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[RP] La peur nait à la vie plus vite que tout autre chose

Eudoxie_
"La peur, c’est l’enfant en nous qui panique." (Tahar Ben Jelloun)

Cage ? Dorée ? Houx Rouges...

"Hotel Particulier des Houx Rouges"
(ici)


Voir la sortie et savoir pertinemment qu'elle ne pourrait pas la prendre, s'interroger tout en arpentant les allées de ce jardin entretenu de main de maître. Etait-ce de cela dont parlait Niels dans ses missives en disant que tout serait prêt dans deux semaines ?
Et... était-ce lui dont elle sentait le regard posé sur elle depuis le balcon, comme la morsure d'un prédateur sur sa nuque, tentant de l'apercevoir un court instant sans jamais porter onyx en direct vers lui.

Dextre effleurant une marguerite alors qu'elle avait pris place sur un des bancs de pierre, le cœur de la petite brune se serra avec force, paupières se fermant sur une pensée qui lui était insupportable... et s’il ne pouvait pas lui pardonner d'avoir caché ses missives...
Si... elle avait tout perdu quand ce matin-là il lui avait dit "il faut que nous allions aux Houx Rouges" et qu'elle n'avait pas su comment lui parler de la première lettre et de celle qui avait suivi... sachant qu'elle l'avouerait tôt ou tard.

Lentement une saline vint se perdre sur l'arrondi de sa joue, dextre délaissant ce symbole pour venir se poser sur le fruit qui grandissait en son sein, pétale d'une fleur séchée qui dormait dans une boite en bois accompagné d'un caillou et de quelques rubans.
Une inspiration hôquetée à cette image, à tous ces petits riens contenus dans une boite toute simple, et une salve de sanglots pris possession de la détermination d’Eudoxie à ne rien laisser paraître profitant de la solitude, qu'elle savait relative des jardins de cet endroit maudit.

Maudit oui... par ce qui s'y passerait sans doute, quoi qu'il arrive, s’il décidait de l'abandonner à son mensonge, à son sort, nul doute que le Castral-Roc s'en donnerait à cœur joie, passant sa frustration sur ce qu'il aurait sous la main, à savoir elle et... son bébé, même si Eudoxie voulait croire qu'ils étaient plus forts que ça.
Et s’il venait la chercher comme elle l’espérait autant qu'elle le redoutait, la confrontation que la petite brune désirait éviter aurait lieu et dans des conditions qui n'auraient rien de favorable à la réconciliation, et pourtant...

Toute acquise à ses pensées, à ses interrogations, à ses doutes et ses craintes, Eudoxie n'entendit que trop tardivement les cailloux foulés par de larges bottes danoises, essuyant aussi discrètement que possible les trainées humides sur sa peau, surtout garder la face.
Relevant le regard légèrement rougi, une sorte de soulagement, fugace, lorsqu'elle aperçut l'homme en livrée qui 'avait accueilli et qui l'invitait à rejoindre la demeure en lui apportant son châle.

Si Madame veut bien me suivre, nous n'aimerions pas vous voir prendre froid et un repas vous a été préparé.
Il vous sera servi à votre convenance en salon ou en chambre, le maître ne pouvant pas diner avec vous en cette soirée


Les chausses de la béarnaise emboitaient déjà le pas du laquais, accédant à son invitation, à quoi bon se montrer rétive, autant faire en sorte que tout se passe au mieux et que rien ne vienne aggraver la situation dans laquelle elle s'était sottement fourrée sur un coup de tête sans prendre les précautions nécessaires.
Lorsque l'allée menant au portail des Houx Rouges, un moment d'arrêt fut marqué et le regard de l'orthézienne fixa la rue et ses passants... Soren où es-tu donc... Tête basse et soupir long, Eudoxie entra dans la maison indiquant qu'elle souhaitait qu'on la mène à sa chambre et qu'elle y prendrait son diner.

Une servante, jeune, blonde elle aussi, pris alors le relais pour la guider vers ce qui serait l'endroit où elle devait passer la nuit, une seconde arrivant peu de temps après pour déposer sur la table trônant dans la pièce un plateau garni de tout un menu digne de plus belle cour de Paris.
Rapidement Eud remercia les jeunes femmes, seule, elle voulait être seule, sans personne, sans regard se posant sur elle, sans rien qui vienne la perturber, les raccompagnant même jusqu'à la sortie de la chambre comme si elles ne savaient pas où elle se trouvait.

Les soubrettes parties, le dos de l'inénarrable vint se caler contre le bois de la porte, mains se posant sur sa bouche pour étouffer la sonorité d'un corps qui cède sous la pression dans des pleurs incontrôlables secouant la brune plus qu'elle ne l'aurait souhaité.
Pourquoi n'était-il pas venu la chercher ? Pourquoi Niels la faisait-il attendre ? Pourquoi tout le Danemark semblait réuni ici ? Pourquoi les amis d'enfance de Soren étaient-ils ici ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Tout se bousculait dans sa tête, lui embrouillait l'esprit autant que les sens, l'appétit vient en mangeant, et bien c'est faux... à cet instant, rien ne faisait envie à Eudoxie malgré ce qui se trouvait sur le plateau, la faim ne la tiraillait même pas malgré un jeun depuis le matin mais un petit être logé sous son nombril lui rappelait avec force de conviction que oui elle devait se nourrir.
De mauvaise grâce et sans profiter des mets raffinés qui lui avaient été offerts, la future mère s'était nourrie avant d'aller s'étendre sur le lit cossu, son regard obsidien inspectant la pièce sous toute ses coutures, impersonnelle, dénuée de toute touche humanisant l'endroit.

Seule l'odeur de lavande lui apporta un peu de chaleur humaine en lui faisant penser à ses amis, à la Provence, à sa poussière d'étoile, à son anniversaire, au mas, à cette journée... à lui....
Le mas, le moulin, la plage d'Arles, lentement son pied droit vint caresser la tresse de rubans à sa cheville gauche, d'un pivotement le corps eudoxien se plaça face à la porte, main gauche se calant sous l'oreiller où reposait sa tête, dextre caressant comme en automatisme son ventre et son habitant.

Regard rivé sur l'entrée, la petite brune réalisa que ce serait la première fois... la première fois depuis son enlèvement à Marseille, la première fois depuis qu'elle portait ces rubans, la première fois depuis qu'ils avaient décidés de devenir parents malgré eux, la première fois depuis qu'il lui avait dit vouloir faire d'elle son épouse...
Pour la première fois depuis des mois, il ne serait pas à ses côtés cette nuit, il ne l'envelopperait pas de sa masse danoise, il ne la rassurerait pas de sa voix à l'accent scandinave, il ne lui souhaiterait pas une nuit bercée par de doux rêves et elle ne sentirait pas la caresse de son souffle niché au creux de sa nuque.

Non... ce soir Eudoxie était seule, plus seule qu'elle ne l'avait sans doute jamais été, malgré tout ce petit monde qui fourmillait dans la bâtisse.
Ce soir, la petite brune verrait ses paupières se fermer malgré elle, malgré tout ce qui la hantait, sombrant dans un sommeil perturbé d'un manque et d'une peur viscérale


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Soren

    « La nuit, tous les danois sont gris - Paris et ses souterrains, direction les Houx-rouges »


Morten était sorti à la nuit tombée. Le blond devait regretter de ne pas porter de cape pour pouvoir la relever sur la tête et passer plus inaperçu. Avec les Houx-rouges juste à côté, mieux valait être prudent. Dans la chambre là-haut, je m’étais changé. Enfin, vous me direz « Vu ce que t’avais sur le dos tout à l’heure… ». Ouais, vous auriez raison. J’avais passé une chemise brune, un surcot de cuir marron. À la taille, une dague danoise avait été accrochée à la ceinture et les bottes étaient évidemment de rigueur. Là où j’allais, elles étaient indispensables. Il n’y avait que le pantalon qui n’avait pas eu besoin d’être changé. Quand à l’épée, je n’avais pas hésité trop longtemps: elle me serait inutile. De un parce qu’elle se refusait toujours à moi. De deux parce que la configuration des lieux où j’allais ne s’y prêtait pas. En ouvrant le coffre qui contenait certains objets dont je ne me séparais jamais, elle m’avait pourtant sauté aux yeux. Et d’idée en idée: « rapière »… « Houx-rouges »… « Niels »… je me suis souvenu: c’est avec cette même arme que j’avais occis Albanne dans un duel judiciaire. Albanne…C’est elle à qui les Houx-rouges appartenaient. Elle était de la famille de Niels. Elle a exhalé son dernier souffle dans mes bras. Albanne qui avait osé m’accuser du meurtre de son oncle parce que le poignard que je portais à la hanche ce soir avait été retrouvé dans le dos du mort. Tant de souvenirs, tant de racines qui puisent jusqu’aux plus profonds épisodes de ma vie au Danemark…

Un hululement dans la nuit…Un hululement comme on peut en entendre souvent, peut-être moins à Paris me direz-vous. Cet hululement-là cependant ne venait ni d’un hibou ni d’une chouette. Celui-là aussi me rappelait des souvenirs anciens, ceux d’un groupe de jeunes impétueux cherchant à contourner l’autorité parentale et les gardes du château pour aller faire une virée nocturne en ville ou dans les bois environnants. Je jetais un bref coup d’oeil par la fenêtre: il n’y avait rien de suspect, juste un couple d’amoureux qui se promenait bras dessus bras dessous. J’attrapais mon sac dans lequel se trouvait corde, briquet, torche et quelques autres babioles de ce genre et je descendis les marches, direction la porte d’entrée. Sur le pas de la porte, mes yeux scrutèrent les ténèbres de Paris. On dit que la vie dans la capitale françoyse s’éveille quand le soleil se couche. J’espérais en cet instant que ce ne fut pas le cas. Le couple d’amoureux avait disparu? tant mieux.

Cette fois, ce fut deux hululements rapprochés qui perturbèrent le silence de la nuit parisienne. Deux. C’était une bonne nouvelle: Morten confirmait que le chemin était libre et qu’il n’avait pas été suivi. Maintenant, c’était chacun de son côté et à Dieu va! Bonne chance à toi l’ami, je te devais une fière chandelle. Je bénissais le Très-Haut de t’avoir mis par hasard sur ma route en ce jour même si je me demandais toujours si Eud avait filé par ta faute aux Houx-rouges ou si elle l’aurait fait quoi qu’il arrive. La lecture de ses lettres m’avait laissé perplexe.

Le regard perçant la noirceur de la nuit avec une certaine inquiétude, je progressais d’un pas rapide dans les rues de la ville. Non, je ne me dirigeais pas vers les Houx-rouges. Je les laissais rapidement sur ma gauche et je m’enfonçai dans les rues du quartier en contrebas. Mes pas me menèrent vers Notre-Dame et lorsque la cathédrale fut en vue, je bifurquais à gauche vers la rue du chat perché. « Rappelle-toi Søren! For fanden, Rappelle-toi !». Le lieux que je cherchais n’avait reçu ma visite que deux fois. A chaque fois, j’y étais passé le matin et dans le sens contraire. Cela remontait désormais à des années. La dernière fois, c’était avec Charlyelle. Une ruelle. Oui, c’était dans une ruelle. Le problème, c’est qu’à Paris, il y en a un nombre assez important. Quand je suis sorti la dernière fois, je pouvais voir Notre-Dame. Enfin…J’espérais que c’était Notre-Dame. Et puis, il y avait un soupirail entre deux tonneaux…Une petite rue étroite où les gens pouvaient sans doute se donner la main d’un balcon à un autre le matin. For fanden Eud! J’avais prévu de venir en éclaireur dans ce coin pour repérer l’endroit de jour mais ton départ précipité aux Houx-rouges a bouleversé les plans. Tu sais mon Ange, ce n’est pas les étages de qui m’intéressent aux Houx-Rouges: ce sont les souterrains, le dédale de couloirs et de passage secrets qui se trouvent ici. C’est là que j’ai retrouvé un cadavre, celui d’un moine. Tu te rappelles Eud? Ouais…Je ne sais même plus si je t’ai raconté cette histoire à vraie dire. Elle est sordide et quand j’étais dans tes bras, j’avais plus envie de douceur et de sensualité. Les moments difficiles, on en avait assez comme ça sans qu’on les évoque volontairement.

