Yohanna.
Post écrit à 4 mains avec JD Samsa.
Celui qui lit jusqu'à la fin gagne un cooky !
Celui qui lit jusqu'à la fin gagne un cooky !
H avait passé la journée à parcourir le domaine de son amie en élaborant mentalement ce projet qui leur tenait à cur. Dans son petit carnet, quelques pages avaient été gribouillées d'idées, de schémas, de plans et de calculs pour les proposer ensuite à la patronne des lieux et valider avec elle ce qui deviendrait plus tard le Chenil des Deux-Baronnes. Il ne leur manquerait plus que des mécènes, quelques employés qui auraient besoin de faire leurs preuves, et elles auraient là tout l'aboutissement d'un projet qui les liait tant par la passion que par l'esprit. Puisque de corps, jamais elles ne pourraient être liées.
Devant la petite plaine où elles auraient pu mettre des chevaux, mais qui servira sans doute plus tard à la course de chiens ou à l'entrainement des faucons, Yohanna, assise dans l'herbe pensait à son amie. Jamais la brune ne s'était sentie aussi fusionnelle avec une femme. Sans doute justement parce qu'elle n'avait pas tenté de la mettre dans son lit. Bon d'accord, si, elle avait essayé! Mais Cerbère ne flanche pas. Cerbère ne transige pas. Et respecter sa volonté était une façon de prouver son estime à celle qui venait encore une fois de lui sauver la vie. Samsa se permettait toutefois quelques libertés apaisantes pour notre mercenaire bien trop portée sur la chair, histoire peut-être de la rassurer et lui confirmer son affection dans un langage qu'elles seules comprenaient. Mais jamais les limites n'étaient franchies. Entre elles, il en était ainsi. Et puis... Si un jour la beauté de leur amitié était remplacée par une histoire romantique, cette histoire ne deviendrait-elle pas totalement banale? Et à l'image des autres, Yohanna ne finirait-elle pas par tout gâcher pour satisfaire son plaisir égoïste?
Evidemment que si. C'est pour cela qu'elle préférait conserver leur précieuse amitié dans un écrin délicatement tissé, au fil du temps et des épreuves partagées, pour la sublimer de chaque instant emprunt de contentement et de respect.
Et puis il y avait Shawie. Une des grandes raisons de son abandon de la quête du Khan. Parmi tous les ennemis qui arrivaient de France pour tuer ce chef de guerre, l'espagnole était la plus à même d'envisager une dague en travers de la gorge yohannesque "sans faire exprès" sur le champ de bataille. Yohanna avait fui, une fois de plus, et elle avait bien fait. Mais malgré les explications sur l'amour à distance à une Samsa déprimée du manque de son aimée, rien n'avait porté du fruit. Samsa était désespérément fidèle à celle qui l'avait abandonnée pour courir à l'aventure. Les mystères de l'amour sont une chose bien étrange pour notre philosophe de comptoir. D'ailleurs, en parlant de comptoir, il était temps de terminer la journée pour partager les idées avec Patronne autour d'un bon vin de Bourgogne.
Après une courte cavale poussiéreuse, H retrouve enfin Samsa chez elle, dans son château de Longny-au-Perche. Embrassade de rigueur, sourires échangés et carnet mis en évidence sur une table.
- Je pense qu'on pourra commencer avec au moins trois races de chiens. J'ai déjà reçu des retours pour obtenir des femelles à prix raisonnables. Ca ne vaut pas encore les chiens de la Reine, mais ça viendra !
Samsa se penche sur le carnet pour en examiner les notes. Elle met du temps à s'y plonger, le temps de sortir de sa tête les chiffres de son livre des comptes. Être Baronne implique des devoirs et des responsabilités, parmi eux, récolter les impôts. Par chance, Samsa n'a pas encore eu à sévir et à faire tomber le couperet, mais elle doit s'y préparer car tout ne va pas toujours bien. L'arrivée de Yohanna lui éclaire le visage d'un sourire alors qu'elle referme le gros cahier pour aller le remettre sur son bureau. La pièce est, comme les autres du château, sommaire. Un plan de travail, quelques coffres verrouillés, une cheminée allumée en cette soirée froide qui participe, avec la table au centre portant vin et biscuits et les quelques tapisseries présentes, à mettre un peu de chaleur dans cet ensemble somme toute presque austère.
