rien. Parfois, Gaïa rêvait de cette existence-là. Mais elle n'avait jamais eu le courage de la vivre.

- Est-ce que... Est-ce que cela te plairait, qu'on ait une maison à nous ? Ici, en France ?
- Plus de voyages ?
- Oh si bien sûr. On pourrait toujours voyager quand on le voudrait. Mais nous aurions notre chez nous. Et tu aurais ta chambre à toi.
- Oui... Oui, je crois que j'aimerais. Comme à Venice.
- Exactement comme là-bas. Sauf qu'ici on serait complètement libres. On aurait une domestique, bien sûr, pour entretenir la maison. Mais à part ça, on serait simplement toi et moi.


Jusqu'à ce que tu sois grand ajouta-t-elle intérieurement. Grand, adulte, prêt à vivre ta vie sans m'avoir près de toi.
Ce jour arriverait, elle le savait. Et elle savait exactement ce qu'elle ferait alors. Elle irait vivre à Paris, à l'auberge de la « Hulotte Jolie ». Elle reviendrait à la maison du bord de mer en été, pour profiter du soleil et du bon air. Et, lorsqu'elle en aurait assez, elle irait finir ses jours à Venise. Dans des années, des siècles, même, puisqu'elle n'avait que vingt-quatre ans. Ce n'était plus une jeune fille, certes, mais c'était une jeune femme, qui avait déjà vécu, qui avait rempli les conditions pour être traitée sans condescendance - quoi qu'aucune personne saine d'esprit ne traiterait Gaïa avec condescendance. Son statut de veuve lui offrait une sorte de protection. Parce que, même les empoisonneuses les plus redoutables se sentaient mal à l'aise si elles restaient éternellement vieilles filles. Cela ôtait quelque chose. Le veuvage, au moins, c'était exotique et respectable.


- Veux-tu aller boire un lait à la crème avec du miel ? Et manger des biscuits ? Ensuite nous pourrions apprendre des tours à Nox, si tu le souhaites ?
- Oh oui Mamma ! Oui, oui !


Fleur se redressa, aidant son fils à faire de même, et le serra soudainement contre elle. Loin de se débattre, le petit garçon enroula les bras autour de son cou. Gaïa comprit immédiatement. Elle le souleva, et cala les mains sous ses cuisses tandis qu'il crochetait ses chevilles dans le dos de sa mère. Elle adorait le porter ainsi, même s'il commençait à peser un peu lourd pour son gabarit de lutin. Mais le poids n'avait aucune importance. C'était son fils, elle le soulèverait ainsi tant que ce serait possible. Pour l'instant ça l'était, et ce fut ainsi qu'ils regagnèrent l'auberge pour boire un lait chaud.
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Drago.corleone
{Le 15 octobre 1465}

Drago était furieux. Comme à tous les petits garçons du monde, ça lui arrivait de temps en temps. Qu'il laisse manifester ses émotions était chose rare, sauf en présence de sa mère bien entendu. Mais en public, ce n'était pas courant du tout.
Comme il ne savait pas vraiment manifester sa fureur et qu'il n'était pas une fille - donc n'avait pas hérité du talent exclusivement féminin qui est de balancer par terre des vases et des assiettes - il optait pour une technique bien plus masculine. D'un gourdin, il s'amusait à frapper les murs et les roues des charrettes.

Ils étaient encore à Chalon. Sa Mamma était venue le voir la veille au soir en lui expliquant que de manière tout à fait imprévue, ils devaient encore rester là quelques jours, et que tout, de manière globale, était entièrement la faute de son abominable père. Ce fut exactement ainsi que Drago entendit les explications maternelles. À savoir si ç'avait effectivement été ces mots-là qui avaient été employés, nul au monde ne le saura jamais.


- Tu vas voir, Nox. Ce fils de troll va payer pour ça.


Fleur n'était pas avec son fils. Drago lui avait annoncé avoir besoin de se dégourdir les jambes et de dégourdir celles de son chien. Elle était en train de prendre son bain et le petit garçon savait qu'elle en aurait au moins pour deux heures. Donc, il avait le temps.

Il arpentait seul, en compagnie de Nox tout de même, les rues de Chalon, direction l'auberge où Niallan logeait. Le petit garçon avait sorti son plus bel habit du dimanche, un ensemble en velours noir avec une chemise blanche sous le pourpoint à crevé, et des bas de chausses en laine immaculée. Même ses godillots étaient cirés de frais. Il était bien propre et sentait bon le savon de saponaire. Ses cheveux étaient brossés, ses joues roses de bonne santé, et tout en cheminant, il avait ravalé la fureur qui froissait ses traits au profit d'un air doux, presque gentil. Ces derniers temps, de toute façon, il s'était efforcé de paraître doux et gentil en public, pour que les gens croient qu'il avait changé. S'ils savaient !


- Je veux voir le signore Niallan,
fit-il à l'aubergiste sans prendre la peine de le saluer. Je suis son fils, Drago.

Puis, semblant brusquement changer d'avis, il agita ses petites mains devant lui.

- Oh no no, en fait je ne veux pas le voir je... J'ai peur de déranger, je... Enfin comme on est dimanche, je me disais que peut-être il accepterait de manger avec moi pendant que Mamma se lave mais...

Tout était parfaitement orchestré. L'hésitation, la confusion, la gêne... tout y était. Cet enfant avait de qui tenir.

- Dîtes-lui que je suis passé. Drago, son fils. Je lui offre ça et s'il veut... Je voudrais apprendre à pêcher alors... Mamma dit qu'il sait. Il peut venir me trouver à l'auberge où on est avec Mamma.

Il posa sur le comptoir, devant un aubergiste attendri, un gros bocal de mirabelles au sirop en se hissant sur la pointe des pieds.

- Oh que beaux fruits que voilà mon petit ! Pour ton papa, donc ?
- Oui. Je les ai acheté avec mes sous au signore Alphonse sur la place du village.
- Il va être content. Je vais lui donner tout ça quand il passera alors.
- Merci !


Et Drago s'en fut, un sourire ravi au visage. Ravi, parce que si le bocal venait bien tout droit du marché, le laxatif qui était dedans provenait des fioles de Fleur. Celle-ci, à sa décharge, n'en avait pas connaissance. Le produit, rendu indétectable à l'odeur comme au goût par la quantité de miel et de sirop contenu dans le bocal, était horriblement efficace, comme tout ce que faisait Gaïa. Et ça, Drago le savait très bien.

Plus tard, lorsque l'aubergiste verrait Niallan, il le retiendrait un instant en lui donnant un bocal de mirabelles au sirop, et déclarant : « Un petit garçon... Drago, votre fils. Il vous offre ça, il voulait vous voir d'abord mais je crois bien qu'il a eu peur de gêner. Il voulait manger avec vous pendant que sa mère était occupée. Ce brave petit, il veut apprendre à pêcher et sa mère lui a dit que vous saviez. Au départ je dois dire, les premiers temps de sa venue y a deux semaines, votre fils m'impressionnait un peu, bizarre pas vrai ? Mais cette façon de jamais sourire... Bref, je crois que voir des gens joyeux l'a un peu détendu, il est parti avec un gentil sourire de bon garçon. Il a dit qu'il vous attendrait à l'auberge où loge sa mère. Brave gamin ! Et les fruits du père Alphonse sont bons, j'en ai acheté tout un bocal, mais de prunes moi, bah dites, c'est sacrément divin. Il a dit, votre garçon, qu'il avait dépensé tout ses sous pour vous faire un cadeau ! Brave gosse, pas vrai ? »

C'était toujours assez difficile de faire taire un tavernier, et celui-ci semblait d'humeur bavarde. Ce qu'il ignorait, et que Niallan découvrirait trop tard, c'était que tout au fond du bocal, sur un gros noyaux de pêche trouvé lors de ses balades, Drago avait gravé à l'aide d'une pointe de poignard les quelques mots suivants : « Tu fais chier, Papà »
Et ça voulait tout dire.

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Fleur.des.pois
{Le 17 octobre 1465}

L'avant veille au soir, Fleur avait sérieusement grondé Drago. Peut-être pour la première fois de sa courte existence. Non,se rappela-t-elle. Pas pour la première fois. Et cela n'avait pas valu ladite première fois. Il devait avoir trois ou quatre ans et lui avait lâché la main, au marché. Il s'était perdu et avait failli tomber à l'eau. Fleur avait eu la peur de sa vie et avait fortement disputé le petit garçon, avant de le serrer dans ses bras à l'en étouffer.
Cette fois-ci, il s'était fait gronder parce qu'il l'avait volé, et que Gaïa ne permettait pas qu'on dérobe ses affaires. Aussi contradictoire que cela puisse sembler, elle refusait que son fils devienne un voleur, même si elle lui apprenait l'art délicat de faire traîner ses doigts un peu partout. « Mais pas dans mes poches ! » avait-elle assené, quelque peu agacée.

