« Vivre la naissance d'un enfant est notre chance la plus accessible de saisir le sens du mot miracle » Paul Carvel.
Oui, mais pas pour tout le monde.
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9 mois déjà que la chaleur du ventre de ma maman me tenait au chaud, nid douillet où j'ai pu grandir et voir apparaître mes bras, mes jambes, mes pieds, tout ce qui fait de moi un être humain.
Je n'avais pas envie de sortir. Pas maintenant. Je sentais déjà la pluie d'automne me glacer les os et cette idée m'effrayait.
J'avais décidé d'attendre encore un peu. Maman était malade, en plus. La grippe ? Un simple rhume ? Aucune idée. Bah ouais, j'étais trop petite pour être médecin, t'es bête toi !
En tout cas, plus j'attendais, plus l'état de santé de maman se dégradait. J'en suis venue à me demander si ce n'était pas de ma faute, si je n'aggravais pas les choses. Néanmoins, j'étais convaincue qu'il fallait mieux que j'attende que maman-chérie guérisse, avant de pointer le bout de mon nez.
A côté de moi, ma copie conforme, mon double, la première vie humaine que j'ai connu, mon sang, en somme ma soeur. Elle, au contraire voulait sortir. Dans tous les sens elle gigotait, alors même que maman souffrait. Promis j'ai essayé de l'arrêter avec un coup de pied mais ça a provoqué une intense secousse que je ne suis pas prête d'oublier.
Tout le ventre de maman se mit à trembler, je ne me sentais plus aussi bien qu'avant. Je me suis débattue, cherchant à m'accrocher où je pouvais. Hop, en quelques minutes je me suis retrouvé la tête en bas. Quant à ma soeur adorée, elle se prenait mes pieds dans les côtes. C'est peut-être pour ça qu'aujourd'hui elle nest pas très nette, non ?
Bref, la position dans laquelle je me situais était inconfortable, il était L'heure.
Il semblait que je sois la première à sortir. Est-ce maman savait qu'on était deux là-dedans, hein ? Une inquiétude me prit, mon coeur se serra. Et si maman oubliait ma soeur dans son ventre ? Et si je sortais seule dans ce monde cruel ? Non, je ne pouvais pas imaginer ça. Ainsi, je me mis à faire de la résistance, même si les secousses me poussaient vers la sortie, il était hors de question que je sorte sans ma soeur. Ah, vous ne n'aurez pas ! Je n'abandonnerai jamais !
Plus les heures passaient, plus la résistance était difficile. Maman poussait de toutes ses forces mais je ne pouvais pas laisser ma soeur, mon amour dans cette tombe en avenir.
[ La délivrance, enfin ! ]
Une secousse, plus puissante que les autres, secoua les filles dans tous les sens. Tentant par tous les moyens de garder sa position de rébellion, maman mit une dernière fois son corps à contribution. La poussée qui vint la déranger était trop pesante pour résister plus longtemps. Je lâchais alors prise, me laissant glisser sur le toboggan menant à la vie. Sa soeur fut également propulsée dans la foulée et aussitôt, les deux princesses arrivèrent au monde, accueillies par 2 paires de bras protecteurs.
Lumière éblouissante d'une chandelle, bruit immonde d'une pluie battante, l'arrivée au monde n'était pas si merveilleuse que ça pour les principaux intéressés ! Du coup, avec ma soeur, on décida de le montrer. Grande inspiration, poings serrés, bouche ouverte et...
« Ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuin, ouuuuuuuuuuuuin, ouuuuuuuuuuin, ouiiiiiiiiiiin....... »
Je veux y retourner !! Laissez nous retourner dans le ventre de maman ! Maman ? Où est-ce qu'elle est, tiens, maman ? Avec du mal, j'ouvris un oeil curieux. A quoi pouvait-elle ressembler, hein ? Sa vision était floue, beaucoup de personnes s'affairaient autour des jumelles mais aussi autour de leur mère. L'agitation dans la pièce empirait. Pourquoi on ne la posait pas dans les bras de maman ?
[ Un bonheur pour un malheur. ]
La panique dans la salle d'accouchement déchaînait encore plus les filles qui se sentaient perdues. D'un coup, je vis des bras tendus. Une femme, brune, trempée, décoiffée, chercher à l'attraper elle et sa soeur. C'était donc toi, maman ? Que tu étais belle...
On nous déposa chacune à un bras de maman, heureusement qu'elle en avait deux ! Les yeux plissés, j'aperçue de magnifiques yeux marrons brillants, gonflés de larmes de bonheur. Elle avait un teint parfait, ma maman, un teint italien sans imperfection.
