Gabriel.louis
Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon cur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon cur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
- A une Madone - C. Baudelaire.
Une tablette montée sur tréteaux, plume, encre, parchemin. Je fixais dun regard vide les étranges stries que dessinait sur la toile de la tente, le soleil du soir sévertuant à filtrer par les tentures. Je détestais lodeur qui se dégageait ici. Elle me rappelait les jours de chasse, jusquau son des os qui se brisent, me flanquant un frisson à la mémoire de la douleur lancinante. Je me frottais le visage, tentant de me reconcentrer, dans lespoir de parvenir à trouver les mots justes que jaurais pu lui adresser.
Jétais parti si vite, si brutalement. Si seulement javais pu la voir. Si seulement javais pu la convaincre. Depuis, je navais de cesse de recevoir une lettre de sa main, même pas grand-chose, juste une ligne, juste quelques mots, juste un « Je comprends », un « Je ne ten veux pas », ou un « Nous allons bien. ». Depuis ces routes avec elles, depuis ces événements, le monde entier avait encore moins dimportance à mes yeux. Quiconque aurait bien pu me maudire, me haïr, cela navait aucun intérêt. Mais lorsquil sagissait delles, cétait différent. Quand il sagit de ses proches, de sa famille, nest-il pas naturel dêtre présent ?
Mais comment être présent pour lun sans délaisser lautre ? Etablir des priorités sur des faits concrets, sur quelque chose de tangible, cela métait apparu la meilleure solution, mais le sentiment de culpabilité nen était pas moindre pour autant. Et de ces doutes, de ces angoisses qui rongent. Je ne me suis jamais souvent angoissé pour les autres, agacé tout au plus, mais ces angoisses-là métaient chaque fois désagréables comme elles me tordaient les tripes.
Ma raison, elle, pourtant, me disait que je nétais coupable de rien, mais rien à faire. Cétait comme une sorte de pressentiment, ou peut-être la connaissais-je trop bien. Il faut dire quelle men avait fait plus dune, et ne pas lavoir sous les yeux dans des moments pénibles, cétait prendre tous les risques. Il me venait parfois à lesprit de tout plaquer, de déserter mission, famille et projets. Au final, pour quel accueil ? Et tant bien même, pour changer quoi, quand cest tout un environnement qui est néfaste ? En tout cas, je savais que le rôle dun frère était de protéger ses surs. Il fallait que je trouve un moyen.
Par où commencer ? Tâter le terrain, en saisir la température, ou se confondre en excuses ? Dans un soupir, jy renonçais. Ceut été me présenter faible, et si elle mavait cru faible, elle maurait pensé incapable de la soutenir. Pardieu, quel sentiment épouvantable, quel cadre merdique ; javais limpression quils me débilitaient comme ils ne me permettaient pas davoir lesprit lucide. Javais égaré mon pragmatisme, et je me noyais sous les interrogations à linstar de la goutte dencre qui venait de séchouer au vélin. Même le vin que je me portais aux lèvres, qui était censé me détendre, était chaud, comme se liguant au complot environnemental contre moi.
Au coin du sourcil, jécrasai dun revers de pouce la perle de sueur qui venait de rouler à mon front, et pris un nouveau parchemin, débutant, sans conviction, puis laissant plume et pensées filer pour faire le reste.
Mia Sorella,
A ton silence, jimagine aisément que tu nas su outrepasser ta colère à mon égard. Soit. Cela finira bien par te passer. En attendant, cela ne mempêche en rien de penser à vous deux, et de minquiéter. Jaurais aimé quAnna Gabriella et toi, soyez venues avec nous. Je naime vraiment pas vous savoir loin de moi, surtout au vu de létat dans lequel tu étais lorsque je suis parti.
Tu me diras que tu as tes amis, ne serait-ce que ce fameux Diego. Malheureusement, cela ne me rassure pas pour autant. Je ne suis pas certain quil saurait y faire, ou même, se donnerait la peine dagir si tu venais à faire lune des fameuses sottises dont je te sais capable. Puisses-tu me donner de vos nouvelles, ne serait-ce que pour atténuer mes craintes. Dis-moi aussi, ce quil en est de Loras, sil a fini par te revenir, ou tout au moins à te fournir des explications. Jespère, dailleurs, que tu as cessé de passer tes nuits à courir chemins et forêt à sa recherche. A force, tu ne peux que tomber malade.
Maintenant que jen sais plus, je peux te fournir quelques explications. Javais tout dabord reçu un courrier du Duc de Bourgogne qui voulait mentretenir daffaires familiales importantes. Puis deux autres lettres me sont parvenues. La première, dune Bourguignonne que je connais et qui minformait que mon Oncle était au plus mal, tant physiquement que moralement ; la seconde, dune inconnue qui était à son chevet, et ma informé quil était mourant.
Jai vu mon Oncle depuis, et sil est effectivement malade, ses jours ne sont pas en danger ainsi quon me lavait annoncé. Je pense que le moral aura une fois de plus pris le pas sur sa raison, et cette fois, sur sa santé également. Du reste, jai appris une information importante concernant mes parents. Je touche du doigt lespoir de pouvoir retrouver un jour la demeure dans laquelle je vivais, enfant, mais aussi et surtout, lendroit où repose la dépouille de ma mère.
Pour lheure, je suis astreint à des affaires sécuritaires de prime importance. Je tavoue que je men passerais bien, mais je suis coincé. Il faut croire que jai lart de toujours me trouver là où il ne faut pas, quand il ne faut pas.
Embrasse le plus parfait de tous les bébés qui soit de la part de son parrain, veux-tu ? Dis-lui bien que si elle est sage, je lui ferai confectionner la plus jolie poupée de chiffon quon puisse imaginer.
Vous me manquez, et je sais que moi aussi je vous manque, ne le nie pas. Alors cesse de bouder, fichu caractère, et réponds-moi.
Gabriel.
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En cours de reconstruction.