L'Ortie n'avait pas passé une bonne nuit, bien que Niallan avait du souffrir encore bien davantage. Elle avait mangé une mirabelle, elle avait suçoté le sirop, et elle en avait payé le prix. Quand Niallan se vidait sans gloire et sans retenue - le pauvre - elle l'avait presque imitée, quoi que bien moins longtemps. Elle avait passé une partie de la nuit à prednre régulièrement un mélange composé de jus de cassis, de sureau noir, d'alchémille et de souci, associés à divers plantes pour stopper les diarrhées. Quelques heures plus tard, tout était terminé et ce n'était plus qu'un mauvais souvenir.


- Mais tout de même, mon trésor. Tu dois me prévenir quand tu fais une chose pareille. On décidera ensemble de la dose à administrer. Tu te rends compte ? Tu as vidé la fiole quand dix gouttes suffisaient ! Tu aurais pu tuer ton père, à ce train-là.

Gaïa retint un sourire tout en entraînant Drago avec elle à travers les rues. Elle lui tenait fermement la main pour le forcer à avancer, ce qu'il faisait tête basse.

- Et puis je n'en aurai pas consommé moi-même, déjà.
- Pardon Mamma... Je suis désolé.


Drago avait pleuré quand il avait su. Mettre sa mère en danger, la faire souffrir, cela lui était insupportable. Il avait accueilli sa punition sans sourciller. Il estimait la mériter, bien qu'il ne regrettait pas d'avoir donné la colique à son père. C'était tout de même de sa faute s'il était coincé à Chalon au lieu de découvrir les merveilles de Limoges et de l'Armagnac.

Parvenus à l'auberge où logeait Niallan, Fleur alla trouver l'aubergiste, qui reconnut instantanément Drago. Il le salua gentiment et lui assura avoir donné le bocal, s'apprêtant visiblement à décrire avec passion chaque seconde de la réaction de Niallan.


- On sait, on sait, l'interrompit Gaïa en agitant une main impatiente. Nous venons remettre ce pli au même sieur. Niallan Ozéra, donc. Au plus vite je vous prie.

Le parchemin était scellé, et fut donné au tavernier qui ouvrit la bouche pour déblatérer probablement tout un laïus sur les bienfaits de la correspondance, mais Gaïa ne lui en laissa pas le temps. Elle le remercia et sortit sans attendre, traînant toujours son fils derrière elle.

- Je sais que tu veux t'en aller mon trésor, mais il va te falloir encore attendre vendredi ou samedi.Tu veux qu'on aille acheter des choses au marché en attendant ? Tout ce que tu voudras, mais chasse-moi cet air boudeur et triste. Je t'ai dit que je ne t'en voulais pas et que tout est terminé. Tu veux quoi, mon coeur ? Des beignets ? Un livre ? Un poney ?

Citation:

    Le 17 octobre 1465
    Chalon

    Padre,

    Je te demande pardon pour avoir mis le laxatif dans le bocal de mirabelles. Mamma m'a expliqué que c'était très vilain et elle veut que je te présente mes excuses. Alors je te présente mes excuses.

    J'ai fait ça parce qu'à cause de toi je suis encore à Chalon et que je voulais m'en aller pour voir autre chose. Ce n'est pas une bonne raison mais c'est la seule et la vraie.

    J'espère que tu me pardonneras.

    Drago


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Fleur.des.pois
{Le 21 octobre 1465}

Il pleuvait à verse. Depuis la fenêtre de sa chambre d'auberge, Fleur regardait la pluie tomber, comme un rideau sombre sur la ville tout entière. Les sourcils légèrement froncés, elle se tourna vers la porte, une chemise à la main. Drago était sorti une heure plus tôt, avant que ne tombe l'averse, et il n'était toujours pas rentré. Où pouvait-il bien être ?

Gaïa s'efforça de faire taire le début d'angoisse qu'elle sentait poindre en elle, et recommença à plier ses robes. Celle qu'elle portait la veille était particulièrement chiffonnée, ce qui n'avait rien d'étonnant quand on songeait à la façon dont elle avait été retirée. Fleur esquissa un sourire à ce souvenir. Elle avait fini par arriver à faire ce qu'elle avait envie de faire depuis des semaines, mais cette fois, ce n'était pas un sentiment de triomphe qui la traversait. C'était quelque chose d'infiniment plus doux et peut-être d'un peu mélancolique aussi. C'était la toute dernière fois, songea-t-elle en soupirant, qu'il avait posé les mains sur elle, sur sa peau, et ce constat l'attristait. Parce que - et cela bien davantage que ce qu'elle avait imaginé - chacune de ses caresses l'avait comblé, et que si on lui avait donné le choix, elle aurait voulu qu'il en soit ainsi jusqu'à sa mort.

Fleur secoua légèrement la tête, chassant Niallan de ses pensées pour le moment. Elle avait encore une malle à remplir avant le départ du soir, et il fallait qu'elle accélère le mouvement. Celle de Drago était prête, ainsi que sa petite malle à potions et à plantes. Ne restait que deux robes et le choix de la cape de voyage. Ce fut au moment où elle optait pour une cape noire à capuche en laine bouillie, bien chaude, que la porte de la chambre s'ouvrit à la volée, et que Drago en personne fit son apparition.

L'Ortie poussa un cri de surprise, une main sur le coeur, et s'apprêtait à disputer Drago pour entrer si violemment lorsqu'elle remarqua qu'il était trempé de la tête aux pieds.


- Madre mia ! Mais comment se fait-il...

Elle s'approcha de lui et l'enroula dans la cape qu'elle venait juste de choisir. Le petit garçon tremblait de froid, ses dents s'entrechoquaient, ses joues étaient toutes rouges, mais il souriait quand même, les deux mains bien serrées autour d'un petit paquet.

- Drago ! Où étais-tu ? Tu as traîné sous la pluie ? Tu es fou mon chéri !


Sa mère le frictionna vivement, mais il se débattit et sortit la tête de sous la cape.

- Mamma ! J'ai un cadeau pour toi.

Il lui tendit le petit paquet. Fleur s'en saisit, toute étonnée, et ôté le papier de soie qui emballait le présent. Il s'agissait d'un charmant bracelet en argent, avec de très jolies fleurs gravées dessus, en relief. Gaïa sourit, toute attendrie.

- Mon coeur, c'est magnifique... Grazie. Où as-tu trouvé ça ?


Elle déposa un baiser sur sa joue tandis qu'il lui répondait :

- Un vendeur sur la place du village. Mais la négociation a été longue et du coup je suis resté sous l'eau.

Fleur réprima un froncement de sourcils et l'embrassa de nouveau, avant de passer le bracelet.

- Vas te sécher maintenant, mets-toi devant le feu. Et surtout tu retires tous tes vêtements. Je vais t'en chercher des secs. Peut-être même... Oui, tu vas prendre un bain chaud.

Mais, tandis que Fleur descendait pour demander à ce qu'un baquet lui soit préparé, Drago ne fit pas ce que sa mère lui avait demandé. Il repoussa la cape humide et tira sa malle vers lui, non pas pour en extraire une nouvelle tenue, mais pour se saisir d'un cahier, où il consignait tout ce qu'il avait fait, du plus petit achat au vol le plus téméraire. Il n'avait même pas froid, d'ailleurs. La pièce baignait dans la chaleur du feu. Sa mère était trop anxieuse. Ce n'était qu'un peu de pluie.

Lorsqu'elle revint un quart d'heure plus tard, Fleur poussa une exclamation contrariée.


- Drago ! Tu me tues ! Tu sais qu'en faisant ça, tu es en train de tuer Mamma ?


Elle l'empoigna fermement, lui fit prendre son bain et l'habilla elle-même d'un ensemble en velours noir composé d'un pourpoint et d'une paire de braies courtes, de bas de chausses en laine et d'une chemise épaisse. Elle lui interdit toute sortie jusqu'à ce que la pluie cesse, et reprit son rangement en pestant en italien, pour le plus grand plaisir de Drago qui avait tout de même le bon goût de prendre un air vaguement penaud.

Ce ne fut que plusieurs heures après que quelque chose fit de nouveau froncer les sourcils de Fleur. Drago s'était mis à éternuer.

