Alphonse_tabouret


I Know
I know, you love the song but not the singer,
I know, you've got me wrapped around your finger,
I know, you want the sin without the sinner,
I know, I know
I know, the past will catch you up as you run faster,
I know, the last in line is always called a bastard,
I know, the past will catch you up as you run faster,
I know, I know
I know , Placebo
Tu m’écoutes ?
Lentement, le regard noir se détacha des façades citadines pour glisser sur la silhouette de son voisin et s’y ancrer, obéissante créature qui reconnaissait dans le ton agacé de l’italien, l’ordre plutôt que la demande. La main gantée glissa à sa joue dans une caresse sèche avant de ferrer sans délicatesse la mâchoire pour garder le visage dédié à son attention, maitre exigeant la concentration de sa possession, défiant d’un iris orageux la nonchalance consommée de son compagnon.
Paris ne te réussit pas, lâcha finalement l’homme, contrarié en n’arrivant pas à lire la moindre réaction sur les traits mâles offerts à sa coupe, rejetant le visage d’un geste brusque pour lui tourner le dos et s’abimer dans la contemplation de l’étalon qu’on escortait aux écuries, les lippes pincées en une expression revêche. Malgré une quarantaine fraichement célébrée, Leone ne savait pas exprimer sa contrariété autrement, attitude d’enfant gâté aussi touchante que ridicule qu’il lui opposait systématiquement dès qu’il sentait les fils de son pantin se distendre en dehors de sa volonté.
Paris ne me réussit pas, admit il à mi-voix en posant sa main à la nuque blonde, y dispensant une caresse fugitive et inattentive, l’esprit embué d’ailleurs, d’une autre vie jouée en ces rues. Deux ans le séparaient de sa dernière danse d’avec la capitale française, valse monstrueuse qui avait épuisé ses dernières volontés et balayé ses ultimes résistances, concluant le bal d’un pas dans le vide en préférant l’abime au lendemain, séduit par la possibilité que la chute soit vertigineuse et finisse par l’engloutir jusqu’à ce qu’il n’en reste enfin plus rien.
Un simple lancé de dés avait scellé son destin, enfant désobéissant des Parques soumettant dans une surenchère aussi inconsciente qu’exaltée, le fil des semaines, des mois et des années au hasard effilé d’une nuit où la quantité de vin et le dégout de soi avaient poussé les mises jetées sur la table à s’empourprer de fièvre. Le double deux avait roulé jusqu’à effleurer le cinq et le un adverses, et pendant une brève seconde, un infime instant dénué de liqueurs et de vernis, il avait entendu son corps soupirer, senti une inavouable délivrance s’emparer de son âme.
Ainsi, il en avait encore une…
Tu as perdu. , avait murmuré Leone en l’observant attentivement, soustrayant avec lenteur le plus petit chiffre au plus grand, comme le voulaient les règles du jeu énumérées quelques heures auparavant, abandonnant sur le tapis de peau, un deux entier et indélébile. Nous n’avons nul témoin de notre marché. Seulement toi et moi… Dis-moi, amico mio, que vaut ta parole ? avait-il poursuivi d’une voix basse, tissée d’un accent florentin prononcé, excité, comme seule la noblesse de sang savait l’être par des enjeux plus éthérés que ceux du commun des mortels.
Alors, le fracas de la réalité s’était écrasé à ses tempes, ouragan de pensées et d’émotions effleurant ses lèvres averties d’un frémissement d’incrédulité, tordant sa bouche en un rictus tendrement ironique, éprouvé à tout jamais par la vérité qui s’était assise, impériale et laide, au sommet de son cœur. L’impossible avait beau tonner, les visages se succéder et la nausée s’emparer de lui à la simple pensée d’un ailleurs, le soulagement indéfinissable de n’être plus à lui, la perceptible plénitude de ne plus avoir à gouverner ce monde en friche qu’était son âme et la délicate senteur du joug amenant l’échine à ployer sous une autorité neuve et inaltérable avaient complété un tableau renié, une vérité contre laquelle il se battait depuis ce qui lui semblait être une éternité, convaincu jusqu’alors, qu’il n’avait pas d’autre choix que la lutte en réponse à la fatalité.
Deux ans de ma vie, avait-il répondu, offrant en guise de pourboire, un sourire policé pour clôturer les comptes.
Sarai tornato stasera? (**) , lui demanda l’italien sans lui jeter un regard, déjà tourné vers la porte de l’hôtel dans lequel ils séjourneraient pour les jours à venir.
Vado a casa ogni notte... , répondit –il dans un étrange accent en laissant un sourire rogue se faire entendre tandis qu’il concluait d’un dernier mot : … quasi.
