Alaynna
Eglise Saint-Pierre - 30 septembre 1465
[All of me] - Lindsey Stirling -
Au plus profond de la chair, tu trouveras un hurlement.
Quand tu lauras trouvé, écoute-le te parler.
Viendra alors le silence.
J'ai hurlé. Plusieurs fois les nuits qui ont précédées ce jour-ci. Mes cauchemars ont repris, malgré la présence de Gabriel auprès de moi. Je vois ma mère qui tente encore de me séparer d'Anna-Gabriella, sur ce navire au beau milieu de la tempête, la nuit où j'ai accouché, et je me réveille en hurlant. J'entends cette voix italienne, cinglante et froide qui m'assène que j'ai tué nos bébés. La voix de Roman, à laquelle viennent se joindre des lamentations enfantines de Raffaelle, que mon imaginaire voit comme une petite fille et son jumeau Andrea, vient de nouveau jouer avec le feu sous mes yeux. Corleone me hante toujours et encore et dans un sursaut, je hurle, les joues baignées de larmes.
Je revois les humiliations que m'ont fait subir Niallan et Neijin. Je l'entends encore m'annoncer le lendemain de notre union en Bretagne que la veille de mon arrivée et la veille de notre mariage il avait forniqué avec sa maîtresse. Je revois l'oubli de l'alliance. L'humiliation d'un mariage qui n'en est pas vraiment un. Sa fuite en avant et cette discussion qui résonne encore dans ma tête, lorsqu'il a pris le parti d'abandonner femme et enfant pour rejoindre sa maîtresse. Je me réveille et je hurle.
Le corps de Loras retrouvé sans vie alors qu'une ère nouvelle s'offrait à nous. Ces heures passées à le nettoyer. Ces nuits et ces jours passés à le veiller avant de me décider à le border et le mettre en terre. Ces promesses faites à un mort. L'empreinte de ses lèvres sur mes phalanges, ce fameux soir où je l'ai découvert à m'attendre devant le mas me brûle encore la peau et le premier qui s'aventurerait à un baise main sur ces phalanges ci se verrait signer son arrêt de mort. Je suis réveillée, mais je ne hurle pas. Mon corps est tétanisé par un froid glacial. Je sens sa présence. Il est là. Je sais que le Serbe est là. Tout près de moi.
Alors j'ai longuement regardé Gabriel, assis dans son fauteuil. Je me souviens que la veille de mon union avec Niallan, j'avais enterré ma vie de jeune fille, assise sur une plage, face à la mer, à pleurer sur l'absence et la disparition de mon jumeau.
Je ne veux pas que cela recommence et je propose à Gabriel d'aller visiter ces fameuses grottes qui m'ont tapé dans l'oeil.
Une visite nocturne pour enterrer notre célibat. Car demain...demain..c'est pour la vie. C'est pour l'éternité.
Et nous y voilà à demain. Demain c'est Aujourd'hui.
Je n'ai dormi que quelques heures, mais j'ai l'art et la manière pour que rien n'y paraisse. Je passe plus de temps à préparer Anna-Gabriella qu'à me préparer moi-même. Une robe aux étoffes rouges et aux garnitures d'or. C'était la surprise de la dernière heure. Blanche, ma témoin, y avait mis tout son coeur à la coudre. J'ai relevé mes boucles brunes en chignon. Mon futur époux sait que je suivrai la tradition. Mais j'ai du me résoudre à ôter la fibule Serbe de mes cheveux. Je l'ai glissé avec d'infinies précautions dans mon petit coffret de bois, celui qui recèle mes trésors les plus chers. Ce serait faire affront à Gabriel que de la porter désormais.
Et de nouveau, cette sensation glaciale qui m'étreint.
L'heure est arrivée. Et alors que je glisse Anna-Gabriella dans mes bras, toute de bleu marine vêtue, je m'en prends le chemin de ma destinée. Vers celui pour lequel je me consume d'amour un peu plus chaque jour qui passe. Vers mon futur époux. Vers Gabriel.
Je marche sur le chemin de la vie. Jy décèle volontiers un espoir de réconciliation entre ces deux mondes qui semblent dans mon premier regard, séloigner lun de lautre, dans un jet de dé.