- Une race pour chaque fonction pardi ? Une de chasse, une de compagnie et une de garde té ? Je ne veux pas élever des chiens de guerre qui iront à la mort pardi.
Les chiens, c'était tout pour Samsa. Pas seulement parce qu'elle avait pour surnom Cerbère, célèbre chien à trois-têtes, mais aussi parce qu'elle s'identifiait à eux et que, dans une moindre mesure, les autres l'identifiaient pareillement. En effet, quand elle était joyeuse ou sur ses gardes, il semblait qu'on pouvait voir une queue inexistante s'agiter de droite à gauche, des oreilles se dresser, alertes, ou encore que ses dents d'humaine ne soient en réalité que des crocs acérés quand elle les découvrait dans un grondement canin. Elle avait cette capacité à n'obéir qu'à ceux qu'elle avait choisi pour maîtres et, plus que tout, elle était fidèle, loyale. Ce n'était pas toujours une chose facile, particulièrement quand la seule personne autorisée à lui manifester de l'amour de façon explicite se trouvait à des milliers de lieues depuis des mois. Mais si ce n'était que ça. Cela devait faire près d'un an, presque, que Samsa et Shawie ne s'étaient pas vues. Là où toutes les autres auraient abandonné, elles continuaient. Peut-être Shawie avait-elle comblé son manque d'une façon ou d'une autre, Cerbère en était convaincue sans pour autant accepter d'y penser ; quel genre de personne serait-elle si elle perdait confiance en Shawie ? Leur avenir était déjà assez chaotique ; qu'y gagnerait-elle à le précipiter dans un ravin sur la base de ses peurs ? Rien, car Samsa ne savait pas abandonner. Elle avait presque pu, à Limoges, céder à la torture de l'absence, de l'ignorance, mettre une fin à tout cela, à leur histoire. Elle avait failli en mourir sous les yeux d'une Hache impuissante. Samsa n'était pas capable de se confronter elle-même à l'échec. Elle était dans la vie comme à la guerre, elle donnait sa vie plutôt que de lâcher ce qui reposait sur ses épaules.
Yohanna avait essayé de la faire revenir à la raison, elle l'avait presque imploré de ne pas se laisser passivement casser en deux. Peut-être avait-elle eu peur et elle aurait eu raison. Mais Cerbère avait survécu grâce à une boîte de confiseries salvatrice envoyé par Shawie. Pitoyable réconfort, il était vrai, mais ce que Yohanna avait qualifié de foutage de gueule avait eu pour Samsa le goût d'une caresse sur la tête qui lui redonnait force et confiance. Il n'était pas si difficile de la relever quand on savait sur quelle corde jouer et seule Shawie aurait pu jouer cette note. Pourtant, quand Cerbère regardait Yohanna, elle savait que chaque geste de tendresse qu'elle lui donnait n'était qu'une goutte de ce qu'elle voulait, de ce qu'elles voulaient. Elle avait ce goût d'interdit qui devait en l'instant le rester car Yohanna était pour Samsa la pomme qui apporterait tout : la satiété, la complicité, l'inconscience, la passion, mais aussi la déchéance, la perte de ses valeurs, de ses croyances les plus ancrées dans son être telles que sa maîtrise parfaite du corps et de son esprit, la mort de sa différence et la preuve qu'elle n'était finalement pas si forte que cela, pas si digne, qu'elle n'était rien de ce qu'elle avait cru être ; Yohanna était celle qui pouvait tuer Cerbère, de la même façon que Cerbère pouvait tuer la Hache. C'est pourquoi elles s'appliquaient toutes deux dans une danse sans faux pas, une danse où elles savaient se rattraper mutuellement, où le jeu semblait consister en une oaristys qu'il convenait de rendre inqualifiable de tel puisque contrebalancé par une amitié comme aucune autre pareil. Aujourd'hui, elles contrebalançaient ainsi en parlant de leur projet de chenil et de fauconnerie.
- J'avais fait une liste des races de chiens possibles pardi.
