En correspondance. D'une personne à une autre. D'un lieu à un autre.
Caillou se sent plus bavard qu'il ne l'a jamais été. S'éloigner des gens les rapprochent-ils ?
Par endroits, le papier est roussi, légèrement brûlé.
Citation:Gy,
Merci pour la pipe, et le sachet qui va avec. Comme tu vois, je m'en sers au moment même où je t'écris. Ce qui, pour être honnête, est juste une façon de dire que je l'ai oublié allumée sur ma pile de courrier à écrire. Si un jour je meurs, ce sera dans un incendie. Un magnifique brasier de chanvre et d'opium, qui rendra les gens heureux.
Tu t'illusionnes avec Elise. Ça passera pas. Je l'aime bien, la gamine (lui dis pas, ça ferait que la vexer), mais je crains que son obsession ne tourne mal. Tu sais bien toi-même qu'il y a des fêlures qu'on ne peut réparer. Tout juste les camoufler sous une jolie couche de vernis. Si c'était un chien fou, on aurait parlé de l'abattre. Que fait-on des chats sauvages ?
Si tu vas retrouver ton roux, c'est pas moi qui te tuerais. J'en aurais pas besoin. Ta nièce t'aura avant moi.
L'escorte du cureton pâlichon s'est bien passé, je n'ai même pas eu besoin de le soulever à bout de bras pour le jeter sur des brigands avant de m'enfuir. Quel dommage, hein ? Toujours est-il qu'il a payé, et grassement. Pour deux jours, j'en ai presque eu des remords (je dois m'attendrir, c'est pas bon. On va dire que c'est ta faute, il faut bien trouver une coupable).
Pour Isaure, c'est autre chose... Figure-toi que cette gourdasse a trouvé le moyen de se faire brigander quand je lui ai faussé compagnie pour accompagner le prêtre. La merde. J'ai essayé de l'embobiner avec une histoire de destin divin, mais je sens qu'elle va tellement m'en rebattre les oreilles que je serais muet ET sourd la prochaine fois qu'on se verra.
Si chaque donzelle est aussi chiante que vous deux à protéger, je ferais aussi bien de retrouver les bonnes vieilles habitudes et de passer les gens au fer plutôt que les maintenir en vie. Ça me ferait moins de soucis.
Pierre
P.S. : T'as raison, ta pipe est mieux. Elle est à moi maintenant.
P.P.S. : Oseille te passe le miaou. Très fort et très souvent. Tu lui manques.
Citation:Catalyna,
Au moins nos échanges vous permettent-ils d'étendre vos connaissances de la langue françoyse. C'est toujours ça de pris. Ça n'est certes pas en rase campagne que vous trouverez à qui parler. Les routes sont-elles aussi dénudées d'où vous venez ? Il m'est arrivé de parcourir des lieues sans croiser personne d'autre qu'un bouseux esseulé, et encore. De toute manière, la cambrousse ne vaut rien. Rien ne vaut Paris.
Dois-je me méfier de vous ? C'est une question stupide à vous poser, je vous l'accorde, bien que je ne puisse m'en empêcher. J'imagine que 'non' est la seule réponse que je souhaite lire, même si je ne la croirais pas. Vous ne semblez pas faire grand cas de l'amitié des autres, et de vous-même. Moi non plus, fut un temps. Je me laisse difficilement aller à la confiance et je suis si lent à l'attachement que j'ai longtemps cru posséder quelque carence en la matière. On m'a fait découvrir qu'il y avait des exceptions, rare, et précieuses.
Ne soyons pas amis, et voyons où cela nous mène ? Peut-être alors vous expliquerais-je ce que je fais de ma langue.
J'escorte. Ne craignez rien pour le trésor de notre pâlichon cureton... Tant que ma solde fait partie de ce fameux magot, je ferais ce que je dois faire pour ne laisser personne y poser ne serait-ce qu'un il.
Pierre
P.S. : Pour l'écriture, on va dire que c'est la force de l'habitude.
P.P.S. : Et cessez de vous excuser, c'est fatigant.
L'écriture est plus tremblante, à la lumière d'une lanterne, on y voit moins bien.Citation:Pierre,
Je vous en prie, appelez-moi Cat', comme tout le monde le fait, ennemis ou amis. La russe, sinon. Je me reconnaîtrais. Mais ce prénom commence à m'insupporter, je ne sais pas vraiment pourquoi.