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Fleur.des.pois
{Le 23 octobre 1465}

Comme pour venir jusqu'à Chalon, Fleur avait opté pour un moyen de transport couvert. Le cocher menait la voiture bon train de long du chemin de terre humidifiée par les dernières pluies. Il n'allait cependant pas assez vite pour gagner Nevers en partant d'Autun, et ils durent camper. Gaïa prit aussitôt les choses en main, ordonnant au cocher d'allumer un feu pendant qu'elle sortait de l'habitacle chaudron et viande encore fraîche. Puisque les averses les avaient empêché de poursuivre leur route dès que midi avait sonné, au risque d'être embourbés, le ragoût avait eu le temps de mijoter des heures durant, et, au crépuscule, un délicieux fumet s'échappait du chaudron d'étain. Le cocher, un homme d'une quarantaine d'années au teint rougeaud, mangea de bon appétit et s'installa sous sa petite tente. Fleur, elle aussi, vida son écuelle rapidement. Drago, lui, avala à grand peine quelques bouchées.

Inquiète, Fleur posa une main sur le front plus pâle que d'ordinaire de son fils bien-aimé. Il était peut-être un peu plus chaud qu'il n'aurait du. Il ne semblait bien en forme et avait toussé à de nombreuses reprises au court du trajet.


- Va te mettre au chaud,
ordonna-t-elle.

Drago ne chercha même pas à protester. Frissonnant, il se glissa sous la tente qu'il partageait avec sa mère. Des peaux de cuir tanné doublées d'une solide toile leur servaient d'abri, tendues sur des piquets bien enfoncés dans le sol. Ainsi, la pluie ne traverserait pas et ils seraient au sec. Pour les protéger de l'humidité du sol, Fleur avait étalé des peaux de bêtes, par-dessus lesquelles elle avait jeté des couvertures. Drago s'installa sous l'une d'elles et grelotta un peu moins. Pendant ce temps, dans un chaudron plus petit, Fleur faisait infuser du thym auquel elle avait ajouté du miel, ainsi que de l'écorce de saule blanc. Elle jeta également une poignée de fleur de sureau, et touilla doucement à l'aide d'une cuillère en bois.

Fleur avait rabattu le capuchon de sa cape et se tenait au plus près du feu. Il ne faisait pas vraiment froid, mais l'humidité rafraichissait vraiment l'air. Pour le voyage, elle avait opté pour une simple robe en laine tissée, suffisamment chaude pour l'empêcher de frissonner. Elle avait veillé à ce que Drago porte des vêtements épais, cela ne semblait pourtant pas être une précaution nécessaire. Sa promenade sous la pluie et le temps qu'il avait mis à se changer n'avaient rien arrangé, tout au contraire.

Il n'y avait pas encore de quoi paniquer, décida-t-elle en filtrant son mélange pour en ôter les plantes détrempées. Ce n'était rien. Cela ne devait pas être grave. Il avait déjà attrapé quelques rhumes, après tout. Elle emplit une tasse de breuvage et se glissa sous la tente pour la donner à son fils. Tout en surveillant qu'il buvait bien tout, elle l'observa attentivement. Elle veillerait sur lui, et le protègerait de tous les maux du monde. Elle était maître des plantes, après tout, elle savait ce qu'il fallait donner pour soigner.

Lorsque Drago eut vidé sa tasse, elle l'embrassa sur le front et le borda soigneusement. Elle lui promit de revenir très vite, posa le petit chaudron encore rempli de potion à côté du feu, et s'en alla trouver le cocher. Grattant la toile de tente, elle attendit qu'il passe la tête par les battants pour se pencher vers lui.


- M'dame ?
- La prochaine ville se trouve loin d'ici ?
- Une dizaine de lieues, j'dirais. Mais comme j'vous disais hier, j'peux en faire facile vingt par jour. On n'aura pas besoin de...
- Je voudrais qu'on s'y arrête, justement. Mon fils est un peu souffrant et un bon lit lui serait profitable. Donc nous ne ferons que dix lieues, cette nuit.
- Pardonnez, M'dame, mais si on n'fait que dix lieues, ça vous dérange si on part avant l'aube et pas en pleine nuit ? L'terrain est compliqué avec toute cette flotte qui tombe du ciel. Si j'vois clair, ce sera mieux. On s'évitera l'enlisement.


Gaïa acquiesça, se redressa et lui souhaita bonne nuit avant de regagner sa propre tente. Elle s'allongea à côté de Drago, qui s'endormait doucement. Il se blottit contre elle lorsqu'il la sentit près de lui et elle le berça tendrement. Tout irait bien, se persuada-t-elle. Elle maîtrisait la situation.
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Fleur.des.pois
{Le 26 octobre 1465}

Cela faisait trois jours que Gaïa n'avait pas bougé. Dès qu'ils étaient arrivés en ville, Fleur avait loué une chambre dans la meilleure auberge et y avait installé son fils. Il était aujourd'hui brûlant de fièvre et son petit corps tremblait et frissonnait. Son front pâle couvert de sueur, il était allongé au milieu des oreillers, son petit chien blotti contre lui, le regard plein d'inquiétude. Mais cette inquiétude n'était rien en comparaison de celle qu'éprouvait l'Ortie.

Elle ne s'était pas lavée ni changée depuis trois jours, se contentant, quand elle y pensait, de passer un linge imbibé d'eau de bleuet sur son visage las. Ses cheveux étaient nattés et n'avaient pas vu un peigne depuis trois jours. L'empoisonneuse refusait de s'alimenter tant que son fils n'irait pas mieux. Et elle faisait tout ce qu'il fallait pour cela. Elle lui faisait boire toutes les deux heures diverses potions destinées à faire baisser la température et appliquait sur son visage des compresses d'eau froide. Les fenêtres étaient régulièrement ouvertes pour rafraîchir et purifier l'air. Elle le forçait à boire un bouillon de légumes au jus de viande, pour l'hydrater et le nourrir un tant soit peu.

En cette fin d'après-midi, Gaïa souleva Drago et le débarrassa de sa chemise de nuit trempée de sueur et elle le plongea dans un baquet plein d'une eau fraîche, plus basse que sa température, pour faire tomber plus radicalement la fièvre. Elle le lava avec soin, avec précaution, avant de lui enfiler une chemise de nuit propre, sans prendre la peine de l'essuyer. L'eau froide qui imprégnait le tissu achèverait de le refroidir. Fleur le replaça tendrement dans son lit, et après lui avait fait boire une tisane à base d'écorce de saule blanc, elle déposa sur son front un baiser et tomba à genoux près du lit.

Ce n'était qu'une fièvre et pourtant, Fleur avait l'impression que c'était infiniment plus grave. Il toussait également, quoique moins que la veille. Le traitement commençait à faire effet. Mais Fleur ne pouvait chasser le nœud qui lui tordait le ventre et l'empêchait de respirer. La vérité, c'était qu'elle était morte de peur. Les paupières gonflées d'avoir déjà pleuré, Fleur sentit ses yeux s'embuer. Une larme roula sur sa joue et elle serra entre ses doigts la petite main de Drago. Elle était prête à mourir maintenant, si c'était le prix de la guérison de son fils. Rien n'était important dans son monde, si ce n'était ce petit garçon qui tremblait.

Gaïa plongea brusquement le nez en avant, une main crispée sur son ventre. Elle retenait difficilement le gémissement de terreur qui menaçait de s'échapper de ses lèvres. Personne n'était là pour la rassurer. Personne n'était là pour lui tenir la main, pour la serrer contre elle et absorber ses peurs. Elle avait toujours été seule. Sauf lorsqu'elle avait été mariée à Giacomo, qui lui avait souvent été utile dans ces cas-là, lorsque Drago avait mal ou qu'il souffrait d'une manière ou d'une autre. Giacomo avait été un bon mari, avant de commettre l'irréparable. Elle le regrettait, parfois. Comme de ne pas lui avoir donné d'enfant, aussi. Mais on ne pouvait changer son passé, Gaïa ne le savait que trop bien. En revanche, on pouvait sauver son avenir. Fleur regrettait, aujourd'hui, d'avoir finalement fait succomber Niallan. C'était peut-être la punition divine pour cet acte. Cesser de forcer les gens contre la vie de son fils et sa bonne santé... Cela revenait à devenir une bonne personne. Voilà qui semblait terriblement compliqué. Mais si c'était pour sauver son Drago ? Elle était même prête à distribuer des bonbons dans les orphelinats si ça pouvait garantir à Drago d'être à tout jamais à l'abri de maladie.

Prise d'un brusque accès d'angoisse, Fleur sortit son nécessaire à écrire et griffonna une courte lettre, peut-être la plus brève de son existence - jusque-là tout du moins - d'une écriture tremblante, hachée. Elle le fit dans un état un peu second, toutes ces pensées lui tournoyant dans la tête comme une véritable tempête. Mais elle avait si peur ! Une larme roula sur sa joue et tomba sur le parchemin, diluant un peu l'encre de sa signature. Hélant dans la foulée un coursier, elle paya la somme requise et fit partir sa lettre avant de s'allonger à côté de Drago. Elle le veillerait. Elle était Gaïa l'empoisonneuse. Elle pouvait enfermer la mort en bouteille. Elle était aussi tout à fait capable de remplir tout un chaudron de remède.