Le profil de Leone se dessina sur la façade claire, dévoilant des traits marqués d’un courroux enflant et l’élégance heureuse d’un visage que le temps embellissait. Depuis que ce voyage en France avait été annoncé, il savait le Salviati en proie à une tourmente solitaire et l’y laissait se débattre sans compassion, ainé empêtré dans ce jeu improbable qui les avait liés sans pour autant jamais les unir et qui, dans quelques jours, verrait son échéance arriver à terme.
Questa volta, non devi, rétorqua-t-il plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu, vexé, toujours, par l’attitude désinvolte qu’opposait le jeune homme à la frustration pourtant visible qui perlait à ses nerfs.
Sono mai stato?, demanda-t-il en guise de conclusion, rejoignant la rue passante sans plus se retourner.
Paris était pavé de morts, et lui-même n’en était qu’un de plus, ombre disparue et errante, animée par la curiosité doloriste de savoir ce qui l’emporterait ce soir en son cœur lorsqu’il se noierait dans cette foule à laquelle il avait si souvent dérivé. Serait-ce l’aversion de lui-même, cette compagne presque solide lovée en son sein avec laquelle il communiait tous les jours depuis sa reddition volontaire, ou serait-ce cette peur primaire qu’il avait bravé en vain, hanté par les douleurs fantômes de ses poignets déchirés ?
Ici, il n’était plus rien qu’un visiteur venant fleurir des tombes. La première serait la sienne, creusée à sa seule trahison, à l’aube de ces heures faunes dont on ne savait jamais avec exactitude si elles appartenaient au soir ou au matin; il remonterait à contre-courant les suivantes au dédale de sa mémoire, et finirait par le cimetière où tout avait commencé, celle où le baiser de glacial d’une nuit anglaise avait givré son âme.
Le pas souple battait silencieusement le pavé et, les mains dans les poches, Alphonse Tabouret avançait, spectre parmi les siens.
(*) Je Sais
Je sais, tu aimes la chanson mais pas le chanteur
Je sais, tu m’as entortillé autour de ton petit doigt
Je sais, tu veux le viol sans le violeur
Je sais, je sais
Je sais, le passé te rattrapera aussi vite que tu courras
Je sais, le dernier arrivé est toujours un connard
Je sais, le passé te rattrapera aussi vite que tu courras
Je sais, je sais
(**) Rentreras-tu ce soir ?
Je rentre tous les soirs… ou presque.
Cette fois ci, tu n’y es plus obligé
L’ai-je jamais été ?
I know, you love the song but not the singer,
I know, you've got me wrapped around your finger,
I know, you want the sin without the sinner,
I know, I know
I know, the past will catch you up as you run faster,
I know, the last in line is always called a bastard,
I know, the past will catch you up as you run faster,
I know, I know
I know , Placebo
Tu m’écoutes ?
Lentement, le regard noir se détacha des façades citadines pour glisser sur la silhouette de son voisin et s’y ancrer, obéissante créature qui reconnaissait dans le ton agacé de l’italien, l’ordre plutôt que la demande. La main gantée glissa à sa joue dans une caresse sèche avant de ferrer sans délicatesse la mâchoire pour garder le visage dédié à son attention, maitre exigeant la concentration de sa possession, défiant d’un iris orageux la nonchalance consommée de son compagnon.
Paris ne te réussit pas, lâcha finalement l’homme, contrarié en n’arrivant pas à lire la moindre réaction sur les traits mâles offerts à sa coupe, rejetant le visage d’un geste brusque pour lui tourner le dos et s’abimer dans la contemplation de l’étalon qu’on escortait aux écuries, les lippes pincées en une expression revêche. Malgré une quarantaine fraichement célébrée, Leone ne savait pas exprimer sa contrariété autrement, attitude d’enfant gâté aussi touchante que ridicule qu’il lui opposait systématiquement dès qu’il sentait les fils de son pantin se distendre en dehors de sa volonté.
Paris ne me réussit pas, admit il à mi-voix en posant sa main à la nuque blonde, y dispensant une caresse fugitive et inattentive, l’esprit embué d’ailleurs, d’une autre vie jouée en ces rues. Deux ans le séparaient de sa dernière danse d’avec la capitale française, valse monstrueuse qui avait épuisé ses dernières volontés et balayé ses ultimes résistances, concluant le bal d’un pas dans le vide en préférant l’abime au lendemain, séduit par la possibilité que la chute soit vertigineuse et finisse par l’engloutir jusqu’à ce qu’il n’en reste enfin plus rien.
Un simple lancé de dés avait scellé son destin, enfant désobéissant des Parques soumettant dans une surenchère aussi inconsciente qu’exaltée, le fil des semaines, des mois et des années au hasard effilé d’une nuit où la quantité de vin et le dégout de soi avaient poussé les mises jetées sur la table à s’empourprer de fièvre. Le double deux avait roulé jusqu’à effleurer le cinq et le un adverses, et pendant une brève seconde, un infime instant dénué de liqueurs et de vernis, il avait entendu son corps soupirer, senti une inavouable délivrance s’emparer de son âme.
