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[RP] La peur nait à la vie plus vite que tout autre chose

Morten


Il était grand et blond. Ses long cheveux étaient attachés à la hauteur de sa nuque par un ruban de velours bourgogne. Il était élégant, bien fait de sa personne. Sa barbe d’un pouce de long le faisait paraitre plus vieux qu’il n’était. En réalité, il se situait dans le début de la vingtaine. Ses yeux étaient de couleur bleu pâle comme le ciel d’été au dessus de Helsingør certains jours. Il portait un long mantel de cuir couleur terre de sienne duquel dépassaient de longues bottes noires à large revers comme cela était à la mode à Paris en cette époque. Les manches de sa chemise blanche ressortaient de sous le mantel et étaient terminées d’un touffu bouquet de dentelles de Cluny. Quand au jabot, il avait sans doute été tissé par les mêmes mains expertes et habiles que celles qui avaient oeuvré sur ces manches.

Cela faisait environ deux mois qu’il se trouvait à Paris, deux mois qu’il avait trouvé le manoir des Houx-Rouges, deux mois qu’il surveillait les allers et venues. Entre les artisans de tout poils, les artistes, les ouvriers, les fournisseurs, les Houx-Rouges ne manquaient pas d’activité. Le lieu ressemblait à une vraie ruche dans laquelle toutes les ouvrières s’attachaient à servir les volontés de la Reine-pondeuse. L’homme s’était fait discret. Il avait un instant jonglé avec l’idée d’entrer dans les lieux, de les visiter par lui-même pour avoir plus d’informations sur ce qui s’y tramait puis il avait renoncé. L’aventure était bien trop hasardeuse compte tenu de son passé. Et puis, il ne servait à rien de précipiter les évènements.

Ce jour-là, comme à son habitude, il s’était posté discrètement à la fenêtre du petit appartement situé dans le grenier de la bâtisse en face des Houx-rouges. Son flacon d’encre et sa plume à proximité, il notait patiemment les faits qui lui semblaient d’intérêt. et ce jour-là, quelque chose, ou plutôt quelqu’un retint son attention: les Houx-Rouges recevaient la visite d’une nouvelle dame. Non, pas celle que le maître des lieux avait engagé et qui se promenait de temps à autre dans les jardins de la propriété. C’était la première fois qu’il la voyait. Ce fut d’abord son attitude qui retint son attention. Elle avait une démarche élégante, une silhouette avenante. Pourquoi s’intéressait-elle donc aux Houx-Rouges? Son attitude semblait hésitante. Morten posa sa plume sur le rebord de la fenêtre et focalisa son attention sur l’inconnue. Quand le vent souleva sa cape, découvrant son visage, il la trouva jolie, avenante, fort à goût. Il ne put détacher son regard d’elle et lorsqu’elle prit la poudre d’escampette après que le chien de garde des Houx-rouges se fut approché d’elle, il descendit les escaliers du bâtiment quatre à quatre. Il manqua de perdre l’équilibre sur le palier du premier étage. Arrivé dans la rue, il jeta un coup vers la grille en fer forgé : Thorvald était rentré dans sa niche mais la jolie brune avait disparu.

Manquant de bousculer un boulanger qui tirait une charrette remplie de miches de pains, il avait pris à gauche sur la rue du Molinel alors qu’une ombre furtive tournait rue du rue Chevalier français. Morten se faufila entre les passants, hâtant le pas pour reprendre un peu de terrain sur sa jolie proie. Était-ce juste le fait qu’elle soit avenante qui justifiait d’un tel périple précipité au travers des rues de la capitale française? Non. Le blond barbu voulait également en savoir plus sur celle qui s’était présentée aux Houx-rouges ce jour-là. Manifestement, elle n’était pas une des leurs. S’était-il trompé ou elle avait semblé effrayée par l’arrivée de Thorvald? N’importe quel quidam n’aurait pas réagi de la sorte. Certes le vieux n’était pas des plus séduisant et sa face pouvait paraître effrayante mais Morten supposait qu’il y avait plus que cela chez cette fille.

Lorsqu’elle entra dans un immeuble quelconque rue du chat perché, il hésita. Devait-il entrer? Lui demander audience? Sous quel prétexte? Il pouvait l’effrayer comme Thorvald ou tomber dans un guet-apens. Et si en réalité Niels l’avait repéré? S’il savait qu’il était là? Qu’il le guettait? Si tout cela n’était qu’un piège? Franchissant le pas de la porte d’entrée, Morten toqua à l’appartement de la concierge. C’était une petite femme maigrelette habillée d’un tablier gris et d’un robe de toile anthracite d’aspect quelconque. Elle portait un fichu sur sa tête recouvrant des cheveux poivre et sel tartiné d’une pellicule de gras et de crasse. Moyennant quelques écus saupoudrés de quelques compliments, Morten n’eut pas de mal à savoir où la jolie brune logeait. Il eut la chance d’apprendre son prénom: Eudoxie. Ah la gentillesse et le charme scandinave: on peut obtenir beaucoup avec une telle combinaison. Quelques instants plus tard, réajustant sa chevelure et sa tenue maltraitée par la course parisienne, le blond prit une grande respiration, un air décontracté et frappa à la porte de l’appartement parisien d’Eudoxie Castera.


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Eudoxie_
“Tout est bruit pour qui a peur.” (Sophocle)

A l'abri ? Respirer ? Ou pas...

Mai 1466, ville de Paris


Il avait fallu quelques minutes à la petite brune pour reprendre son souffle, c'est qu'avec la grossesse, marcher à presque courir c'était pas forcément le truc le plus évident, la gazelle gambadante des routes n'était plus et ça pour encore un p'tit temps.
Bref ci fait, Eudoxie avait pris parti de rejoindre son danois et d'oublier ceux qu'elle avait pu croiser en venant, sur lesquels elle s'était bêtement attardée, otant sa cape pour la laisser choir sur une chaise avant de rejoindre la chambre.

Le soleil est haut Sir Eriksen...

Couche s'affaissant légèrement sous le poids de la béarnaise, un index mutin vint dessiner l'épine dorsale dénudée de son blond dans un sourire en apercevant la contraction des muscles à son passage et le hérissement du derme sous la pulpe de son doigt.
Lentement la petite brune, avec peine, c'était penchée vers son futur époux, frottant son nez contre le sien, s'apprêtant à lui offrir un baiser matinal quand le grand blond, plus éveillé qu'il n'y paraissait, la fit basculer la surplombant pour s'abreuver de ses lèvres et de sa peau, l'effeuillant un peu, beaucoup, à la folie, passionnément telle une marguerite que l'on chante, jusqu'à ce qu'un coup retentisse à la porte lui faisant vivement tourner la tête vers l'entrée avant de revenir au regard d'eau.

Seurn...

De la peur dans la voix ? Oui et son danois l'entendrait. Le balafré l'aurait-il suivi jusqu'ici ? Oui elle en était convaincue, il l'avait vu, et si elle s'en tenait à l'invitation elle était en retard au rendez-vous.
Lui ou pas lui... Et si elle allait ouvrir me direz-vous, elle serait fixée ? Avouez ? Sauf que là même pas en rêve, la petite brune irait tourner la clé qui gardait la porte verrouillée.

T'attends quelqu'un...

Quoi comment ça ses doigts s'étaient crispés dans le dos de son ange ? Et oui, oui la béarnaise ne le renierez pas, à cet instant dans sa tête une phrase.
"Courage !!! Fuyons..."

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Soren

Si j’attendais quelqu’un? Personne. Personne à part toi Eud. Tu sais que je commençais à m’inquiéter? Tu avais dit que tu partais faire quelques courses au marché. J’ai trouvé le temps long. J’avais envie de te prendre dans mes bras, de te câliner, de t’embrasser, de me dire que nous étions à Paris, qu’il ne nous était rien arrivé de grave depuis notre départ d’Orthez. J’avais envie de te rassurer, d’enlever tes vêtements un à un et de glisser nus sous ces draps. Je ressentais le besoin d’enchevêtrer nos corps, de couvrir ta gorge de baisers et de te dire que tout ça n’a été qu’une mauvaise interprétation de notre part, un malheureux concours de circonstances… ou une erreur, une plaisanterie d’enfant mal éduqué. J’avais envie de sensualité, de caresser ce ventre arrondi, de venir quérir mon plaisir au creux de tes lèvres… et j’étais presque arrivé à mes fins. Nous étions comme deux amants constamment en quête de l’autre, la paume de mes doigts dessinant la silhouette de tes désirs, suivant le chemin d’une courbe qui me hérissait l’échine comme toi seul sait le faire.

Alors est-ce que j’attends quelqu’un?


- Non…

Fin des ébats, retour à la réalité, celle de la peur, de son goût qui s’insinue entre nos lèvres. Le temps s’est arrêté après ces trois petits tocs mêlés aux sons de nos baisers. Les genoux sont ancrés dans la couche, de part et d’autre de ses hanches, les mains encadrent ses cheveux épars sur l’édredon. Le dos rond pour épouser les formes de la grossesse, la tête penchée vers ses lippes, le désir suspendu à trois petits coups à la porte frappés, je maudis intérieurement celui qui vient rompre ce moment entre amants. Les battements du coeur s’accélèrent. Ils ont poursuivi sur leur lancée mais cette fois, c’est une autre raison qui les fait s’emballer. J’espère que c’est une soubrette frappant mal à propos pour amener une serviette ou du linge que nous avions demandé de laver mais je ne peux oublier la raison pour laquelle nous sommes ici à Paris.

Me dégageant de l’étreinte, je rabats le drap sur la poitrine d’Eudoxie, m’empare des braies froissées qui trainent au sol. Serrer la ceinture est inutile. Étendant le bras vers la petite table branlante, je m’empare de ce poignard danois qui ne me quitte jamais. Le bras droit le long du corps, prêt à frapper, je retire la chaine qui bloque la porte. Oui, je sais, c’est une mince protection contre quelqu’un qui est déterminé à entrer. En réalité, c’est plus une façon de signaler de ne pas déranger mais comme vous pouvez le remarquer, c’est une annonce un peu trop tardive.


- Qui va là?