Citation:

    Niallan,

    J'espère que tu as une tenue noire. Drago est en train de mourir.



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Fleur.des.pois
{Le 28 octobre 1465}

- Non.
- Mais M'dame...


Elle arqua un sourcil, comme étonnée qu'on puisse la contredire.


- Juste, peut-être que si on prenait le...
- Raymond, j'ai dit non. Je ne vois même pas pourquoi on continue cette discussion.


Le désigné Raymond n'y tint plus.

- Parce que vous êtes riche et...
- Justement. Je fais donc exactement ce que je veux. Et j'ai décidé que l'on circulerait dans ces voitures couvertes de bohémiens. Mon fils aura chaud et dormira sous un véritable toit.


Drago, qui assistait à cet échange en caressant son petit chien, s'agita un peu sous son drap. Fleur, bien entendu, avait réussi à le sauver. Il n'était plus malade du tout, bien qu'encore faible. Les deux derniers jours et les multiples prises médicamenteuses avaient eu raison de sa fièvre et de sa toux. Il était encore pâle, bien plus pâle que d'habitude, et était sujet à quelques étourdissements dus à une alimentation trop maigre - mais il n'avait rien pu avaler d'autres que du bouillon depuis des jours. Il venait de terminer un plat de lard grillé et d’œuf, accompagné d'un jus de fruit et d'une pomme. Le ventre bien rempli, il avait bu sans faire le difficile la potion que lui avait tendu sa Mamma. Et depuis dix minutes, il regardait Fleur et Raymond, le cocher, discuter.

- Mon train de vie ne regarde que moi. Je veux me fondre dans le décor, comprenez-vous ?
- Mamma, ça voudra dire qu'on devra vivre comme des... pauvres ?


Drago la regardait d'un air horrifié, serrant sa chemise de nuit entre ses petits doigts. Comme tous les petits garçons qui n'avaient connu que le luxe et l'opulence, il n'envisageait pas d'avoir moins que ce qu'il avait eu jusqu'alors.


- Bien sûr que non ! s'exclama Fleur d'un air tout aussi choqué. Pauvres ? Et puis quoi encore ! Non, pas du tout mon coeur. Mais il y a des gens qui s'attendent à ce que nous cheminions d'une certaine façon pour éventuellement nous retrouver plus facilement et je refuse de leur donner ce plaisir.

Drago fronça les sourcils. Son regard se posa machinalement sur Nox.


- Oh. Pourquoi tu refuses ? Je croyais que...
- Je me suis trompée, mon ange. Lorsque j'ai cru que je n'arriverais pas à faire baisser ta fièvre... Et rien, aucun signe. Alors je vais m'employer à faire ce qu'on m'a demandé de ne pas faire.
- Quoi ?
- Disparaître.


Raymond les regardait, visiblement perplexe. Il eut le bon goût de ne poser aucune question et fit semblant de tout comprendre, ce qui était beaucoup plus simple pour lui.


- Donc ? fit-il en les interrompant.
- Donc vous m'achetez ce drôle de moyen de locomotion. Moi je m'occupe de le faire meubler, avec mon fils bien entendu. Ensuite on ira dans une boutique pour changer un peu de tenues vestimentaires.

Gaïa jeta un regard malicieux à son fils.

- Nous avons sans doute porter suffisamment longtemps le deuil. Du moins jusqu'aux portes de l'Armagnac. Qu'en dis-tu ?

Drago eut un large sourire.

- J'en serai enchanté.

- Vous entendez Raymond ? Mon fils en serait enchanté. Donc allez faire ce que je vous demande, je vous prie. Il est temps qu'on s'amuse, nous aussi.
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Fleur.des.pois
{Le 30 octobre 1465}

Il régnait dans la chambre d'auberge louée par Fleur un délicieux sentiment de bien-être. Drago était parfaitement remis, leur nouvelle garde-robe trônait fièrement sur le lit, et Fleur, les cheveux savamment noués en un chignon incertain, faisait glisser ses petites mains sur le tissu merveilleusement doux de sa robe en velours vert. Drago quant à lui, portait sa couleur préféré, un beau bleu nuit, aux laçages d'argent.

Raymond les attendait, les malles chargées dans la caravane en bois qu'ils occuperaient jusqu'à leur arrivée en Armagnac. L'habitacle n'était pas très grand et ne comportait qu'assez de place pour y caser un lit, que Fleur partagerait avec son fils, et un petit coffre où était rangé son précieux alambic de voyage. Les malles, posées les unes sur les autres, étaient solidement maintenues par des cordages pour qu'elles ne se baladent pas dans la caravane durant le trajet.

Tenant la main de son fils, Gaïa quitta la chambre d'auberge pour voir ce que donnait son futur moyen de transport. Le toit était peint en rouge et les parois étaient restées naturelles. Rien d'extravagant, ce qui convenait parfaitement à l'Ortie. Ils seraient bien, ici. Le fait d'être à l'abri de la pluie garantirait la bonne santé de Drago, surtout que sa mère avait pris soin de disposer sur le lit des peaux de bêtes, des couvertures en bonne laine épaisse, et qu'elle avait confectionné elle-même des bouillottes : dans un sac en toile, elle avait mis des petits cailloux et des coquilles de noix. Lorsqu'il faudrait les faire chauffer, il n'y aurait plus qu'à mettre les cailloux dans un chaudron au-dessus du feu et de les glisser dans le sac ; les coquilles de noix une fois réchauffées garantiraient une plus longue tenue de la chaleur. Le tout, noué d'un cordon, serait glissé dans le lit.


- C'est parfait, Raymond. Vraiment parfait. Vous avez fait un excellent travail.
- Merci M'dame.
- Bien, maintenant, préparez les derniers effets, attelez le cheval, et allez payer l'auberge, voulez-vous ? Pendant ce temps, mon fils et moi irons faire le marché, que nous ayons toujours une réserve de nourriture au cas où. Puis nous pourrons nous remettre en route.
- Ce s'ra fait, M'dame.


Gaïa s'éloigna, tenant toujours la main de Drago qui souriait légèrement, impatient de partir, son petit chien bondissant derrière lui.
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Niallan
Le 26 de ce mois-ci et de cette année-là -non, je ne chantais pas pour la première fois-, je sais plus très bien ce que je faisais. Pendant que mon ex-femme voyait son monde s'effondrer, je devais essayer péniblement de reconstruire le mien en implorant ma fiancée de me pardonner. Je dormais dehors, je m'arsouillais le groin et je me faisais plus discret qu'un grain de sable au fond des abysses. Le lendemain, c'était approximativement la même musique triste et ennuyeuse qui se jouait : moi bourré autant d'alcool que de regrets, loin de l'aimée. Le surlendemain, du pareil au même, je m'enfonçais dans mon chagrin au même rythme que ma barbe repoussait, c'est à dire assez vite pour me rendre un sourire que je perdais aussitôt. Le dimanche -ou sursurlendemain si tant est que ça existe-, c'était un peu plus animé.

Je vous la fais courte : j'ai appris que ma fiancée avait eu envie d'un autre. Bon, d'accord il s'est rien passé mais quand même ! Ils se sont baignés, tous les deux, en automne ! Si c'est pas suspect ça ! Et quand j'avais soumis le projet de le dépoireautiser et de lui casser la mâchoire au passage, l'idée n'avait pas plu. On s'était engueulés, fort. Mauvaise foi en marche, je lui ai dit qu'elle faisait pire que ce que j'avais fait avec Fleur -oh, j'ai quand même résisté des semaines et puis c'est mon ex-femme, et puis elle est belle belle belle comme le jour, belle belle belle comme l'amour-. C'est bon, j'arrête.

Bref, on s'engueulait. Fort. Jusqu'à ce que je balance que « puisque c'est comme ça, je me casse ! ». Sur le coup, je le pensais. J'étais en colère comme un berbère, jaloux comme un poux et malheureux comme un lépreux. Ça a failli se faire, on se disait presque adieu avec les larmes en accompagnement. Sauf que ça s'est pas fait. Je suis resté et lui ai demandé de m'épouser. Toute la nuit durant, on s'est entraîné à faire un enfant, pour la première fois depuis la dernière fois.

Aujourd'hui lundi, j'ai reçu une lettre visiblement courte mais tout à mes préparatifs de mariage et à la Diegobysation, j'ai pas eu le temps de la lire immédiatement, j'ai dit :
Ouais, ouais, pose ça par là.
Par là c'était sur une étagère un peu branlante, dans notre tente.