L'épagneul français ferait un bon chien de chasse et de compagnie pardi. Le grand bleu de Gascogne est un chien de chasse à courre té. Il y a aussi bien sûr le grand anglo-français pardi ! Oh, et tu connais le Metzgerhund* pardi ? Un formidable chien de garde té. Il est originaire d'Allemagne pardi, je pourrais écrire à Rabi pour qu'elle m'en vende té. Il y a aussi le Cane Corso dans le même domaine té. En chien de compagnie pure té, il y a le petit lévrier italien pardi, et le lévrier russe, tu connais té ? Le Barzoï pardi. Il faudra choisir pardi.
Tu préfères la plaine près de la Robioche ou celle près de la Jambée pardi ? Il y a un étang près de celle-ci et les lieux sont plus boisés pardi.
La Hache s'y connaissait au moins autant en chiens qu'en politique. La politique, elle savait que ça existait, elle savait qu'il y avait mille façon de la pratiquer. Mais dès qu'on rentrait dans le détail, elle noyait son esprit de combats brillants, de victoires éclatantes gagnées au fil de l'épée, de tueries barbares pour se conforter dans cette seule idée : La Politique c'est bien, mais ça ne nourrit pas toujours son soldat ! En revanche pour les chiens, la brune n'avait pas grand chose à se mettre dans la caboche à la place. C'est donc de grands yeux ouverts, clignant parfois, qui fixaient une Cerbère exaltée de parler de son sujet de prédilection tout en essayant de retenir les noms connus, et au moins de faire semblant de connaître en ponctuant vaguement avant de se faire couper à nouveau...
- Bleu de Gascogne, obligé. Gluant en était un..... Anglo-français? Faut voir voui ..... Metzesquoi? .... Cane? C't'un chien ou un canard? ..... Petit lévrier ! J'en ai vu en Italie! Bon du coup commencer par trois ça fait un peu juste....
Ses yeux se posent à nouveau sur les papiers gribouillés au charbon, histoire de noyer ses idées un instant.
- J'ai visité les deux endroits et ils sont magnifiques, malgré le temps peu clément. On peut faire l'élevage en deux parties... Les chiens de compagnie n'ont pas besoin de beaucoup de place ni de paysages variés, au contraire il faut les garder au chaud pour les garder beaux et en forme. En revanche ceux de chasse ont besoin d'apprendre et de se dépenser. Tu envisages déjà de la clientèle? Comment on fera pour se faire connaître? Ton poste de Prime Secrétaire Royale peut être un atout. Et puis il faudrait garder des chiots à offrir lors de mariages ou naissances. C'est la meilleure publicité qui soit.
A cause de sa vie plutôt chaotique, H n'avait pas réellement d'amis dans la haute société. Elle n'avait pas vraiment d'ami, dans quelle cAlsse sociale que ce soit, en réalité, plus prompte à se faire des amants ou des connaissances qui lui seraient utiles pour ses projets plutôt que des amitiés durables. Samsa était encore une fois l'exception qui confirme la règle, n'apportant rien d'autre à son amie que du soutien, de l'amour illimité et une compréhension qu'elle ne trouvait nulle-part ailleurs.
Le passage limousin avait remué les deux femmes, et c'est en se serrant les coudes qu'elles avaient réussi à affronter le reste. Tout le reste. Mais Yohanna avait encore du mal à passer complètement sur la dispute avec son fils qui la laissait plus vide que jamais. Ses nuits continuaient à être pleines de cauchemars, d'une violence extrême, la poussant même à éloigner les armes de sa couche pour éviter de se blesser involontairement.
L'angoisse d'être seule se décuplait la nuit et se matrialisait bien trop sauvagement pour lui permettre de retrouver assez d'énergie pour la journée suivante. D'ailleurs, ses yeux se creusaient de plus en plus, et le matin, elle n'avait plus la force d'aller s'entraîner au combat ou courir, à pieds ou à cheval pour se maintenir en forme, tant la vigueur lui manquait.
Le regard fatigué de la fausse baronne se pose sur une fenêtre n'affichant que la nuit glaciale. Et, l'impression que le sujet des chiens disparaît derrière ce décors inquiétant, la question part malgré sa volonté de ne pas déranger :
- Je peux rester ici cette nuit? Le retour jusqu'à mon appartement ne me rassure pas...