De là où je viens, certainement que les routes sont peu peuplées, du moins pour l'hiver. Chez nous, il fait si froid qu'il ne vaut mieux pas s'aventurer dehors. Nous y sommes habitués, certes. Beaucoup meurent en cette saison, c'est triste à dire. Je n'ai pas beaucoup voyagé. Là-bas, nous étions chez nous, au chaud, et gamine nous ne sortions peu. J'accompagnais mon père dans ses visites pour son commerce, il fallait bien apprendre les ficelles du métier, mais jamais bien loin de notre habitat. Je me plais si bien ici, que je commence à oublier ma vie d'avant. C'est sans aucun doute pas plus mal.
Si vous devez vous méfier de moi.C'est une question étrange, en effet. Je serai quelqu'un d'honnête, comme j'aime l'être quelques fois, et je vais vous dire ce qu'on dit de moi, et ce que je pense de moi. On dit de moi (mes amis) que je suis difficile, méchante et tordue. Aussi, on dit de moi que je suis loyale, rancunière, fidèle et attachante. Selon moi (et je pense être objective), je ne suis pas quelqu'un de bien. Je suis loyale, fidèle et honnête, ce sont mes devises pour mon entourage et les gens que j'apprécie.
J'essaie de détailler comment je suis, et vous pourrez juger de votre méfiance. Je suis une mercenaire, sans nul doute. Si j'ai traîné avec les Corleone, ce n'est pas un hasard. J'aime le combat et l'argent facile. J'ai été entraînée pour, autant s'en servir. J'aime manipuler les gens, ceux que je n'apprécie pas, ceux qui m'ont déçue, ceux qui m'ont blessée. Je ne suis pas si coriace que ça, et le fait de ne pas me lier d'amitié ou quoi que ce soit d'autre m'agace. Je suis colérique et sans doute chiante. Je ne comprends pas souvent l'humour, et je n'aime pas les jeux que font les gens ivres. Je déteste les pommes. Je reste convaincue, qu'au fond de moi s'y trouve un peu de lumière. Oh, et je ne comprends que rarement les allusions de chaire (je ne sais pas si c'est compréhensible), je n'ai pas été éduquée de ce côté-là, ce qui me rend sans doute difficile.
Si je suis digne de confiance pour ce qui est de vous, je pense que ce n'est pas trop risqué. Vous ne me connaissez pas, et de toute façon, je n'ai personne à qui parler. Ceux qui me font confiance n'ont jamais été déçus. Aussi rares soient-ils.
Et vous? Comment êtes-vous? Dois-je me méfier? Ce que je viens de vous dire et quelque chose de personnel, et pourtant, l'envie me prend de coucher ces mots sur le papier. Sans doute parce que je suis un peu folle et qu'il n'y a rien de tel que le goût du risque.
Vous voyez, votre lettre m'a encore appris des mots. C'est une plaisir de vous lire. Je saurai mieux parler. Si je sais écrire, c'est que je me fais aider pour certains mots. Mais ma fierté me rappelle que cette lettre ne doit être lue par personne d'autre.
Je vous prie de m'excuser. Bon je rigole, j'essaie de faire preuve d'humour de temps en temps, ne me rappelez pas mon échec cuisant, je me montrerai susceptible.
Je vous écris sous les étoiles, guettant les proies.
Catalyna.
Citation:Cat, donc (cela m'économisera de l'encre),
J'ai du mal à imaginer une enfance telle que la vôtre. Ça va paraître con, mais quand j'essaie, je vous vois, vous et votre famille, blottis en hiver comme des souris dans leur nid en attendant le redoux. Je suis sans doute trop habitué au dédale gigantesque des rues glauques et surpeuplées dans lesquelles il m'a toujours semblé évoluer. Le silence me paraît assourdissant, les campagnes vides d'un ennui mortel.
Vous êtes honnête, mais aimez manipuler les gens. Loyale et tordue. Attachante, mais vous avez du mal à vous lier d'amitié. Vous avez l'air de choisir soigneusement qui peut se fier à vous, et ceux qui n'en ont pas le privilège ne sont pas avertis. Soit. La confiance est quelque chose à gagner pas après pas, qui se mérite, et non pas acquis au tout venant.