Ainsi, il en avait encore une…
Tu as perdu. , avait murmuré Leone en l’observant attentivement, soustrayant avec lenteur le plus petit chiffre au plus grand, comme le voulaient les règles du jeu énumérées quelques heures auparavant, abandonnant sur le tapis de peau, un deux entier et indélébile. Nous n’avons nul témoin de notre marché. Seulement toi et moi… Dis-moi, amico mio, que vaut ta parole ? avait-il poursuivi d’une voix basse, tissée d’un accent florentin prononcé, excité, comme seule la noblesse de sang savait l’être par des enjeux plus éthérés que ceux du commun des mortels.
Alors, le fracas de la réalité s’était écrasé à ses tempes, ouragan de pensées et d’émotions effleurant ses lèvres averties d’un frémissement d’incrédulité, tordant sa bouche en un rictus tendrement ironique, éprouvé à tout jamais par la vérité qui s’était assise, impériale et laide, au sommet de son cœur. L’impossible avait beau tonner, les visages se succéder et la nausée s’emparer de lui à la simple pensée d’un ailleurs, le soulagement indéfinissable de n’être plus à lui, la perceptible plénitude de ne plus avoir à gouverner ce monde en friche qu’était son âme et la délicate senteur du joug amenant l’échine à ployer sous une autorité neuve et inaltérable avaient complété un tableau renié, une vérité contre laquelle il se battait depuis ce qui lui semblait être une éternité, convaincu jusqu’alors, qu’il n’avait pas d’autre choix que la lutte en réponse à la fatalité.
Deux ans de ma vie, avait-il répondu, offrant en guise de pourboire, un sourire policé pour clôturer les comptes.
Sarai tornato stasera? (**) , lui demanda l’italien sans lui jeter un regard, déjà tourné vers la porte de l’hôtel dans lequel ils séjourneraient pour les jours à venir.
Vado a casa ogni notte... , répondit –il dans un étrange accent en laissant un sourire rogue se faire entendre tandis qu’il concluait d’un dernier mot : … quasi.
Le profil de Leone se dessina sur la façade claire, dévoilant des traits marqués d’un courroux enflant et l’élégance heureuse d’un visage que le temps embellissait. Depuis que ce voyage en France avait été annoncé, il savait le Salviati en proie à une tourmente solitaire et l’y laissait se débattre sans compassion, ainé empêtré dans ce jeu improbable qui les avait liés sans pour autant jamais les unir et qui, dans quelques jours, verrait son échéance arriver à terme.
Questa volta, non devi, rétorqua-t-il plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu, vexé, toujours, par l’attitude désinvolte qu’opposait le jeune homme à la frustration pourtant visible qui perlait à ses nerfs.
Sono mai stato?, demanda-t-il en guise de conclusion, rejoignant la rue passante sans plus se retourner.
Paris était pavé de morts, et lui-même n’en était qu’un de plus, ombre disparue et errante, animée par la curiosité doloriste de savoir ce qui l’emporterait ce soir en son cœur lorsqu’il se noierait dans cette foule à laquelle il avait si souvent dérivé. Serait-ce l’aversion de lui-même, cette compagne presque solide lovée en son sein avec laquelle il communiait tous les jours depuis sa reddition volontaire, ou serait-ce cette peur primaire qu’il avait bravé en vain, hanté par les douleurs fantômes de ses poignets déchirés ?
Ici, il n’était plus rien qu’un visiteur venant fleurir des tombes. La première serait la sienne, creusée à sa seule trahison, à l’aube de ces heures faunes dont on ne savait jamais avec exactitude si elles appartenaient au soir ou au matin; il remonterait à contre-courant les suivantes au dédale de sa mémoire, et finirait par le cimetière où tout avait commencé, celle où le baiser de glacial d’une nuit anglaise avait givré son âme.
Le pas souple battait silencieusement le pavé et, les mains dans les poches, Alphonse Tabouret avançait, spectre parmi les siens.
(*) Je Sais
Je sais, tu aimes la chanson mais pas le chanteur
Je sais, tu m’as entortillé autour de ton petit doigt
Je sais, tu veux le viol sans le violeur
Je sais, je sais
Je sais, le passé te rattrapera aussi vite que tu courras
Je sais, le dernier arrivé est toujours un connard
Je sais, le passé te rattrapera aussi vite que tu courras
Je sais, je sais
(**) Rentreras-tu ce soir ?
Je rentre tous les soirs… ou presque.
Cette fois ci, tu n’y es plus obligé
L’ai-je jamais été ?