A peine le temps de l'admirer quelques secondes qu'elle se mit à fermer les yeux. Elle nous murmura un truc comme « Je vous aime mes... » et puis plus rien.
Rien.
Rien.
Rien.
Rien.
Rien.
Tout est fini.
La mise à mort de sa mère était achevée. Ses bourreaux ? Ses filles nouvellement nées. Comment peut-on vivre avec ça ?
Sa jumelle semblait ne pas comprendre ce qu'il se passait, elle continuait à brailler. Quant à moi, je savais au fond, je sentais que le corps sous moi perdait la vie.
On nous arracha des bras délicats de maman pour nous poser dans un couffin unique pour deux, confortable mais tellement moins que la poitrine de sa maman.
La pluie s'arrêta, la bataille était terminée pour sa mère et elle commençait pour les jumelles.
Une vie sans Mère les attendait.
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« Dans un coin d'une pièce, un petit lit moelleux
Abrite deux anges bruns minuscules et gracieux.
Ah ! divines enfants, de vos belles frimousses
Comme vos traits sont fins et vos peaux si douces !
C'est un moment unique, un instant merveilleux
Qui flatte mes regards, m'en jette plein les yeux
Lorsque vous tendez la main ou vous tordez sur votre couche
Pour quérir quelque objet à porter à vos bouches.
Vous êtes comme un joyau dans un écrin précieux
Vous les doux chérubins angéliques et radieux
Arrivés sur la terre un jour bien monotone
Est-ce là surprenant : c'était un jour d'automne !
C'était par un temps triste, et franchement pluvieux
Que du Ciel vous nous vinrent et me trouvas heureux :
Vous les présents des Dieux, de Mère Providence
Vous avez mis dans mon cur une chaleur intense »*
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Les jours qui suivirent, le deuil pesait dans le Manoir des Valassi. Les jumelles ne voyaient pas grande monde mis à part les nourrices, les majordomes, et de temps en temps leur père, anéanti par le décès de leur maman, qui passait les voir dans leur couffin, sa cage dorée à elle.
Les mois passèrent et le deuil se fit lentement, mais sûrement. Leur père réussit à les aimer de plus en plus. Elles rencontrèrent leurs frères et soeurs pour la première fois. Certains avaient de grands sourires quand d'autres - Gyllaume et Alaynna notamment - les méprisaient du regard.
Un jour, lors d'une promenade où les deux soeurs, plus unies que jamais face à cette tragédie, découvraient les joies du printemps faisant suite à un rude hiver. Les fleurs voyaient leurs pétales naître doucement.
A un moment donné, mon regard se porta sur un petit objet rond, lisse, avec quelques difformités. Sans savoir pourquoi, je m'épris pour cette chose dont je ne connaissais rien. Une attirance irrésistible qui me poussa à me débattre pour tenter d'aller le toucher, l'attraper, le serrer contre moi.
Mon père remarqua ma détresse et décida de nous déposer dans l'herbe douillette et chaude, qui nous chatouillait les pieds. Je pus admirer de plus près ce truc dur, gris et poli. Ma plus grande découverte qui deviendra ma plus grande passion : les cailloux.
La douce Alina leva la main, doigts bien tendus, en dirigeant son bras vers le beau caillou et l'attrapa. Le temps défila, les années passèrent et 8 ans plus tard, Alina faisait exactement le même geste avec le même entrain alors qu'elle trouva un caillou qui lui semblait être le plus beau de sa collection.
8 années avaient passées, accompagnée de son père, ses frères, ses soeurs, mais surtout Sa soeur, Sa jumelle dont elle était collée chaque jour que Dieu faisait.
Le jour de mon anniversaire, premier jour de l'automne, je décidai d'aller poser à mon frère et à ma soeur - les jumeaux fusionnels -, une question qui me trottait dans la tête. Pour une fois, je laissais derrière moi ma soeur aimée dans notre chambre. Arrivée devant celle des jumeaux, je toquai à la grande porte de bois.
« C'est Alina ! ». Je n'hésitai pas pour entrer, sachant qu'ils refuseraient de me laisser faire si j'attendais une réponse. Un instant pour réfléchir à la formulation de ma question, un soupire puis les mots sortirent tout naturellement.
« Dites, pourquoi vous ne nous aimez pas ? ».
C'était dit, & il était temps pour eux de tout lui expliquer.
* Poème de Maurice Curie, mis au pluriel.
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