De retour à son cabinet après un contrat quelque peu hasardeux, le Barbier Fou porte encore sur elle les vestiges de ce prisonnier qu'il lui a fallu maintenir en vie. Il était étonnant de voir combien le corps humain pouvait encaisser de maux, pour palier à une langue bien pendue. Lasse, usée par ces heures de soins, Vivia n'aspire qu'à essuyer sa gueule tâchée de carmin, s'enliser dans un bain chaud et rempli de sel, de fumer une bonne pipe et trouver la fraîcheur de sa couche. En somme, un repos en tout point mérité et tout à fait, basique. Néanmoins, c'était sans compter sur cette carcasse rousse voûtée et ce môme qui lui sert de tuteur, qui s'avancent d'un pas lourd et chaotique jusqu'à son cabinet. Sans surprise, l'arête du nez est pincée et un soupire est abandonné.
Un roux..C'est une blague...Devait-elle parler de cette méfiance qu'elle vouait à ces durnambules et à ses êtres sans âmes. Si Mérance avait été la seule exception à cette répugnance, il n'en restait pas moins qu'une exception ne se savoure justement que par son unicité. Enfin, roux, lépreux, raclures..Il y avait de tout à la Cour et elle avait juré de rester neutre et de soigner tous ces êtres qui se donnaient la peine d'arriver jusqu'au seuil de son office.
Aussitôt, le pas se presse et la Fêlée vient soulager les épaules du gamin pour apporter son soutien. Pas le temps de regagner le premier étage pour la salle de consultation, il fallait agir rapidement et utiliser cette salle qui avait été aménagée pour ces cas-ci. Première à gauche après le seuil, tu vas m'aider à l'allonger sur la table de verre, je vais m'occuper du reste. Froide et impassible, les ordres sont donnés alors qu'elle enroule, à son tour, la taille du roux avant de plaquer le plat de sa main sur cette plaie aux côtes. D'un coup d'oeil rapide, elle le dévisage. Le teint est pâle enfin, plus que ne peut l'être le teint d'un roux en bonne santé, le souffle est rapide, saccadé et le regard semble faiblir. Il va falloir agir vite pour le caler sur cette table avant qu'il ne tourne de l'oeil et ne rende la tâche plus ardue. On se dépêche, avant qu'il ne devienne un poids mort, gamin..
Le pas se fait plus rapide encore et d'un geste assuré bien que douloureux, le corps du roux est allongé sur cette large table de bois recouverte d'un épais bloc de verre. Inutile de rappeler les avantages d'une telle matière lorsque l'on travail avec du sang et des organes qui tendent à s'imprimer dans les veines du bois. D'un geste précis, elle s'empare de l'éponge imbibée d'huiles et de produits soporifique, l'imbibe d'eau chaude pour en éveiller les effets et la lance au gamin.Garde une main sur sa plaie et appuie et plaque ça sur son nez rapidement pour qu'il puisse s'endormir et ne plus souffrir inutilement Puis, alors qu'elle s'empresse d'attacher sa tignasse en chignon et qu'elle nettoie ses mains, phalanges et avants bras d'une solution désinfectantes à bases de diverses huiles essentielles et plantes naturellement nettoyantes et moussantes, elle s'adresse enfin au Roux. Respire lentement mais franchement, cela va te soulager. Ne t'en fait pas, même si tu es roux, je n'ai pas pour habitude de perdre mes patients... Assurément, avoir un médecin à la gueule encore tâchée de carmin, qui semble vouer une haine capillaire et qui, de surplus se fait appeler le Barbier Fou, ce n'est pas le genre de chose qui met en confiance. Mais qu'importe, en dehors de cette réputation froide et fêlée, le Barbier s'était toujours donné les moyens de réussir et de dissimuler ses erreurs ou pertes, pour s'assurer un résultat, sans faute.