Enfin! Le voilà! Il m’a fallu un bon moment avant de retrouver l’endroit mais cette fois, je l’ai! Le soupirail était ouvert. J’ai allumé une torche pour y voir clair. Si jamais Niels m’avait fait suivre, j’étais un homme mort. La nuit, une torche à la main nous rendait visible. Elle était même sans doute plus efficace pour être vue que pour voir mais je n’avais pas le choix : à l’intérieur, je n’y verrais rien sans lumière. Je refermais le soupirail derrière moi et m’enfonçai dans l’étroit boyau qui me faisait face. J’accrochais ma flamme à une torchère située sur le mur près de l’entrée. Puis, à tâtons, je regagnais les ténèbres dans le coin opposé à la torche, cinquante pas plus profondément dans le passage souterrain et dans le noir j’attendis. La puanteur des soubassements des Houx-rouges s’étalait déjà ici et pourtant j’étais encore au moins à une demi-lieue de l’hôtel. Je ne sais exactement combien de temps je suis resté là. Mon esprit était revenu se fixer aux brisants des souvenirs passés: Syu, Patt, Albanne, les poissons qui volent, la découverte du souterrain, la follette qui me prenait pour son père, Niels, le livre avec les pages déchirées, Christos…

Personne. A l’entrée du passage donnant dans la petite ruelle parisienne, personne n’avait réouvert la trappe du soupirail. Je pouvais donc récupérer la torche et poursuivre. J’étais quasi convaincu que personne ne m’avait suivi jusqu’ici. Désormais il me fallait marcher sous Paris pour rejoindre les Houx-rouges. Mes pensées se tournèrent vers Eud: c’était ici, mon Ange, que tu serais sans doute venue, dans ce même passage connu sans doute de peu de monde. Nous serions entrés ici ou par la porte principale, direction l’étage et ensuite l’entrée des souterrains dans une chambre. Nous aurions soulevé la plaque de métal posée au sol dans l’âtre de la cheminée et nous serions arrivés au même endroit. Je vais arriver Eud. Ce n’est qu’une question de temps. Je vais arriver et si ce n’est pas moi, ce sera un autre blond.

Morten, vieil ami, où te trouves-tu? Le plan se déroule t-il sans accroc pour toi ou ta tête a t-elle roulé sur un sol de marbre?

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Niels

    « Houx-Rouges, d’une chambre à l’autre »


Søren, Niels, Sven, Jørgen, Morten. Ne manquait que Thomas. Les Houx-rouges où le songe d’une nuit de printemps à la mode scandinave.

« Tu es dangereux car tu es imprévisible ». C’est en ces termes que Brygh ailean MacFadyen décrivait son fils ainé, issu d’un premier mariage avec Hakon Harfagre Eriksen, troisième du nom: imprévisible. Pour un auteur il existe plusieurs moyens d’être imprévisible. Tenez, par exemple, certains vous font vous attacher à un personnage. Ils vous le décrivent de long en large, ils raffinent son apparence, sa personnalité, ses manies, détaillent même ses objets préférés… et puis un jour, sans prévenir, ils lui coupent la tête alors que vous savez parfaitement que l’oeuvre littéraire n’en n’est qu’à ses balbutiements. Ils vous laissent là, abasourdi, à essayer d’anticiper la façon dont ils vont s’y prendre pour le ramener dans l’histoire. Ils vous suggèrent implicitement d’explorer les scénarios les plus farfelus : ce n’était pas lui mais un sosie, personne n’a vu son visage de sorte qu’on peut penser que c’était n’importe qui, tout cela n’était qu’un rêve,.. Et là, je vous passe les idées les plus tordues encore , celles qui font appel au paranormal, à la vie après la mort, etc…

D’autres auteurs vous surprennent en vous racontant des histoires invraisemblables sur le passé, sur le futur: des complots machiavéliques ourdis dans l’ombre, l’histoire du futur, de ce que nous serons dans des dizaines de milliers d’années, de l’instrumentalité du genre humain qui fait perdre toute la saveur de la vie à Big Brother, tout aussi contrôlant et amenant à une vie aussi déprimante mais pour une autre raison. L’imaginaire de l’homme est sans limite pour qui sait l’alimenter. Et il ne faut pas toujours un torrent de suggestions: de petites rivières peuvent naître de longs fleuves pas toujours tranquilles.

Et puis, il y a ceux où, après vous avoir habitué à prendre le contrepieds de vos anticipations vous surprennent tout simplement en décrivant ce à quoi vous vous attendez. L’esprit humain est une terre fantastiquement fertile pour qui sait en prendre soin, le cultiver avec talent. Aux Houx-rouges, les graines germent une à une pour bâtir les murs d’une histoire qui n’a rien de linéaire, une trame en forme de toile qui plairait aux araignées et où les détails s’enchevêtrent les uns aux autres, se connectent de manière inattendue ou pas, où les graines qui ont germé fleuriront pour donner d’autres graines qui nourriront à leur tour un esprit prompt à créer ce monde imaginaire que nous bâtissons tous ensemble, mot après mot.


     « Première graine : le flacon »


Au milieu de la nuit, alors que la majeure partie de Paris est assoupie, la poignée de la porte d’Eudoxie fut tournée. Thorvald entra le premier suivi de ses sbires. Un cordon de danois se déroula tout autour du lit où gisait la blonde orthézienne. Une lune pleine de trois-quarts nimbait la pièce de ses rayons blafards, l’éclairante d’une aura prompte à vous donner le frisson. Thorvald laissa son unique oeil s’habituer à la luminosité particulière de la pièce et esquissa un sourire de satisfaction en voyant la brune allongée sur la couche, visitant le pays des rêves. Il porta une main tiède dans le cou de sa prisonnière: le coeur battait d’un rythme plus lent qu’à l’accoutumée. La respiration était apaisée, le corps détendu. Le chef dans les cuisines avaient agi comme le borgne l’attendait. La substance toxique avait été incorporée au repas de l’invitée. Il n’en fallait pas beaucoup pour que cela fasse effet. « On » lui avait dit que le risque de décès était minime, que peu de personnes réagissaient trop fortement à ces toxines. Thorvald avaient tiré les runes et il leur avait fait confiance, avec raison manifestement.

Il claqua des doigts et un géant blond qui n’était rien d’autre qu’un amas de muscles s’empara de la jeune femme grosse. Il la prit dans ses bras, l’un sous les fesses, l’autre sous le dos. Il cala la tête dans le creux formé de son torse et de son épaule. Le groupe se remit en ordre de marche. Thorvald quitta les lieux en dernier, refermant la porte derrière lui. La colonne prit alors la direction des sous-sols, avec pour seule lumière celle délivrée par les torches portées haut en avant et en arrière du petit groupe de cinq individus.


     « Deuxième graine : L’occupante mystérieuse. »


Ce soir-là, elle ne dormait pas. De toutes les fibres de son corps, elle savait que quelque chose de terrible se tramait. Les autres avaient beau l’appeler la folle, elle ne l’était pas. Enfin…pas complètement. Elle percevait des sensations, des vagues venant de l’au-delà. C’est ainsi qu’elle nommait elle ce petit quelque chose que d’autres appelleront plus tard le septième sens. Toute la journée elle les avait entendu, ceux qui l’avaient emmené ici en lui promettant monts et merveilles, ceux qui l’avaient cloitré dans cette chambre, ceux qui l’avait fait devenir dingue. Ils s’étaient activé, avaient remué la poussière, avaient dérangé ceux qui n’auraient pas du l’être. Et si les fous n’étaient pas ceux que l’on croit? Et si c’était plutôt ceux qui n’avaient pas conscience de la portée de leurs gestes, des conséquences de ceux-ci? Ce soir-là, elle s’était recroquevillée dans son lit. Elle avait pris son enfant tout contre elle et avait remonté les draps jusqu’en haut de leurs têtes, malgré la chaleur printanière.

Lorsque le destin vous prend comme bouc-émissaire, il ne fait pas que jouer avec vous. Il vous accable de tous les maux et au grand malheur de la blonde, la folle avait l’ouïe aussi perçante qu’un chat. Ce soir-là, elle a entendu leurs pas et elle s’était mise à trembler. Quand ils venaient par ici, c’était pour la battre ou pour abuser de son corps. Quand le borgne venait avec eux, il fallait qu’elle dégage, elle et son enfant. Ils lui faisaient peur. Peur d’être frappée sans raison, peur d’être violée, peur de leurs frustrations mais surtout peur qu’ils réveillent les choses tapis dans l’ombre par leur inconscience.. Non, elle ne voulait pas qu’ils viennent. Pas ce soir, surtout pas ce soir. Cette nuit, il y avait de mauvaises conjonctions, Ils n’étaient pas de bonne humeur et si on les dérangeait, ils allaient se venger sur tout ce qui passait à leur portée, sans distinction aucune.


     « Troisième graine : L’actrice. »


Ce soir-là, ils ne s’arrêtèrent pas dans la chambre de la follette. Ils n’usèrent pas du passage secret situé dans la cheminée de celle-ci: passer une femme enceinte endormie par un tel trou aurait relevé du pure prodige. Ils prirent le chemin de l’ancien escalier double que l’on accédait aujourd’hui en actionnant un mécanisme secret situé derrière une grande tapisserie qui représentait un débarquement danois sur les côtes de l’île de Bretagne. Ils durent d’abord monter plus d’une trentaine de marches avant de prendre un long couloir vide long d’une cinquantaine de pieds. Ils redescendirent ensuite par un autre escalier comprenant plus de soixante marches, s’enfonçant ainsi dans les entrailles des Houx-rouges. Sur le trajet, pas un ne parla. C’était à peine si le géant transpirait sous le poids de la Castera.

Plus bas, l’humidité des Houx-rouges reprit sa place. Ici, la mousse et la moisissure régnaient en maître, tant sur les murs qu’au sol. Ce dernier était rendu glissant par la végétation qui y avait fait sa place et par l’eau qui suintait des parois et du plafond. Les pas des danois résonnaient dans le passage, brisant ainsi la monotonie du plic-ploc des gouttes qui tombaient du plafond dans les flaques d’eau. Les rats couinaient en se frayant un passage vers l’obscurité, les blattes n’avaient pas toutes cette chance et certaines finissaient en purée d’insecte sous les talons des danois. Ce fut Thorvald qui, dépassant la colonne d’individus fit tourner la serrure dans la chambre d’Eudoxie. La porte s’ouvrit dans un grincement sinistre et le borgne laissa passer la montagne qui alla déposer son fardeau dans le lit préparé à l’avance pour la brune. La seule femme qui composait l’escorte attendit que tous les hommes aient quitté les lieux pour s’occuper de la captive. Elle la déshabilla, sortit de la petite armoire une robe telle eue l’orthézienne portait quand le comte béarnais faisait son éducation au château: coiffe, robe, chausses, ceinture, bas, tout y passa. Elle installa la brune confortablement dans le lit, recroquevillant les jambes sur le ventre arrondi, une main sous la tête, le corps allongé sur le coté droit, tourné vers la porte. Puis elle sortit à son tour de la chambre, et Thorvald fit jouer de la clé pour fermer la porte de la chambre. L’oiseau était dans son nouveau nid, l’étape suivant pouvait être enclenchée.

Quelques instants après, la représentation prit son envol. Une femme dans le début de la trentaine fit son apparition dans la pièce. Elle sortait d’on ne sait où. Au sol, l’entourant, rampait une brume diaphane. Elle regarda l’orthézienne paisiblement endormie, attendant que les vapeurs oniriques s’évaporent de son esprit. Et lorsque les premières bribes du réveil se présentèrent, elle s’exprima d’une voix feutrée, d’un souffle.


- Eudoxie… Eudoxie… Lève-toi ma petite…

Les brumes qui rampaient au sol autour d’elle prirent progressivement de l’ampleur. Un courant d’air fit gonfler les voilages dont elle était affublée. Sur le sol, autour d’elle, s’étalait un cercle phosphorescent qui mettait en valeur ses cheveux bruns et ses yeux d’un bleu outremer. Les remarquerait-elle?

- Lo men arrai deu sô*… Ma fille… J’ai besoin de toi… Il ne me laissera pas en paix…

Le ton de voix était amical. C’était celui que pouvait prendre une mère en parlant à sa fille.


* : « mon rayon de soleil » comme on le dit dans le coin d’Orthez.

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Eudoxie_
"Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es" (Victor Hugo)

Mère ? Fantôme? Perfidie...

"Quelque part dans les entrailles des Houx Rouges"


Il était là, si fragile, petit être aux doigts frippés, au regard bleuté encore mi-clos et à la chevelure aussi blonde que les blés, niché au creux de bras danois puissants qui l'enveloppait déjà de son attention.
Et pourtant sur le linge qui emmaillotait le nourrisson quelque chose clochait, des tâches... rougeâtres, trainées funestes sur le nouveau-né qu'un regard ayant suivi aurait vu provenir des mains étreignant l'enfant.

Vision subitement floutée, les mains de la béarnaise se portèrent à son ventre vide pour y sentir chaleur visqueuse et ne voir sous son regard que le sang, son sang maculant phalanges dans une inspiration suffoquante.
Pleurs d'enfant et rire masculin, perles noires se tournèrent vers son danois pour découvrir une partie de ses craintes à l'état brut : son bébé dans les bras de Niels, dont elle était persuadé que le visage était celui de l'homme au balcon, arborant un rictus vainqueur.


Vouloir sortir de ses limbes chimériques et ne pas y parvenir, comme si quelque chose empêchait son corps de se réveiller, crier et se débattre de ce cauchemar sans être entendue, sans émettre un son, béarnaise droguée en proie à une toxine sans réaction.
Abandon de l'esprit et du corps, sensation de froid et d'humidité sur sa peau, odeur nauséabonde irritant son nez et se sentir revenir à la vie, que le démon la gardant prisonnière de son sommeil lui rendait sa liberté, ou était-ce le contraire ?

Voie dans le lointain, dans les brumes d'un corps aux prémices d'un éveil, son prénom prononcé avec douceur, un écho mal compris, "petite", bien des lunes qu'elle n'avait entendu ça, même si Adamet en usait souvent, pas plus tard qu'à l'hiver dernier en Orthez. Un repère. Le dernier de son passé.
Peiner à sortir de ce monde onirique qui semble l'avoir garder de longues heures durant et tout juste bouger la tête, en papillonnant des yeux une silhouette se dessinant encore vaporeuse bercée d'un étrange hâlo lumineux, et puis...

- Lo men arrai deu sô (*)...

Information claquant dans sa tête, rebondissant contre les parois de la zone des souvenirs et affolant un coeur au palpitant reprenant doucement une activité normale, regard s'ouvrant grand en clignant plusieurs fois pour obtenir une mise au point correct pour la clarté de l'endroit.
Lo men arrai deu sô... découvrant cette silhouette, le moindre détail, les brins de soie bruns, les boucles fines et ne pas oser continuer, non l'inénarrable ne voulait pas et pourtant son regard sombre croisa la clarté azurine de cette femme qui se tenait devant elle alors que c'était tout bonnement impossible.

Mamà...(*) c'est...

Se redressant dans un mouvement de recul en tête de lit, les bras d'Eudoxie s'enroulèrent autour de son ventre encore porteur de vie, la petite brune se rendant alors compte de sa tenue, cette couleur rosée, ces froufrous, ce faste d'étoffe, comme lorsqu'elle était enfant... chez le comte avec... sa mère.
Dextre se portant à sa longue chevelure de jais, même la coiffure avec ces boucles travaillées attachées pour être déposées en queue de cheval sur le coté droit de sa gorge. Que se passait-il ici ? Rêvait-elle ? Avait-elle perdu la raison ?

Lentement les billes d'onyx adaptées à la luminosité de la pièce s'attardaient sur chaque détail, sur l'endroit où elle était, on aurait dit sa chaumine en Orthez, la demeure que sa mère avait reçu en gage pour ses services alors qu'Eud avait déjà fui depuis une paire d'années, et qu'elle avait reçu en héritage à la mort de celle-ci.
Sa mère... décédée et qui pourtant... longue inspiration et l'obsidienne des pupilles de la béarnaise vint se poser de nouveau sur cette femme, cette "créature" nimbée de brume au bord du lit et qui ressemblait pourtant tellement à celle qui l'avait mise au monde.

La douleur était aussi atroce que la douceur de cet instant de grâce de la voir là, Eudoxie savait que tout ça ne pouvait être réel, et pourtant... les traits avaient changés, peut-être vieillis, cinq années, six si l'on comptait celle depuis son décès que la brunette ne l'avait pas vu alors...
Il n'était qu'un seul regret qu'Eud nourrirait à jamais : ne pas avoir revu sa mère après sa fuite du château, ne jamais être revenue, être arrivée trop tard quand elle l'avait su malade et ne trouver qu'une tombe fraîche.

Elle savait que tout ça était irréel, que c'était impossible, que... mais était-ce l'effet des drogues, était-ce juste le regret qu'elle ne voulait plus avoir, était-ce sa future condition de mère... Eudoxie avait envie de croire qu'elle était bien là.
Les larmes d'une fille bénissant tous les saints de se voir offrir un ultime moment se mirent à perler sur les joues d'une femme qui n'était plus là qu'une enfant face à sa mère disparue.

Et tout autour de cette femme suintait l'avertissement, l'alarme d'un non sens, qu'elle n'était que fantôme tout droit sorti de son esprit apeuré, comme les volutes brumeuses autour d'elle semblait l'indiquer, chercher à la fuir voilà ce qu'elle aurait du faire, voilà ce que son corps et son esprit lui dictait mais... pas son coeur et encore moins ses jambes qui ne l'auraient probablement pas portées du choc de cette apparition funeste.
Sombrait-elle dans la folie ? Avait-elle toujours aussi peur ? Oui sans nul doute. Un regard méfiant se releva alors vers ce fantôme et une voix hésitante s'adressa à l'entité en essuyant ses larmes.

Qu'est-ce que... pourquoi es-tu ici ? pourquoi es-tu revenue Mamà ?

La raison quittait l'esprit de la béarnaise, plus apeurée que jamais cette vision la contraignant à un combat intérieur dantesque, vouloir y croire et savoir l'impossible de tout ça.
Doucement sa tête se mit à bourdonner, afflux sanguin faisant tambouriner ses tempes comme un signal d'alarme douloureux, son futur se manifestant avec toute la puissance de ses origines danoises pour l'éloigner du passé... et une phrase traversa son esprit "Soren où es tu ?"


(*) traduction béarnais-français
Lo men arrai deu sô : mon rayon de soleil
Mamà : maman

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Morten


Ils avaient parlé toute la journée: de Eudoxie, de toutes ces années passées loin l’un de l’autre, de ce que Morten savait sur les intentions de Niels, ses habitudes, ce qui se tramait aux Houx-rouges depuis le retour du Roy de deniers. Lui, et l’autre Roy, celui des épées avaient élaboré un plan. Que valait-il? Rien d’autre que le temps qu’ils avaient consacré à le mettre au point. Eudoxie, par son geste, avait provoqué les évènements. Tergiverser n’était plus possible, cogiter non plus. En réalité, cela faisait les affaires des deux blonds qui préféraient l’action aux paroles, contrairement à Niels. Cette fois encore, ils iraient ensemble au devant des ennuis, ensemble mais chacun de leur côté. Ces dernières semaines, Morten s’était demandé si Niels ou ses sbires l’avait repéré: cette question serait bientôt obsolète.

Morten était d’abord repassé par son appartement: se barder d’armes était inutile, à moins de vouloir faire une entrée en force. Seul face aux âmes damnées de Niels, cela aurait été un pur suicide et Morten était bien trop jeune pour l’envisager. Il ouvrit la lourde malle dans laquelle il trainait toute sa vie depuis son départ du Danemark, repoussa vêtements, lames et autres babioles. Il descella deux petites lattes dans le fond, ôta une fine planchette de bois et en sortit trois feuillets qu’il glissa dans le revers de manche de son mantel. Il referma le tout sur le dernier vélin caché là, s’assura que tout était revenu à leur place, remit à la hâte vêtements, lames et autres babioles sur le dessus. Il verrouilla le coffre, sortit sur le palier et glissa la clé sous la porte de l’appartement situé en face du sien: être avenant, séduisant et courtois avait parfois de bons côtés et pas simplement pour finir la nuit dans le lit d’une donzelle enamourée.

En descendant l’escalier qui le menait vers la sortie du bâtiment, Morten aperçut les Houx-rouges qui le défiaient de toute leur arrogance. L’homme hésita un court instant, se figeant sur les marches, le regard tourné vers l’extérieur: ils étaient fous. Ce qu’ils avaient prévu de faire n’avait pas d’autre façon d’être appelé que ça: folie. Morten chassa ses doutes en se remémorant le passé. Fous? Ils avaient toujours été fous, tous les six. Cela ne serait donc qu’un simple retour aux sources, pour le meilleur de tout à chacun. Le pire, lui, ne viendrait que si la destinée le voulait vraiment et on ne luttait pas contre la destinée. On la provoquait, on choisissait les chemins qu’elle déroulait devant nous mais une fois celui-ci emprunté, on ne luttait plus contre elle.

La grille des Houx-rouges grinça une nouvelle fois en ce jour de Mai 1466. D’un pas résolu, Morten franchit la distance qui le séparait de la porte d’entrée du bâtiment. Il respira un grand coup avant s’annoncer. Quelques instants plus tard, un majordome en livrée vint lui ouvrir la porte.


- Bonsoir chez vous l’ami! Vous allez bien? Oui? Moi aussi! C’est gentil de vous préoccuper ainsi de ma santé. Je me présente : Morten Sørensen, danois comme les autres membres de la maisonnée. Vous pouvez m’annoncer à votre Maître? On se connait de longue date lui et moi. Je suis sûr qu’il sera ravi de me rencontrer. Dites-le que je viens pour lui parler d’un certain Søren Eriksen. Ça va aller? Cela n’est pas trop compliqué pour vous? Moi, c’est Morten Sørensen et celui dont je parle, c’est Søren Eriksen. N’inversez pas surtout, vous risqueriez de donner une fausse joie à votre Maître et par conséquent de perdre la tête.*

Il avait parlé sur un ton badin, exagérant, forçant sur le trait. C’était sa façon à lui de gérer le sentiment de peur qui cherchait à s’agripper à sa personne. Le valet referma la porte sur ce visiteur du soir, laissant Morten à l’entrée de la bâtisse face à ses propres craintes. Les Houx-rouges sous l’ère Niels ne dérogeaiten pas à leur excellente réputation en matière d’hospitalité. Quelques instants plus tard, ce fut Sven et les sbires de Thorvald qui se présentèrent. Ils encerclèrent rapidement le visiteur, l’encadrèrent de manière à ce que toute fuite était désormais impossible.

- Morten! Ça fait longtemps qu’on ne s’est vu. Qu’est-ce que tu fais là?

- Sven! Quelle joie! Tu n’as pas changé: aussi accueillant que dans les souvenirs à ce que je vois! Tu es toujours d’aussi bonne humeur où il y a une serveuse qui t’est encore passée sous le nez?

Cette réplique n’eut pas pour effet de récréer les liens d’amitié érodés par le temps. S’il y avait bien un couple qui fonctionnait moins bien dans la bande des six, c’était effectivement celui composé de Sven et de Morten. La joie de vivre se lit immédiatement sur les traits déformés et tendus de Sven qui d’un claquement de doigt ordonna à ses hommes de main de s’emparer du visiteur. Il l’attrapèrent solidement par les bras, l’un à gauche l’autre à droite. Sven fit un pas un avant et lui retira la rapière qui pendait sur le côté gauche du scandinave. Il aboya ensuite un ordre qui ne souffrait d’aucune contestation.

- Fouillez-le! Otez-lui tout ce qui ressemble de près ou de loin à une arme.

Il toisa Morten de près, maintint son regard dédaigneux dans celui qui avait été son ami puis se résolut à s’écarter pour le laisser passer. Il ferma la marche et la porte derrière eux. Les griffes des Houx-rouges s’étaient ainsi refermées sur leur deuxième proie de la journée. Les noirs venaient de capturer coup sur coup la Reyne et un cavalier. Le piège se refermait inexorablement sur le Roy. Ils étaient prêts, prêts à voir quelle tactique les blancs allaient appliquer désormais

Søren, Niels, Morten, Sven, Jørgen. Il était dit que le destin oeuvrait au rassemblement des six, dispersés depuis la bannissement du Eriksen. Sur les six, cinq se trouvaient désormais à Paris. Ne manquait plus que Thomas.


* Mots prononcés en danois. Pour des questions de facilité de lecture, nous les reproduisons ici en français moderne du XXIè siècle.

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Soren
 
« Dans les souterrains de l’hotel des Houx-rouges, à la poursuite de Mapsy…


- Morten, j’espère que tu as atteint ton objectif désormais.

Je me parlais à moi-même dans ce tunnel sombre comme pour me rassurer. Je m’étais laissé convaincre de le laisser s’occuper de la sécurité d’Eud, de s’assurer que Niels ne lui ferait pas de mal pendant que j’avançai de mon côté. Eud n’avait pourtant pas l’air de lui faire confiance mais elle ne le connaissait pas comme je le connaissais. Morten était plus qu’un ami, presque un frère. Jamais il ne me trahirait. Comme Sven, comme Jørgen ou Thomas. Il n’y avait que Niels qui le pouvait. Oui. Que lui. Dans un panier, il faut toujours qu’il y ait une pomme pourrie et Niels avait sauté sur l’occasion dès que ce rôle a été proposé. Non, ce n’était pas un manque de confiance envers Morten qui me tracassait mais bien le fait que la mission qu’il avait accepté n’était pas la plus aisée à accomplir.

Et puis avais-je le choix? Lorsque j’ai raconté mon histoire à Morten, il n’a fait que me citer ces même évidences que mon esprit se refusait de valider. Moi-même j’en étais convaincu mais quelque part, quelque chose en moi les déniait. Avez-vous déjà fait ce rêve stupide? Celui où vous êtes poursuivi par un danger de mort imminente? Il vous faut fuir, fuir le plus vite possible. La partie sentimentale de votre personne vous pousse à courir le plus vite possible et pourtant la raison vous montre que si vous marchez vous allez plus vite qu’en courant. Vous hâter vous fait faire du surplace. Prendre votre temps vous fait avancer plus vite. Il vous faut lutter pour que la raison l’emporte car derrière vous le danger s’approche inexorablement sans, paradoxalement, jamais vous rattraper si vous marchez. Pour vous rattraper, il doit franchir la moitié de la distance et vous séparant. Encore la moitié, et encore, encore. Et jamais il ne vous rattrape. Zénon d’Elée a déjà parlé de ce paradoxe. Ce soir, je n’avais qu’une envie: courir vers Eud, l’ôter des griffes de Niels et s’enfuir loin. Pourtant, je me doutais que ce n’était pas la bonne solution. Morten avait raison et je le savais bien avant qu’il ne m’en convainque.

