Tu sais bien que je ne puis rien refuser à ce regard là, ma douce Ermi
Et pourtant le Florentin ne sentait plus ni ses pieds, ni son dos, après cette longue épopée à travers le pays
mais, serviable de nature et accessoirement affamé - il sexécuta sans broncher, sempara de la petite Vanyelle, la fit grimper sur ses épaules et pris le chemin qui menait à léchoppe du potier.
Arrivé devant la boutique de lartisan, Guccio posa la fillette par terre afin dêtre plus libre de ses mouvements. Il se présenta au petit homme qui se tenait assis dans larrière salle, les mains dans largile, probablement en train de créer une cruche et précisa quil venait retirer la commande dErmelina. Il fit un geste de la tête vers deux caisses en bois, remplies de vases et de pots, dont le possible poids faisait déjà faillir les biceps du moins fort des frères Tolomei, qui ne put sempêcher de marmonner quelques mots dans sa langue maternelle
Le désarrois devait se lire sur son visage, et la petite fille ne manqua pas de sen apercevoir et dafficher une petite moue boudeuse.
Tiens, petite Vanyelle, tu vas bien vouloir venir en aide à ton pauvre tonton Guccio, nest-ce pas ?
Il confia une petite poterie, quil prit bien le soin de soupeser auparavant afin quelle ne fusse pas trop lourde, à la fillette, afin quelle puisse participer et se sentir utile. Puis il se saisit des deux caisses, lune sur lautre, et se dirigea vers la porte.
Allez, avanti bambina
Guccio, ainsi chargé, ne voyait rien devant lui puisque les caisses montaient jusquau niveau de sa blonde chevelure, mais, comme toujours, il fit mine de parfaitement maitriser la situation et de totalement savoir où il allait. Une fois devant léglise, il tâta habillement lespace de la pointe du pied, pour trouver la première marche de lescalier, et monta avec un peu de peine jusquà lentrée. Lenfant le précédait, amenant fièrement son petit pot jusquà sa mère. Il déposa finalement les deux caisses non loin de la diaconesse et alla saffaler sur un banc, sy laissant choir de tout son poids, sans se préoccuper, pour une fois, du total manque de prestance que cela pouvait procurer à son image de bellâtre.
Guccio fermait les yeux, simaginait festoyer à une table bien garnie, lorsquil entendit quelque chose qui ressemblait à quelquun qui toussait de façon à peine dissimulée. Il entrouvrit un il et aperçu Ermi, debout juste devant lui, semblant attendre quelque chose de la part du jeune homme.
Si ? Quelque chose ne va pas avec la commande ?
Le sourire dErmelina fit comprendre à Guccio quelle avait encore besoin daide : elle souhaitait quil mette en place les compositions florales dans les poteries et quil les dispose dans léglise. Un peu surpris dabord, car il navait pas vraiment lâme dun fleuriste, il réussi néanmoins à composer de très jolis arrangements, pas toujours très proportionnés, pas fondamentalement harmonieux, mais tous extrêmement originaux. Satisfait de sa performance, Guccio pris un peu de recul pour admirer sa dernière uvre et saperçut que la diaconesse fixait avec insistance le plafond
pourtant, il navait disposé aucun de ses magnifiques bouquets à cet endroit
.
Il suivit le regard dErmi et sarrêta sur le lustre qui se tenait juste au-dessus de leur tête, puis rapidement il chercha dans les yeux de la diaconesse quelque chose qui lui permettrait de croire quil naurait pas à monter là haut pour quelque raison que ce fusse...en vain. Elle lui tendit aussitôt une boite contenant les bougies qui devaient y être installées.
Le Florentin saffaira à faire descendre ce lourd équipement afin de pouvoir le garnir et se rendit compte que cette église en possédait un nombre assez incroyable en proportion de sa superficie totale
mais il continua de bon cur à répéter lopération, jusquà ce que sa mission soit achevée.