Ainsi donc, sans d'autre choix, elle laisse le gamin se faire assistant alors qu'elle revêt son tablier et débarbouille son visage avec un linge propre. Il était temps de se remonter les manches et d'enfoncer la pulpe de ses doigts dans cette vie carmine, douce et chaude. Couteau en main, elle découpe sèchement la chemise du patient pour mettre à nu ce torse et cette plaie. Un coup aux côtes n'engageait rien de bon, car sous cet amas d'os, sous cette couche protectrice se nichait ses deux pompes à air qui pouvait, si elles étaient percées, se gorger de sang et causer finalement la perte du patient. Les sourcils se froncent donc et la plaie est observée durant quelques secondes. Inspiration, expiration. Elle zieute avec minutie ce sang qui s'échappe afin de déceler la moindre petite bulle d'air qui, finalement, contraindrait le patient à crever dans les heures à venir. Un de plus à enterrer en somme. Pourtant et fort heureusement, aucune bulle n'est aperçue, la fine couche qui protège le poumon n'avait donc pas été perforée et le poumon, intacte, semblait réaliser son office à merveille. Tant mieux. Merci gamin, tu peux me laisser..Je m'occupe du reste. S'il ne t'a pas payé pour le service, tu verras ça à son réveil..Je n'avance aucun frais.
Désormais, les lippes de Vivia ne s'ouvrent que pour discuter avec le Barbier qui occupe ses tempes. Discussion professionnelle bien que déroutante, où les connaissances de la Sicilienne se mêlent à celle d'une entité troublée. Ce Roux n'est plus un homme, un patient, mais un amas de chair, une machine, un mécanisme, une bloc de viande qui ne répond qu'à une certaine logique physique et scientifique. Ainsi donc, il lui faut avant tout vérifier si un organe a été touché, le suturer et finalement refermer le capot sans laisser de cicatrice disgracieuse. Chance de cocul ou du Malin, il n'en reste pas moins que le coup n'a rien touché de conséquent. Pourtant, le travail est long car précis et minutieux et il lui faudra d'ailleurs imbiber de nouveau cette éponge pour s'assurer que le Roux ne s'éveille pas en cours de soins. Doucement donc, les phalanges se font efficaces et les sutures rapprochées et méticuleuses. Au bout de deux heures, le travail est achevé, les sutures réalisées et un pansement apposé sur cette plaie.
La machine s'humanise enfin et elle peut désormais apporter un intérêt autre, à ce dernier. Le corps est recouvert d'une étoffe épaisse pour le réchauffer, le visage nettoyé et rafraîchit à l'aide de tissus plongés dans une eau fraîche et enfin, la Sicilienne souffle un bon coup. Les mains se plaquent contre ses reins, l'échine se tord vers l'arrière comme pour chercher à soulager ce mal qui lui étreint le bas du dos avant d'être lavées et enfin, la pipe est saisie, fourrée, allumée et savourée...- Il a eu du cul celui-là...- Oh, avec les roux rien de surprenant, ils sont protégés par le Malin parait-il.
- Dis-moi, Eng' ne t'avait pas dit qu'il s'était fait violer par deux roux ? - Ouep.
- Et si c'est l'un d'eux..Car disons le franchement, les roux ça ne court pas la Cour. - Mont gère ses rencontres..Moi, mes patients.
Bouffée après bouffée, les muscles encore tendus de la Sicilienne s'apaisent, la douleur de son échine s'amoindrit et la voix, entêtante du Barbier s'efface pour soulager ses tempes quelques temps. Le tablier est retiré et alors qu'il comate encore un peu, elle s'octroie une pause en rafraîchissant à son tour, ses traits et sa peau. A défaut d'un bain, elle allait faire sa toilette avec des linges et des huiles essentielles pour s'assurer de pouvoir agir rapidement si jamais il venait à s'éveiller...Derrière le paravent, la tête dépasse donc pour le surveiller, tandis que le corps nu est nettoyé avec soin. Au cas où, la robe est à portée de mains..Sait-on jamais, il ne faudrait pas non plus se précipiter cul-nu pour son réveil..._________________