Dans le sacré, il ny a pas de place pour le doute. Si deux êtres lient leurs destinées, ce nest pas pour « douter » que cela puisse « fonctionner ». Cest pour lier leurs destinées. Cest un acte sans retour qui est fort, qui a des conséquences, qui engage. Dans cet acte, on met tout son pouvoir, toute sa vie, toute sa volonté. Cest tout son Être que lon offre en partage ! Ou on ne le fait pas du tout !
Le cur a ceci quil ne nous appartient pas et cette lutte en nous pour louvrir, le garder ouvert à linfamie et face au désespoir résonne en nous, telle cette corne de brume face aux récifs.
Pourtant le bateau doit continuer. Il doit passer, séventrer ou passer. Il doit emporter avec lui ses passagers et son capitaine vers les récifs, les hauts fonds ou tenter datteindre avec sa cargaison précieuse le port qui les attends pour y vivre heureux.
Agir ne suffit pas devant linéluctable. Se résigner ? Partager le peu que lon a. Survivre ensemble plutôt que seul. Retrouver un lien dans la carcasse arraisonnée, pilonnée par un destin trop grand qui ne tient pas ses promesses de bonheur ; sur quelques planches avortées des vagues, accroché aux récifs comme à un phare, en attendant la nuit, laube, le jour daprès et la main tendue, le sauvetage.
La main nouvelle dans notre propre main pétrifiée de frayeur, de se donner encore.
Cest pour cela que je pleure. Puis-je laimer autant que j'ai déjà aimé ? Je sais au fond de moi ce qu'il en est. Tous les deux, nous sommes gourmands et tout aussi fous l'un de l'autre. Cependant, je peux lire dans nos gourmandises la grandeur du fleuve que l'on doit traverser pour vivre notre union.Nous sommes les deux rives dun même fleuve, certes. Et nous sommes animés du même vice : la gourmandise.
Moi, cest de la vie, de lEsprit, de la force qui croît et sépand en partages pour combler le néant. Lui, cest de la chair. De lextériorité dont il est pourvu pour pénétrer linconnu de la matière vierge et la féconder. Sans savoir pourquoi. Il aime posséder.
Le temps du trajet, je revis mon passé et je vois mon futur.
Je me suis laissée mordre en espérant que lAutre comprenne quil m'avait fait souffrir. J'ai pleuré. Mais lautre n'a pas compris. Il était plein de hargne et de mots douloureux à offrir. Je ne réagissais plus. J'ai laissé le poison m'envahir, et un jour, j'ai voulu mourir. Doucement, à lautomne ou en hiver, sans faire de bruit, sans personne pour me tenir la main ou les hanches. J'ai voulu disparaitre dans une volute bleutée où, imperceptiblement, lespace devient plus lourd.
Et un jour, au cur de la nuit, une main s'est tendu, sans éclat. Une main égarée, là. Une main précieuse dêtre juste sensible. Une main parfois maladroite et timide, mais surtout, la main Gabrielesque fut extravagante et brutale.
Comme une patte dours qui demande lapprivoisement après vous avoir enlevé.
Une main abîmée, elle aussi, pour avoir baigné, elle aussi, dans ce vinaigre bileux qui ne nourrit pas et qui nettoie des chairs du superflu et de lattachement, parfois même du nécessaire. Une main et un regard qui me voit dans mon corps dénudé de princesse. Beauté de nymphe, offerte à la relation. Pure.
Deux âmes qui se trouvent et se soutiennent. Sans chercher la complétude, elles acceptent leurs manques qui sont nombreux. Elles ne demandent rien. Elles sont heureuses de partager le peu quelles ont, le peu quelles sont. Ce que Gabriel a fait, il l'a fait pour me sauver de moi-même.
Et plus je me rapproche du parvis, et plus j'ai la gorge qui se noue, et les bleus embués de larmes, alors que mon coeur lui, saigne silencieusement le martyre.
Julian. Je le tais mais, il est ma seule préoccupation depuis que je suis sans nouvelles de lui. Je le sais disparu, pourtant au fond de moi, je ne ressens pas cette implacable et irréversible douleur que seule la mort peut procurer. Du moins pas pour lui. Autant je la ressens, impitoyable, me broyer chaque jour qui passe, en ce qui concerne Loras ; autant quelque chose en moi, sait que mon jumeau est disparu, mais il n'est pas mort. Je le sais, je le sens toujours accroché à la vie. Quelque part.
Je sais pourquoi je ne veux, aujourd'hui, que personne ne m'enlève ma fille des bras. Parce qu'elle est mon sang, autant que celui de mon jumeau. Parce qu'en elle, coule et vit une part de Lui. Et que ce jour , il aurait du être là pour me mener à l'autel. Mais la vie est moche et cruelle, je l'ai appris à mes dépends.