Étrange façon de s’enquérir de l’identité de l’intrus n’est-ce pas? Je le reconnais. C’est sans doute ce qui me reste des années passées à la prévôté du Périgord-Angoumois. Derrière la porte, c’est le silence qui me répond. Les doigts se crispent sur le manche du poignard, le poignet pivote machinalement de gauche à droite, avec lenteur, cherchant l’angle idéal pour s’insérer dans des chairs. C’est une voix masculine qui me répond, une voix voix empreinte d’embarras et non de l’assurance de l’assassin venu délivré sa sentence fatale. J’y reconnais des accents gutturaux qui me sont familiers, encore, malgré toutes ces années passées loin de chez moi. Je tourne la tête vers Eud dans le lit, les sourcils froncés évoquant suspicion et indécision. Je cherche une réponse dans ses onyx et je retourne la tête vers le devant. Un bruit de métal frottant contre du métal se fait entendre. Le loquet est retiré, la porte grince sur ses gonds. Une tête blond apparait dans l’entrebâillement de la porte. Je n’y vois pas grand chose excepté des prunelles bleus encadrées d’un visage viril aux tempes blondes. Une lame de froid traverse mon corps de la tête aux pieds. Bleu, blond, accent guttural, Paris, Niels…

- Que voulez-vous ?

Une autre silence répond à cette question. Le contrejour m’empêche de discerner les sentiments sur le visage à peine dévoilé de ma visite. Derrière la porte, le bras droit s’arme, prêt à frapper. « Avance d’un pas sans mon autorisation et tu le regretteras ». Lorsqu’il s’exprime enfin, sa voix marque la surprise, l’étonnement.

- Non…Ce n’est pas possible…

C’est à mon tour d’être surpris. Ce timbre m’est familier, oui. Il émerge de mon enchevêtrement de souvenirs. Il a du mal à se dévoiler, à s’éclaircir mais je sais que je connais l’homme à qui il appartient. Enfin je crois. Dans mes souvenirs, il n’était pas si mature, si masculine, il avait encore de légers reliefs d’une enfance en mutation. Le bras d’arme reprend sa position initiale comme mu non par ma volonté présente mais par l’instinct. Il en est de même pour le bras gauche qui décide d’ouvrir toute grande la porte sans même que j’en ai réellement conscience. Le flot de lumière s’équilibre entre notre chambre et le couloir. Un instant aveuglé, je ne vois pas clairement le visage de mon interlocuteur qui s’illumine et qui vient m’étreindre de bras vigoureux. C’est aussi l’instinct qui me fait redresser la lame en direction du flanc de mon visiteur, un autre type d’instinct, celui de survie, celui-là même qui occulte tout.

- Toi? Toi ici?!?!?!?! For fanden! Seurn! Ça alors si je m’attendais à ça…

Cette voix. Les brumes du passé se dispersent, le soleil éclaire des souvenirs d’une enfance insouciante passée à courir dans les prés d’Helsingør, à nager dans les lacs et les rivières environnants, à boire de la bière, danser, chanter, à geler par des nuits froides d’hiver sur les remparts du château. La main se décrispe, le poignard tombe au sol, la lame se plantant entre deux lattes du parquet. Mon visage s’illumine petit à petit. Les bras se serrèrent sur l’individu mais d’une manière amicale, celle de deux amis qui ne se sont pas vus depuis des lustres, celle de deux doigts qui composaient jadis une main particulière à six extrémités.

- Morten? Morten?!?!?!? …. For fanden! Morten!!! Mais… Mais…

… Qu’est-ce que tu fais ici? Tout cela pouvait bien attendre quelques minutes non? Morten Sørensen, un des six inséparables. Morten que je n’avais pas vu depuis mon bannissement du Danemark. Morten, l’ami fidèle tout comme Sven, Thomas, Jørgen et…Niels.


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Eudoxie_
"On ne peut vivre qu’en dominant ses peurs, pas en refusant le risque d’avoir peur." N. Hulot

Visite ? Danoise ? Amicale...

L'ombre qui rencontra la lumière dans un échange de regard ne nécessitait pas de traduction pour les deux amoureux, oui ça pouvait être n'importe qui, du plus docile au plus dangereux, oui leur visite ici n'était pas prévue être une sinécure et oui ce visiteur ne tombait franchement pas au bon moment.
Le soupir qui filtra entre les carmines de l'inénarrable alors que le drap qui avait volé, tout comme l'étoffe vestimentaire qui la recouvrait peu de temps avant, venait recouvrir sa nudité était teinté de frustration autant que d'appréhension en regardant son danois s'habiller et surtout attraper cette dague singulière qui ne le quittait que très rarement.

D'instinct le corps de la petite brune se redressa dans la couche, inquiète, s'asseyant le drap maintenu alors que Soren s'éloignait et disparaissait pour aller voir de quoi il retournait, savoir qui et pourquoi... armé et prêt à... l'indicible probablement, peut-être même laisser "L'Autre" prendre la main au besoin, comme cette fois en Provence.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la petite brune en était presque à souhaiter le voir apparaître et faire de tout ce qui se passait ici la fin d'un cauchemar, mais Eudoxie savait aussi quel risque cela représentait de le voir prendre le contrôle, par deux fois elle avait fait sa rencontre, par deux fois elle avait vu de quoi il pouvait être capable.

Idée chassée et attention portée vers ce qui se passait de l'autre coté de la séparation de cette grande pièce, qui leur servait de logis depuis une paire de jours, les onyx balayèrent le sol, oreilles distendues, en entendant cet accent si caractéristique qui lui était maintenant familier depuis plusieurs mois après l'avoir envoutée.
Le borgne... s'il était aux Houx Rouges, cela n'avait rien d'étonnant à ce qu'il soit scandinave, un des sbires de Niels, sans doute recruté auprès des larbins de l'oncle maudit, le frisson qui lui parcourut l'échine n'avait cette fois rien d'aussi délectable que celui qui s'y attardait quelques minutes plus tôt et n'eut pour effet que d'éveiller des mouvements qu'une caresse au ventre vinrent calmer.

Lentement elle s'était enroulée du drap dont il l'avait recouvert pour se lever, et ce "for fanden" qui n'avait pas été prononcé par "son" danois avait fini de l'intriguer, poussant sa curiosité à son paroxysme, une main tenant le drap serré sur sa poitrine, la seconde tirait l'étoffe pour ne pas se vautrer lamentablement et faire tomber le paravent qui isolait la couche du reste de la pièce.
Avec précaution, ses pas silencieux évitant de faire craquer le parquet l'amenèrent à l'orée du paravent, ses doigts se posant sur le tranchant du brise-vue pour qu'un regard obsidien vienne se poser sur la scène, corps dissimulé, jusqu'à ce qu'un pas ne se fasse malgré elle, d'instinct, réflexe incontrôlé, se dévoilant de moitié, en apercevant l'homme se ruer sur Soren avant de comprendre que le geste était au final "amical".

Petite brune enroulée d'un drap observant incrédule la dague de Soren se ficher au sol, et ce qui semble être une scène de retrouvaille, la laissant stoïque, n'osant émettre un son, ni faire un bruit, telle statue grecque drapée de blanc, après tout son prénom ne venait-il pas de là-bas ?
Morten semblait donc être le nom de cet homme qu'elle détaillait en silence, en tout cas celui que prononça son danois. Pas de breuchingue mais une tignasse sévèrement attachée, une blondeur qui lui en rappelait une autre tout comme la carrure qui n'avait rien à envier à celle de celui qu'il étreignait.

Qui était-il ? Forcément quelqu'un de chez lui, il aurait fallu être stupide pour ne pas le comprendre, vu la réaction de son danois, un ami somme toute vraisemblance, mais pourquoi se trouvait-il justement ici et maintenant ? Etait-il au service de Niels ? Etait-il de ses amis dont lui avait parlé son blond ?
Toutes ses interrogations lui firent pousser un soupir peut-être plus sonore qu'elle n'aurait voulu, et voyant les deux géants danois à leurs retrouvailles une autre interrogation, aurait-elle le même type de danois en face d'elle lorsqu'elle irait à la rencontre du Castral-Roc ? Etait-il tous fait sur le même moule ?



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Morten

Surpris, c’était un mot bien faible pour décrire l’état d’esprit de Morten Sørensen lorsque, à la poursuite d’une jolie brune s’intéressant aux Houx-Rouges, il tomba sur son ami d’enfance, ami qu’il n’avait pas croisé depuis ce mariage arrangé avorté qui avait fait éclater les liens pourtant indéfectibles de six jeunes danois. Søren…De part sa position d’héritier Eriksen, il était un peu considéré par tous comme le centre du groupe, celui autour duquel gravitaient les autres. Dans les faits, si un chef devait s’extraire du lot, de part le charisme qu’il dégageait, de part la persévérance et la ténacité qu’il mettait dans chacune de ses actions, Niels aurait été le meilleur des candidats.

C’était pourtant de Jørgen que Morten se sentait le plus proche. Comme lui, sa noblesse était un cran inférieure à celle de Niels et Søren. Comme lui, son caractère le poussait à chercher un consensus plutôt qu’un affrontement stérile, y compris lorsqu’il était simplement de principe. De facto, il se trouvait souvent à ne pas prendre parti dans les conflits qui opposaient parfois les deux prima donna du groupe. Ce fut aussi ce qu’il fit lorsque Lars Eriksen fit mettre son « fils » en état d’arrestation pour ne pas avoir obéi. Niels s’était rangé du côté du pouvoir. Il avait tenté de convaincre Søren de revenir à la raison et plus jamais le groupe des six ne fut réuni. Søren fut jugé et banni du Danemark. Niels obtint charges et terres supplémentaires pour sa loyauté au clan Eriksen.

Et voilà qu’aujourd’hui, ils se retrouvaient, que le destin les réunissait tous dans la même ville: Niels, Sven, Jørgen, Søren, Morten. Ne manquait que Thomas. Søren savait-il tout cela? Tout comme Morten, était-il lui aussi sur la piste de Niels et de ses sbires? Ou leur rencontre était-elle le fruit du hasard. Le blond aux cheveux liés n’en n’était pas encore à de telles considérations, appréciant simplement le moment présent, celui où des liens se reforment, celui où l’amitié reprend le dessus sur les vicissitudes de la vie.

Pourtant, une once de déception vint teinter ces retrouvailles d’une légère amertume. Un détail: une jambe nue qui se dévoile derrière un amas de draps froissés. Le regard de Morten balayant la silhouette féminine de haut en bas, son esprit ne mit guère de temps à faire les liens nécessaires: jolie petite brune enceinte aux Houx-Rouges, promenade dans les rues de Paris pour arriver au pied de cet immeuble. et le même joli minois au ventre arrondi présente ici, dans cette pièce, dans une tenue beaucoup plus décontractée. Si le fait que Søren l’ait accueilli torse nu ne l’avait pas étonné le moins du monde (après tout, il était connu de tous que les scandinaves n’avaient pas la même définition du mot pudeur que le reste des peuples d’Europe.), la tenue vestimentaire de la belle noiraude ne laissait aucun doute sur la nature des activités qu’il venait d’interrompre. Quand au ventre arrondi, il le poussait à penser que la fille n’était ni payée pour se trouver là, ni une maitresse d’une nuit.

Une pointe de déception passa rapidement dans l’esprit de Morten. Celui-ci chassa sans plus attendre les sentiments qui avaient pris forme sur son visage et qui le trahissaient.


- Seurn, je crois qu’on a beaucoup de choses à se dire mais avant...Il semble que tu aies des présentations à faire. Visiblement il y a une personne qui soupire de ne pas te voir remplir tes obligations élémentaires.

Lui dire que c’était elle qui l’avait mené ici? Oui, quand il sera temps. Le regard céleste du danois croisa l’espace d’un instant celui d’Eudoxie. Søren avait du gout en matière de femmes. En ce point, il se trouvait plus proche du Eriksen que d’aucun autre membre du groupe. Ce n’était pas la première fois qu’il pouvait le constater. L’image d’une auberge proche d’Helsingor se forma dans l’esprit du Sørensen, celle de Søren montant l’escalier en galante compagnie également. Un bref sentiment de désappointement traversa à nouveau l’esprit de Morten, réminiscence d’un passé pourtant révolu et qui s’était terminé par un cadeau offert dans un panier d’osier. Oui, ne plus y passer et apprécier en toute sincérité les retrouvailles avec un ami de longue date.


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Soren

La tête tourna d’un demi-tour pour apercevoir mon orthézienne drapée dans juste un petit peu plus que sa dignité, figée pour l’éternité (Enfin, j’espère que celle-ci ne durera pas plus que quelques instants). C’est à peine si la poitrine se soulevait de manière perceptible pour pousser ce soupir sur lequel je m’interrogeais. Soulagée? Perplexe? Dépitée? J’avais ma propre idée. J’aurais presque ri de la situation. Je me doutais cependant que tout ceci l’avait inquiété au plus haut point. La fantôme de Niels gâchait nos vies depuis trop longtemps, et ça, ça n’avait vraiment rien de drôle mais l’arrivée impromptue de Morten avait mis un baume sur les plaies réouverte par un autre.

Une tape virile et amicale, toute scandinave, rejoignit l’échine de cet ami de toujours (D’aucun aurait pu dire « vieil ami » mais lorsque l’on a vingt ans, peut-on réellement avoir de vieux amis?). Me retournant totalement vers Eud, et venant me poster aux côtés de Morten, le bras s’enroula autour de son cou et le poing fermé cogna cette poitrine amie. Les souvenirs affluèrent, les bons seulement. Morten…Un murmure complice glissé à son oreille, de ceux que les gars se disaient entre eux et je lui ai dit sur un ton badin.


- Arrête de la déshabiller des yeux tu veux?

Le regard se tourna ensuite vers Eud. Le sourire qui illuminait mon visage avait sans doute achevé de la convaincre que cette interruption n’avait rien de funeste…à part couper court à des effusions qui s’annonçaient plus qu’agréables. La voir ainsi drapée n’était guère fait pour oublier ces regrets d’ailleurs.

- Eud, je te présente Morten Sørensen. Morten et moi sommes amis depuis notre enfance. Un ami proche, de ceux en qui on a toute confiance. Morten, voici Eudoxie Castera Eriksen…

 « Toi qui me connait bien Morten, avec ce clin d’oeil complice et cette mine réjouie, comprends-tu l’importance qu’elle prends dans ma vie ou il faut que je te fasse un dessin? ». Quittant la proximité de mon vieil ami, je vins me planter dans le dos d’Eud. Mes bras glissèrent autour de son bedon rond, corps enlacés ne faisant plus qu’un. Un baiser fut déposé au creux de son cou, besoin vital de montrer qu’elle était mienne, que la destinée l’avait mis au travers de ma route un peu beaucoup par hasard mais que désormais tout retour en arrière n’était plus envisageable. Soren MacFadyen Eriksen, mode « Touche pas à ma brune, c’est la mienne! ».

- …amie, amoureuse, maitresse, enrubannée, future mère Eriksen et…future épousée.

Eh quoi? Les autres qualificatifs? Mon essentielle? Ma folie? Mon Ange? Tout cela ne concernait pas Morten. Il en savait suffisamment comme ça.

- Alors dis-nous Morten, qu’est-ce qui t’amène ici à Paris? Et comment as-tu fait pour me retrouver?

 « Me » oui. « Me retrouver » … car dans mon esprit, il ne faisait aucun doute que si Morten se trouvait devant moi, c’est qu’il me cherchait moi. Pour quelles raisons? Ça il allait me le dire et il avait intérêt à en avoir de bonnes sinon ça aurait été : «  Désolé l’ami, ça fait plaisir de te revoir après toutes ces années mais là, tu es arrivé au mauvais moment. J’ai quelque chose à terminer avec cette jolie brune-là si tu vois ce que je veux dire. On se retrouve à « La bulle du pape » ce soir et on se prévoit une nuit de beuverie en souvenir du passé? »

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Eudoxie_
"La peur est souvent un plus grand mal que le mal lui-même." (St-François de Sales)

Ami ? Enfance ? Morten...

Un flux électrique, étrange, voilà ce qui avait parcouru l'échine de la petite brune enroulée de son drap quand le regard masculin avait parcouru sa silhouette et que ses perles noires avaient fini par croiser les iris d'eau du comparse de son danois.
Ces yeux si pénétrants, cette couleur cristalline, envoutante, elle ne la connaissait que trop bien, mais là c'était plus cette sensation de se faire déshabiller sur pied qui la fit resserrer davantage l'étoffe contre elle.

Lequel des deux était le plus gêné de cette situation, l'espace d'un instant l'expression qui passa sur le visage de Morten, fit se poser la question à la bestiole avant qu'il ne prévienne Soren de sa présence dans son dos. Mais qu'était-ce au juste, surprise, gène, déception, la béarnaise n'aurait su le déterminer avec exactitude.
C'était bien la première fois qu'Eudoxie voyait son blond se comporter ainsi avec un autre homme, et à les voir ainsi cote à cote devant elle, pour ainsi dire bras dessus bras dessous, la brunette cru voir deux frères ou un double flouté comme après un soir de boulasse.

Les explications de Soren n'étaient que peccadilles, le sourire qu'il arborait valait toutes les présentations du monde, celui qu'il tenait par le cou était quelqu'un d'importance à ses yeux, un ami de confiance comme il venait de le présenter, de ces jeunes années, de celles au Danemark, de la bande à "bibi".
Et tandis que son ange blond se dirigeait vers elle, le regard sombre de la béarnaise sonda la clarté du chevelu qui lui faisait face, se demandant si Morten connaissait Niels, s'il était un de ceux qui avaient patienté en "s'amusant" des servantes ce soir là en taverne, pendant que...

Sortie du songe, et décrochage du regard céleste, tête eudoxienne pivotant légèrement quand les mains de son futur époux vinrent former une ceinture caressante à son ventre, paupières papillonnant un instant au baiser prodigué à sa nuque, sourire naissant sur son visage à la présentation en règle façon Soren d'une petite brune sans prétention.
Lèvres se pinçant, un signe de tête en guise de salutations fut envoyé au second danois de la pièce, calmement, respectueusement et avec cette pointe de curiosité pétillant pourtant dans les onyx qui caractérisait Eudoxie, ami oui, mais nom de... qu'est-ce qu'il faisait ici.

Silencieuse, fait suffisamment rare pour être notifié, l'orthézienne n'avait pas ouvert la bouche, à décharge si les danois avaient une toute autre notion de la pudeur que nous autres françoys, elle se trouvait quand même quasi nue devant un inconnu, et même si pas pudique outre mesure, fin bon... quand même hein, juste un drap ça faisait léger.
Et là question qui lui brulait les lèvres fut prononcée par son futur époux, communion de pensées, c'était ça aussi lui et elle, Eudoren comme les appelait parfois leurs amis ou Seurneud, deux éléments d'un tout qui, le plus souvent, se comprenait au quart de tour voir sans un mot, d'un regard.

Et dans sa tête raisonnait un écho "Oui Morten dites nous que faites vous donc ici ?", fruit du hasard de se trouver ici et là, maintenant, au même endroit, l'inénarrable aimait laisser au destin la plume de l'écriture des vies humaines, le jeu des coïncidences, mais là...
Peut-être se trompait-elle, peut-être n'était ce que la providence qui avait réuni ces deux amis d'un groupe dont un troisième se trouvait de l'autre coté de la rue, ce que Soren ignorait encore. En était-il de même pour Morten ? Viendrait-il contrarier son projet de rencontrer Niels sans en avertir qui que ce soit...

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Morten

Morten avait toujours été galant. Certes, il ne récoltait pas toujours le fruit de ses bonnes manières (surtout lorsque que Niels et Søren trainaient dans le coin, l’un à cause de son charisme, l’autre à cause son titre d’héritier Eriksen) mais il avait une belle gueule et il le savait. Cette fois encore, il semblait que la fille ne serait pas pour lui. Comme ce soir là…


    Flashback…Un été à Helsingør il y a quelques années… Ils étaient partis en bande. Les six doigts de la main avaient décidé d’aller faire une virée et de fêter la fin de leur enseignement militaire en s’abreuvant de bière jusqu’au bout de la nuit. Quand ils arrivèrent en ville, les gens qu’ils croisèrent changèrent de côté de rue. Ils n’avaient pourtant pas une mine patibulaire mais ils étaient nobles, de la famille Eriksen ou de leurs vassaux. Ils étaient jeunes, insouciants, turbulents comme des gamins. La taverne dans laquelle ils entrèrent étaient encore pratiquement déserte. Le maitre des lieux prit une mine réjouie quand il vit cette clientèle passer le pas de son établissement. Après tout, ceux-là payaient bien et buvaient beaucoup.

    Ce fut Jørgen qui le premier débuta les hostilités. Après avoir descendu la deuxième chope et l’avoir envoyé par dessus l’épaule, Il se permit ce geste qu’il avait observé chez son père: taper les fesses d’une serveuse lorsque celle-ci passa près de lui. Autour de la table, ce ne fut plus que rire graveleux, sous-entendus indécents, provocations et défis pour aller plus loin. Lorsque la donzelle revint à la demande de Niels délivrer une nouvelle tournée de bières, Sven ne se le fit pas dire deux fois. Il bascula la serveuse sur la table voisine et entreprit de la trousser devant le regard incrédule d’un Jørgen qui voyait sa proie lui échapper. Attirées par les cris de leur consoeur qui se débattait sur la table, la robe remontée jusqu’à la taille, les jambes écartées afin de laisser la place à un robuste fils de noble, deux autres serveuses entrèrent dans la salle. Le regard de la plus jeune d’entre elles croisa successivement les prunelles de Morten puis celle de Søren. Elle ne prêta guère attention à la scène qui se passait juste à côté d’elle. Ce ne devait pas être la première fois qu’elle constatait la présence d’hommes en manque de féminité. A Morten et Søren, elle fit un sourire timide alors que ni l’un ni l’autre ne relâchait leur regard insistant. Sur la table d’à côté, Jørgen avait rejoint Sven lui faisant comprendre par moultes gestes impératifs qu’il avait une préséance de facto sur les cuisses de la donzelle.

    Le regard de Morten croisa celui de Søren. Celui-ci ne le regarda même pas. Il tendit la main en direction de la jeune fille nubile et lui fit gravir en sa compagnie l’escalier qui menait aux chambres de l’auberge. Morten cligna de yeux pour chasser ces images. Søren ne l’avait même pas considéré. Il avait pris ce qu’il estimait être sien, comme toujours. Quand à Morten, il n’avait pas à son mot à dire. La fille plaisait au Seigneur? Lui devait se taire, refouler ses sentiments, ses envies, ses désirs. Qu’importe si lui aussi la trouvait avenante. Qu’importe si lui aussi avait eu envie de s’enfermer avec elle et de passer un agréable moment. Søren avait agi, les autres devaient se plier à sa volonté. Point final. Niels tira alors le bras de Morten pour l’amener vers lui, dans ce tourbillon de rires, de cris dont on ne savait plus s’ils appartenaient aux domaines du plaisir, de la peur, de la haine.


Les bottes du Sørensen martelèrent le plancher de bois. L’homme se planta devant la brune orthézienne, lui offrit un sourire pincé. Il se courba devant elle et un brin taquin, lui prit la dextre crispée sur le drap de la dignité pour lui délivrer le même genre de baise-main de cérémonie dont le MacFadyen gratifiait parfois les dames de qualité. Son sourcil se souleva un bref instant, ses lèvres s’étirèrent dans un sourire contenu. Il releva sa tête pour croiser successivement le regard d’Eudoxie et celui de son ami.

- Dame Eriksen, il me fait plaisir de rencontrer celle qui illumine les nuits de Seurn et qui rend ses journées agréables dans l’attente du coucher du soleil.

Son regard là-haut, dans la chambre du grenier ne l’avait pas trahi: cette fille était plus que belle, plus que désirable, elle était l’incarnation de la tentation, le parangon de beauté du tout Paris, une perle blanche dans un écrin pourpre, le charme de la séduction et l’attraction d’un désir incendiaire. Morten se détacha du couple d’amoureux et scruta brièvement la pièce dans laquelle ils se trouvaient.

- Comment je t’ai trouvé? Oh…par hasard…en suivant une belle jeune fille dans la rue. Je me suis dit que c’était la meilleure façon de savoir où tu logeais: elles vont toutes à toi.

Ses pas le menèrent près de la fenêtre. Il étira discrètement les rideaux et jeta un coup d’oeil dans la rue, regard suspicieux posé sur une foule qui grossissait avec l’approche de la mi-journée.

- Mais il n’y a pas que toi qui attire les jolies filles Seurn…

Pivotant sur ses talons, il fixa Eudoxie avec intensité alors qu’il déclamait cette affirmation. Søren savait-il où celle qu’il tenait dans ses bras désirait aller? Et si elle était complice de Niels? Si elle travaillait pour lui? Si tout simplement elle jouait avec ses sentiments?

- Les Houx-rouges aussi à ce qu’il parait.

Eudoxie. C’est dans sa direction qu’il pointa son regard. Peu importe que Søren comprenne le sens caché de ce coup d’oeil ou pas. Son attirance envers elle s’était soudain teinté d’une once de suspicion. Et si elle couchait avec lui pour mieux lui planter un poignard dans le dos? Eudoxie l’ange ou l’exterminateur? Eudoxie la femme fatale ou l’arme par excellence? Se méfier d’elle ou se laisser emporter par la magie de ses yeux?

- Tu sais comme moi qu’il les attire toutes. Seurn… Il est de retour: Niels a repris possession des Houx-Rouges…Tout me laisse à penser qu’il est venu pour toi….et il n’est pas seul : Sven et Jørgen sont avec lui.


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Soren


Décidément, on dirait qu’aujourd’hui Morten se faisait un plaisir d’être un oiseau de mauvaise augure, un briseur de sérénité. Après avoir interrompu le petit moment de sensualité que l’on s’offrait avec Eud, voilà qu’il assombrissait nos retrouvailles avec l’évocation de Niels. Nous n’avions même pas eu le temps d’échanger quelques souvenirs, de raconter ce que nous étions devenus, de profiter de cette amitié retrouvée que déjà les nuages noirs venaient s’amonceler au dessus de nos têtes. Rien que l’allusion de sa présence avait le don de transformer une journée magnifique en un amas informe de tracas et de morosité. Les bras m’en tombaient, au propre comme au figuré. Je n’avais même pas remarqué que je venais de de lâcher la taille d’Eudoxie. Les lèvres plissées, les sourcils froncés par les réflexions, j’étais déjà ailleurs, quelque part entre Niels et les Houx-rouges. Les idées s’entrechoquaient dans ma tête, s’assemblaient, se défaisaient. J’aurais dû m’en douter. C’était évident et pourtant quelque chose en moi s’était refusé à cette possibilité. Laquelle? Celle que Niels soit à Paris. Pourquoi? Je n’en sais rien, une sorte de déni volontaire s’était imposé à moi pour ne pas prendre en considération l’évidence même.

J’avais quitté mon port d’attache sur les hanches de mon orthézienne. La tête penchée vers le sol, perdu dans mes réflexions, dos aux présents, j’analysai la portée des paroles de Morten. Pourquoi Niels était-il présent à Paris? Alors il était vraiment derrière tout ça? Le feu de forêt? L’oiseau cloué sur la porte d’Eud à Orthez? Et dans ce cas, il savait sans doute qu’Eud et moi étions arrivé à Paris. Il devait même savoir où nous logions. Il avait un coup d’avance. Il était maître de l’échiquier sauf si j’arrivais à le surprendre. Je n’avais pas l’attention d’affronter Niels. Non. La dernière fois, il avait eu le dessus sur moi et les conséquences avaient été…Non, ne pas faire surgir le passé. Cette fois, qu’il y soit ou pas, j’entrerais aux Houx-Rouges, je trouverais les réponses aux questions que je me pose et je partirai. S’il espérait m’affronter, il serait déçu. Seulement voilà, il me fallait trouver une solution pour entrer et sortir de l’hôtel sans être vu ni de Niels, ni de ses sbires. Passer par la porte principale était désormais hors de question. Mes visites passées aux Houx-Rouges m’avaient laissé quelques cartes en main pour résoudre ce casse-tête. Le problème n’était pas là. Le problème était de faire comprendre à Eud que, dans son état, elle ne pouvait me suivre. Depuis ce matin où je l’ai embrassé en me levant, depuis ce jour où je lui ai annoncé qu’il nous faudrait visiter les Houx-Rouges, nous n’envisagions cette visite qu’à deux. J’ai commis une erreur: celle d’omettre la présence de Niels et de ses hommes de main. Mes bleutés scandinaves se posèrent sur les épaules d’Eud. Comment lui expliquer? Comment lui dire que cette simple phrase de Morten venait de tout changer? Je me dirigeai vers la table où nous prenions nos repas. M’emparant d’une chope, je la remplis de bière et la proposa au Sørensen.


- Tiens! Goute ça! De la Sainte! La meilleure bière que j’ai jamais gouté en sol françoys. Elle est brassée à deux pas du Périgord, là où j’ai élu domicile. J’aurais aimé la boire en ta compagnie dans une taverne mais il va falloir patienter un peu pour ça.

Le regard lourd de conséquences, je me dirigeais ensuite vers Eud. J’aurais voulu que ce moment soit une fête, qu’Eud puisse découvrir le gars fantastique qu’était Morten Sørensen. Tout cela aurait eu un arrière goût désormais. Il faudrait se reprendre une autre fois. À condition que…

- Tu fais quoi à Paris Mort? Tu y restes encore longtemps?

La senestre câline vint effleurer, caresser, encadrer la joue de ma brune. C’était un geste de compassion, un petit geste d’amoureux qui voulait dire « Je t’aime Eud. Ne m’en veux pas… ». Mes yeux croisèrent les siens. À cet instant, elle se doutait qu’elle n’allait pas apprécier ce que je m’apprêtais à dire. Je le sais. Mes doigts disparurent dans sa chevelure brune, glissèrent entre ces mèches dans lesquelles j’adorais presque autant perdre mon regard que mes phalanges. Le pouce caressa la périphérie de ses lèvres, effleura ses ourlets labiaux. Je ne savais pas comment lui dire…à part comme ça.

- Morten, j’ai un service à te demander…

 « Je t’aime Eud. Crois-moi, si je le fais, c’est parce que je t’aime. »

- On a du bon temps à rattraper et si tu restes à Paris, crois-moi, on ne va pas s’en priver mais avant j’ai un service à te demander…

La dextre avait rejoint la senestre et encadrait le visage d’Eud d’un écrin de chair, de dix doigts pour faire réponse aux six qui en ce jour semblaient sur le point de se retrouver. « Crois-moi Eud, enceinte, je ne peux t’emmener là où je vais…et je le regrette. »

- Pourrais-tu le temps d’une nuit prendre soin de Eud pour moi?

…Car j’ai une visite à faire dans l’antre de Niels.

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Eudoxie_
"Ne laissez jamais vos peurs vous empêcher de faire ce que vous savez juste." (Aung San Suu Kyi)

Morten ? Soren ? Service...

Nom de... Rattraper vite fait de senestre le drap en train de se faire la malle quand Morten se mit à orchestrer un baise-main en règle, façon noblesse, la prendrait-il donc pour ce qu'elle n'était pas vu celui dont elle partageait la vie, bien probable après tout.
Eud oubliait souvent que si ici Soren n'avait pas de titre il en était tout autre dans son pays, que l'héritage de sa famille n'était pas que souffrance, perfidie et oncle intransigeant mais aussi, lignée, titre et noblesse... hors bannissement.

Et moi un ami de Seurn, Sir Sorensen, je n'avais pas encore eu ce plaisir jusqu'ici.

Point de mensonge ici, la rencontre avec le meilleur ami, devenu ennemi de son autre n'avait pas encore eu lieu, pour x ou y raisons, mais tant que Soren ignorait la présence de Niels ici, ce n'était qu'une question de temps.
La réponse de Morten fit sourire la petite brune, avec une pointe jaune cela dit, "elles vont toutes à lui", uhm... il allait falloir qu'Eud explique deux trois choses au blondin dont le fait qu'il avait juste eu de la chance.

Sourire qui déchanta rapidement devant l'attitude changeante, les propos insidieux et le regard qu'il portait sur elle, bien moins jovial que quelques minutes avant, mais où voulait en venir Morten ?
La phrase suivante et l'insistance des perles d'eau sur elle finirent d'effacer l'étirement sur ses lippes, ainsi donc il l'avait vu devant les Houx-Rouges et il tenait à ce qu'elle le sache, mais ce qui intrigua la brune fut de savoir pourquoi ? pour qui ? Il l'avait suivi jusqu'ici parce que finalement n'était-ce pas ce qu'il venait d'avouer sans même peut-être s'en rendre compte.

Clou final dans sa chausse pour faire ce qu'elle avait en tête depuis plusieurs semaines maintenant et qui avait été la cause de cet arrêt devant les grilles du domaine de Niels, le regard sombre se ferma automatiquement au prénom de l'infâme et l'information qu'il se trouvait ici, tous ses plans tombaient à l'eau sur l'instant.
Les mains de Soren qui quittaient ses hanches ne firent que confirmer son désappointement devant cette nouvelle qu'elle dissimulait depuis un moment, tout comme les cent pas qu'il entama dans son dos, les onyx se posant sur Morten avec une pointe de colère.

Quelques minutes ici et il venait de renvoyer son danois dans un enfer dont elle le protégeait au prix d'un secret qui lui pesait amèrement depuis plusieurs jours maintenant, d'une folie à réaliser, d'un risque à prendre pour lui éviter tourments et retour en arrière.
Une longue inspiration prise, le corps au ventre arrondi se détacha de l'endroit où il se trouvait et du regard inquisitoire qui pesait encore, rejoignant l'isolement précaire du paravent pour se débarrasser de ce drap impudique qu'elle arborait depuis bien trop longtemps face à un inconnu.

Paris lui avait offert la possibilité d'agrémenter sa garde-robe d'une tenue un peu plus travaillée malgré son ventre arrondi, et c'est celle qu'elle avait choisi de passer pour ne plus se présenter pour ainsi dire cul nu devant un total inconnu car oui c'était ce que restait Morten, avec tout le danger potentiel que ça représentait.
Eudoxie aux pieds nus se fit plus... convenable, bottées pour une fois, avec difficulté quand on ne voyait plus ses petons, mais rien d'impossible avec de la volonté et de l'imagination. Rapides ablutions et coiffage à la va vite de sa longue chevelure d'ébène, un pic de bois vint les tenir relevés en un chignon anarchique.

Ainsi plus présentable la petite brune sortie de sa cache, vêtue sobrement d'une robe noire brodée de fil d'or s'avança lentement vers la table, jetant un regard au chevelu blond avant que Soren ne vienne l'interrompre dans son évaluation encore en cours, interrogeant l'homme sur ce qu'il faisait ici.
Oui tiens, il s'était bien gardé de répondre à cette question le Sorensen, mais la main qui se posa sur elle, lui faisant d'instinct clore les onyx et incliner la tête vers cette caresse, la coupa net dans son désir de réponse, et le regard qu'elle découvrit en réouvrant les yeux ne lui disait rien qui vaille.

Le mouvement de sa main dans les soies d'ébène ne fit que confirmer cette sensation que ce qui allait suivre ne serait pas pour lui plaire, elle connaissait cette expression sur son visage, elle l'avait déjà vu... rarement, mais ça lui convenait très bien ainsi.
Lèvres sollicitées et réponse discrète d'un baiser sur le pouce explorateur, Eudoxie haussa légèrement un sourcil lorsque la voix Eriksen se mit à demander un service, l'écrin se formant autour de son visage lui donnant l'impression d'une protection au coup qu'il s'apprêtait à lui asséner. Bon sang mais que lui préparait-il ?

Les mains de la béarnaise venaient de se poser sur le torse dénudé de son futur époux quand les mots furent prononcés son regard planté dans le sien, les sentiments qui se bousculèrent dans les perles noires en une fraction de seconde déboussolant probablement Soren.
Surprise, incompréhension, réflexion, inquiétude pour laisser le plus puissant l'emporter et faire de cet instant peut-être celui qui changerait sa vie à tout jamais mais que les tensions accumulées, les hormones, la peur, tout ce que vous voudrez bien laissait prendre le dessus.

Le temps d'un battement de cil et les mains sur le torse danois étaient remontés pour dégager d'un geste vif et violent l'écrin de chair autour de son visage en reculant d'un pas pour s'éloigner de celui pour qui elle aurait tout donné et qui sur l'instant l'évinçait de ce qui concernait leur avenir.
La prenait-il pour une idiote de vouloir la laisser ici avec cet inconnu ? Pensait-il vraiment qu'elle ne savait pas ce qu'il ferait ? Il allait la laisser avec Morten pour se jeter dans la gueule du loup… et il pensait qu’elle allait sourire et simplement opiner du chef ? Vraiment ?

Tu… quoi ??????

S’éloignant de son danois, s’en dégageant et se mettant hors d’atteinte pour être entre lui et Morten, le regard sombre qui se fit noir se dirigea de l’un à l’autre, le sang venant tambouriner à ses tempes lui faisant fermer les yeux une fraction de seconde en portant dextre sur cette zone sollicitée.
La respiration accélérée de la colère qui prenait son corps tout entier, la béarnaise qui se trouvait entre les deux danois n’avait encore probablement jamais rencontré son futur époux, plus de douceur, plus de compromis, elle se sentait trahie comme elle avait cette sensation de le faire en lui cachant Niels ici depuis ce premier courrier reçu.

Il déboule ici tu ne sais même pas d’où… il sait que Niels est ici avec d’autres, il te trouve "par Hazard" et toi… toi… tu veux me laisser avec lui ??????
Tout changer ? Briser cette promesse d’affronter ça ensemble…
Tu veux que je te dise comment il t’a trouvé ??? Tu veux que je te le dise ???


Souffle anarchique et un bras se tendit vers Morten, onyx croisant le regard clair de "l’ami d’enfance" qui avait foutu le bordel et dont elle ignorait tout.
Il avait voulu jouer il perdrait assurément devant une Eudoxie se sentant trahie et en furie, enceinte qui plus est.

Je me suis arrêté devant les Houx Rouges ce matin et il m’a suivi jusqu’ici, c’est de moi qu’il parlait toute à l’heure…
Tu veux donc me confier à un homme qui m’espionne et qui sait tout de ce qui se passe chez Niels ???? Vraiment ????
Réfléchis Seurn, qui te dit que tu ne vas pas te jeter dans la gueule du loup en me laissant avec un de ses sbires ??? UHm ???


A ce moment précis, quelque chose en elle, une impulsion, un besoin de se libérer, faire ce qui devait l’être depuis un moment, les iris de l’inénarrable se portèrent sur la bâtisse qui les avaient amenés ici à travers la fenêtre.
D’une main sure, elle se pencha fouiller dans sa besace et en sortie deux missives, celles qu’elles avaient cachés depuis début avril, baissant regard dessus avant de se diriger vers Soren et de les lui plaquer sur le torse en le fixant, la colère laissant place à une tonalité moins agressive teinté de tendresse.

Je t’aime Seurn mais... tu m'avais promis de ne jamais me mettre en cage...

Elle savait que cette simple phrase lui laisserait un temps de répit pour tout ce qu'elle signifiait entre eux.
Alors la brune recula vers la porte sans quitter son danois du regard, s'adressant à lui avec de la détermination autant que de regrets, le ton baissant dans une excuse à peine voilée.

et… j’ai un rendez-vous... Lis-les et... Pardonne-moi si tu peux mon ange

Sans autre forme d’explication, les lettres parleraient pour elle, la petite brune avait quitté le logis précipitamment, presque à courir, sans se couvrir, se pressant de descendre les escaliers, arrivant dans la rue complètement essoufflée avant de la traverser et de faire les quelques mètres qui la séparait des Houx rouges pour se présenter devant les grilles.
Le temps de reprendre un peu son souffle et qu’un laquais ne vienne s’enquérir d’elle, la tête pivota pour redresser son regard vers la fenêtre où se tenait Morten encore quelques minutes plus tôt, son danois devait maintenant savoir ce que contenait les courriers si il les avaient lus, ou au moins vu la signature de qui les avaient écrites et justement… La grille s’ouvrit devant elle, sans qu'elle fasse plus attention à qui le faisait, l'esprit ailleurs.

Pouvez-vous annoncer à Messire Castral-Roc ma présence, il attendait ma venue… Eudoxie Castera.

Inutile d’ajouter Eriksen, si ce nom était inconnu ici, dans ce domaine la petite brune ne doutait pas qu’il ait une résonance autant ne pas attiser trop d’intérêt pour qui ignorait encore aux Houx Rouges qui elle pouvait être.
Dernier regard en arrière, la silhouette eudoxienne se faufilait dans l’antre de l’infâme, grilles des Houx Rouges se refermant derrière elle dans un grincement sinistre.


