L_aconit
Bretagne derrière, Paris devant, Faust Nicolas observait les lieues défiler à une lenteur presque rassurante.
Qui avait-il en avant? L'Hostel Dieu. Pied à terre secret encore, où il s'échouerait par quinzaine. Le faisait-il pour Lui? Pour se trouver un alibi?
Caillou fait cahoter la chariote. Chahuter les pensées. Les bleus avaient tout pris de son retour aux sources, les mains n'avaient rien su donner. De la fratrie. Des marées. Des retrouvailles inattendues. Des rencontres. Des situations cocasses. Lettres étaient restées mortes par asthénie. Février avait tout pris. L'avait vidé de toute son inspiration, substituant la poésie par les questions. Bienheureux, Mars était là. Sur sa route Nicolas. Gonflé d'un espoir fou. Là, voilà que s'en revenait le redoux.
Paris. Rue Ste Opportune.
La porte résiste un peu. Cède dans un chuintement discret. La nuit tombe. La chambre est vide. Il n'est pas là. Un léger sourire vient dépeindre les traits porcelains de celui qui, aux portes de Paris a revêtu l'habit. L'air est empli de son odeur. C'est fou. C'est culpabilisant. Il l'a laissé quelques semaines sans donner signe. Et là, cette odeur, terrible odeur ravive ... Tout. Pousse tendron qui n'a pas été arrosée, résiste-t-elle à la sécheresse?
Les doigts déposent la clef propriétaire sur le bureau, viennent repousser le boulier et les carnets pour saisir une esquisse aux traits noirs et décousus. Un enfant. Culpabilité. Il ne faut pas beaucoup de temps aux bleus pour comprendre, et aux doigts pour rendre au bois le croquis et à l'obscurité naissante son cynisme. Comment s'appelle-t-il, ce fils qui lui a repris ses mots? Et qui est sa mère? Comment l'a-t-il aimée... Combien? Il se détourne de l'écritoire. Senestre vient agripper le front soucieux, en chasser les mèches blondes qui disparaissent dans la poigne fébrile.
Cobalts viennent trouver la chaloupe d'une lampe à huile. Le briquet s'en charge, après quelques minutes ravivant la vision de l'appartement au confort des plus spartiate d'une lueur diffuse. Tout est à son image. Ce n'est pas aussi vide qu'une cellule, mais c'est d'une sobriété monacale. C'est une invitation à réchauffer. Le cou fin s'étire jusqu'à un fenestron haut, juste au dessous un objet recouvert par un drap, appuyé contre le mur dont les arrêtes piquent le blond de curiosité. Pourtant il s'assied sur la couche. Reste là un moment. Il est à Paris. Le printemps est arrivé. Et avec lui le renouveau. Son palpitant s'emballe à cette seule pensée.
D'un mouvement bref, il se redresse. Découvre le drapé qui recouvre une toile. Grande toile. Prunelles en absorbent le moindre détail. Alors lui aussi sait. Le bleu sans le noir n'est pas beau à voir. L'iris dépeint le mélange des couleurs. Emaux viennent se planter dans la lippe qui rougit. Sensible, il garde en ligne de mire cette vision lorsque les ongles viennent froisser l'emplacement ré-habité depuis quelques mois. Dieu! Qu'il est fatigué... Que cette torture de l'esprit doit cesser. Il faut qu'il rentre. Il faut qu'il sache combien autant que les mots, son corps lui a manqué. Combien le bleu s'affadit sans lui. La soutane choit au sol. Le dos offre ses zébrures presque guéries. Il est douloureux de partager l'amour entre deux personnes qui ne veulent pas l'une de l'autre.
Faust, épuisé du voyage, s'étend sur le lit en gardant la toile en vue, ce noir qui absorbe. Qui dévore. Aigle qui enveloppe, doucement. Berce. Rassure. Le noir est toujours mieux que le vide blanc d'une cellule. Il se recroqueville jusqu'à n'être qu'une boule empaquetée du drap à l'odeur magistrale de son propriétaire; jusqu'à fermer les yeux usés. Chien dans son panier.
_________________
(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil