Ce fut au moment où le devoir l'appela que Guillaume aperçut la borgne chevalière. Il eut voulu la saluer, l'inviter, elle aussi, à les rejoindre au centre de ce qui était devenu une galaxie de va-et-vient multiples, de pourpoints et de robes, de crinières et d'yeux. Mais le devoir n'attendait pas. Faudrait-il une neuve guerre combattue côte-à-côte pour que les deux puissent à nouveau discuter ? Sans doute, pensa le Flamand, sans doute. N'est-ce pas surtout par et pour cela que nous existons ? L'espace de ce qui parut peut-être un long instant à l'assistance, ses souvenirs le ramenèrent bien des années en arrière, à des lieues et des lieues de Paris, en des campements bien moins agréables que les possessions parisiennes de son Ordre. Il revit des visages, des armures, des épées agitées en tous sens. Des sourires dans la peine, aussi, des rires nés du désespoir, enfin. Tout cela le maintint loin du siècle, fusionnant en son esprit des exploits et des échecs étalés sur des années.
C'est ainsi que presque automate, il répondit à l'ordre délicat émis par la comtesse Farnezze. Il y répondit, réflexe sans doute, d'un courtois sourire de reconnaissance. Certes Julios n'avait pu être présent, retenu au loin par ses obligations les moins publiques d'un Grand Maistre. Il se trouva donc en première ligne pour tenir son rôle. Comme rajeuni par une absence. Il gagna l'estrade, d'où il domina l'assemblée de la tête et des épaules, prit une profonde inspiration, et abattit alors les digues de son éloquence. Qui fusa comme un trait, fluide et ininterrompu.- Majesté, chers amis. Il y a des années, une éternité de cela, une discussion avait secoué mon Ordre. Je n'étais encore que très jeune, et loin de la position que l'on m'a aujourd'hui accordée en son sein. De part et d'autre de notre salle du chapitre, je la revois presque comme si c'était hier, les arguments fusaient, en un sens et en l'autre. La question était celle de la reconnaissance royale. Certains y tenaient, d'autres exprimaient des réticences. Serait-on bien nous-même, ainsi liés à la Couronne ? À s'en tenir éloignés, ne deviendrions-nous pas une de ces bandes d'aventures qui ravagent l'Europe ? Telles étaient deux des questions dont il me souvient encore aujourd'hui. J'ai le privilège et la douleur d'être de ceux, peut-être le seul, des membres d'Ordres de chevalerie à me souvenir de l'époque où celles-ci se posèrent, où la reconnaissance royale n'existait pas. Tout au long de ces années, j'ai pu voir ce qu'elle a apporté, ce qu'elle a permis, ce qu'elle a entraîné. Je ne ferais pas devant vous la liste des points où tel ou tel de mes frères et surs eurent raison. Je suis heureux, au vrai, de constater que nous n'avons pas véritablement fait défaut ou honte au texte créa la Licorne premier Ordre de chevalerie du royaume. Je suis heureux de pouvoir compter parmi ceux qui me formèrent, ceux qui vécurent avec moi, ceux que nous avons formé certains des plus méritants défenseurs de la France, de son royaume. Je suis heureux de voir que, malgré les années et les épreuves, malgré les attaques frontales ou discrètes, celui-ci ne nous a pas oublié ou négligé
, dit-il dans un sourire adressé à la reyne. Je suis heureux de voir et de jouir des efforts déployés par la Maison royale, à qui, et je me répète sciemment, nous sommes désormais redevables pour des siècles.
Sourire cette fois pour la Grand Chambellan. Je suis heureux de savoir que demain encore nous serons présents, à Paris, au Mans, à Tours ou ailleurs encore. Je suis heureux de voir, encore, des jeunes gens, ou de plus âgés, se présentant devant les grilles de Ryes pour nous rejoindre. Je serai heureux tant que cela durera, tant que le Royaume vivra, tant que la France sera. JUSTICE ! HONNEUR ! BRAVOURE ! Pour la France ! Pour la Licorne !
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