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La.peur

    "As-tu déjà été seul la nuit
    Pensant entendre des bruits de pas derrière toi
    Et te retournant sans voir personne ?
    Et alors que tu accélères ton allure
    Tu éprouves une difficulté à regarder à nouveau
    Car tu est certain que quelqu'un est là"

    Fear of the Dark (Iron Maiden)


      L'homme est pétri de rêve...
      Et je le laisse dormir sur ses certitudes...
      Ceux là se reposaient et m'avaient oublié...

      Me sentez vous grossir au creux de leurs corps
      Dévorer les entrailles de l'un qui cache ses sentiments
      Ravager les tripes de celle qui se fait mensonge
      Embraser la cervelle de l'autre qui ne comprend pas

      Sentez moi, comme le font ces trois-là....

      Le voyez-vous celui-ci...
      Ronger par ma soeur l'envie
      Il développe interrogation et crainte
      Il me fait grandir dans la tête brune
      Réveille ses démons et le passé
      Décuple mon pouvoir et amène dans la danse l'envie

      La voyez-vous celle-ci...
      Ronger par ma soeur la colère
      Elle sombre dans la folie lentement
      De sauts d'humeur hors de sa grossesse
      En action hors de contrôle vers le danger
      Amènera t-elle mon frère Orgueil en plus de ma soeur colère

      Le voyez-vous celui-là...
      Que je dévore en laissant son passé le prendre entier
      Que je savoure en attendant qu'il comprenne
      Où je cohabite au plus profond de lui avec Colère, Envie et Orgueil
      Où nous vivons en exacerbant "L'Autre" dans l'ombre

      Soldats de l'ombre
      Je suis la peur
      Elles sont la colère et l'envie
      Il est l'orgueil
      Nous sommes perfides
      Nous sommes infaillibles.



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“La peur... Une arme primitive mais efficace.”
Niels


Le sol des houx-rouges était traversé d’un fourmillement de tunnels plus ou moins larges, plus ou moins propres, usités ou même connus des habitants du lieu. Les passages secrets entre les murs permettaient leur utilisation en toute discrétion. On aurait dit que toute l’architecture de la bâtisse avait été conçu par un groupe de comploteurs. Peut-être était-ce le cas après tout? La tapisserie couvrant une partie du mur ouest dans le bureau de Niels ondula un instant. De derrière en sortit Sven Poulsen. L’homme se racla la gorge. Il savait que même si personne ne pouvait entrer dans le bureau de Niels sans s’être fait annoncer et accepter, il n’était pas personne. Les liens qui le rattachaient à Niels depuis l’enfance lui permettaient cela. Sven trouva l’homme sur le balcon, les bras croisés dans le dos, visiblement dans ses pensées.


- Il y a un imprévu. Elle est arrivée. Elle s’est présentée d’elle-même.

Cette phrase aurait pu paraitre énigmatique pour celui qui n’était pas dans les petits secrets des danois. Sven savait cependant que toute précision supplémentaire ne serait qu’une perte de temps inacceptable pour Niels: quand on apportait une mauvaise nouvelle au maître des lieux, mieux valait être concis, même quand on s’appelait Sven Poulsen. La réponse de Niels fut toute aussi brève.

- Thorvald l’a accueilli?

Niels ne laissait pas souvent transparaitre ses sentiments dans ses paroles. Quand il le faisait, c’était soit qu’il pouvait se le permettre parce que cela n’avait aucune importante, soit que c’était un calcul de sa part. Mais ici, aux Houx-Rouges, tout avait de l’importance. Malgré la complicité des deux hommes, même après toutes ces années d’amitié, Sven ne savait comment interpréter les paroles qu’il venait d’entendre. Il connaissait l’importance de la situation actuelle. Il savait comment Niels pourrait se comporter si tout cela échouait parce qu’un « simple détail comme celui-là » venait d’arriver. Non, il n’avait pas été prévu que Eudoxie Castera Eriksen se présente de son plein gré aux Houx-Rouges. Thorvald devait l’enlever en plein Paris, sous les yeux de Søren. C’était ça qui aurait dû avoir lieu. Le silence de Niels était évocateur. Sven savait que son ami rejouait silencieusement la trame de son plan en incluant ce fait nouveau. Il soupesait les différentes hypothèses et confirmait ou infirmait des possibilités. La déranger en un tel instant n’était pas conseillé sauf si l’on aimait subir son courroux. Même les plus fous s’en passaient.

- Oui. Il la fait patienter. Il attend tes ordres.

C’était vrai. Dans le vestibule d’entrée, Thorvald avait été surpris par la brune orthézienne. Un brin décontenancé, il avait lui aussi dû se ressaisir rapidement. Qu’est-ce qu’elle faisait là? Pourquoi se jeter dans la gueule d’un loup qui était censé la terroriser? La peur…Le plan de Niels jouait sur ce sentiment. De part et d’autre. Se pouvait-il que quelque chose n’allait pas? Si les sentiments que devaient induire les Houx-Rouges chez l’orthézienne n’étaient pas au rendez-vous, il se pouvait bien que tout ceci soit un véritable fiasco. Thorvald avait invité Eudoxie à passer dans le salon, une servante s’était présentée pour savoir si elle désirait se restaurer. Pendant ce temps, ordre avait été donné par le géant vétéran pour boucler les lieux. La proie venait de se jeter volontairement dans la gueule du loup. La méfiance devait être de mise. De nouveaux ordres devaient être transmis.

- qu’il l’amène comme prévu dans la chambre cette nuit. Mais avant, qu’il lui propose de se reposer ici pour la nuit. Qu’il prenne ma chambre pour cela.

Niels était un stratège. Pour un quidam, son ordre aurait pu paraître imprécis, vague, laissant libre court à l’interprétation. Le danois aimait à s’entourer d’hommes de confiance et cela n’était pas pour rien: quand on travaillait pour Niels de Castral-Roc, il fallait faire preuve d’initiative ou plutôt de la capacité à savoir traduire les pensées du Roy de deniers. Une chambre? Deux chambres? Sven n’avait pas l’air perdu. Il hocha la tête et sans attendre plus longtemps disparut par l’endroit par lequel il était entré. Niels resta seul un instant. Jamais en public, il n’aurait donné l’impression d’hésiter et pourtant le doute s’était insinué dans son esprit. Il n’aimait pas l’inattendu surtout quand il venait de la part de l’adversaire. Le dérangement de ses plans avait beau paraître trivial, il soulevait chez lui un doute qu’il avait du mal à chasser. Il s’apprêtait à mener une guerre. Sans arme, sans armure, mais une véritable guerre tout de même. Il ne pouvait pas se permettre d’échouer. Il constata avec une certaine appréhension qu’il avait posé la main droite sur la balustrade du balcon pendant la brève conversation avec Sven et qu’elle tremblait. Les mâchoires serrées, le regard fixé sur cette faiblesse, il la fit stopper par la volonté de son esprit. Les dés venaient d’être jetés et ce n’était pas lui qui les avait lancés. Simple détail ou funeste présage? Seul le temps le lui dirait. Alea Jacta Est. En bas, il entendit la voix lourde de Thorvald répondre à Eudoxie. Oui, l’oiseau était dans la cage. La phase Un venait de commencer. Elle devrait porter fruit rapidement sinon la phase Deux n’aurait aucun intérêt.

La peur… Oui la peur, elle n’est pas toujours là où on l’attendait.


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Eudoxie_
"Faites face à vos peurs et à vos doutes et de nouveaux horizons s’ouvriront à vous." (Robert Kiyosaki)

Niels ? Houx-rouges ? Rendez-vous...



Et voilà, elle y était, le lourd portail se refermant sur son passage comme la porte d'une geôle, mais qu'est-ce qui lui avait pris, et dans sa précipitation tout ce qu'elle avait prévu, la dague danoise, la pièce dont elle ne connaissait toujours pas l'incantation, tout... elle avait tout oublié.
Sa mère lui avait répété de nombreuses fois quand les larmes de la rage roulaient sur ses joues de petite fille : "La colère est mauvaise conseillère Eudoxie... elle te fera agir sans réfléchir et te mènera à ta perte". En cet instant, alors qu'elle avançait en suivant, l'homme en livrée qui la guidait, l'inénarrable ne put que l'admettre alors que ce souvenir résonnait dans sa tête.

Une longue inspiration, le châle de taffetas pourpre qu'elle avait saisi à la volée en sortant fut resserré sur sa poitrine tandis que le laquais lui demandait d'attendre un instant à l'extérieur, onyx se relevant sur la bâtisse pour la détailler, ses jeunes années chez le comte se rappelant vivement à elle, oui ici elle devrait être celle là surtout face à celui qu'elle venait voir, cette Eudoxie que si peu de ses amis actuels connaissait...
Malgré son ventre proéminent, la béarnaise changea alors de posture, le port de tête évoluant vers des enseignements qui lui semblaient appartenir à une autre vie, et alors que son regard venait de se poser sur un homme en balcon c'est une voix mature qui lui fit détourner la tête.

- Dame Castera, soyez le bienvenu, je vous en prie

Le borgne... Il fallait que ce soit lui qui l'avait fait fuir à peine plus tôt qui l'invite à pénétrer dans cet hôtel des Houx Rouges, que ce soit lui qui lui ouvre les portes de l'antre du loup dans la gueule duquel la petite brune se jetait tête baissée et pourtant consciente de ce qu'elle faisait.
Garder la tête froide et l'attitude adaptée, ne rien montrer et d'un simple et distingué léger accord de tête, contenir l'angoisse et le frisson que lui provoquait la simple vision de cet homme en acceptant l'invitation, avançant pour passer l'entrée et fouler de ses pieds cet endroit tant redouté.

Onyx balayant le luxueux, le pompeux, la vanité et tout ce qui avait bercé son enfance, cet endroit avait tout de ce qu'elle avait côtoyé plus jeune, ce qui l'aiderait grandement dans son comportement ici, n'être pas elle mais cette autre qu'on lui avait enseigné et cacher ce qui transpirait pourtant.
Si l'image envoyée ne laissait quasi rien filtrer lorsque le laquais vint délester les épaules du carré d'étoffe légère, n'offrant que l'attitude d'une femme habituée, posée, sure de ce qu'elle venait faire ici, intérieurement il en était tout autre.