Alors je m'immobilise sur le parvis, et je serre Anna-Gabriella tout contre mon coeur, cachant mes larmes dans les boucles blondes enfantines.
Et de nouveau, j'ai ces frissons glacés qui m'étreignent et mes bleus se fixent droit devant, là où je sais que Gabriel m'attend. Il est loin de savoir, le Polonais, combien les sentiments que je lui porte, vont bien au-delà de ce à quoi il peut s'attendre. J'ai aimé Roman à ma manière, je l'ai perdu. J'ai aimé Niallan, il m'a abandonné. J'ai aimé Loras et la mort me l'a arraché. Alors je suis devenue méfiante et je me joue de l'amour cette fois. Car si je dis à Gabriel combien je l'aime, si je le lui montre, lui aussi va m'être arraché d'une manière ou d'une autre. Et c'est terrible d'aimer de la sorte. C'est diaboliquement poignant. Mais depuis le tout début, il en est ainsi entre lui et moi. Depuis la première minute où je l'ai vu. Depuis cette nuit passée sous les étoiles en tout bien, tout honneur. Depuis que je n'avais rien trouvé de mieux que de m'assurer à le considérer comme mon presque-frère. Pensant idiotement, que cela me protègerait. Tout comme je me suis toujours imaginé que ma relation fusionnelle avec Julian n'avait strictement rien d'anormale entre jumeaux.
Mes bleus se ferment sous la vision de mon frère disparu, mon corps perdu, qui vient m'affoler l'esprit et me serrer la gorge, ma joue se pose contre celle de ma fille. Et je lui souffle doucement en italien.
"- A te posso dirlo. Mi manca. Mi manca talmente."
C'est la première fois depuis des lustres que j'avoues à quelqu'un, tant bien est-ce ma fille, combien je suis perdue sans mon jumeau, combien il me manque.
Je caresse la joue d'Anna et lui souries au travers de mes larmes. C'est avec elle que je pénètrerai dans l'église dans quelques instants pour rejoindre celui qui va devenir mon époux à tout jamais.
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[All of me] - Lindsey Stirling -
Au plus profond de la chair, tu trouveras un hurlement.
Quand tu lauras trouvé, écoute-le te parler.
Viendra alors le silence.
J'ai hurlé. Plusieurs fois les nuits qui ont précédées ce jour-ci. Mes cauchemars ont repris, malgré la présence de Gabriel auprès de moi. Je vois ma mère qui tente encore de me séparer d'Anna-Gabriella, sur ce navire au beau milieu de la tempête, la nuit où j'ai accouché, et je me réveille en hurlant. J'entends cette voix italienne, cinglante et froide qui m'assène que j'ai tué nos bébés. La voix de Roman, à laquelle viennent se joindre des lamentations enfantines de Raffaelle, que mon imaginaire voit comme une petite fille et son jumeau Andrea, vient de nouveau jouer avec le feu sous mes yeux. Corleone me hante toujours et encore et dans un sursaut, je hurle, les joues baignées de larmes.
Je revois les humiliations que m'ont fait subir Niallan et Neijin. Je l'entends encore m'annoncer le lendemain de notre union en Bretagne que la veille de mon arrivée et la veille de notre mariage il avait forniqué avec sa maîtresse. Je revois l'oubli de l'alliance. L'humiliation d'un mariage qui n'en est pas vraiment un. Sa fuite en avant et cette discussion qui résonne encore dans ma tête, lorsqu'il a pris le parti d'abandonner femme et enfant pour rejoindre sa maîtresse. Je me réveille et je hurle.
Le corps de Loras retrouvé sans vie alors qu'une ère nouvelle s'offrait à nous. Ces heures passées à le nettoyer. Ces nuits et ces jours passés à le veiller avant de me décider à le border et le mettre en terre. Ces promesses faites à un mort. L'empreinte de ses lèvres sur mes phalanges, ce fameux soir où je l'ai découvert à m'attendre devant le mas me brûle encore la peau et le premier qui s'aventurerait à un baise main sur ces phalanges ci se verrait signer son arrêt de mort. Je suis réveillée, mais je ne hurle pas. Mon corps est tétanisé par un froid glacial. Je sens sa présence. Il est là. Je sais que le Serbe est là. Tout près de moi.