Ensuite, je suis allé par ici pour boucler les préparatifs et ne suis revenu par là que bien plus tard. En début de soirée, quand tout s'était calmé, j'étais un peu (très peu) moins bourré. Dans un bâillement, je me suis emparé de la lettre.
J'ai vu, j'ai bu, j'ai répondu.

Citation:
Fleur,

Qu'est-ce que tu racontes ? Qu'est-ce qui se passe ? Explique-toi bon sang !
Tu peux pas m'annoncer que notre fils est en train de *trace d'encre, signe d'hésitation* faire ce que t'as écrit en me parlant seulement des frusques que je dois porter si ça arrive.

Si je peux faire quoi que ce soit, dis-le moi.

Dis-moi ce qui se passe, je t'en prie.
Dis-moi qu'il va mieux, je t'en supplie.

Niallan.


Je me mords la lèvre, regardant ce courrier bien trop court pour refléter mes angoisses que je ne confierai à personne, pas même à Neijin ou Diego. Demain est censé être le plus beau jour de la vie de l'une, le pire jour de la vie de l'autre. Alors je reste là, affalé sur mon pieu, pipe au bec, à caresser maladroitement les lettres abîmées par ses larmes. Et j'implore toutes les divinités oubliées de ne pas me prendre un enfant. Pas encore.
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Bannière réalisée par les grands soins de JD Calyce.
Fleur.des.pois
{Le 1er novembre 1465}

Il faisait de plus en plus froid. Les lèvres entrouvertes de l'empoisonneuse laissaient échapper un léger voile de vapeur blanc dans l'air immobile de ce milieu d'après-midi. La ville n'était pas très animée mais cela importait peu à la jeune femme. Elle se tenait perchée sur les remparts, entre deux merlons, les deux pieds sur un créneau. Il n'y avait qu'une petite brise, qui agitait ses cheveux. Une natte entourait son crâne à la manière d'un bandeau, le reste de sa chevelure était, quant à lui, laissé libre. Elle portait une robe d'un grenat profond, en laine tissée de bonne facture. De là où elle se trouvait, elle apercevait la caravane en bois, près de laquelle l'attendait Drago. Elle entendait, porté par la brise légère, les aboiement joyeux de Nox. De Raymond, elle n'avait pas de nouvelles mais Fleur ne s'en souciait pas. Il était probablement dans quelque taverne de la ville, il reviendrait à temps pour le départ.

Dans sa petite main aux doigts fins, Gaïa tenait bien serrée une lettre chiffonnée. La lettre qu'elle avait reçu la veille, qu'elle avait lu d'un air méprisant, avant de s'y intéresser davantage aujourd'hui. Ainsi donc, après des jours, le père daignait s'intéresser à son fils. Il croyait encore qu'il était malade. La lettre semblait indiquer une inquiétude réelle, mais ce n'était que quelques mots stupides, rédigés à la hâte, et qui arrivaient bien après le drame qui avait failli emporter Drago.
Un autre feuillet accompagnait la lettre de Niallan. La réponse, qu'elle avait rédigé quelques heures plus tôt, et qui l'informait qu'il s'en était sorti, sur le ton moqueur et assassin qui était le sien. Mais là, perchée sur les remparts, Fleur avait changé d'avis.

D'un geste vif, elle déchira en deux les deux missives. Puis de nouveau en deux, et encore, et encore, et encore, jusqu'à ce qu'il n'en reste rien. Fleur ouvrit la main et tendit le bras. Le vent, pour léger qu'il soit, emporta tous les fragments de parchemins. Niallan n'aurait pas de réponse. Niallan venait d'être emporté dans un souffle d'air. À l'image du vol de papier, le père de son enfant venait de quitter ses pensées. Mais la vengeance de Fleur n'était pas encore tout à fait terminée.

L'Ortie sauta du créneau pour regagner le chemin de ronde, descendit la volée de marches qui menait dans l'enceinte de la ville, et regagna la caravane de bois. Drago était toujours en train de jouer dehors. Raymond rentrait tout juste, il chargeait quelques vivres dans le coffre prévu à cet effet.


- Vous voudrez bien retourner en ville, Raymond, pour transmettre un message.
- Quoi comme message, M'dame ?
- Vous allez payer autant d'hommes que vous le jugerez nécessaire. Ils devront se rendre à Chalon répandre la nouvelle qu'un garçon brun de huit ans a succombé à une fièvre, et que sa mère, une femme brune avec un accent, s'est suicidée en avalant un poison. Ils devront ajouter qu'ils portaient tous deux un nom de famille mal famé. Qu'ils donnent un grand luxe de détails. Une mère et son fils qui portaient des vêtements de velours noir. Qu'ils mentionnent aussi un petit chien. Engagez de bons acteurs.
- Bien M'dame... Mais comment vous saurez qu'ils ont fait leur travail ?
- Vous leur donnerez de l'or. Et vous leur en promettrez le double une fois la mission accomplie.
- Bien, M'dame.


Raymond repartit dans l'instant, et Fleur gagna l'intérieur de la caravane, une ombre de sourire passant sur ses lèvres rougies par le froid.
Quelques jours plus tard, elle le savait, parviendrait la rumeur de sa mort, dans ce village qu'elle avait quitté des jours plus tôt. C'en était fini de ses sentiments, qui avaient resurgi au contact du père de son fils. Cette fois, c'était définitif. Il ne valait pas mieux que Giacomo. Elle avait eu la vie de feu son mari. Elle l'avait regardé mourir sans sourciller. Pour Niallan, ce serait différent.
Chaque vengeance l'était, après tout.

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Fleur.des.pois
{Le 7 Novembre 1465}

Quelque chose n'allait pas.
Ils étaient arrivés à Limoges quelques jours plus tôt et avaient décidé de rester ensemble, juste tous les deux, à l'écart de la ville et de ses habitants. Maintenant qu'ils revenaient au monde, après ces trois jours de paix à profiter l'un de l'autre et à rire comme autrefois, Gaïa se rendait compte que quelque chose n'allait pas. Pas autour d'elle, mais en elle. C'était diffus, comme un vêtement un peu trop serré dont on n'arriverait pas à localiser l'endroit où il nous comprime trop.

Elle se sentait fatiguée alors qu'elle dormait comme un loir. Un mal de ventre persistant la faisait grimacer régulièrement, mais Fleur avait appris depuis bien longtemps à cacher toutes manifestations de douleur, et en particulier devant son fils. Inutile de faire tout un cas d'une chose banale, elle préférait plutôt prendre des plantes et poser sur l'endroit douloureux l'une de ses bouillottes chaudes. Le poids des pierres n'était pas particulièrement pour lui plaire, mais au moins était-ce plutôt efficace.

Le froid, de plus en plus intense, avait poussé les Corleone a s'installer dans une chambre d'auberge, où un bon feu ronflait continuellement. Comme ils comptaient rester quelques jours avant de se remettre en marche vers l'Armagnac, ils en avaient profité pour étaler leurs affaires dans la vaste pièce, Gaïa ayant réservé la meilleure chambre de l'auberge où ils s'étaient arrêtés. Elle savait, pour en avoir entendu la rumeur, que quelques membres de sa famille se trouvaient en ville, mais elle n'avait encore rien fait pour les voir. Fleur ne savait pas exactement si elle chercherait à provoquer la rencontre, bien que quelque chose, au fond d'elle, lui soufflait qu'elle en avait plus ou moins le devoir, sinon le droit. Puisque Gaïa n'avait jamais obéi à aucune autre loi qu'à la sienne, elle ferait exactement ce qu'elle voudrait, sans se soucier de devoir, de droit, ou de quoi que ce soit qui ressemblât de près ou de loin à une règle quelconque. Mais pour l'heure, la question ne se posait pas.

Drago était sorti se promener avec Nox. Il avait voulu aller voir la crypte et la Reine qui s'y trouvait. Fleur l'avait laissé partir sur un dernier baiser au front, un peu déçue de ne pas le voir rester auprès d'elle encore. Mais elle comprenait que son fils ait besoin de se dégourdir les jambes. Elle lui avait promis de le rejoindre, mais avant toute chose, elle avait vraiment besoin d'un bain, lui avait-elle expliqué.

Seule dans sa chambre, elle brossait ses longs cheveux humides devant la cheminée, encore en chemise. La robe qu'elle s'apprêtait à porter était soigneusement étalée sur le lit. Un très joli velours lie de vin brodé de minuscules étoiles dorées, une coupe simple mais élégante, et un galon très fin constituait la tenue, à laquelle Fleur avait assorti une cape chaude, bleu nuit. Ses réflexions couraient toutes seules, s'éparpillant en tous sens, passant du coq à l'âne sans se fixer sur aucun sujet précis. Un élan particulièrement douloureux au niveau de son bas ventre la fit grimacer, et elle jeta un regard accusateur à la tourte à la viande posée sur un guéridon, à laquelle elle n'avait pourtant presque pas touché. Elle qui aimait tant ce genre de mêt n'avait pas la moindre envie d'y tgoûter, aujourd'hui.

