Tigist
« Au crépuscule de l'apocaplyspe
Je veux que ta peau brûle contre mes lips
Qu'on se tienne la main sous le porche
Et bute les zombies qui approchent
Je ferais du mieux pour être l'ersatz
Qu'effacerait de tes yeux ces remords
Avec toi une dernière valse
Au milieu des arbres morts. »
Dooz Kawa Au crépuscule d'apocalypse.
Je veux que ta peau brûle contre mes lips
Qu'on se tienne la main sous le porche
Et bute les zombies qui approchent
Je ferais du mieux pour être l'ersatz
Qu'effacerait de tes yeux ces remords
Avec toi une dernière valse
Au milieu des arbres morts. »
Dooz Kawa Au crépuscule d'apocalypse.
La serrure s'agace sous la pression de la clé, et la porte s'ouvre enfin.
« Eik ? Eikorc ?, un juron dans sa langue alors qu'elle avance, prudente, l'arbalète en avant. Eikorc ? T'es où, putain.. »
Penché sur un établi, toute son attention portée sur les mécanismes qu'il essaie de manier lui même après avoir tué le dernier ouvrier à l'avoir aidé à monter sa nouvelle arme, il n'entend même pas la clenche de la porte s'ouvrir. C'est uniquement lorsqu'il entend des jurons étouffés qu'il reconnaît son nom. Nom qu'il n'a pas entendu depuis ce qu'il lui paraît des siècles.
Alors que dire de la voix. Le colosse se redresse en réprimant une grimace, le dos ankylosé... Et c'est donc légèrement voûté qu'il émerge de la cave en traînant des pieds. Histoire de se faire bien entendre, la plupart du temps ça fait déguerpir les chasseurs d'or qui réussissent à s'introduire chez lui.
Et là, c'est le drame, elle cherchait à droite et à gauche, non sans avoir refermé la porte et c'est celle de la cave qui s'ouvre. Le carreau est parti à son insu s'enfoncer dans la porte. Tu parles d'une tueuse. Il n'a entendu que le bruit d'une arbalète qui se déclenche, suivi de très peu par celui du trait qui se fiche dans le bois. Pour une fois, Eikorc sourit, se félicitant d'être plus aussi vif que dans sa prime jeunesse, sinon c'eut été lui et non la porte qui aurait pris.
« Putain.. »
L'éthiopienne le dévisage, hésitante sur la conduite à tenir, sur celui qui se tient devant elle, aux antipodes de celui qu'elle a connu, mais cette face couturée, cet air de brute implacable. C'est Lui, non ? Même vieux, même .. Comme ça. Et pendant que du regard, l'homme recherche la provenance de l'attaque, l'arbalète tombe au sol, et elle rejoint l'ombre du Colosse pour s'arrimer à lui.
Dans la pénombre il se surprend à ne pas distinguer la clarté du visage, pour mieux se rappeler de la peau sombre. Et il vient poser un bras anciennement si puissant autour de sa taille, avant de souffler à l'oreille de sa disciple à la peau sombre.
« Qui t'a appris à tirer pour que tu rates une aussi grosse cible ?
- C'est pas de ma faute, y avait un blaireau. »
La première remarque qui lui vienne est si stupide qu'elle pourrait en rire. Un blaireau empaillé, sa première cible, ses premières leçons. Pour le résultat qu'on connaît. D'ordinaire, elle ne loupe pas sa cible, mais là, c'est la stupeur.
Il n'est pas mort, Colosse. Il n'est pourtant pas aussi colossal qu'il l'a été. Eikorc, qu'as-tu fait ? Rien, vieillir, laisser le temps agir encore un peu..
« Pourquoi on dirait un mausolée ici ? T'as décidé de crever seul ?
- T'as vieilli. »
Si si, il a osé.
Autant par contradiction avec ce qu'elle dit que parce qu'il vient de laisse traîner une main dans le creux de ses reins et qu'elle ne lui paraît plus aussi fine qu'avant.... Que quand ? Tellement longtemps qu'il ne l'a pas vu... Il est même surpris qu'elle soit venu le chercher. Comme à l'époque où il avait choppé la mort pour la première fois. Et à cette pique, elle réplique placide, le défiant de la contredire.
« J'ai mûri. »
Et pour cause, comme une pomme grandie au soleil du Limousin, l'éthiopienne a mûri, s'est arrondie par trois fois, a perdu un de ses fruits. Et tout ça, le Colosse ne l'a pas vu, caché dans sa tanière.
« J'aurais dû crever depuis des années, apparemment j'ai gaspillé tous mes bons de sorties à toujours vouloir revenir... Alors j'attends. Et je prépare des armes pour ceux qui pourront s'en servir. »
Et pour preuve, il lève son autre main, plus abîmée, pour effleurer le menton de ses doigts presque squelettiques et insensibles.
« Il y en a une ou deux qui pourraient servir à un petit singe comme toi.
- Alors c'est ça ? T'attends ? Juste tu attendais de crever. Pendant tout ce temps ?, elle n'est pas vraiment interrogative. Il y a de la déception dans l'ambre. Tout ce temps à rester terré pour quoi ? Attendre la Mort. Et moi ? »
Moi, j'étais seule. J'avais peur, et tu avais promis.
« Toi ? Toi tu n'as pas eu besoin de moi. Regarde ce que tu es. C'était mieux ainsi. Cachée sous mon bras t'aurais pas mûri. »
Un sourire, amusé.
Non, cachée sous son bras il aurait juste abusé d'elle, se serait servi de sa petite taille pour inventer de nouvelles techniques de guerre... Mais elle ne serait pas devenue elle.
« J'attends pas la mort. Je sais qu'elle ne viendra plus. Je regarde le temps qui passe, j'expérimente. Je ne peux plus me battre, j'ai du mal à écrire. Mais je sais encore compter. Et j'ai assez d'argent pour employer des gens et créer mes armes. Pas assez longtemps pour qu'ils la voient entière par contre..., L'étincelle brille légèrement d'un éclat métallique au gré d'une torche allumée dans une autre pièce. Que fais-tu là ? »
Elle pourrait s'arracher à l'étreinte. Elle le sait, pour la simple et bonne raison qu'il lui a appris à chasser et repérer les faiblesses des autres. Mais alors qu'elle voudrait lui hurler dessus tout ce qu'elle n'a pu lui dire toutes ces années, il n'y a rien qui vient.
Rien si ce n'est.
« Je n'avais nulle part où aller. Je vais mourir. Je cherche juste la manière la plus appropriée pour en tuer encore plus. »
Tu vois Eikorc, derrière la Raison et la Patience que la maternité et l'âge ont apporté à l'éthiopienne, il y a toujours ce petit feu qui brûle tapi dans l'ombre.
Un sourire plus franc vient déchirer son visage parsemé de coutures. Il se plie un peu plus pour rapprocher son visage du sien.
« Ce manoir a résisté à plus d'un assaut. Et tu ne m'as pas oublié, j'ai toujours su tuer avec classe. Tu espérais que je t'arme ou me trouver mort pour te servir toi même ? »
La voix se fait plus tendue, l'idée de tuer encore plus de gens lui donne envie... Lui qui n'a jamais réussi à se rassasier, même s'il s'est contenu de faire des meurtres de masse depuis des années. Et la lueur qui brille au fond de ses yeux doit sans doute plus lui rappeler El Diablo que sa carcasse beaucoup trop sèche.
« Tu n'es pas mort. »
Pas encore du moins. Mais là, Eikorc de Nerra n'est pas mort dans ce regard qui s'illumine de l'envie de tuer.
C'est cela qui les a rapprochés. La Folie et le sang. Lui qui était fou à tuer, elle qui était folle à survivre. Et le Nerra avait perçu la folie et la peur, avait canalisé l'une et l'autre pour en faire une créature surprenante aussi implacable que le maître, mais plus imprévisible encore.
La main est attrapée dans la sienne, et elle l'entraîne ou plutôt se l'imagine vers le salon où il y a ce grand fauteuil.
« Viens, je dois te raconter. »
L'ancien molosse s'est laissé guider plus que traîner. Oui les années lui ont ôté des dizaines de livres, mais pas assez pour se faire remuer comme un enfant par une femme qui fait la moitié de sa taille. Pourtant il sent dans la petite menotte une poigne qu'il n'avait pas senti avant. Elle est plus forte. Pas encore assez pour rivaliser avec lui, même dans cet état... Mais il sait qu'avec sa vitesse et son agilité, elle pourrait tuer n'importe qui. Il l'avait guidé pour ça. Même si elle est mieux réussi que tout ce qu'il avait imaginé...
Mais sans un mot, sans rechigner, il se laisse tomber dans un fauteuil au cuir poussiéreux pendant qu'elle attise les flammes. L'éthiopienne le considère un temps avant d'aller s'asseoir sur l'accoudoir, pieds battant vaguement la mesure sur les cuisses plus si épaisses et solides. Le foyer reprend vie et elle peut voir son visage fatigué, ses balafres plus marquées, tandis que lui observe ses lèvres avec attention. Pour traduire en lisant ce qu'il n'entend pas.
Avec toutes les explosions qu'il a créé, l'ouïe aussi en a pris un coup, et il ne veut rien rater de son histoire. Même si une partie de lui se moque des détails, il veut savoir POURQUOI cette envie de tuer, qui vient fait brûler ses entrailles comme à l'époque où il se jetait dans la bataille après une bonne nuit de luxure.
Elle raconte. Tout. Les grossesses, l'angoisse, la perte de sa fille, le sang, la nouvelle grossesse, de nouveau l'angoisse, et l'Armagnac, Martin et la possibilité d'une rédemption, la haine des Piques, la fureur des Corleone, le retour du Père dans sa vie, son frère assassiné, et les retrouvailles avec Gabriele, Martin en filigrane.
Devant ce feu, durant de longues minutes, Tigist raconte. Pas de la voix de conteuse qu'elle prenait pour Gabriele ou leurs enfants. Non, la voix est monocorde. Cette histoire ne la concerne déjà plus. Ses enfants sont loin, Gabriele est loin, Martin est loin.
Tigist est vide de vie, pleine de mort.
« Alors, je vais mourir. Et j'ai besoin que tu me rendes un service.
- Lequel ? »
Ce n'est pas qu'il se fout qu'elle meurt. Mais les services ont toujours coûté cher, et il sait que ses bras ne pourront plus lever sa hache bien longtemps dans un combat.
Dame en F3
[Post écrit à 4 mains avec le merveilleux JD Eikorc, aka Corky mon mari.]
_________________