Je vais donc jouer le jeu. Essayer. Je n'ai jamais eu pour habitude de m'épancher. Je ne suis même pas sûr de savoir comment on fait. Pour ce qui est de se méfier de moi, tout dépend des circonstances, j'imagine. De mes intérêts, de vos intérêts. Je ne fais rien, ou presque, si je n'ai pas à y gagner. J'ai appris tôt qu'il valait mieux être celui qui a l'argent que celui qui se met à genoux pour le quémander. Qu'il fallait être celui qui tient le couteau plutôt que celui qui l'a sous la gorge quand les ressources viennent à manquer. Je n'ai que peu de loyautés, mais celles que j'ai sont à jamais acquises, et même l'appât du gain ne saurait les défaire. En comparant vos mots aux miens, j'y vois un écho. Nous semblons nous ressembler sur ces points.
Je n'ai pas eu d'enfance. Je suis apparu comme ça, d'un claquement de doigts, déjà grand, beau, fort et intelligent (et modeste, cela va de soi). On me croit calme parce que je ne parle pas, et je me sens constamment en colère sans jamais savoir pourquoi. Je suis fier, et impatient. J'aimerais noyer ceux qui se disent désolés lorsqu'ils apprennent que je suis muet. J'aime les jeux d'alcool, surtout celui de faire boire ceux qui ne veulent pas boire, parce que leur faiblesse alors est intéressante à contempler.
« Je vous écris sous les étoiles, guettant les proies. »
Il me semblait bien vous avoir vue à luvre, mais de loin je n'étais pas sûr de vous avoir reconnue. Maintenant, je sais. Vos inquiétudes concernant le trésor du prêtre m'apparaissent sous un jour nouveau. Je suis heureux de ne pas avoir dû vous jeter le bonhomme dessus pour m'enfuir avec l'argent, comme quelqu'un de cher me l'a conseillé en cas de grabuge. Il ne vous aurait pas fait trop de mal en vous tombant dessus de toute façon, trop maigrichon.
Dites-moi que ce n'est pas vous qui avez brigandé l'employeuse à qui j'ai fait faux bond pour accompagner le cureton. En ce cas, je vous hais, parce qu'elle me pourrit la vie en représailles (à moins que ce ne soit que l'expression de son caractère naturel...).
Pierre
P.S. : encore une excuse et je vous frappe. Je ne plaisante pas. Bon, vous êtes un peu loin pour ça. Je collerai un piège à mulots dans mon prochain courrier.
Citation:On m'a appris vos déconvenues en chemin. Je suis embarrassé de vous avoir fait faux-bond juste quand vous aviez besoin de mes services. C'est vraiment con peut-être la volonté divine : grâce à votre sacrifice, un homme d'église a passé les tourmentes du voyage sans encombres. D'ici à écrire que le Très-Haut fait du favoritisme...Vous serez peut-être soulagée d'apprendre donc que votre ami le curé pâlichon est bien arrivé jusqu'à Niort où j'avais convenu de le mener, et je vous suis maintenant tout dévoué. Où dois-je vous retrouver ?
Pierre le muet
Citation:A vous, Pierre.
J'ignore comment la nouvelle a pu vous parvenir. Nous souhaitions rester discret sur notre mésaventure. Vous êtes cependant le plus pitoyable garde du corps que la terre ait porté ! Nous partons ce soir pour Périgueux où ma jeune cousine se trouve. Dès que nous l'aurons retrouvée, et convaincue de nous suivre, nous prendrons la direction de la Provence, où doit se trouver le cortège royal.
Tâchez de me rejoindre au plus vite.
Isaure Beaumont-Wagner
PS: Vous avez beau être muet, il me semble entendre une voix que j'imagine vôtre, et pleine de sarcasme.
Citation:Isaure,
J'ai eu vent de vos mésaventures par une tavernière à La Rochelle, dont le nom m'échappe. Calisson, quelque chose comme ça. J'ignore comment elle a su pour cette affaire, sinon qu'elle semblait vous connaître.
Me faire courir à travers tout le Royaume est-il une punition pour vous avoir faussé compagnie ? Je marche dans vos pas, donc...
Pierre
P.S. : Sarcastique ! Que nenni !
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Avatar : AaronGriffinArt