Ce fut à ce moment - alors qu'elle regardait toujours la tourte comme si elle l'avait défié en duel - qu'une certitude quasi absolue frappa Gaïa Corleone avec la force d'un ours en pleine course. Elle ouvrit de grands yeux, sa bouche s'entrouvrit, et elle se mit à fixer avec intensité un point imaginaire droit devant elle. Puis, sans crier gare, Fleur éclata d'un grand rire, tout son corps secoué par le brusque accès d'hilarité. Elle riait sans pouvoir s'arrêter, d'un rire à la fois triomphant et incrédule. C'était comme si elle venait de remporter une victoire sans avoir eu conscience d'avoir commencé à se battre. Elle était heureuse, mais exultait aussi, presque comme si son pire ennemi s'était fait prendre et qu'il se tenait la corde au cou un jour de grande purge. Enfin, après tant d'efforts acharnés, elle venait de conquérir un royaume tout entier, sans avoir rien eu besoin de faire.

Fleur s'habilla sans cesser de glousser, laça sa robe et sortit dans l'air froid de Novembre, sa cape sur les épaules, un sourire éclatant étalé sur son visage aux joues rosies tout à la fois par la température basse et par sa réussite inopinée. La vie venait encore une fois de lui faire un cadeau, une pierre déjà formée qu'elle polirait, qu'elle aiguiserait, qu'elle transformerait à son image, jusqu'à la perfection. Comme elle avait ciselé avec brio son fils Drago. Elle lui avait soufflé une bribe de son immense savoir et désormais il voulait tout apprendre. Elle lui avait donné des armes, lui en donnait chaque jour une nouvelle, avec un but à atteindre, une machination à mettre en place, une victime toute désignée à tuer au bon moment. Elle lui avait livré sur un plateau d'argent son incapable de père, avait aiguisé sa haine, l'avait rendu indestructible, en acier trempé, inoxydable. Fleur avait fait tout cela, magistralement comme tout ce qu'elle faisait, avec conviction, patience. Elle l'avait placé face à l'homme à abattre et lui avait fait voir à quel point il était médiocre, à quel point il était indigne d'être son père, le transformant - et surtout depuis la guérison de Drago - en un simple géniteur qui avait eu pour seul moment de gloire celui où il avait permis qu'il naisse, lui, Drago Corleone, l'héritier de sa mère.

Et Drago avait répondu. Il avait été au-delà de toutes les espérances de sa mère. À un moment, et à un seul, il avait failli reconsidérer sa position vis-à-vis de lui, mais c'était terminé, la chance était passée, le vent avait tourné. Le petit garçon savait qu'il n'avait pas répondu présent alors qu'il était lui-même au seuil de la mort, que son père l'avait encore une fois abandonné, encore une fois brisé le coeur de sa Mamma.
Gaïa était infiniment fière de lui, de son Drago, de son œuvre. Elle courait presque le rejoindre. Elle ne lui dirait rien, pas encore, pas avant d'avoir la confirmation de son incroyable certitude. Mais ça ne s'arrêterait pas là. Peut-être se trompait-elle, mais peut-être pas. Dans ce cas il fallait jouer finement, délicatement, avec brio, encore. Mettre un plan en marche, monter quelque chose. La solution lui vint brusquement, alors qu'elle se trouvait à quelques mètres de l'entrée de la crypte. Son regard s'était posé, sans raison apparente, sur sa main aux doigts fins. Un éclat de soleil sur le rubis qui trônait à son annulaire gauche. Une idée folle.


- Bellini, souffla-t-elle, stupéfaite de son audace. Ovviamente... Bellini.

Il lui suffirait de s'éloigner des gens qu'elle connaissait... Personne à Venise ne viendrait ici. Personne ne chercherait à la retrouver. Elle n'avait pas eu de véritables amis, en Italie, personne à qui écrire, sauf aux domestiques. Et en France, à part la troupe qu'elle avait quitté, elle ne connaissait personne. Mis à part sa famille et sa Shirine adorée, mais Shirine la soutiendrait, elle le savait. Shirine était la moitié de son âme. Si tout cela était vrai...
Une nouvelle fois, Gaïa éclata de rire, s'attirant le regard stupéfait de quelques passants. Elle devait se reprendre, se contenir. Ne pas attirer l'attention, pas encore. Fleur se redressa, souleva le bas de sa robe et s'avança dans la crypte, presque sans rien voir, concentrée sur des pensées qui semblaient absorber tous ses sens. Drago serait réjoui, elle le sentait. Elle le savait. Son fils était comme elle. Gaïa le repéra, il se tenait devant le tombeau. La jeune femme s'approcha et posa une main légère sur son épaule. Le petit garçon releva la tête et lui sourit, ravi, heureux de la revoir. Elle le couva des yeux, envahie d'un amour impossible à quantifier, impossible à imaginer. Son fils, son univers, son monde en entier. Fleur le serra contre elle et ils observèrent en silence la dernière demeure de la reine, plus près qu'ils ne pouvaient le concevoir d'atteindre enfin leur but.

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Niallan
Quand j'ai vu Fleur
J'me suis dit quel prénom étrange
Puis c'est pas vraiment la saison
A faire l'amour dans les champs
Moi mon cœur est chrysanthème
Et mon âme est triste*


Les rumeurs m'avaient trouvé au début du mois de novembre alors que je douillais déjà sévèrement du palpitant. Le meilleur ami m'avait laissé une lettre d'adieu ainsi que ses gosses, entraînant la mieux qu'une sœur dans une marche suicidaire face à une armée. Je hurlais leurs noms dans la forêt chalonnaise quand les premiers acteurs ont commencé leur scène. De leurs dialogues, je n'ai saisi que la mention à un suicide suite au décès d'un enfant. J'ai crié plus fort pour retrouver le couple maudit avant qu'ils y arrivent eux aussi. Alors j'ai pas entendu le deuxième groupe d'acteurs. Ni même le troisième. Encore moins le quatrième, occupé que j'étais à frapper sur un arbre qui n'avait rien demandé. En revanche, quand je me suis laissé glisser le long du tronc malmené pour enfouir ma tête entre mes genoux repliés, j'ai commencé à saisir quelques brides.

Ils ont causé d'un gosse mort d'une fièvre, j'ai compati intérieurement. Moi aussi j'ai perdu une fille, moi aussi j'ai un garçon de cet âge-là. Ils ont parlé d'une mère éplorée et suicidée, j'ai grimacé. Moi aussi j'y avais pensé. Ils ont rapporté un accent, un poison et un nom de famille craignos, j'ai tiqué. Fleur aussi elle est comme ça. Ils ont précisé pour les fringues noires luxueuses et le petit chien, j'ai flippé. Et si...

Excusez-moi ? Je peux vous poser quelques questions ?

Et je les ai posé mes questions. Je me suis traîné jusqu'à eux, les jambes tremblantes et le regard fou. J'ai essayé de sourire quand ils ont répondu, j'ai pas réussi. J'ai insisté, leur ai fait répéter mais leurs réponses m'ont jamais plu. Au bout de la dixième répétition des mêmes données, j'ai commencé à virer cinglé. J'en ai attrapé un par la chemise pour le secouer, j'ai envoyé un gnon à l'autre qui s'interposait. Je voulais savoir pourquoi eux, pourquoi ça, pourquoi maintenant. Sauf qu'ils avaient pas la réponse alors mon insistance a fini par les agacer. Je me suis fait latter.

La gueule en sang contre l'arbre sur lequel je m'étais défoulé -et qui doit bien se foutre de ma trogne maintenant-, j'arrivais pas à encaisser. Je me répétais « c'est pas possible, ça peut pas arriver ». Je secouais la tête de gauche à droite, incapable de supporter ce que ça impliquait. Puis j'ai fini par faire ce que je fais toujours quand je sais plus quoi faire, quand tout est perdu. J'ai rassemblé mes dernières forces pour me lever et tituber jusqu'à la taverne la plus proche. J'ai bu, encore et encore, encore et toujours. Dans l'intervalle de temps situé entre la fin de la première bouteille et l'arrivée de la deuxième, j'ai commencé à causer, déjà bien éméché à un tavernier qui n'en avait rien à cirer.