Alors j'ai longuement regardé Gabriel, assis dans son fauteuil. Je me souviens que la veille de mon union avec Niallan, j'avais enterré ma vie de jeune fille, assise sur une plage, face à la mer, à pleurer sur l'absence et la disparition de mon jumeau.
Je ne veux pas que cela recommence et je propose à Gabriel d'aller visiter ces fameuses grottes qui m'ont tapé dans l'oeil.
Une visite nocturne pour enterrer notre célibat. Car demain...demain..c'est pour la vie. C'est pour l'éternité.
Et nous y voilà à demain. Demain c'est Aujourd'hui.
Je n'ai dormi que quelques heures, mais j'ai l'art et la manière pour que rien n'y paraisse. Je passe plus de temps à préparer Anna-Gabriella qu'à me préparer moi-même. Une robe aux étoffes rouges et aux garnitures d'or. C'était la surprise de la dernière heure. Blanche, ma témoin, y avait mis tout son coeur à la coudre. J'ai relevé mes boucles brunes en chignon. Mon futur époux sait que je suivrai la tradition. Mais j'ai du me résoudre à ôter la fibule Serbe de mes cheveux. Je l'ai glissé avec d'infinies précautions dans mon petit coffret de bois, celui qui recèle mes trésors les plus chers. Ce serait faire affront à Gabriel que de la porter désormais.
Et de nouveau, cette sensation glaciale qui m'étreint.
L'heure est arrivée. Et alors que je glisse Anna-Gabriella dans mes bras, toute de bleu marine vêtue, je m'en prends le chemin de ma destinée. Vers celui pour lequel je me consume d'amour un peu plus chaque jour qui passe. Vers mon futur époux. Vers Gabriel.
Je marche sur le chemin de la vie. Jy décèle volontiers un espoir de réconciliation entre ces deux mondes qui semblent dans mon premier regard, séloigner lun de lautre, dans un jet de dé.
Dans le sacré, il ny a pas de place pour le doute. Si deux êtres lient leurs destinées, ce nest pas pour « douter » que cela puisse « fonctionner ». Cest pour lier leurs destinées. Cest un acte sans retour qui est fort, qui a des conséquences, qui engage. Dans cet acte, on met tout son pouvoir, toute sa vie, toute sa volonté. Cest tout son Être que lon offre en partage ! Ou on ne le fait pas du tout !
Le cur a ceci quil ne nous appartient pas et cette lutte en nous pour louvrir, le garder ouvert à linfamie et face au désespoir résonne en nous, telle cette corne de brume face aux récifs.
Pourtant le bateau doit continuer. Il doit passer, séventrer ou passer. Il doit emporter avec lui ses passagers et son capitaine vers les récifs, les hauts fonds ou tenter datteindre avec sa cargaison précieuse le port qui les attends pour y vivre heureux.
Agir ne suffit pas devant linéluctable. Se résigner ? Partager le peu que lon a. Survivre ensemble plutôt que seul. Retrouver un lien dans la carcasse arraisonnée, pilonnée par un destin trop grand qui ne tient pas ses promesses de bonheur ; sur quelques planches avortées des vagues, accroché aux récifs comme à un phare, en attendant la nuit, laube, le jour daprès et la main tendue, le sauvetage.
La main nouvelle dans notre propre main pétrifiée de frayeur, de se donner encore.
Cest pour cela que je pleure. Puis-je laimer autant que j'ai déjà aimé ? Je sais au fond de moi ce qu'il en est. Tous les deux, nous sommes gourmands et tout aussi fous l'un de l'autre. Cependant, je peux lire dans nos gourmandises la grandeur du fleuve que l'on doit traverser pour vivre notre union.Nous sommes les deux rives dun même fleuve, certes. Et nous sommes animés du même vice : la gourmandise.
Moi, cest de la vie, de lEsprit, de la force qui croît et sépand en partages pour combler le néant. Lui, cest de la chair. De lextériorité dont il est pourvu pour pénétrer linconnu de la matière vierge et la féconder. Sans savoir pourquoi. Il aime posséder.
Le temps du trajet, je revis mon passé et je vois mon futur.
Je me suis laissée mordre en espérant que lAutre comprenne quil m'avait fait souffrir. J'ai pleuré. Mais lautre n'a pas compris. Il était plein de hargne et de mots douloureux à offrir. Je ne réagissais plus. J'ai laissé le poison m'envahir, et un jour, j'ai voulu mourir. Doucement, à lautomne ou en hiver, sans faire de bruit, sans personne pour me tenir la main ou les hanches. J'ai voulu disparaitre dans une volute bleutée où, imperceptiblement, lespace devient plus lourd.