La fille dErmi, quant à elle, disposait les cierges sur les herses et les buissons qui étaient à sa portée ; mais même sur la pointe des pieds, ils étaient si difficiles à atteindre que « tonton-friandise » ne put faire autrement que de venir lui prêter main forte et fit tout le tour de léglise avec lenfant dans ses bras, lassistant patiemment dans la tâche qui lui avait été confiée.
Après avoir rejoint Ermelina, qui continuait à saffairer, Guccio sentit son estomac lui rappeler la promesse de cette dernière.
Bon, et bien, je crois que je naurais pas volé ma pitance !
Mais Ermi ne répondit pas, toute occupée quelle était à se débattre avec les tentures de tapisseries, bien trop lourdes pour elle ; et comme il était aussi galant, Guccio soccupa également de fixer ces dernières dans le chur et sur les piliers de la nef, se laissant guider par les deux âmes féminines et perfectionnistes qui lui indiquaient tantôt « plus à gauche », « légèrement plus haut », ou encore « un poil plus à droite ».
Le Florentin trouvait que léglise était parée de ses plus beaux atours, prête à accueillir cet événement dune haute importance, et il trouvait une certaine fierté à y être un peu pour quelque chose
et sen félicitait intérieurement, hochant la tête, comme pour approuver ce quil était en train de penser. Un petit tapotement sur lépaule droite vint le tirer de son état quasi contemplatif
Ma, autre chose peut-être ?
Et oui, il y avait bien autre chose que ce brave Guccio pouvait faire pour Ermelina
chercher la commande détoffe que cette dernière avait passé chez le marchand de la ville, afin de lutiliser comme poêle. Il décida, dans le but dépargner un peu les semelles de ses chausses, mises à rude épreuve en ce jour, de sy rendre à cheval et ce avec dautant plus de perspicacité que ce dernier résidait à lautre bout de la ville. Le négociant reconnu aisément léchoppe grâce à lenseigne de fer forgé qui la surplombait. Il attacha sa monture et entra dun pas décidé chez ce quil convient bien dappeler, un représentant de la concurrence locale. Dun coup dil, il balaya la boutique, étalonnant la qualité dun rouleau de tissu ici ou là en prenant un air sérieux et professionnel qui ne lui allait pas du tout.
Bonjour, je me présente, Guccio Tolomei, je viens retirer la commande de la diaconesse Ermelina.
Le marchand, interpelé par laccent autant que par le nom qui venait dêtre évoqué, dont la réputation dans le milieu du négoce nétait plus à faire, alla chercher promptement le ballot de lourd tissu réservé à Ermi et le déposa sur le comptoir. Guccio lobserva sous tous les angles, le tâta, le caressa, fronça les sourcils et fini par faire ce quil savait faire de mieux
Et combien en demandes-tu, mon ami ?
20 livres, monseigneur, mais cest une très belle pièce
Le jeune homme laissa échapper un de ces éclats de rires qui lui étaient propres, posa un poing sur le coin du comptoir et sourit au malheureux qui lui faisait face, et qui avait perdu davance ce bras de fer qui se profilait
Allons, allons, tu nes pas sérieux
Pour la même somme, je vais partir avec ces deux petites aumônières qui sont juste à ta droite
et ce sans réellement entamer ta très confortable marge
Le marchand, piqué au vif, rougit un peu, mais rajouta par-dessus le tissu les deux aumônières, qui seraient parfaitement assorties aux robes que Guccio avait ramené pour Vanyelle et sa mère.
Je savais bien que nous allions nous entendre !
Le jeune Tolomei, satisfait de sa prestation, empoigna les marchandises et sortit la tête haute de la bâtisse. Après une journée de voyage et de nombreuses heures passées comme « commis de mariage », il était temps pour lui de prétendre enfin à sa récompense. Il monta sur son destrier et prit, pour la dernière fois de la journée espérait-il, la route qui menait à léglise.