Quand j'ai vu Fleur j'me suis dit elle sort d'où celle-là. Puis c'est quoi ce prénom à la con sorti du fond d'un autre temps. Et puis moi j'aime pas bien les fleurs. Et puis j'aime pas ce qui sent bon. J'préfère les pétards aux pétales et un peu la boisson.*

Un peu beaucoup passionnément à la folie comme en témoigne la bouteille qui se vide bien trop vite pour que je reste stable sur le tabouret. Je me taule sans ressentir la douleur et surtout, sans lâcher le goulot de la bouteille. Ils sont morts et ça me tue. Fleur c'est mes coups d'jus, c'est mes coups de foudre, c'est mes coups de blues*. C'est ma perte si je la perds. Je serre les dents, cogne contre le bois du comptoir. Je ne sens pas la force de bras musclés me soulever pour me reconduire vers la sortie et c'est à peine si je distingue à travers mes larmes le détenteur des fameux bras quand je lui parle.

Quand j'ai vu Fleur ça m'a fait comme un bras d'honneur. L'insoumission qui dit je n'ai ni Dieu ni maître ni qui que ce soit. C'est comme un doigt levé bien haut à tous les dieux tous les suppôts.*

Lui aussi m'en fait un de doigt. Mais je le vois pas, je vois plus rien si ce n'est cette vie de tourments qui m'attend. Sans eux. Devant l'insurmontable de cette situation, l'esprit s'échauffe et tente de trouver une échappatoire. Peut-être qu'ils sont pas morts, que c'est juste une coïncidence. Peut-être qu'ils se sont trompés, peut-être qu'ils ont menti. Pourquoi ils auraient menti ? Les méninges alcoolisées turbinent. Pourquoi ? Parce qu'on les a payés. Qui aurait voulu faire ça, qui aurait pu ? Quelqu'un qui m'en veut, quelqu'un qui sait que je suis à Chalon, quelqu'un qui les connaît eux et notre histoire. Mais qui, bordel, qui ?! Je ferme les yeux et ouvre grand la bouche pour accueillir le liquide ambré.

Je repense à elle, avec toute la force de mon amour et de ma douleur. Fleur elle est belle comme un accident d'bagnole, comme un poids lourd qui a plus les freins. Fleur elle est folle. Et c'est vrai que moi j'aime bien quand elle fait voler les assiettes, quand elle me fait péter les plombs*. C'est sur ce dernier point que l'espoir se fixe. Et si c'était encore une vengeance ? Après tout, elle m'a déjà fait croire -entre autres- qu'elle allait se jeter d'une falaise et qu'elle avait tué notre enfant en son sein.

C'est pas possible...

Sauf que Fleur, c'est la femme qui rend l'impossible possible. Je m'accroche à cette idée en essayant de me rappeler ce que j'aurais pu faire pour mériter une telle sentence. Nos au-revoir se sont (trop) bien passés alors peut-être qu'il faut chercher du côté des lettres. Instinctivement, je porte la main à la poche qui contient l'une de ses plus belles lettres, si ce n'est la plus belle, à laquelle je n'ai toujours pas répondu. Non, ça peut pas être ça. Alors... Mains crispées sur la bouteille, je ressasse nos derniers échanges jusqu'à en venir à ma dernière lettre. Elle était peut-être trop tardive, trop brève. Trop différente de ce qu'elle attendait. Je secoue la tête. Elle aurait pas fait un truc aussi dégueulasse. Non. Si ?

La probabilité que le « si » se réalise m'aide à me relever et à marcher jusqu'au bordel. C'est pas ce que vous croyez. Une fois là-bas, je ne reluque les donzelles que pour sélectionner la plus jolie que je paye assez cher pour être sûre qu'elle remplisse sa mission. Faire parler l'un des hommes porteurs de mauvaises nouvelles parce que, c'est bien connu, les hommes sont plus enclins à parler une fois qu'ils ont baisé. C'est bien connu qu'ils ne se méfient pas des putains qui ne sont rien. Et c'est bien probable que l'un d'eux confie volontiers en voyant la beauté troussée s'épancher sur « la pauvre femme qui s'est suicidée à cause de la fièvre de son fils » qu'il a été payé pour le raconter.

Pendant ce temps, moi, j'attends. Assis au milieu des catins sans les voir, je serre les poings à m'en faire blanchir les phalanges et retiens difficilement les larmes qui s'annoncent. Et je pense à elle, encore. Plus fort. Fleur c'est mes nuits noires c'est mes nuits rouges c'est mes nuits blanches. C'est comme un train oui qui s'égare mais qui s'arrête pas dans les gares, c'est la luciole au fond des nuits, c'est comme rouler sans le permis. Fleur c'est pas la bonne mais putain qu'elle est bonne*. Tout à ces réflexions qui me foutent en vrac, je manque de ne pas voir mon espionne revenir. C'est elle qui me secoue l'épaule et me secoue tout court quand elle me fait part de ses découvertes.

Oh la salo...

Ce qui s'échappe de ma bouche passé le soulagement ressemble à « salopette » sauf que ça rime plutôt avec « clope ». J'essuie les diverses traces de ma souffrance sur mon visage et me relève en envoyant valser ma table. Comment est-ce qu'elle a pu faire ça ?! J'ai la rage, tellement que si elle était en face de moi, je serais capable de lui éclater ma bouteille vide sur la tête. Une chance pour elle, c'est encore un arbre qui prend.

Espèce de pu...

Comme vous vous en doutez, ce n'est pas un « putois » qui s'échappe de ma bouche tandis que j'envoie un coup de pompe dans un rocher. Elle sait que la mort de Lexi m'a détruit, elle savait qu'elle m'achèverait avec l'annonce de la leur. Et pourquoi ? Pour me faire payer ses angoisses passées que je n'aurais pu apaiser, quelle que soit la longueur de la lettre ? Je gueule une nouvelle insulte rimant cette fois avec « rascasse » et frappe un nouveau végétal. Elle m'avait promis qu'elle avait changé, qu'elle en avait fini des vengeances. Mensonges. Mensonges. Mensonges.

Il y a six ans, j'aurais sûrement réagi à son odieuse manipulation par une flopée d'insultes accompagnées d'adieux brutaux. Mais non seulement j'ai mûri mais en plus, je trouve que c'est trop léger en comparaison de ce qu'elle a fait. Le regard froid de détermination, je prends le chemin du village en vue de sélectionner à mon tour des acteurs que je paie pour répandre une rumeur aux environs de Limoges. Après leur avoir donné des écus que j'économisais jusqu'à lors pour satisfaire les exigences pécuniaires de Fleur, je leur donne quelques dernières recommandations :

Surtout, insistez bien sur le fait que l'homme n'en avait strictement rien à faire. Un de ces cons de blonds, avec un nom tout aussi con. Ozéra, quoi, comme s'il allait passer sa vie à oser. Dites bien qu'il s'est exclamé à la nouvelle du décès de son fils et de la mère de celui-ci que c'était le plus beau jour de sa vie parce qu'il n'aurait plus jamais à payer de pension. Dites qu'il riait aux éclats et qu'il en plaisantait avec ses amis à qui il aura payé une tournée pour l'occasion. Ajoutez qu'il a aussi caressé le ventre de sa MAGNIFIQUE femme en se vantant qu'elle attendait son enfant et que ça tombait bien. Vous pouvez même y aller de votre dicton : « une ex-femme de crevée, une nouvelle d'épousée ; un gosse mort, un bientôt dehors ».

En les regardant partir, je souris, pipe au bec. L'esprit embrumé, je pense une dernière fois à elle. Elle est comme un bateau d'pirates comme un chien qui a mal à la patte. Fleur elle a l'goût d'la mer elle a la fraîcheur des rivières. Elle a l'ivresse de la vodka, la folie de la Tequila. Elle est un peu Italienne, un peu française aussi. Elle est tout c'qu'on veut qu'elle soit, tous les possibles au bout des doigts. Elle t'emmène d'l'autre côté de la Terre juste quand elle ouvre les paupières. Fleur c'est mes coups d'jus c'est mes coups de foudre*. Cette fois c'est un coup de grisou, elle est allée trop loin et je compte bien lui faire payer. Ah tu veux jouer ? Alors jouons.


*Saez – Marguerite avec modification Marguerite/Fleur et Mexicaine/italienne

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Fleur.des.pois
{Le 28 Novembre 1465}

Il faisait véritablement froid désormais. Les nuits étaient glaciales, l'air exhalé entre les lèvres de Fleur et de son fils était blanc comme un nuage. Les vêtements qu'ils arboraient étaient plus chauds, plus épais, comme les bottines en cuir qui chaussaient leurs pieds.
Ils étaient en ville depuis plusieurs semaines, à visiter les lieux et profiter du temps qu'ils passaient ensemble. Les rumeurs - fausses - lancées par Niallan, étaient parvenues aux oreilles de Fleur et de son fils, mais ni l'un ni l'autre n'y avait prêté attention. Cela avait amusé la mère et soulagé le fils. Gaïa avait en réserve une vengeance encore plus cruelle que toutes celles qu'elle avait jamais fomenté, et Drago allait pouvoir cesser de s'efforcer de trouver des qualités à son père pour le haïr en toute tranquillité, jusqu'au jour où il pourrait, à son tour, se venger de lui.

