Morten
Il était grand et blond. Ses long cheveux étaient attachés à la hauteur de sa nuque par un ruban de velours bourgogne. Il était élégant, bien fait de sa personne. Sa barbe dun pouce de long le faisait paraitre plus vieux quil nétait. En réalité, il se situait dans le début de la vingtaine. Ses yeux étaient de couleur bleu pâle comme le ciel dété au dessus de Helsingør certains jours. Il portait un long mantel de cuir couleur terre de sienne duquel dépassaient de longues bottes noires à large revers comme cela était à la mode à Paris en cette époque. Les manches de sa chemise blanche ressortaient de sous le mantel et étaient terminées dun touffu bouquet de dentelles de Cluny. Quand au jabot, il avait sans doute été tissé par les mêmes mains expertes et habiles que celles qui avaient oeuvré sur ces manches.
Cela faisait environ deux mois quil se trouvait à Paris, deux mois quil avait trouvé le manoir des Houx-Rouges, deux mois quil surveillait les allers et venues. Entre les artisans de tout poils, les artistes, les ouvriers, les fournisseurs, les Houx-Rouges ne manquaient pas dactivité. Le lieu ressemblait à une vraie ruche dans laquelle toutes les ouvrières sattachaient à servir les volontés de la Reine-pondeuse. Lhomme sétait fait discret. Il avait un instant jonglé avec lidée dentrer dans les lieux, de les visiter par lui-même pour avoir plus dinformations sur ce qui sy tramait puis il avait renoncé. Laventure était bien trop hasardeuse compte tenu de son passé. Et puis, il ne servait à rien de précipiter les évènements.
Ce jour-là, comme à son habitude, il sétait posté discrètement à la fenêtre du petit appartement situé dans le grenier de la bâtisse en face des Houx-rouges. Son flacon dencre et sa plume à proximité, il notait patiemment les faits qui lui semblaient dintérêt. et ce jour-là, quelque chose, ou plutôt quelquun retint son attention: les Houx-Rouges recevaient la visite dune nouvelle dame. Non, pas celle que le maître des lieux avait engagé et qui se promenait de temps à autre dans les jardins de la propriété. Cétait la première fois quil la voyait. Ce fut dabord son attitude qui retint son attention. Elle avait une démarche élégante, une silhouette avenante. Pourquoi sintéressait-elle donc aux Houx-Rouges? Son attitude semblait hésitante. Morten posa sa plume sur le rebord de la fenêtre et focalisa son attention sur linconnue. Quand le vent souleva sa cape, découvrant son visage, il la trouva jolie, avenante, fort à goût. Il ne put détacher son regard delle et lorsquelle prit la poudre descampette après que le chien de garde des Houx-rouges se fut approché delle, il descendit les escaliers du bâtiment quatre à quatre. Il manqua de perdre léquilibre sur le palier du premier étage. Arrivé dans la rue, il jeta un coup vers la grille en fer forgé : Thorvald était rentré dans sa niche mais la jolie brune avait disparu.
Manquant de bousculer un boulanger qui tirait une charrette remplie de miches de pains, il avait pris à gauche sur la rue du Molinel alors quune ombre furtive tournait rue du rue Chevalier français. Morten se faufila entre les passants, hâtant le pas pour reprendre un peu de terrain sur sa jolie proie. Était-ce juste le fait quelle soit avenante qui justifiait dun tel périple précipité au travers des rues de la capitale française? Non. Le blond barbu voulait également en savoir plus sur celle qui sétait présentée aux Houx-rouges ce jour-là. Manifestement, elle nétait pas une des leurs. Sétait-il trompé ou elle avait semblé effrayée par larrivée de Thorvald? Nimporte quel quidam naurait pas réagi de la sorte. Certes le vieux nétait pas des plus séduisant et sa face pouvait paraître effrayante mais Morten supposait quil y avait plus que cela chez cette fille.
Lorsquelle entra dans un immeuble quelconque rue du chat perché, il hésita. Devait-il entrer? Lui demander audience? Sous quel prétexte? Il pouvait leffrayer comme Thorvald ou tomber dans un guet-apens. Et si en réalité Niels lavait repéré? Sil savait quil était là? Quil le guettait? Si tout cela nétait quun piège? Franchissant le pas de la porte dentrée, Morten toqua à lappartement de la concierge. Cétait une petite femme maigrelette habillée dun tablier gris et dun robe de toile anthracite daspect quelconque. Elle portait un fichu sur sa tête recouvrant des cheveux poivre et sel tartiné dune pellicule de gras et de crasse. Moyennant quelques écus saupoudrés de quelques compliments, Morten neut pas de mal à savoir où la jolie brune logeait. Il eut la chance dapprendre son prénom: Eudoxie. Ah la gentillesse et le charme scandinave: on peut obtenir beaucoup avec une telle combinaison. Quelques instants plus tard, réajustant sa chevelure et sa tenue maltraitée par la course parisienne, le blond prit une grande respiration, un air décontracté et frappa à la porte de lappartement parisien dEudoxie Castera.
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