Et un jour, au cur de la nuit, une main s'est tendu, sans éclat. Une main égarée, là. Une main précieuse dêtre juste sensible. Une main parfois maladroite et timide, mais surtout, la main Gabrielesque fut extravagante et brutale.
Comme une patte dours qui demande lapprivoisement après vous avoir enlevé.
Une main abîmée, elle aussi, pour avoir baigné, elle aussi, dans ce vinaigre bileux qui ne nourrit pas et qui nettoie des chairs du superflu et de lattachement, parfois même du nécessaire. Une main et un regard qui me voit dans mon corps dénudé de princesse. Beauté de nymphe, offerte à la relation. Pure.
Deux âmes qui se trouvent et se soutiennent. Sans chercher la complétude, elles acceptent leurs manques qui sont nombreux. Elles ne demandent rien. Elles sont heureuses de partager le peu quelles ont, le peu quelles sont. Ce que Gabriel a fait, il l'a fait pour me sauver de moi-même.
Et plus je me rapproche du parvis, et plus j'ai la gorge qui se noue, et les bleus embués de larmes, alors que mon coeur lui, saigne silencieusement le martyre.
Julian. Je le tais mais, il est ma seule préoccupation depuis que je suis sans nouvelles de lui. Je le sais disparu, pourtant au fond de moi, je ne ressens pas cette implacable et irréversible douleur que seule la mort peut procurer. Du moins pas pour lui. Autant je la ressens, impitoyable, me broyer chaque jour qui passe, en ce qui concerne Loras ; autant quelque chose en moi, sait que mon jumeau est disparu, mais il n'est pas mort. Je le sais, je le sens toujours accroché à la vie. Quelque part.
Je sais pourquoi je ne veux, aujourd'hui, que personne ne m'enlève ma fille des bras. Parce qu'elle est mon sang, autant que celui de mon jumeau. Parce qu'en elle, coule et vit une part de Lui. Et que ce jour , il aurait du être là pour me mener à l'autel. Mais la vie est moche et cruelle, je l'ai appris à mes dépends.
Alors je m'immobilise sur le parvis, et je serre Anna-Gabriella tout contre mon coeur, cachant mes larmes dans les boucles blondes enfantines.
Et de nouveau, j'ai ces frissons glacés qui m'étreignent et mes bleus se fixent droit devant, là où je sais que Gabriel m'attend. Il est loin de savoir, le Polonais, combien les sentiments que je lui porte, vont bien au-delà de ce à quoi il peut s'attendre. J'ai aimé Roman à ma manière, je l'ai perdu. J'ai aimé Niallan, il m'a abandonné. J'ai aimé Loras et la mort me l'a arraché. Alors je suis devenue méfiante et je me joue de l'amour cette fois. Car si je dis à Gabriel combien je l'aime, si je le lui montre, lui aussi va m'être arraché d'une manière ou d'une autre. Et c'est terrible d'aimer de la sorte. C'est diaboliquement poignant. Mais depuis le tout début, il en est ainsi entre lui et moi. Depuis la première minute où je l'ai vu. Depuis cette nuit passée sous les étoiles en tout bien, tout honneur. Depuis que je n'avais rien trouvé de mieux que de m'assurer à le considérer comme mon presque-frère. Pensant idiotement, que cela me protègerait. Tout comme je me suis toujours imaginé que ma relation fusionnelle avec Julian n'avait strictement rien d'anormale entre jumeaux.
Mes bleus se ferment sous la vision de mon frère disparu, mon corps perdu, qui vient m'affoler l'esprit et me serrer la gorge, ma joue se pose contre celle de ma fille. Et je lui souffle doucement en italien.
"- A te posso dirlo. Mi manca. Mi manca talmente."
C'est la première fois depuis des lustres que j'avoues à quelqu'un, tant bien est-ce ma fille, combien je suis perdue sans mon jumeau, combien il me manque.
Je caresse la joue d'Anna et lui souries au travers de mes larmes. C'est avec elle que je pénètrerai dans l'église dans quelques instants pour rejoindre celui qui va devenir mon époux à tout jamais.
A toi je peux le dire. Il me manque. Il me manque tant.
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