Un vent de panique, un ouragan de pourquoi, une tempête de regrets et surtout elle... cette peur qui la tenait depuis des mois et qui atteignait son apogée, faisant battre son coeur à l'en faire exploser, provoquant sous couvert d'étoffe des sueurs froides dévalant l'épine dorsale orthézienne, une envie de hurler, de fuir.
Et pourtant... cette même angoisse la poussait à vouloir aller au bout de tout ça, mettre fin à ce cauchemar éveillé que lui faisait vivre celui que la brunette était venue rencontrer, vouloir reprendre le contrôle de sa vie, de son avenir, sans cette épée de Damoclès danoise nommée Niels de Castral-Roc probablement soutenue par la main de Lars Eriksen, à moins que cette vendetta ne soit plus "personnel".

Pendant qu'elle avait été savamment orientée vers un petit salon où une servante s'inquiétait de son appétit, le borgne en avait profité pour rester en retrait, pas pressés du personnel venant s'enquérir des directives.
Il ne fallu pas longtemps alors pour que les cliquetis de serrure se fassent entendre à peine le chuchotement ayant filtré des lèvres du sbire dont le regard, ou plutôt l'oeil, bifurqua vers un autre homme, blond lui aussi, à croire que si on n'était pas blond... on était pas danois, bien qu'en soit rien ne disait qu'il l'était.

Discrètement après avoir pris une mignardise à la servante qui avait la lourde tâche de la tenir occupée, le regard obsidien se posa sur les deux hommes, observant leur échange, les sonorités lui parvenant ne faisant que confirmer son sentiment, ici blondeur voulait dire danois, alors la noirceur de ses cheveux à elle ne faisait que renforcer le fait qu'Eud n'aurait jamais du se trouver ici.
Petit geste de rejet pour le plateau de gourmandise et prenant son courage à deux mains dans une lourde déglutition les yeux clos, le pas de la béarnaise se dirigea avec détermination vers le duo danois, les talons de ses bottes claquant exagérément le sol noble du salon de l'hôtel particulier.

Messires, permettez que j'interrompe là votre discussion en aparté mais je ne suis ici pour déguster des douceurs aussi délicieuses soient-elles.

Inclinaison de tête légère vers la droite puis la gauche, perles noires oscillant de l'un à l'autre, le temps de se demander comment elle arrivait à ce prodige de se tenir là, droite dans ses bottes, sans vaciller, tandis que dans sa tête une petite voix lui répétait sans cesse "fuis" "va t-en".
Mais la chanson des portes verrouillées quelques instants plus tôt ne laissait que peu de doute à la petite brune, le piège s'était refermé sur elle, le loup avait fermé sa gueule, restait à savoir si il planterait ses crocs dans la chair de la proie captive.

Où est Messire De Castral-Roc ? Est-ce un usage danois que de faire attendre ?

La mine des deux hommes ne fut pas celle qu'aurait voulu voir la bestiole, surtout quand le borgne s'inclina vers elle pour se retirer la laissant seule avec l'autre homme dont elle ne savait rien et qui, même si visage plus avenant, ne lui inspirait pas plus confiance que le barbu borgne.
Dextre calée sous l'arrondi de son ventre, la surprise de la béarnaise passa fugacement sur son visage lorsque le blond, probablement du même âge qu'elle, peut-être un peu plus vieux, s'inclina à son tour pour lui offrir un baise main en bon et dû forme, se saisissant de sa main gauche posée sur son ventre. Habitude danoise ? uhm...

- Dame Castera, je me présente Sven Poulsen, veuillez excusez cette attente, je crains qu'elle ne se poursuive encore hélàs.
Le maître de cet endroit n'est pas en mesure de vous recevoir pour l'instant, vous l'en voyez navré, dès qu'il a eu connaissance de votre présence il m'a chargé de vous convier à demeurer ici pour la nuit à venir.


Retrait de la main de celle de Sven... Sven ? Sven... n'était ce pas un des prénoms que Morten avait évoqué plus tôt, un de la bande d'amis d'enfance de Soren ? mais bien sur que si...
Changement de ton, gardant cependant au devant cette autre qu'elle savait être quand les circonstances l'exigeaient.

Sven... Vous pouvez dire à Niels que j'accède à sa requête, tout comme le fait que je me présente à lui seule comme il l'a demandé dans ses missives qui sont actuellement entre les mains de Seurn.
Je pense que cette information devrait l'intéresser.
Ceci étant entendu, si vous en doutez mon état ne me permettrait pas d'escalader les grilles entourant le domaine même si je le voulais alors...
Pourriez-vous faire ouvrir cette porte que je profite des jardins pendant mon séjour ici ?


Bébé Eriksen en éveil et une main qui se fait caressante au ventre distendu, s'il fallait choisir un moment ce n'était pas celui-ci, l'aplomb d'Eudoxie se faisant gentiment la malle après sa tirade en mode noble intransigeante et vindicative.
Ouvrir cette porte oui et prendre une goulée d'air pour ne pas défaillir, pour ne pas perdre cette contenance qu'elle avait jusque là, et lorsque d'un signe de tête du Poulsen la porte vers l'extérieur fut déverrouillée, un soupir de soulagement lui échappa.

Merci Sven

Pas une seconde, pas une seule avant que l'inénarrable ne file vers la lumière et ne s'enivre à plein poumons de l'air frais, rester elle était consciente de ne pas en avoir le choix désormais, mais enfermée non... tout sauf ça, surtout par une journée comme celle-ci, pas ce jour où elle venait peut-être de tout perdre.
Calmée ses jambes qui se faisaient coton, ne pouvoir se retenir de vaciller légèrement et se rattraper contre un arbre alors qu'elle se savait surveillée d'une façon ou d'une autre, et tenter de ne rien montrer, profiter des jardins de l'endroit, se promenant entre les allées d'arbuste et les dédales de massif fleuris par le printemps.


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Soren


Étonnement? Surprise? Eudoxie Castera…

Ça aurait pu être elle. C’est moi pourtant. Sans voix. Elle m’a laissé sans voix. Je n’ai pas compris sa réaction et ses paroles pour moi sonnent comme une langue étrangère. Elle se fâche? Mais quoi? Parce que je veux la mettre en sécurité? Parce qu’on ne peut aller aux Houx-Rouges ensemble comme prévu? J’ai imaginé bien des choses en annonçant que je pourrais l’emmener mais pas ça. Pourquoi en vouloir à Morten? Eud? Mais qu’est-ce qui te prend? Subir l’ire de Castera, c’est un peu comme voir arriver une avalanche: le temps de se dire « For fanden! », elle est déjà sur vous à vous ensevelir sous ses invectives.

Elle dit quoi? Je ne comprends rien de rien à ce qu’elle raconte. Elle était aux Houx-Rouges ce matin avec Morten? Perdu. Je suis perdu. Je me demande bien ce qu’elle faisait là-bas ce matin. comptait-elle y aller sans moi? A t-elle remarqué que les Houx-rouges étaient ré-occupés comme l’a dit Morten? For fanden Eud! Tu m’envoies trop de messages en même temps. C’est un mur d’information qui se déplace vers moi à vitesse grand V et je n’ai pas le temps de faire le lien avec tout ce que tu me dis pour que mon esprit assemble une situation cohérente et compréhensive. Alors tu me demandes de réfléchir et en même temps tu bloques ma capacité de réflexion.

Te mettre en cage… Tu savais que cette phrase ferait mouche. Lorsque l’amitié s’est transformée en amour entre nous, ce fut l’une des phrases que je t’ai dite : « Je ne te mettrais pas dans une cage ». Cette « cage »…On avait volontairement laissé toutes les portes grandes ouvertes au début, des portes que ni toi ni moi n’avons pourtant franchi. D’une certaine façon, d’un commun accord, nous avons décidé d’en refermer quelques une parce que cela faisait notre affaire. A tous les deux. Tu savais que ta phrase allait donc rebondir en écho dans ma tête. Tu savais que je me poserais des tas de questions quand tu la sortirais, que je me demanderais si tu désires réouvrir ce qui a été fermé. La réponse est là sans doute dans ces messages que tu as plaqué contre ma poitrine nue et qui désormais trônent au sol.

Telle une trainée, le feu eudoxien s’est propagé à une vitesse folle dans les méandres de mon esprit. La porte a claqué derrière toi. Partie? Pour où? Pour quoi? Pour combien de temps? Dans la chambre, la stupeur fait place à l’action alors que je me précipite sur tes pas. C’est le bras de Morten qui vient pourtant s’interposer. Lui est resté très calme durant ce bref échange. Il n’a pas soufflé un mot, son visage est resté impassible. Il ne s’est pas mêlé de nos affaires…sauf là.


- Tu ne vas pas sortir dans cette tenue? Et puis ça serait inutile, elle est trop loin?

Trop loin? Une femme enceinte dans son dernier trimestre? Trop loin? Hé quoi? Pense t-il que je suis un souffreteux au point que je ne pourrais l’empêcher d’atteindre les Houx-Rouges avec une si faible avance? Son bras s’est agrippé à moi avec autorité. Son regard s’est fiché dans le mien et pour une fois, la détermination est plus puissante de son côté. Mais qu’est-ce que tout cela signifie? Est-ce quelqu’un peut m’expliquer ou l’on préfére me laisser mourir idiot for fanden! Morten détourne le regard vers le sol, vers ces feuillets qui se bercent encore sous le déplacement d’air causé par le départ inopiné d’une brune qui m’aime mais à qui j’ai promis de ne pas la mettre en cage.

- Elle t’a demandé de lire alors…lis…

D’un truchement du menton, il me désigne les lettres d’Eud. Sa main n’a pas quitté mon épaule. Elle la tient toujours aussi fermement et son regard parle pour lui : « Lis donc, il est trop tard maintenant pour l’arrêter. ». Alors je détourne mes yeux de lui. Quel rôle joue-il ici? Eud semblait m’avoir mis en garde contre lui et pourtant il l’a sciemment aidé à fuir. Sont-ils complices? Ont-ils prémédité tout cela? Elle m’a dit de méfier et pourtant j’ai, en cet instant, le sentiment qu’ils se connaissent depuis bien plus longtemps, bien avant que j’ai fait les présentations. Mais qu’est-ce qui se passe ici for fanden?!?!?!? Morten, je ne peux pourtant croire que tu m’aies trahi. Je n’y arrive pas…mais je n’ai pas de raison de mettre la parole de Eud en doute. Il n’y a pas de logique dans cette situation…ou alors il me manque des morceaux de l’intrigue pour assembler le tout, pour comprendre. Alors, après avoir jeté un dernier regard sur cette porte close, je change de direction et je m’empare des feuillets qu’Eud a laissé à mon attention. Peut-être que tout sera plus clair après que j’en aurais pris connaissance? Ou plus nébuleux encore.