Elle aurait pu prétexter la pluie, la boue, le cheval qui ne voit pas dans le noir, la route infestée de brigands, Samsa aurait compris que tout cela n'était que prétexte. Qu'un mal bien plus sournois rongeait son amie qui généralement n'avait peur de rien. C'était d'une présence qu'elle avait besoin. C'était une nuit de vrai sommeil qu'elle espérait dans cette supplique à peine déguisée.
Promis, une fois encore, elle serait sage...
Et une fois encore, les petits yeux sombres de Samsa se relèvent du carnet où sont gribouillés des plans, des idées, parfois en vrac et nécessitant que la logique soit saisie pour être comprises. A la lumière du feu dansant sur le visage de Yohanna, il en ressort, comme décuplée sa fatigue, son épuisement. Cerbère n'ignore pas que son amie dort mal quand elle est seule, probablement une des premières sources de ses frivolités. Mais ici, à Longny, il n'y a personne pour combler Yohanna. Les serviteurs du château ne se risquent pas à approcher la mercenaire tant aimée de la Baronne ; ce serait un coup à perdre sa tête après milles tortures. Quant aux serfs, ils n'avaient nulle raison d'être au château la nuit. L'absence tuait Yohanna à petit feu et Samsa ne pouvait laisser cela arriver. Les risques, les éventuelles tentations, elle les endurerait aussi solidement qu'elle avait pu s'arracher la nuit de la nouvelle année, cette nuit d'alcool qui avait manqué de la tuer et que, pourtant, elle parvient à ne pas prendre en considération quand Yohanna lui fait cette demande. Samsa avait l'incroyable capacité à fermer les yeux sur les choses les plus considérables et à très bien s'en porter. Elle sait bien que "ici" ne veut pas dire "dans le château" mais "avec toi". Un sourire doux anime les lèvres de Samsa ; elle est Cerbère.
- Je veillerai sur toi té.
Prends le temps de finir ton verre et de manger un peu pardi, prépare ta nuit té, ma chambre est la pièce à côté té.
La Baronne se lève et embrasse tendrement le front de la mercenaire, une main posée sur son épaule. Elle la quitte pour gagner sa chambre, à peine moins austère que le bureau, et s'emploie à faire naître un feu dans la cheminée. Lentement, les ombres dansent sur les tapisseries de victoires guerrières et de noblesse d'âme qui s'animent ainsi. Sur un coffre non loin de son lit, Samsa y dépose ses gantelets, sa chemise couvrant sa cotte de maille et cette dernière. Bottes et bas sont à côté. L'épée est appuyée contre le mur, à portée de main. En chemise de lin et en braies, Cerbère prend le temps de démêler sa chevelure semi-rousse au rythme des crépitements du feu naissant. Il est peu probable que Yohanna ait froid car, outre la température ambiante qui devrait suffire, Samsa n'est pas une femme à faible chaleur corporelle et, sans excès, elle maintient involontairement une tiédeur agréable sous une couverture. Dans le doute, elle gave le feu de plusieurs bûches en attendant la Hache.
Ce soir elle n'a pas bu. Elle n'a pas fumé non plus. Elle ne repoussera pas les limites de Samsa par de fourbes moyens. Elle veut juste ses bras, sa chaleur, sa protection. Alors elle obéit en souriant comme une enfant à qui on a autorisé à aller jouer dehors après les leçons. Un morceau de pain est grignoté, le temps de laisser Cerbère prendre ses aises avant d'aller la rejoindre.
La hache est placée sous les vêtements ôtés qui seront tous posés par terre. Un jour elle fera attention à ses vêtements. Un jour elle prendra soin de ses affaires. Pas aujourd'hui. Aujourd'hui elle a câlin. Pour la nuit.
Se glissant dans les draps tiédis de son Autre, se laissant berser par son souffle appaisant, elle vient coller son corps nu contre le sien, chaste, douce, épuisée.
Et enfin, sans prendre garde, le sommeil la fauche en plein sourire.
* = ancêtre du Rottweiler
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