Pour l'heure, loin de toutes ces considérations, ils étaient tous les deux en train de flâner dans les rues, à dépenser quelque argent en châle en laine et en manchon de fourrure. Les Corleone avaient décidé de passer du temps exclusivement ensemble, pour se faire à l'idée que, dans quelques mois, ils seraient sans aucun doute trois plutôt que deux.

Drago avait appris la nouvelle avec calme. Sa mère était encore jeune, il se doutait qu'elle pouvait très bien avoir d'autres enfants que lui. Il avait décidé que, si c'était un garçon, il lui mènerait la vie dure, qu'il lui rappellerait sans cesse qu'il était l'aîné et qu'il avait vécu avec leur Mamma des choses dont il n'aurait jamais idée. En revanche si c'était une fille, il la protègerait, assurerait son éducation, empêcherait quiconque de l'approcher, et surtout, lui transmettrait cette haine farouche du père.
Bien sûr, comme l'avait répété Fleur une bonne dizaine de fois, rien n'était sûr, elle n'avait que des présomptions, des doutes, et même s'il s'avérait que ses doutes étaient fondés, tout pouvait très bien se passer très mal. Que son fils ait décidé d'être sévère avec l'éventuel petit garçon à venir ne la fâchait pas. Elle ne voulait pas elle-même de second garçon, il ne devait y avoir que Drago. Il était l'héritier. Elle était en revanche fière de l'attitude qu'il comptait avoir avec la probable petite soeur. Elle voulait qu'ils s'entendent bien, qu'ils s'aiment.

Fleur était pourtant certaine d'avoir raison sur le sujet. Elle avait mis des semaines à se rendre compte, pour son fils. Mais elle n'avait pas oublié - ou plutôt, son corps n'avait pas oublié, malgré les huit années écoulées. L'espérait-elle ? En avait-elle réellement envie ? Cela impliquait un grand nombre de changements... Elle n'avait jamais eu que son fils, il était son seul univers. Un autre enfant gâcherait-il cette entente incroyable entre eux ? Fallait-il interrompre les opérations ou continuer et aviser plus tard ?
En tout cas, tout était prêt. Elle savait quoi dire, quoi faire. La jeune femme avait dores et déjà envoyé une missive en Italie, pour prévenir Sylvan de gérer cette histoire, puisqu'il était chargé de gérer sa maison et ses affaires là-bas. Il suffisait de disparaître deux petits mois, après la naissance... Et le tour serait joué. Cette idée même la remplissait de joie, d'une joie singulièrement mauvaise.


- Amore mio, nous allons continuer notre route vers le sud dès demain, d'accord ?
- Voir Tante Shirine ?
- Absolument, mon trésor. Tu devras l'appeler Marraine, n'oublie pas. Et d'ailleurs, nous allons rentrer, nous devons lui répondre. Nous sommes restés trop longtemps coupés du monde, il faut reprendre nos affaires, mon ange... Tu veux que je t'offre quelque chose ? Nous passerons par le marché avant de rentrer à l'auberge. Tu veux un cadeau ?


Drago glissa sa petite main dans cette de sa Mamma et babilla à toute allure, dans sa langue natale, tout ce qu'il espérait trouver ce jour-là, Fleur l'écoutant avec attention en souriant tendrement, toute décidée à faire en sorte que jamais le lien qu'elle partageait avec son fils puisse se rompre, même de façon très infime.
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Drago.corleone
{Le 30 Novembre 1465}

Drago, une fois n'était pas coutume, marchait seul dans les rues de la ville où ils venaient d'arriver, sa mère et lui. Ils possédaient encore la caravane de bois, Raymond la guidait toujours d'une main ferme, mais ils avaient, l'un et l'autre, renoncé à porter des vêtements de couleur. C'était comme si le vert, le rouge et le bleu ne leur allaient plus, comme si le noir était désormais la seule teinte qui pouvait leur convenir. Aussi Drago portait-t-il un pourpoint noir sur une chemise blanche, une paire de braies courtes toute aussi sombre et des bas de chausses blancs, en laine. Il s'était soigneusement emmitouflé dans une épaisse cape noire, qui lui battait les cuisses tandis qu'il arpentait les ruelles de la ville.

Le petit garçon réfléchissait. Il avait abandonné sa mère en plein marché. Elle achetait quelques marmelades, fruits confits et autres noix et biscuits à la cannelle. Lui, Drago, avait eu besoin de solitude pour faire le point. S'il était vrai que sa mère allait avoir un deuxième enfant, il fallait qu'il soit sûr de ce que lui-même désirait à ce sujet. Sa Mamma lui avait dit que s'il refusait d'avoir un frère ou une soeur, elle l'acceptait sans sourciller, qu'elle mettrait fin à tout cela sans regret, sans lui en vouloir jamais, qu'elle-même était profondément heureuse avec sa seule compagnie à lui, Drago, son trésor et sa perfection. Il n'avait pas ressenti cette décision à prendre comme un chantage parce qu'il savait que ce n'en était pas un. Gaïa était prête à tout pour lui, et Drago le savait. Il était son héritier et en tant que tel, il avait le droit de décider de ce genre de chose.

Il faisait froid, dehors. L'air glacé lui mordait cruellement les joues. Le ciel était blanc, chargé d'une neige qui ne semblait pas vouloir tomber. Drago poussa la porte de l'église et s'installa dans un coin sombre. Il n'était pas du genre à demander de l'aide aux Cieux, et bien que comme tout un chacun, il croyait aux puissances supérieures, il avait appris, grâce à sa Mamma, qu'on obtient ce que l'on veut qu'à force de persévérance et non pas de prières. Cependant, celui lui paraissait le meilleur endroit pour mener une introspection. Ici, au calme, sans personne pour le déranger et aucune âme pour l'influencer, sinon la sienne.

Drago, depuis des années déjà, s'était rendu compte qu'à part sa mère, personne ne le comprenait. Les autres enfants lui semblaient limités, étroits d'esprit, concentrés sur des choses qui lui étaient étrangères. Il voulait pouvoir jouer avec quelqu'un qui lui ressemble. Il s'était surpris à aimer protéger son petit chien, à prendre soin de lui. Ce ne devait pas être très différent avec un petit enfant. Lorsqu'à Venise, il croisait le chemin des familles nombreuses, il les avait envié de posséder quelque chose qu'il n'avait pas, lui. Bien sûr, ils auraient huit ans d'écart, mais il pourrait protéger pour de vrai ce cadet providentiel. Il ne voulait pas d'un frère, parce qu'il ne supportait pas de n'être pas unique dans le coeur de sa Mamma. Une fille, ce ne serait pas pareil. Il n'y aurait pas de « deuxième lui » pour lui ravir sa place. Oui, il voulait une soeur. Mais pour s'assurer que ce serait bien une fille, il fallait que sa mère mène sa grossesse à terme.

Drago quitta son banc, sortit de l'église et courut rejoindre sa mère. Elle se tenait devant un étal plein d'animaux en bois, et tenait entre ses doigts fins un gros chien, qu'elle tournait délicatement devant ses yeux.


- Mamma, c'est d'accord. Mais je choisis le prénom.


Fleur sourit largement, paya le chien en bois, et l'offrit immédiatement à son fils. Elle semblait contente et Drago se félicita d'avoir pris une décision qui rendait sa mère heureuse. Elle déposa un baiser sur son front et Drago la remercia pour le chien en bois.


- Tu choisiras, amore mio. Mais n'oublie jamais ceci.


Elle s'agenouilla devant lui, le serra brièvement dans ses bras, et posa les mains sur ses épaules.

- Tu es mon fils et mon trésor. Personne, jamais, ne pourra te détrôner. Tu es mon roi. Je voudrais que tu me promettes de ne jamais oublier que je t'aime plus que tout, et que tu es le seul être au monde à m'apporter le véritable bonheur que tout le monde s'obstine à chercher au bout du monde, quand bien souvent il se trouve juste devant leur nez. Tu es mon soleil, et je t'aime infiniment, inconditionnellement, et mon amour pour toi est sans limite. Promets-moi que tu n'oublieras pas.
- Je te le promets, Mamma,
répondit gravement le petit garçon.

Fleur le serra contre elle, à genoux sur le pavé froid, indifférente au reste du monde, tandis que son fils lui rendait son étreinte. Et tout, en ce moment, parut parfait, aux yeux de Drago Corleone.

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