Niels n’était pas revenu aux Houx-rouges par hasard, cela j’en étais convaincu: s’il désirait passer inaperçu, il aurait occupé un autre appartement à Paris, un lieu qui ne soit pas si évidemment attaché à sa famille. Tous ceux qui le recherchaient viendraient aux Houx-rouges en premier. Non, s’il occupait les lieux, c’était pour une bonne raison. Niels était comme les dragons des légendes anciennes: il s’asseyait sur son trésor pour le protéger. Il y avait aux Houx-rouges quelque chose qu’il désirait âprement, quelque chose qu’il n’avait pas encore trouvé. Oui, peut-être qu’il agissait au nom de mon oncle, en s’assurant que je n’aie point de descendance, que les terres d’Helsingør reviendraient légitimement à sa famille. Sans héritier personne ne pourrait contester qu’elles passeraient ainsi de la branche de Hakon à celle de Lars. Mais il y avait plus que cela. Si Niels n’avait eu que cet objectif, il lui aurait suffit de nous envoyer un assassin, deux, trois, quatre s’il le fallait. Deux malfrats sans envergure avait bien réussi à kidnapper Eud à Marseille.. Niels oeuvrait pour Lars, oui, mais il travaillait aussi pour atteindre un objectif plus subtil et la réponse, j’en étais convaincu, se terrait quelque part dans les entrailles des Houx-rouges. Où? A moi de le trouver et pour ça il fallait faire appel à ma mémoire.

C’était il y a quelques années, alors que Syu m’avait trainé au bal de son ami Albanne. Les bals, j’en avais soupé, il n’y avait jamais rien de bon qui sortait de ces mondanités à la sauce parisienne. J’étais venu pour lui faire plaisir, parce qu’elle avait fortement insisté. Notre couple passait une période de froid et faire un pas dans sa direction me semblait être la moindre des choses. Au bal, Il y eut cette danse avec Patt, dans que Syu prit mal,. Il y a eu ce baiser de réconciliation qui était destiné à la rousse et qui atteignit les lèvres de Patt après que toutes les chandelles se furent éteintes brutalement sur le coup d’une rafale de vent. Patt…Encore elle. Il y eut cette faiblesse de Syu qui me poussa à l’amener là-haut dans une chambre à l’étage. Il y eut cette follette qui débarqua et qui se prenait pour ma fille, ce passage secret qui fut découvert par hasard dans l’âtre de la cheminée, sous la lourde plaque de métal au sol. C’était là, dans ces couloirs infects que tout a commencé. C’était là que je me trouvais ce soir. C’était ici que je cherchais le trésor de Niels.

Retrouver son chemin à travers ce dédale de couloirs sombres n’était pas une tâche facile, surtout après toutes ces années. J’avais l’impression de tourner en rond, marquant sur les murs chaque changement de direction d’une flèche et d’un numéro incrémental. Je suis passé et repassé au même endroit, mélangeant souvenirs vagues et froide logique pour choisir quelle direction prendre. Ce que je cherchais? Le cadavre d’un moine qui transportait avec lui un exemplaire du livre des vertus. Le livre ne s’y trouverait plus. Il était, j’en étais sur en la possession de Niels. Albanne avait dû le laisser dans son bureau quand elle est morte et Niels avait pris possession de cet héritage particulier. J’avais toujours été convaincu que ce moine n’avait pas révélé tous ces secrets. Que faisait-il dans ces souterrains? D’où venait-il? Albanne avait envoyé ses sbires sur les lieux du crime après qu’elle fut informée de ma découverte et Niels devait sans doute avoir fouillé les lieux de fond en comble.

La Caverne de Mapsy…C’est comme ça que Birgit l’avait appelé. C’est elle qui avait trouvé le passage secret pour en sortir. J’aurais bien besoin d’elle pour y entrer ce jour. Birgit, cette douce follette, je me demandai ce qu’elle était devenue. Elle ne voulait plus me quitter, elle voulait vivre avec moi à Sarlat. Son père, elle croyait que j’étais son père: « Tu n’as pas envie d’inspirer ton père Birgit? Papa doit retourner dans la caverne de Mapsy. Il a une visite importante à lui rendre. Tu te rappelles où elle était cette caverne Birgit? ». Et il allait falloir que tu m’expliques aussi comment y entrer dans cette caverne, trouver le mécanisme qui ouvre le passage de l’extérieur. For fanden…Où cela pouvait bien être? Tout ce que je me rappelais, c’était qu’il y avait les restes d’une statue d’A….


…Ristote!

Un mot murmuré s’échappant d’une pensée.

- Birgit? Tu es là? C’est toi qui a guidé mes pas jusqu’ici? Aide-moi s’il te plait. Aide-moi maintenant à trouver le mécanisme pour entrer dans la caverne de Mapsy.

Et après, je ne savais pas encore exactement comment j’allais pouvoir trouver ce que je cherchais, une chose à la fois. Le problème, c’est que je ne savais pas combien de temps Morten pourrait me donner…et la caverne de Mapsy risquait de me prendre beaucoup trop de temps. Une chose à la fois. Je verrais une fois sur place. Ouais, une fois sur place.

Morten…Si tu savais le rôle que ce cadeau d’anniversaire que tu m’as fait jouait dans cette intrigue…

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Niels


 « Houx-rouges, bureau de Niels à l’étage »


La représentation était en cours. Assis dans son fauteuil, une chandelle vacillante luttant contre la noirceur de la nuit, Niels n’avait pas quitté son bureau cette nuit-là. Au petit matin, tout serait terminé. Il aurait ce qu’il désirait. Oui, il n’y avait pas d’autres possibilités. Si Søren faisait ce qu’il attendait de lui, toute cette histoire serait terminée. Dans le cas contraire, sa brune paierait le prix de sa stupidité. Sur la table non loin de son bureau, un panier d’osier osait défier son attention. Niels tourna la tête dans sa direction et esquissa un sourire: lui aussi avait sa place dans ce scénario. Et d’autres encore, d’autres qui pensaient avoir un rôle précis dans la distribution et qui seront réaffectés à d’autres places au moment opportun. Mais avant tout, il fallait que l’actrice soit assez bonne pour modeler l’esprit d’Eudoxie, qu’elle réussisse à convaincre Søren de lui donner, à lui Niels, ce qu’il désirait.


 « Houx-rouges, chambre d’Eudoxie, rencontre du troisième type »


- Eudoxie… ma fille… Méfie-toi d’eux…Ils sont fous… Fous! Ils m’ont fait revenir de l’au-delà…Ils me tiennent prisonniers jusqu’à ce que tu aies fait ce qu’ils veulent… La mia puç*, prends garde qu’ils ne t’enferment comme ils ont fait de moi.

La voix était craintive, elle inspirait plus que de la peur. Elle contenait dans ses stries les traces de la folie, de cette peur qui imprègne chaque fibre de votre corps, en tout temps. L’apparition avait les mains tendues vers Eudoxie, les bras d’une mère aimante ouverts pour protéger sa progéniture, l’isoler d’un danger imminent au détriment de sa propre sécurité. Au delà de ses craintes, l’amour maternel était plus fort que tout. C’était l’approche que Niels avait dicté à celle qui jouait la comédie…ou plutôt la dramatique…pour lui.

- Ne leur cède pas Lo men pioc**… Ne leur cède pas…

Prêcher le contraire pour arriver à ses objectifs, ceux qui le connaissaient auraient immédiatement identifié la griffe de Niels.

- Tu n’as pas pu être là quand je suis morte mais grâce à eux nous voilà désormais réunis. Ils te veulent du mal mais ils ne savent pas le bonheur qu’ils nous donnent en cet instant…Un bonheur éternel…Ne leur cède pas Eudoxie…Reste avec moi… Reste ici avec moi. A jamais …

Le travail de fourmi de Thorvald portait fruits. Lui et ses sbires avaient fouillé le passé de la Castera. Ils avaient questionné, payé pour recueillir détails, confidences. Ils avaient espionné Eudoren partout où ils passaient. Ils avaient même volontairement laissé des traces de leur présence: Le feu de forêt en hiver, l’oiseau cloué à la porte. Niels avait pris le risque de sacrifier un des siens pour fournir de vrais renseignements à la partie adverse. L’objectif? Donner suffisamment de crédibilité à leur agent double pour que celui-ci gagne la confiance absolue de l’adversaire. Tout ça pour quoi? Pour écrire quelques pages d’un drame qu’une inconnue devait jouer un soir seulement, pour modeler les esprits et les faire agir comme le roy de deniers l’escomptait à un moment précis, un moment qui approchait à grand pas. Plus tard, des siècles plus tard, d’autres appliqueraient le même principe. Ils renverseraient le cours d’une guerre par la plus grande opération d’intoxication de l’ennemi qui ait jamais été conduite et ils réussiraient l’impossible. Fortitude, c’est ainsi qu’ils l’appelleraient. Fortitude: c’était aussi ainsi que Niels avait baptisé tout son plan.

- C’est ton amoureux qu’ils veulent atteindre. Si tu ne fais pas ce qu’ils demandent, ils ne me laisseront pas en paix. J’errerais dans les limbes à jamais mais je serais avec toi. Ils te diront que mon âme n’aura pas de repos mais cela n’a pas d’importance Eudoxie parce que nous serons ensemble.

Le « fantôme » se figea. Des bruits de bottes se firent entendre dans le couloir. On venait. Le regard de l’actrice marqua un temps d’hésitation puis l’inquiétude se lut dans ses prunelles. Son cou se tourna vers l’extérieur, puis vers Eudoxie et encore une fois vers l’extérieur. Les pas se faisaient de plus en plus proche. Celle qui était payée pour jouer cette comédie se dirigea alors en toute hâte vers la porte, fit tourner la poignée et disparut en laissant la porte de la chambre d’Eudoxie ouverte derrière elle. Une fois dans le couloir, elle hâta le pas, satisfaite de sa prestation et alla à la rencontre du groupe qui arrivait en sens opposé. Avait-elle était bonne? Avait-elle su convaincre son commanditaire? Aurait-elle pu arriver à son objectif si l’orthézienne n’avait pas été droguée? Il était difficile à le dire. Était-ce important? A ce moment-là, elle ne le savait pas mais elle venait de jouer le dernier rôle de sa vie. Plus personne n’aurait jamais de nouvelle d’elle après ce soir. Plus personne ne la rencontrerait. Dans le dédale des Houx-rouges, un corps de plus pourrirait dans un coin sombre et nauséabond.


 « Houx-rouges, vers la chambre d’Eudoxie, direction la geôle »


Ils lui avaient ôté son poignard. Ils l’avaient déshabillé, jeté ses vêtements dans la salle de bain à l’étage, ne lui laissant que des braies maculées de sang. Ils avaient frappé au visage, dans le ventre. Ils lui avaient fait éclaté la lèvre inférieure et sa joue gauche portait les stigmates des coups de poings qu’elle avait reçus. Il n’avait rien dit excepté qu’il avait rencontré Søren et qu’il ne savait pas où il se trouvait à présent. Thorvald et ses hommes le maintenaient solidement par les bras. Ses poignets avaient été liés par de la corde et il luttait pour ne pas s’évanouir.

Les bruits de pas s’arrêtèrent devant la porte ouverte. Thorvald fut le premier à entrer dans la chambre d’Eudoxie. Il la toisa de toute sa hauteur sans même prononcer un seul mot. Dans son regard, il n’y avait plus rien d’amical, juste de dédain et de l’arrogance. Il claqua des doigts et ses sbires entrèrent dans la pièce. Ils jetèrent Morten à l’intérieur, au pied du lit d’Eudoxie, là où quelques instants auparavant une actrice déployait son talent. Le visage du numéro six vint heurter le pied du lit. Un gerbe de sang jaillit dans l’air.


- Préparez-vous, il ne va pas tarder à venir vous visiter. Soyez plus…présentable. Vous êtes pitoyable!

Thorvald ne dit rien de plus. Ses hommes refluèrent vers la sortie. Lui même fit trois pas en arrière, cligna des yeux une fois et referma la porte. Dans le silence des Houx-rouges, une clé qui tournait dans la serrure se fit entendre de manière sinistre.

* Ma puce
** Mon poussin

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Eudoxie_
« La peur est souvent un plus grand mal que le mal lui-même. » (St-François de Sales)

Fantôme ? Blessé ? Prisonnier…

"Quelque part dans les entrailles des Houx Rouges"


Souffrance… Mains portées à ses tempes pour soulager la douleur qui s’insinue, qui se distille dans son crâne, cette perfidie qui blesse, qui s’impose comme un jugement sans appel, comme la sentence d’un scénario qui se joue malgré elle… sans elle.
Ange sorti tout droit de son regret, apparition d’outre-tombe, les perles noires d’Eudoxie ne pouvaient se détacher de cette femme, la tête entre les mains, genoux repliés contre elle autant que son ventre le lui permettait.

Tout en elle semblait si juste, l’aspect, les mots, l’attitude, ce regard outremer posé sur elle avec tendresse malgré la situation, les conseils pour qu’il ne lui arrive rien, le fait de se moquer de devenir une âme damnée pour un moment de plus auprès d’elle.
Et souffrir mille morts d’entendre ce fantôme lui pardonner d'une voix craintive de ne pas avoir pu être là pour elle, se mettre à sangloter et écouter le moindre mot sans en comprendre aucunement le sens, même en essayant, même avec de la volonté.

Tout ça n’avait aucun sens… Avait-elle définitivement sombré dans la folie en pénétrant dans cette bâtisse alors qu’elle était sous pression depuis des mois ? Perdait-elle la raison ? Avait-elle des hallucinations ?
Vouloir s’assurer de tout ceci et croiser le regard apeuré de l’entité fantomatique, n’entendant rien de ses tempes tambourinantes, assourdissantes, tendre une main vers elle, vers ses bras ouverts et n’effleurer alors que le bout d’un mouvement d’air en voyant disparaître le spectre comme une voleuse.

MA…mà…

Se rendre compte de l’absurde de la situation, et s'apercevoir qu’elle s’est redressée à genoux dans le lit, la main tendue vers une chimère, pourtant si réelle qu’elle en sentait encore le parfum de lys dans son sillage.
Retombée, assise sur ses mollets, les mains posées sur ses cuisses écrasant le bouffant des froufrous roses, le regard sombre porté vers le vide de cette porte ouverte, tellement groguie, choquée, abasourdie, que les iris obsidiennes scrutaient cette entrée sans même la voir réellement, esprit s'étant évadé ailleurs.

Il faisait chaud et les blés venaient d’être fauchés, le fils du comte avait encore su se montrer brisant et son regard vicieux avait été fermé d’un coup de poing par son Astre, ce jeune noble qui la protégeait parfois, son confident, et comme souvent elle avait fui, ailleurs, à travers champs, rejoindre Adamet, ce vieil ermite qui lui apportait tant par sa gentillesse.
Ce jour-là au retour, la nouvelle était tombée, et calmement les mains de sa mère avaient enveloppés son visage de toute jeune fille d’une douzaine d’années pour lui sourire et la bercer de son regard aussi bleu qu’un lagon. « Eudoxie, le comte t’as promis à un de ses nobles amis, sois heureuse Lo men arrai deu sô(*) tu ne manqueras de rien ».

Manquer de rien… Cette phrase avait longtemps résonné dans la tête de l’orthézienne après sa fuite du château pour s’éviter ce mariage dont elle ne voulait pas, qu’elle ne comprenait pas, qu’elle refusait de tout son corps et de toute son âme, une cage dorée pour un esprit libre…
Eudoxie avait mis un certain temps à comprendre la raison pour laquelle sa mère avait accepté d’offrir sa fille ainsi, et longuement elle avait cherché ce qu’était ce petit plus dans le regard de celle qui l’avait mise au monde ce jour-là, et il avait fallu qu’elle se trouve dans ce lieu infâme pour le comprendre : des regrets et des excuses muettes.

Toutes à ses révélations pensives, à ce que cette rencontre paranormale avait provoqué en elle, les mots d’Esmée Castera rebondissaient dans le crâne chamboulé, cherchant à se frayer un chemin et à faire leur œuvre, le peu de lumière pénétrant dans la pièce par la porte ouverte disparu alors.
Une silhouette se découpa dans la clarté qui fit réagir la béarnaise, se raidissant sous le frisson que la vision de cet homme provoquait à chaque fois, le borgne avait ce pouvoir sur elle, et le regard qu’il jeta sur elle à ce moment précis la glaça jusqu’aux os, même d’un seul œil il parvenait à ça.

Lorsque d’autres hommes s’en suivirent le premier réflexe de la petite brune fut de reculer, son mouvement se stoppant lorsqu’un blond ligoté se dévoila entre eux et dont le visage n’était pas visible, un « Seurn » s’échappant probablement de ses lèvres sans qu’elle ne le veuille.
Lorsque le corps de son danois fut projeté vers le lit, tant le choc sanglant contre le pied que la secousse du lit, lui firent étrangler un cri en fond de gorge, main se portant devant sa bouche alors que son regard allait des sbires de Thorvald à son blond gisant pour finalement revenir, imprégné d’une colère sourde, sur le borgne en l’écoutant les invectiver.

Attendre que tous les chiens de Niels aient quittés la pièce et descendre du lit, se foutant de cette clé qui tournait dans la serrure, la cloitrant avec son ange blond, mais comment avait-il pu le laisser abimer ainsi ? Que cherchait-il pour le molester ainsi ? Niels était-il donc si barbare ? Si oui pourquoi l’avoir épargnée et l'avoir habillée comme une poupée ?
Des pourquoi sans importance sur l’instant quand elle vint poser sa main sur l’épaule de son blond gisant à terre, pour le retourner vers elle, après s’être jetée à genoux à ses côtés, un mouvement de retrait de la main s’effectuant alors quasi aussitôt dégageant les cheveux couvrant le haut du dos… un détail manquait… où était... ce n'était pas lui.

Regard plissé d’une bestiole franchement paumée entre soulagement et déception, l’hésitation s’afficha alors quant à quoi faire, encore un fantôme ? un doublon ? un des amis d’enfance ? un… ah et puis… reposant la main où elle était, le corps du danois fut ramené visage vers le haut.
Cheveux barrant le faciès et coulisses de sang dégoulinant de la bouche, lèvres fendues et visage tuméfié, l’homme était bien amoché, qui qu’il soit les sbires n’avaient pas ménagés leurs efforts, tête posée sur les genoux de la brune au sol, le déclic se fit en apercevant une légère ouverture bleutée du regard danois.

Morten…

Mais qu’est-ce qu’il fichait ici ? Où était Soren ? Pourquoi était-il dans cet état ? Onyx posés sur le blond, les lèvres se pincèrent, l’esprit encore embrumé, avait-il été molesté pour soulager une frustration de n’avoir pas son danois ? Etait-ce encore une manœuvre pour la tromper ?
D’un sens ou d’un autre même si elle gardait une certaine réserve pour le valet d’épée, l’inénarrable ne pouvait pas le laisser ainsi, tout comme elle ne pouvait clairement pas bouger la masse qu’il représentait, mais il fallait le soigner. "présentable" avait dit Thorvald...

Faire le tour de la pièce du regard, se sentir étonnement « chez elle » et virer ses yeux vers le broc d’eau et la bassine à ablution posés non loin, tout était étrangement similaire, mais en quoi était-ce si étonnant de se dire qu’ils avaient été à Orthez pour savoir ça quand son corbeau avait fini en couronne de Noël sur la porte ?
Avec délicatesse, la tête fut déposée au sol pour se relever avec difficulté, en prenant appui sur le pied de lit, pour aller chercher de quoi nettoyer le visage du Sorensen, il semblait si « paisible » ainsi inerte, le sang qui maculait ses braies, son visage et son torse en revanche…

Une chaise tirée, un coussin attrapé, une bassine déposée sur la chaise, Eudoxie se mit en quête de chiffons pour nettoyer le visage de Morten, se mettant à fouiller dans ce qui devait être sa pièce de vie, sa cuisine en Béarn, les détails étaient… déroutants de réalisme, jusqu’au pot de groseille sur la table, comment pouvaient-ils savoir tout ça, aucune vivre n'avait été laissé dans sa chaumine.
Longue inspiration, le regard se posa sur le panier d’osier ouvert et un frisson lui remonta l’épine dorsale, ça, ça clochait dans le décor, ça ne faisait pas parti de son passé, mais bien de celui de Soren, alors dans un mouvement brusque, la main de la brune, poussa l’ouverture pour le fermer, sa curiosité maladive ne prendrait pas le dessus ici, car s’il était plein la vision serait à vomir et s’il était vide… le présage lui était funeste.

Chasser ses idées de son esprit et retourner auprès du blond étalé au sol avec les linges trouvés, s’agenouillant de nouveau en se rendant compte que sa robe était tachée du carmin scandinave, mais qu’importait « IL » allait les visiter, si « IL » les voulait présentable qu’il fasse en sorte que cela soit possible.
De la douceur, voilà ce qui passa dans les gestes de l’orthézienne quand l’oreiller fut glissé sous la tête aux longs cheveux blonds, l’étoffe humidifiée venant dégager les traits fins de Morten des résidus de l’acharnement des sbires de Niels sur son visage, un à un avec patience.

Morten... Réveille-toi… én pé prèga(*)...

Empathie ou garde baissée ? Le naturel bienveillant de la béarnaise prenait le dessus sur sa méfiance, et la vision de sa mère encore bien présente dans son esprit embrumé n’aidait en rien à réfléchir convenablement, alors qu'Eud l'observait s'éveiller.
Dans un geste doux, la chevelure d’or fut caressée, tout comme son visage dégagé de toute souillure ne laissant que des entailles propres que les doigts de la petite brune évitaient soigneusement d'effleurer, pendant que le torse subissait lui aussi une toilette de fortune à l'aide d'un linge humide.

Seurn... Où es Seurn...

Transfert de sentiments dans la douceur des gestes prodigués au blond danois sous ses doigts, main se plaquant sur le torse débarrassé des traces de résiné qui maculait sa peau, regard se fermant un instant encore étourdi de tout ce qui se passait et de cette toxine qui se baladait dans son organisme s'estompant doucement.
Morten Sorensen… Pourquoi y’avait-il un quelque chose qui mettait en alerte les sens de l’orthézienne ? Pourquoi la coïncidence de sa présence lui semblait trop… calculée ? Pourquoi ne pas savoir sur quel pied danser entre ce sentiment de mensonge et la confiance aveugle que Soren semblait lui porter…


(*)Lo men arrai deu sô : mon rayon de soleil
én pé prèga : s'il vous plait

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Morten


 « Houx-rouges, avec prisonnier numéroté »


Ils avaient frappé. Fort. Thorvald avait laissé ses hommes se défouler. Pour eux, il n’était pas le valet des épées, le sixième de la bande. Pour eux, il n’était qu’un homme qui se mêlait de ce qu’il ne devrait pas, qui s’opposait à Niels. La douleur l’avait fait vaciller, perdre conscience. L’interrogatoire n’avait pas duré longtemps mais il avait été intense. Après lui avoir ôté ses vêtements, la première chose qu’ils firent fut de lui asséner un coup de poings dans le ventre. Ce fut la montagne danoise qui s’en chargea. La barrière musculaire abdominale de Morten encaissa une bonne partie du choc: le valet se doutait que cela arriverait et l’avait anticipé. Le deuxième coup délivré par Thorvald lui même se heurta ainsi à une défensive affaiblie. La douleur irrigua tout le corps de Morten et le fit mettre les deux genoux en terre, la bouche ouverte à la recherche d’un peu d’air. Il était au sol et ils ne lui avaient encore rien demandé. Thorvald et ses hommes trainèrent alors Morten jusqu’à un grand tonneau rempli d’eau.

- Où est Seurn?

Ils n’avaient attendu que quelques secondes avant de plonger la tête dans le tonneau. Ils la maintinrènt immergée en le tenant vigoureusement par la chevelure. Morten n’avait pas eu le temps de prendre sa respiration. Il s’agrippa aux rebord du contenant pour tenter de sortir de l’eau. En vain. En guise de réponse, ce fut un coup de coude dans les reins qu’il reçut. La stupeur et la douleur eurent raison de lui. Il ouvrit la bouche toute grande, avala du liquide à grand gorgée. C’est alors qu’ils l’extirpèrent. Niels avait encore besoin de lui. Ils le jetèrent au sol, là où il tentait de recracher l’eau qui s’était infiltrée dans ses poumons. Des bruits de gargarismes infâmes sortirent de sa gorge. Il était au bord de la défaillance, le manque d’air rendant ses idées confuses. Des gerbes d’eau furent expulsées par la bouche. Ses poumons lui brulaient comme s’ils étaient au coeur d’un brasier forestier. L’interrogatoire n’était pas commencé depuis longtemps qu’il promettait déjà d’être terrible.

Thorvald le laissa récupérer un instant. Il toisa la pourriture qui se tordait à ses pieds. Aucune pitié ne se lisait dans son regard. L’avant-bras gauche appuyé sur la table, la main ouverte sur la table, il attendait le moment opportun.


- Que lui as-tu dit? Pourquoi n’est-il ici pour sauver sa putain?

Les yeux fermés, la poitrine se soulevant dans un rythme désordonné, la bouche ouverte à la recherche du moindre souffle d’air qui voulait passer dans son cou et qui explosait de douleur dans ses poumons, Morten tentait de rassembler ses pensées. Résister. Il savait que c’était un mauvais moment à passer. Il savait qu’il avait encore un rôle à jouer dans toute cette histoire, qu’il ne devait pas céder à la douleur même si celle-ci dirigeait tout en cet instant.

- Dis-moi, l’as-tu essayé? Certains disent que c’est bon de baiser une femme enceinte jusqu’aux oreilles…et toi tu la trouves bien à ton goût n’est-ce pas? Seulement voilà, cette fois encore, c’est Seurn qui partage son lit. Toi…tu n’es rien! Pas même un boute-en-train!

Et l’interrogatoire, le véritable interrogatoire, prit place. Lorsqu’il fut terminé, les paumes de main de Morten dégoulinaient du sang des blessures qu’ils lui avaient infligées. Il devait avoir une côte cassée. La visage était tuméfié, boursouflé. L’enflure à l’oeil droit ne permettait plus à la paupière de s’ouvrir et le coup de poignard qu’il avait reçu dans la cuisse droite l’empêchait de se déplacer convenablement sur ses jambes.

Ce fut la sensation de froid sur la joue et le front qui le saisit. Celle-ci réveilla une douleur lancinante. Un râle de douleur se fit entendre dans la geôle. Cette sensation se mêla alors à celle de la douceur prodiguée par des gestes emprunt de compassion et de bienveillance. Il ouvrit enfin son oeil senestre et le laissa s’acclimater au peu de lumière ambiant. Un visage avenant le surplombait, une cascade de cheveux bruns l’encadrait. Sa tête était posée sur un oreiller. Un frisson parcourut tout son corps et il claqua des dents. Ses lèvres tuméfiées s’étirent, faisant ouvrir un peu plus encore la crevasse sur l’inférieure. Un gout métallique se répandit dans sa bouche. Le sourire s’effaça de son visage.


- Heureux de…voir que…vous…allez bien.

Ses paroles étaient saccadées, expulsées avec le peu de force qu’il lui restait plutôt que prononcées. Il grelottait. Le fraicheur des souterrains, l’absence de vêtements et les effets secondaires dus aux coups qu’il avait reçus contribuaient à son tremblement. Il étira sa main ensanglantée vers celle de Eudoxie et la referma sur celle-ci. Sa poigne manquait de vigueur. Un filet de sang s’étiola sur la peau de la béarnaise. Sa gorge était sèche et toutes les syllabes qu’il prononçait était un véritable supplice qui mettait sa gorge en feu.

- Ils… veulent vous… utiliser pour…avoir.. Seurn.

Son regard borgne chercha celui de béarnaise. Ce matin, il avait trouvé ses onyx d’un noir envoutant. Cette nuit, il les chercha encore d’un seul côté. A plusieurs reprises, il essaya de sortir un mot de ses lèvres mais il n’obtint qu’un croassement sans nom. Il tourna lentement la tête vers sa poitrine alors qu’Eudoxie s’appliquait à le nettoyer. Souriant brièvement et avec difficulté, Morten serra comme il le put la main de la brune et entremêla ses doigts dans les siens.

- J’en connais un…qui….serait…ja…loux.

Il toussa et la quinte de toux émis une mousse rougeâtre à la commissure des lèvres.

- Seurn est ici… Quelque part… Ils veulent un….secret… qu’il doit trouver….pour…eux. S’il ne donne …pas … à Niels ce qu’il dési…re alors ils nous…tueront…tous.
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Eudoxie_
« Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. » (Pierre Caron de Beaumarchais)

Soins ? Doutes ? Discussion…

"Quelque part dans les entrailles des Houx Rouges"


Acquise à ses pensées et paume droite plaquée au torse ensanglanté, Eudoxie sursauta légèrement lorsque Morten se mit à parler, c’est qu’à force… droguée, le fantôme de sa mère, une chambre à l’identique de sa chaumine ou presque, des sbires détestables, un homme amoché sous ses mains, il y avait de quoi avoir les nerfs en pelotte non ?
La main posée sur les sillons musculeux du danois se remit alors à effacer de son linge humide les coulisses rougeâtres qui le maculait, regard sombre remontant vers celui qui s’adressait à elle avec difficulté, comédie ou réel molestage, d’un sens ou de l’autre le pauvre était dans un sale état.

J’ai connu des jours meilleurs… mais je suis en vie oui

La main danoise qui s’empara faiblement de la sienne lui procura une sensation étrange, ressenti en demi-teinte, mais soulagement pourtant… celui de ne plus être seule dans cette galère où elle s’était fourrée toute seule sur un coup de sang, sur une impulsion, peut-être bien à cause des hormones tiens. Oui c’est ça, si on lui demandait elle mettrait ça sur le dos de la grossesse et ses drôles d’effets.
Eudoxie sentait le grand blond frissonner sous sa main, contre-coup ? choc ? froid ? autre chose ? Sans doute un peu tout ça en fait, mais même si l’eau imprégnant l’étoffe qui lui servait d’éponge était fraîche, il fallait qu’elle achève de débarrasser la peau danoise du carmin pour voir si de gros dégâts avaient été fait.

Je sais, elle me… on me l’a dit, j’ai été stupide de venir ici… De penser que…

Les doigts qui se mêlèrent aux siens déstabilisèrent un temps la petite brune qui plongea son regard obsidien dans l’œil bleuté qui l’observait, dans ce sourire esquissé à son attention alors que ça le faisait surement atrocement souffrir, probable raison de cette familiarité dans son geste et très honnêtement, un geste de ce genre à cet instant précis où demain restait hypothétique lui fit un bien fou.
Les mots du gisant quant à une jalousie potentielle tirèrent presque un sourire à l’orthézienne, probable oui que Soren n’aurait pas apprécié ce qu’il aurait vu à ce moment précis, quoique vu l’état de son ami et connaissant sa brune, il aurait sans doute vite saisi le pourquoi du comment, et puis...

C’est possible mais Seurn semble vous faire confiance… marquant une pause elle ajouta Une confiance aveugle même… Morten ? A-t-il rais…

La quinte de toux, et les miasmes ensanglantés qui sortirent de la bouche du gisant, stoppèrent Eudoxie dans sa lancée, écoutant les propos que le valet d’épée articulait avec peine, un long soupir s’extirpant des lippes eudoxiennes, à a fois soulagé et inquiète de savoir son ange blond ici, alors le regard se posa sur Morten avec autant de bienveillance, presque de la tendresse que de méfiance et de détresse.
Torse délesté de son masque de sang, l’étoffe fut jetée dans la bassine après avoir essuyer la bouche du Sorensen et dans un moment de réflexion les onyx détaillèrent celui qui souffrait à n’en pas douter, avant que sa main libre ne se porte sur la nuque du danois pour l’aider à se redresser lentement et l’assoir en l’appuyant face à elle contre le pied de lit.

Vous êtes frigorifié et je suis bien incapable de vous porter sur le lit… tout comme j’ai l’impression que vous ne l’êtes pas non plus

Perles noires se déportèrent alors sur les braies ensanglantées et l’entaille dans l’étoffe laissant supposer une blessure plus conséquente.

Pourquoi vous ont-ils molestés de la sorte Morten ?

Lèvre mordue, Eud en avait assez de cette comédie et laissa place à la franchise comme elle le faisait la plupart du temps, laissant même les convenances d’usage au placard.

Morten… Qu’est-ce que tu faisais ici ? Est-ce que Seurn a raison de te faire confiance ou ai-je raison de penser que c’est l’ombre de Niels qui est derrière toi ?
Il n’a eu de nouvelles d’aucun de vous depuis son bannissement du Danemark et étrangement tu es là aujourd’hui… Sven aussi… Avec Niels… aux Houx Rouges.
Ca fait…. Beaucoup de coïncidences…


Paupières se fermant dans un soupir, main toujours liée à celle du danois dans un sale état, les doigts se resserrèrent sur ceux de Morten en pinçant les lèvres, charbonneux s’ouvrant de nouveau pour le fixer.
Un temps de réflexion infime et les phalanges encore portées à la nuque glissèrent sur la gorge pour venir effleurer la joue danoise avec douceur, besoin d’un contact, d’une envie d’y croire, de se dire que…

Morten… Donne moi une raison de croire que Seurn ne se trompe pas… Qu’il place sa confiance à juste titre…
Parce que ce que veut Niels il ne l’a pas… Ce n’est pas lui qui a les pages manquantes du livre…


Une supplique, une nécessité, un besoin de s’accrocher à quelque chose dans cet endroit où tout semblait lui échapper, où plus rien ne se conjuguait au futur, où l’avenir était incertain, où demain ne serait peut-être pas un autre jour.
Eudoxie en perdition, navire lâché en pleine tempête et dont la coque se fissurait lentement laissant l’eau s’infiltrer pour l’entrainer vers le fond, Béarnaise au bord du naufrage cherchant une bouée de sauvetage, un point d’amarrage.

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Morten


 « Houx-rouges, avec prisonnier suspecté »


Douceur et dureté. Sous des abords avenants, l’orthézienne pouvait faire preuve d’un franc-parler grinçant. Ainsi, elle cherchait une raison de lui faire confiance. Mais que croyait-elle? Que ces plaies n’étaient que chimères? Poudre aux yeux? Que cette douleur qui se propageait par toutes les fibres de son corps n’était rien d’autre que comédie habilement jouée? Thorvald et ses hommes s’étaient donnés à coeur joie et s’il avait encore toutes les parties de son corps, il le devait sans doute à ces limites que Niels s’imposait encore lorsqu’il traitait avec de vieux amis…qu’il s’imposait lorsqu’il pouvait se le permettre.

Les paroles de la brune laissèrent le danois sans réponse. Sa poitrine se souleva lourdement, son visage trahit la douleur que chaque respiration lui donnait. Un rictus déforma son visage lorsque le ressenti atteignit son pic d’intensité. Ses mots étaient durs et ses gestes étaient doux. Ces paroles étaient celle de l’ennemi qui cherchait à savoir, elles reflétaient la compassion de l’amoureuse face aux affres du destin. Ses questions s’étaient succédées sans qu’il ait pu répondre. Ces dernières étaient insidieuses. Elles le mettaient lui dans le rôle du méchant du l’histoire, comme si le manichéisme était la seule façon de penser, de concevoir le monde. Blanc ou noir, vainqueur ou vaincu, traitre ou héros, célébrité ou moins-que-rien. Elle lui dépeignait un monde sans nuance, sans saveur, un monde binaire.

Les pensées du valet des épées s’étiolèrent, s’emmêlèrent, se nouèrent l’un à l’autre pour former une soupelette imbuvable, déliquescente. Elles perdirent de leur cohérence et leurs reliefs finirent par se dissoudre dans les abysses insondables de l’âme. Morten perdit une première fois connaissance entre les bras d’Eudoxie. Ce fut l’instinct de survie qui le ramena au bord de la conscience, la volonté de ne pas se laisser aller en terrain ennemi. Le sang s’écoulait au travers de la blessure de sa cuisse et avec lui sa vitalité. Il frissonna et ses lèvres tuméfiées tentèrent d’articuler des sons. Les mots d’Eudoxie frappèrent à la porte de sa conscience. Elles entrèrent en grand désordre, les uns dépassant les autres, se pressant dans son esprit avant que ce dernier ne lâche prise.


- Je…ne…sais pas…ce qu’ils…cherchent

Les pages? Il n’avait aucune idée de ce qu’elle parlait. Sans doute était-ce la douleur qu’il l’empêchait d’y voir plus clair? Pages? Quelles pages? Rassembler ses forces, tenter de dissiper cette brume qui cherchait à s’emparer de lui. Il cherchait à la repousser à grand coups de moulinets de souvenirs, d’hypothèses, d’affirmations. Elle se dissipait un moment et chaque fois elle revenait plus dense encore. Du moins, c’était son impression.

- Vous pro…téger… Éloigner son cou…rroux de vous…

L’avait-elle compris? Ses doutes… D’où venaient-ils? Sa présence ici à ses côtés? Supposait-elle vraiment qu’il jouait la comédie? Qu’il était venue ici pour autre chose que ses beaux yeux? Que l’amitié qu’il portait à Søren? Cette amitié indéfectible qui avait pris racine dans l’insouciance de l’enfance? Qui avait grandi alors que la vie faisait de ces garçons des hommes forts, capables de prendre en mains la destinée de leur pays? Oui, il était là, pour la protéger. Oui, il agissait au nom de son amitié pour Søren. Et oui, c’était compliqué à expliquer. Tout était compliqué dans cette histoire. A partir du moment où Niels venait d’entrer dans l’équation, une multitude d’inconnus venait de s’ajouter au système d’équation. Le problème, c’est que Niels se plaisait à ajouter plus d’inconnues que d’équation.


 « Helsingør, Été 1460 » 


    - Je te remercie d’avoir accepté mon invitation Morten.

    - Tu sais bien que c’est toujours un plaisir de te revoir Niels.

    - Plaisir partagé, valet des épées! Dis-moi, Lars m’a confié une mission et j’ai besoin de ton aide.

    - Ah? Quelle est-elle?

    - Retrouver Seurn.

    - Seurn? Après l’affaire du mariage, je doute qu’il veuille encore te parler.

    - Pourquoi crois-tu que je t’ai fait venir?

    - Moi?!?!?! Tu veux que je retrouve Seurn? Que je le ramène à Helsingør?

    - Non. Je veux que tu le suives, que tu le surveilles, que tu saches tout ce qu’il fait.

    - Pour quoi faire?

    - Pour me le dire. Tout simplement.

    - Et pourquoi moi? Tu as un tas d’hommes sous ta coupe!

    - Peut-être parce que tu es brillant?

    - Parce que je suis…brillant?!?!?!

    - Brillant oui. Oh au fait, j’allais oublier: ton frère te passe le bonjour. Il m’a dit de te dire qu’il se plait dans mon château de Arenborg… et qu’il compte y rester encore un bon moment…


Les apparences: on s’y fie souvent, c’est vrai. Parce que l’on n’a pas le choix, parce qu’il faut bien se fier à quelque chose mais quand Niels entre en jeu, les miroirs déforment leur rendu, la surface des étangs se trouble, la vue se voile. Les lentilles changent les perspectives, les prismes décomposent la lumière comme les miasmes le font de la chair ou les charognards avec les cadavres. L’homme brouille le jeu parce que lui seul peut y voir clair dans la purée de pois.

- Faites-m… oi…. con…fiance.

Il n’avait pas la force d’en dire plus, ni la volonté d’ailleurs. Il avait prononcé cette phrase sans même savoir ce que l’avenir leur réservait. Qui pouvait d’ailleurs se targuer de savoir de quoi sera fait leur avenir proche? Et qui pouvait prétendre savoir comment il réagirait face à une situation qu’il ne pouvait même imaginer? Avec Niels, tout était possible. Tout. Le mot volonté perdait de sa signification. Les bonnes intentions s’étiolaient. L’homme avait la capacité de vous mettre sur une pente savonneuse et de la soulever légèrement à l’une de ses extrémités. Ensuite, il n’avait même plus besoin d’agir pour que vous veniez à lui, pour que vous alliez là où il désirait que vous alliez. Dans ce contexte, toute prédiction n’était que pure utopie. Faire confiance était un concept qui n’avait pas de sens et pourtant qu’y avait-il d’autre à faire? Pouvaient-ils même s’en passer?

La paupière s’était refermée, les lèvres restées entr’ouvertes. Le corps tout entier était animé de soubresauts de temps à autre, errant à la frontière entre conscience et inconscience, oscillant de l’un à l’autre. Il aurait aimé un baiser d’elle mais cette fois encore il devrait s’en passer. Ces lèvres étaient visiblement réservés à Søren MacFadyen Eriksen.


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Eudoxie_
De toutes les passions la peur est celle qui affaiblit le plus le jugement. (Cardinal de Retz)

Doute ? Blessure ? Confiance...

"Quelque part dans les entrailles des Houx Rouges"


L'incompréhension devant ses paroles, voilà ce que la bestiole put apercevoir dans les eaux claires du regard de Morten alors que la douleur se lisait sur son visage, les derniers mois à vivre en permanence sur le qui-vive et à se méfier de tout l'aurait-elle rendu si méfiante qu'un allié aurait été pris pour un ennemi ?
Inférieure nerveusement mordillée en lisant sa souffrance à chaque inspiration, la petite brune étouffa un cri de surprise en le sentant s'effondrer entre ses bras, craignant que le danois lui ai claqué entre les doigts, l'esprit s'éclairant alors d'une lueur nouvelle : pourquoi mener aux portes de la mort un de ses soldats.

Il parlait avec difficulté, faiblement, et le gardant dans ses bras Eudoxie commençait à réviser son jugement cherchant bien comment réussir à l'extirper du sol pour le mettre à l'abri du lit, faire en sorte qu'il ne meurt pas contre elle.
Pour qui et pourquoi, seule Eud aurait pu le dire mais les derniers mots de Morten eurent raison de certains de ses doutes et s'approchant de son oreille comme pour protéger de qui pourrait entendre ce qu'elle allait lui dire, lui murmura.

Je vais le faire, à vous de faire en sorte de la garder Morten

Et comme d'un pacte, les carmines de l'orthézienne vinrent se poser sur la joue, presque à la commissure des lèvres, elle avait besoin de lui, et lui d'elle, c'était une évidence et si d'aucun aurait trouvé la scène étrange ce qui allait suivre aurait troublé plus d'un chaste regard ou attiré d'autres plus salaces.
Délaissant de ses bras le torse maintenu contre elle, Eudoxie orchestra l'étrange manœuvre de se glisser dans le dos du danois et de s'appuyer contre le bois de lit, entourant le torse de ses bras, passant sous aisselles masculines, en liant ses mains sur le devant.

Va falloir m'aider au maximum Morten...

Inspiration, longue, très longue et retenue, le corps de la petite brune se plaqua contre le bois du lit pour s'en servir d'appui et se hisser avec le corps du blond faisant facilement une tête de plus qu'elle, le dos scandinave écrasant l'arrondi abdominal dont le petit habitant semblait ne pas apprécier la blague.
Tant bien que mal, et Dieu seul sait comment, le dos du Sorensen avait atteint la couche au prix d'un effort intense qui avait laissé la future mère sans souffle, une main sur la poitrine et l'autre soutenant son ventre pour reprendre une respiration normale ou au mois essayer.

On... y... est... presque...

Lit contourné et une petite brune grimpée sur le lit se mit à tirer un géant scandinave pour finir de ramener ses grandes pattes sur le matelas et l'installer au mieux, le pauvre quasiment parti aux fraises si pas complètement d'ailleurs.
Elle tentait de l'empêcher de crever, mais c'était elle qui allait finir par passer l'arme à gauche si elle continuait ainsi, et le tiraillement régulier répété de son ventre semblait vouloir être en accord avec l'idée que "hé stop la bourrique cocotte".

Les mains sur les hanches, debout en bord de lit, le souffle court, un souvenir lui revint en mémoire, une balade sur un lac gelé qui... ne l'était pas tant que ça, une frayeur comme jamais et un danois à la flotte.
Pourquoi ? Parce que comme ce jour là où elle avait réussi à extirper Soren des eaux glacées avant de le voir sombrer dans les ténèbres humides, elle ignorait bien comment elle avait réussi ce prodige de soutenir un homme de cette carrure et de le tirer jusque-là...

Certains expliqueront plus tard que le corps en cas de peur ou de stress ou de tout autre sentiment intense, envoi une hormone nommée adrénaline qui dans certains cas peut décupler les forces d'une personne, sans nul doute Eudoxie avait expérimenté cet état de fait.
Souffle et esprit revenu, les perles noires se portèrent sur ses mains et sur sa robe tachée de sang, son attention se reportant sur la cuisse, sur les braies rougies, pas trente-six solutions, et vie à la mode pudeur danoise depuis presque un an, les chastes et salaces cités un peu plus haut allaient enfin pouvoir s'offusquer ou se ravir.

Navrée mais...

Petite brune assise en bord de lit se mit à dénouer le lien serrant le vêtement à la taille danoise et sans plus de manière ni de préambule fit glisser l'étoffe pour dévoiler la cuisse meurtrie, et oui bien sur tout ce qui se trouvait entre la ceinture et les genoux.
Dire que le regard ne se porta pas sur... une virilité qui semblait être aussi caractéristique que la blondeur chez les danois aurait été mensonge, quand on retire des braies ça vous tombe sous le nez. Bah ouais, mais ce n’était pas le but de la manœuvre désolée de décevoir les salaces mais retour aux moutons et au pourquoi du "à poil Morten".

Terminant d'extirper les jambes du tissu imbibé de sang, le regard sombre aperçut alors une entaille sans pouvoir en évaluer vraiment l'étendue tant tout était engorgé de sang mais une chose était certaine : le sang s'échappait par là et pas qu'un peu.
Après avoir soufflé un bon coup, le corps aux proportions pachydermiques était allé récupérer la bassine et les linges et Eud, voyant le teint livide et les soubresauts du grand blond, couvrit le géant avec toutes les couvertures qu'elle trouva dans la pièce fouillant, coffre, console et autres meubles éparpillés à droite à gauche comme en Orthez.

Nom de...

Après avoir épongé en partie le sang qui camouflait la plaie, le regard de l'inénarrable s'écarquilla tout grand, ce n’était pas de la blessure de spectacle et soudainement, la moindre parcelle de doute qui pouvait persister dans son esprit se fit la malle à vitesse grand V.
Soigner, nettoyer, recoudre mais elle n’avait pas de quoi et à part du tissu elle avait jamais recousu quelqu'un elle de toute façon, alors à défaut bander pour compresser et que ça cesse de saigner, oui mais avec quoi, parce que c'était du bestiau de concours avec le cuissot qui va bien le Sorensen.

Fouiller de nouveau, encore, sans trouver, et commencer à paniquer, jusqu'à tester d'ouvrir cette porte qu'elle savait pertinemment fermée, tirer dessus comme une folle, sans succès bien sûr. Du tissu, n'importe quoi, solide, large et revenir vers la couche en pestant contre cette robe inadaptée et souillée.
La robe !!!! Mais c’est bien sur… Ni une, ni deux, un coup sec à la verticale sur une des bandes de froufrous et tirer sur tout l'horizontal, arrachant un large ruban pour ne laisser que le jupon-jupe sous les fanfreluches et réitérer sur une partie plus large vers le bas de la robe, juste au cas où.

Regard jeté vers le visage du blond sans trop savoir comment décrypter ses paupières closes et sa bouche entrouverte, conscient ou non ? Lentement la main se glisse sous le genou pour replier un peu la cuisse et pouvoir la panser au mieux, serrant au maximum sans faire souffrir le valet d'épée.
Ci-fait, jambe reposée et recouverte de couvertures, Eudoxie enveloppant sa "bouée de sauvetage" avec le plus de soin possible pour qu'il se réchauffe. Ses mains maculées de sang, l'étoffe de la robe sur son ventre et ses cuisses fort tachées démontrant qu'il avait perdu plus de fluide vital qu'il n'aurait sans doute dû.

Avez-vous soi...

Main portée pour soutenir son ventre, marquant de l'empreinte de ses mains ensanglantées le rose pâle du tissu de sa robe encore à peu près intact, les sourcils de la béarnaise se plissèrent dans une expression faciale douloureuse, rapide, fugace.
Et ne reformulant pas la question inachevée, verre et broc d'eau furent déposés sur le chevet à côté du lit, la petite brune s'asseyant en tête de lit auprès de son blessé, main s’attardant sur la longue chevelure blonde et la joue tournée vers elle.

Faut tenir... Me faites pas ce coup-là...

Un baiser au front vint ponctuer la supplique de la béarnaise, alors que sa main étreignait son ventre pour calmer l'habitant et les douleurs qu'il provoquait si c'était bien lui.
Laissant Morten récupérer, Eud caressait machinalement les fils de soie dorés et abdomen distendu, le regard dans le vide, repensant à l'apparition, à Thorvald, à cette reproduction de cette chaumine, l'esprit embrumé cherchant à comprendre à quoi jouait Niels, et ce qu'il lui réservait.

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Niels

 « Houx-rouges, quelque part… » 


La salle avait été préparée avec soins selon les directives personnelles de Niels. Cette fois, Thorvald n’avait été que l’exécuteur de la volonté de son Maître jusque dans les moindres détails. Au fond de la pièce, le mur avait été gardé à nu. La pierre noire et froide laissait transpirer son atmosphère macabre dont tout l’endroit était emprunt. Sur un piédestal d’environ quinze à vingt pieds de long sur six à huit de large, un trône de granit taillé avait été posé là. De part et d’autre de ce siège, deux gonfanons aux couleurs de la maisonnée de Niels donnait au lieu une touche de couleur. Pour arriver au pied du Maître tout-puissant, il fallait gravir quatre marches étroites. A côté du gonfanon, sur la droite du trône, un serviteur avait apporté le panier d’osier qui, il y a quelques heures encore, narguait de sa présence tous les visiteurs qui entraient dans le bureau de Niels.

A part quelques détails, l’endroit était d’une sobriété sans reproche. Des torchères parsemaient à intervalle régulier les quatre murs de la place. C’était peu pour éclairer une salle aussi vaste. Aussi, au centre de la pièce, un chandelier métallique avait été installé au plafond. Il se montait et se descendait par une chaîne que l’on actionnait à partir d’un levier situé sur le côté gauche de la salle. Juste en dessous du chandelier, un pentacle grossier avait été dessiné avec une peinture de couleur blanche. Des pictogrammes qui ne révélaient pas leur signification au profane ornaient les cinq branches. Au centre, un symbole plus familier mais tout aussi nébuleux s’étalaient en lettres d’argent : XVII.

Pour terminer le tout, deux cages de métal d’environ sept pieds de haut sur à peine trois ou quatre de profondeur et de large avaient été dressés sur chacun des murs latéraux, au fond, du côté de l’entrée. Quoi? Non, non, vous n’aurez pas plus de détail pour l’instant puisque chacune d’elle était masquée d’un rideau noir s’étalant du sol au plafond. Ne soyez pas si pressé, nous y reviendrons en temps utile. Des fenêtres? Non, il n’y en avait pas une seule. Aucune lumière extérieure ne filtrait à l’intérieur et il n’y avait qu’une seule porte par laquelle on entrait et on sortait.

Niels avait pris place sur le trône, les bras sur les accoudoirs de pierre, les phalanges recroquevillées sur chacun des bords. Il aimait cette pièce, il adorait ce siège de pierre. Il lui donnait l’impression d’une domination sans pareille sur l’auditoire. Il avait fait aménagé le lieu il y avait six mois de cela, au moment où l’opération entrait dans sa phase finale. Ce soir, il portait des bottes noires à large bords qui lui remontaient jusqu’aux genoux. Des braies de couleur grise et rentrées dans ces même bottes étaient rehaussées d’une tunique anthracite et décorée d’un ruban doré parcourant la périphérie. Le torse était recouvert d’une chemise blanche à manches bouffants. Les poignets étant garnis d’un bouquet de dentelle d’Alençon qui manifestait de la qualité de celui qui le portait. Enfin un pourpoint boutonné gris pâle terminait son accoutrement. La taille était ornementée d’une ceinture de cuir terre de Sienne sur laquelle étaient attachés deux poignards danois sur chacun de ses flancs.

Thorvald se tenait au pied des escaliers, à la droite de Niels. Il attendait manifestement un ordre de son Maître, sans toutefois émettre le moins signe d’impatience. Tout avait été réalisé comme Il le lui avait demandé. Tout. Dans le moindre détail. Jusqu’ici le plan du Roy de deniers se déroulait on ne pouvait mieux. Il ne restait qu’une scène à jouer, une seule. L’heure de vérité approchait et Niels avait tous les atouts en main. Thorvald jeta un bref regard dans le coin de la salle, à l’endroit où de grands rideaux noirs masquaient les cages de fer. Son visage resta de marbre. C’est à peine si un léger frémissement du sourcil au dessus de son oeil crevé avait pu se remarquer. Thorvald n’avait aucune idée de la façon dont Niels jouerait ses cartes. A lui aussi cette soirée réserverait sans doute moultes surprises.


- Il est l’heure. Fais venir nos invités.

- Bien Messire.

Le borgne n’eut besoin que d’un coup d’oeil pour qu’aussitôt quatre hommes de mains lui emboitent le pas. De couloir en escalier, d’escalier en réduit, de réduit en geôle, ils arrivèrent finalement jusqu’à la chambre où ils avaient gardé Eudoxie et Morten prisonniers. La clé tourna dans la serrure, la porte grinça sur ses gonds. Thorvald entra le premier et ses lèvres se plissèrent. L’impertinence et l’arrogance pouvait se lire sur son visage aussi surement que les enluminures ornaient les livres précieux.

- Oh le joli couple que voilà! Vous êtes mignon ainsi …mais vous n’êtes guère présentable vous savez? Allez! Dépêchez-vous! Il veut vous voir. Maintenant!

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Eudoxie_
La peur est inévitable, je dois l’accepter, mais je ne dois pas la laisser me paralyser.(Isabel Allende)

Mépris ? Crainte? Affrontement...

"Quelque part dans les entrailles des Houx Rouges"


La peur, les sensations fortes, les efforts, les douleurs de son ventre et un peu de calme avaient eu raison de sa résistance au sommeil, les paupières de la brune se fermant sur la pièce, les doigts perdus dans la chevelure solaire de la tête danoise reposant maintenant sur ses genoux.
Le corps toujours adossé contre la tête de lit, la béarnaise avait sombré dans un repos tout relatif, sans onirisme, juste une extinction pure et simple des membres, des chairs, des muscles, de tout ce qui constituait ce petit bout de femme.

Le bruit dans la serrure fit sursauter l'orthézienne dont les yeux s’ouvrirent rapidement, clignant plusieurs fois pour se réhabituer à la pénombre, combien de temps avait pu s'écouler elle n'en avait absolument aucune idée, mais celui qui entra fut le dernier à être sorti.
Le borgne et son regard, fin non... son œil dédaigneux et goguenard, et cette voix qui lui vrillait les oreilles à chaque fois qu'il ouvrait la bouche pour se montrer détestable. Eud n'était pas du genre violente mais bon sang ce qu'elle avait envie de lui enfoncer son index gauche orné de la bague offerte par Edern dans son unique œil.

Il veut nous voir ? On n’est pas présentable ? La faute à qui sombre idiot !!!!

L'inénarrable était du genre calme, aimable, gentille, jamais à s'énerver et pas un mot plus haut que l'autre. Mais comme toute eau qui dort, quand elle se trouvait réveillée... et là… peur, inquiétude et colère, sans compter le reste que bébé Eriksen lui faisait subir. Le barrage de la gentillesse avait largement cédé, oh que oui.
Lentement la tête de Morten, qui n'était vraiment pas au mieux de sa forme, fut déposée sur la couche et le corps, beaucoup moins agile qu'à l'ordinaire, avait glissé du lit pour s'avancer droit vers "messire qu'un œil".

Il est nu comme un ver et je suis couverte de sang... Alors j'ai une question : ton maître va reporter la faute sur qui ? Son sbire qu'à pas été capable de faire ce qu'il lui a demandé ou la pauvre petite prisonnière qui a été obligé de souiller et abimer sa robe parce qu'un grand benêt n'a pas su faire les choses proprement ?

Oui, il avait une, voire même deux têtes de plus qu'elle, oui qui l'aurait vu ce serait dit "mais elle est tarée, elle va s'en manger une", oui même si ça ne se voyait pas et qu'elle faisait tout pour, elle était morte de trouille et tremblait comme une feuille sous son jupon, mais quand faut que ça sorte, faut que ça sorte.
Et puis avouons-le, Eudoxie se basait aussi sur le fait que, s’il avait eu autorisation de la maltraiter par Niels, le borgne s'en serait déjà donné à cœur joie, donc là en fait fallait seulement espérer que la béarnaise avait vu juste sinon effectivement elle allait voler et pas qu’un peu.

Présentable ou pas, je peux vous suivre, puisque si je suis là c'est pour voir Niels depuis le début mais...
Morten n'est ni présentable, ni en état, si vous le faites pas soigner c'est un cadavre que vous amènerez à votre maître.


Reprendre son calme et un semblant de ces attitudes nobles qu’on lui avait enseignés à avoir et la prestance qui s’y associait, laisser le tutoiement du lâcher prise, pour revenir au vouvoiement.
Une grande inspiration et les perles noires fixèrent l'œil unique avant de lisser les reliquats de sa robe ensanglantée sur son ventre et de resserrer la coiffure qu'on lui avait faite en reprenant le port de tête haute, le paraître avant l’être, oui parfois ça s’avérait nécessaire, même pour Eudoxie.

Nous y allons ?



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Niels

« Houx-Rouges, salle du jugement » 


Ainsi, c’était fait. Après les signes macabres, après les lettres envoyées de part et d’autre, après l’arrivée aux Houx-Rouges, voilà qu’Eudoxie Castera se trouvait pour la première fois devant celui qui avait hanté ses rêves…ou ses cauchemars: Niels, l’ami de son danois, le confident, le frère qui s’était retourné contre lui lors d’une affaire de mariage imposé par l’oncle de Søren. Enfin, ça, c’était la version du Eriksen évidemment. Niels, lui, avait un autre point de vue: il avait essayé de ramener Søren à la raison dans son intérêt, parce que Lars avait raison, parce que ce mariage devait avoir lieu dans l’intérêt des Eriksen. Cette histoire avait fini par les séparer. Peut-être après tout n’étaient-ils pas fait pour être amis? Peut-être que leurs divergences étaient trop profondes? Que leur philosophie de vie ne s’accordaient pas? Que Søren était trop faible?

Dans la chambre « orthézienne » où Eudoxie et Morten avaient été gardé prisonniers, les hommes de main de Thorvald étaient passés à l’action. Sous les ordres du borgne, l’un deux s’était emparé de la brunette, l’avait amené dans le couloir et s’était chargé de la surveiller. Il n’était pas question que quelque chose clochât alors qu’ils étaient près du but. A l’intérieur de la pièce, deux autres molosses s’occupèrent sans ménagement de Morten. Malgré les cris de douleur et la tentative de résistance de la part du valet des épées, ils le rouèrent de coups une fois de plus mais cette fois, sur les ordres de Niels ils évitèrent le visage. La blessure à la jambe s’était remise à saigner. Ils lui remirent ses braies, le recoiffèrent grossièrement en passant trois quatre fois la main dans la chevelure blonde. Le borgne lui, avait à peine sourcillé en entendant les paroles de la brunette. Il n'avait pas bouger la tête quand l'un de ses hommes l'avait emmené dehors. Lui répondre? Aucun intérêt. Ici, elle ne dirigeait rien. Elle ne décidait ni des questions, ni des réponses. Ici, elle subirait. Lorsqu'elle fut dans le couloir, Thorvald détourna brièvement la tête vers Eudoxie. Le regard fixe du blond cilla une fois et se détourna définitivement de l'orthézienne pour se poser sur Morten.


- On aura beau essayer, tu ne seras jamais bien coiffé. Même Niels le dit : Il n’y a personne qui peut rivaliser avec un Eriksen au niveau de la coiffure. C’est sans doute pour ça que Seurn a eu toutes les femmes qu’il voulait et que toi, t’as du te contenter de plaisirs solitaires!

Inconscient, Morten fut empoigné par les bras par les hommes de main de Thorvald. Privé de son tonus musculaire, la tête blonde dodelinait de gauche à droite alors que ses jambes trainaient au sol. Eudoxie, quand à elle, avait été amenée à Niels avec plus de ménagement mais une marque rouge devait sans doute se voir au niveau de ses bras nus. La prise avait été ferme mais polie. Enfin, c’est ce qu’avait dit Thorvald à la béarnaise. Les danois prirent soin de ne pas froisser la robe rose en taffetas avec laquelle il avait affublé la brunette. A la sortie de la geôle, le borgne n’avait pas pris la peine de bander les yeux de la brune: le détail de couloirs était suffisamment déroutant pour ceux et celles qui ne les connaissaient pas par coeur.

- Bienvenue aux Houx-Rouges dame Castera…ou devrais-je dire Eriksen?

Le ton de Niels était emprunt de confiance en soi, de maîtrise, d’arrogance même. Dès qu’ils étaient arrivés dans la salle du jugement, les hommes de Thorvald avait trainé le corps inerte de Morten jusqu’au centre de la pièce et l’avaient déposé face contre terre au centre du pentacle, juste sous l’immense chandelier. Niels avait suivi le mouvement du regard, détournant alors ses yeux d’Eudoxie pour les porter brièvement sur Morten. Une mine de dégout passa furtivement sur son visage avant qu’un sourire dominateur n’éclaire ses traits.

- Pathétique n’est-ce pas? Il était à votre goût avant de passer entre les mains de mes hommes? Vous a t-il dit que les filles s’intéressaient bien plus à Seurn qu’à lui et qu’il lui en a toujours gardé rancune?

Niels hocha furtivement la tête et Thorvald, qui était situé derrière Eudoxie, referma alors la porte. Le double tour de la serrure de métal se fit entendre dans le silence de la pièce. Macabre, lugubre, la cage se refermait un peu plus encore sur l’oiselet d’Orthez. Le borgne, frôlant alors la brune, se dégagea d’un coup d’épaule pivotant et vint se placer près de son maître, au pied de l’escalier qui menait au trône où Niels était assis. Deux gardes restèrent près d’Eudoxie, de part et d’autre. Le dernier homme vint se poster près de Niels, en face de Thorvald. La scène était prête. Le jeu pouvait démarrer.

- Voilà ce qui arrive aux personnes qui pensent pouvoir se gausser de moi. Dommage, Morten était un bon élément…mais il avait trop de coeur ou trop de principes….Ou il était trop faible, tout simplement. Je pense que désormais personne ne le saura. et c’est bien dommage. Quel gâchis!

Du bout des doigts, Niels caressait le bras de pierre du trône dans lequel il siégeait. La froideur et la texture du siège lui était agréable et apaisait la tension qui toquait à la surface de son esprit. Son regard alla de ses mains à Eudoxie. Était-ce le bon moment? Le poisson était-il ferré? Prêt à abandonner à la lutte et se laissait gentiment sortir de l’eau ou fallait-il encore la fatiguer un peu plus? Briser les dernières barrières de son équilibre mental pour l’amener à agir comme il le désirait? Niels avait encore plusieurs cartes dans sa manche. Mais trop, c’était comme trop peu: cela pouvait se retourner contre lui. Il avait besoin de la lucidité de la brune. De sa lucidité mais pas de sa volonté.

- Dites-moi, savez-vous pourquoi vous vous trouvez ici cette nuit?

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