J’ai passé un bon moment de la journée à discuter avec Morten. Il m’a persuadé de ne pas agir tout de suite, a su mettre de la raison là où les sentiments voulaient l’emporter. Il m’a tout expliquer: sa présence ici, Eud devant les Houx-Rouges, sa poursuite dans les rues de Paris, sa surprise de me trouver ici. Ni l’un ni l’autre n’avons pu comprendre pourquoi Eudoxie m’avait caché les lettres de Niels. Que cherchait-il? Pourquoi l’inviter elle? Voulait-il agir comme il l’avait fait avec Charlyelle? Et si oui, pourquoi l’inviter? Pourquoi ne pas simplement l’enlever? Et toi Eud? Pourquoi ne m’en as-tu pas parler? Pourquoi avoir accepté cette invitation? Le soleil achevait sa course diurne lorsque Morten quitta notre appartement. De l’incompréhension à la colère, de la colère au doute, du doute à la réflexion. Qu’es-tu donc allée faire dans cette galère Eudoxie Castera et surtout pour quelles raisons? Je pensais que Niels te faisait peur: se pourrait-il qu’il t’attire suffisamment pour que tu lui donnes ce qu’il désire?


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Niels
     
    « Hôtel particulier des Houx-Rouges, à la tombée de la nuit »



L’arrivée inopinée d’Eudoxie Castera aux Houx-rouges avait provoqué le même résultat qu’un coup de pied dans une fourmilière: sitôt la brune orthézienne se promenant dans les jardins, Thorvald avait aboyé moultes ordres en direction de ses subordonnés. De la porte arrière du bâtiment, un homme en livrée aux couleurs des Castrol-Roc avait quitté les lieux. Son but? Signaler à damoiselle Eugénie Lavoie que la représentation aurait lieu cette nuit. Le grand jour était arrivé, l’heure n’était plus aux répétitions. Du côté des servantes de la maison, la chambre du maître des lieux fut débarrassée de tous les objets personnels. Les draps furent remplacés par un nouvelle literie qui sentait bon la lavande de Provence. Le mobilier de la pièce fut réarrangé selon les directives de Thorvald. Une fois les femmes de chambre parties, Sven entra à son tour dans la pièce: Il n’avait initialement pas été prévu qu’Eudoxie dormirait dans cette chambre et quelques réajustements étaient nécessaires. L’oiseau ne devait pas pouvoir quitter son nid sans l’aval express de Niels. Sven se dirigea vers la grande armoire dans laquelle étaient étendus les différents costumes d’apparat de Niels. Les poussant tous vers la droite, il posa sa main sur le fond de la paroi. Un « clic » discret se fit entendre. Le blond réajusta ensuite les vêtements de manière équitable sur la barre de bois et referma le meuble de chêne. Il se dirigea ensuite vers la fenêtre, écarta le rideau et observa du coin de l’oeil la promenade du jouet de Niels. Pourquoi était-elle venue de son plein-gré? Pourquoi se jeter dans la gueule du loup. Aux dernières nouvelles, Søren n’avait pas bougé. Il était resté toute la journée dans son appartement parisien, sans même venir secourir sa brune. Pourquoi? Oui, pour Sven qui connaissait bien Søren, cela cachait quelque chose. Mais quoi?

De son côté, Thorvald, un panier d’osier sous le bras, une torche dans l’autre main, était descendu au sous-sol. Ici, personne n’entrait sans sa bénédiction. Les Houx-rouges étaient posés sur un véritable labyrinthe de couloirs succédant à d’autres couloirs, de portes que l’on n’ouvrait jamais, de murs sur lesquels poussaient une moisissure qui semblait prendre chaque jour un peu plus d’ampleur. L’endroit était humide et traversé par la vermine de toutes sortes : rampantes, grinçantes, couinantes, rongeantes, mordantes. Les pas du vétéran résonnaient dans le long couloir qui menait à la scène. Thorvald poussa la porte et entra dans une petit pièce. Dans un coin de la chambre, un lit avait été installé. Une fenêtre avait été peinte sur l’une des parois. Près du lit, une petite table de chevet avait été installée. Sur celle-ci trônait un broc d’eau et une cuvette. Près du lit, un pot de chambre en céramique avait également été amené. Sur le mur opposé, près de la porte, gisait un coffre ouvert avec des vêtements d’enfants pliés consciencieusement. L’agencement de la pièce avait été conçu pour être une caricature de celle d’une petite maison orthézienne que Thorvald et ses hommes avaient visité il y a plusieurs mois de là. Sur la porte, une pancarte invitait même les visiteurs à user des lieux en l’absence de la propriétaire. C’est ce que fit le borgne sans qu’on le forçat le moins du monde. Sur la petite table en face du lit, il déposa un pot de confiture de groseilles, un petit pot de beurre et une miche de pain rassis qu’il sortit de son sac à dos. Il installa son panier d’osier sur le côté de la table de manière bien visible, le couvercle, légèrement entr’ouvert. Il n’y avait dans la pièce nul rongeur. Qu’un rat vienne fouiner ici jusqu’au clou du spectacle ne pourrait être qu’une cerise sur le gâteau. Ici, l’humidité se faisait ressentir de manière plus marquée encore que dans les autres parties des Houx-rouges. L’eau ruisselait sur les murs, une goutte d’eau coulant du plafond venait régulièrement s’échouer dans une petite flaque d’eau au centre de la pièce. Plic…Ploc…

Aux cuisines, la représentation était déjà débutée. Marmitons, pâtissiers, sauciers et maîtres-queues s’activaient dans un ensemble qui ressemblait fort à désordre en apparence. Pourtant, pas un seul faux-pas ne fut à noter dans ce chaos orchestré de main de maître par l’un des chefs réputé de Paris: crèmes de panais, tourte de blettes, pâtés de truite aux amandes, fricadelles de poulet aux amandes et à l’eau de rose, sabayon aux fruits conflits, massepain, huitres frites, hure de sanglier. L’époque était aux changements et l’art de la cuisine n’y échappait pas non plus. Les plats sales s’empilaient au bout du plan de travail, les fourneaux ne désemplissaient pas. C’était à croire que l’on préparait un banquet pour une centaine d’invités. Thorvald fit irruption dans la pièce. Le brouhaha s’apaisa alors le temps que chacun puisse jauger la situation. Il est des présences que l’on souhaitait éviter quand on était au bas de l’échelle, de ces présences qui peuvent vous amener honneurs et compliments comme de vous faire rouler la tête sur un sol de marbre. Le temps se figea, les regards se firent fuyants: lorsque l’on voulait éviter de faire une erreur, le mieux était de ne rien du tout. Ce fut le Chef, celui de la cuisine, qui tapant des mains remis tout le monde au travail. Les sauces ne pouvaient attendre sur le feu et une crème de légumes racines froide raclait le palais. L’homme attendit que son personnel soit de nouveau affairé aux tâches que chacun se devait d’accomplir pour s’approcher de Thorvald. Le borgne, les bras croisés sur la poitrine ne dit pas un mot. Il toisa le cuisinier qui lui faisait face, déplia les bras et glissa subrepticement un petit flacon de cristal dans la main de son interlocuteur. Aucune explication n’était requise, les consignes avaient été donné il y a quelque temps déjà. Le Chef hocha à peine la tête et glissa le cadeau dans le creux de sa dextre. Plus tard, il en userait comme il avait été convenu. Thorvald s’éclipsa alors aussi silencieusement qu’il était arrivé, libérant ainsi les esprits de tous ces artisans de la gastronomie et le brouhaha habituelle des lieux reprit la place qui était sienne, comme dans toute cuisine qui se respecte.

Et Niels me direz-vous? Le roy de deniers était restait un moment au balcon observant celle qui venait le défier dans son antre. Il aurait aimé la comprendre elle, celle qui partageait la vie de Søren. Pourquoi avait-elle accepté son invitation? Pourquoi était-elle venue ici, seule? Décidément, Søren avait toujours eu de drôles de gouts pour les femmes. Quand elles n’étaient pas sottes, elles manquaient de classe. Quand elles ne manquaient pas de classe, elles étaient quelconque, ou prude, fade, insolente. Les hommes comme eux étaient fait pour avoir des femmes d’exception : belles, vives d’esprit, intrigantes, séduisantes et sachant les amener aux plaisirs les plus raffinés. Lui l’avait compris, Søren était un fat. D’ailleurs, pourquoi trainait-il encore dans son sillon une femme qu’il avait manifestement engrossé? Il aurait dû la laisser entre les mains de sage-femmes qui auraient pris soin d’elle pendant la grossesse, qui l’auraient l’accouché et qui auraient obéi à ses directives. Ensuite, si elle l’avait bien servi, il aurait pu l’envoyer au couvent. Si elle se serait avérée rebelle alors un panier d’osier aurait été suffisant. Niels avait devant lui la preuve que Soren n’avait jamais rien compris, qu’il récidivait, qu’il commettait sans cesse les même erreurs. Voilà pourquoi il n’avait jamais été le numéro un et ne le serait jamais. C’est sans doute aussi la raison pour laquelle cet idiot n’avait même pas su récupérer terres et titres depuis qu’il errait sans but au royaume de France. Tout cela était désolant. Niels quitta le balcon, ferma la porte-fenêtre et vint s’allonger sur la causeuse. Il ferma les yeux un court instant. Son bras lui faisait mal. Il défit le bouton de sa manchette, enroula le tissu jusqu’à la hauteur de son coude, réouvrit brièvement les yeux pour constater que la tâche noire sur sa peau avait encore pris un peu plus d’ampleur. C’était presque imperceptible… presque oui.

Désormais tout était prêt pour la représentation du soir. Ne manquait qu’une personne qui devait sous peu franchir les portes des Houx-rouges. L’oiseau était dans sa cage, chacune des portes solidement verrouillées. Repas, début de nuit et ensuite, Niels pourrait constater s’il avait eu raison de faire confiance à Thorvald.


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