Ermelina
Guccio venait de quitter la sacristie avec Vanyelle et déjà Ermelina se remettait au travail. A défaut de poursuivre la confection des bouquets, faute de vases, la rouquine explora les lieux, virevoltant entre les cuviers, à la recherche du petit matériel qui pourrait lui être utile pour la cérémonie du lendemain. Elle ne connaissait pas les lieux et n'avait aucune idée de ce que la totalité des coffres de la sacristie pouvaient contenir. Elle savait, pour l'avoir exploré le jour des fiançailles, que le plus grand contenait l'orfèvrerie destinée aux offices ainsi que les nappes d'autel immaculées, le coffret en émail champlevé réservé à l'huile sainte, un exemplaire usé du Livre des Vertus, une chaîne appartenant sans doute à l'encensoir et plusieurs boîtes de cierges et de bougies. Le petit coffre rangé précieusement sur une étagère à côté du registre de l'église contenait la réserve d'hosties et de vin. Un coffre ventru, qui avait été logé sous une table de chêne Dieu seul savait comment s'il avait eu la curiosité de regarder par là à ce moment-là, réserva une excellente surprise à la jeune femme : un jeu complet de tentures de tapisserie y était précieusement conservé. Naturellement le meuble ne pouvait pas s'ouvrir complètement, bloqué comme il l'était, et il était tout bonnement inenvisageable de bouger baquets et table pour en faciliter l'accès. Un soupir du meilleur aloi vint ponctuer ce constat. Un second, plus profond, accompagna la résolution que la rouquine venait de prendre. Vérifiant une première fois que personne ne s'apprêtait à entrer, elle s'accroupit près du sombre coffre aux merveilles. Une seconde fois, elle regarda derrière elle, bien consciente des taquineries que le destin était capable de vous jouer quand vous vous trouviez en fâcheuse position. Personne... Ermi se mit sans faire plus de façon à quatre pattes et se glissa sous le plateau de bois massif de la table. Tout en prenant garde de ne pas se fracasser le crâne à la suite d'un mouvement trop brusque, la petite diaconesse commença à se battre avec le couvercle du coffre, qui céda facilement face à son adversaire poids plume et s'entrouvrit autant que possible. Avec une joie presque enfantine, Ermelina extirpa l'une après l'autre les tapisseries, les empila soigneusement puis recula pour pouvoir se remettre à la verticale. Lorsqu'enfin elle fut d'aplomb, elle put récupérer les pièces de tissus et s'empressa d'aller les déposer dans la nef, sur un banc, afin de prévenir tout accident aqueux.
De retour dans la sacristie dont, elle en était persuadée, elle finirait par connaitre le petit nom de chaque pierre avant le lendemain soir, Ermelina se recala sur son tabouret et inspira profondément. Le parfum des lys et des iris devenait grisant, ce qui n'était pas pour lui déplaire ; délicatement, elle piocha quelques végétaux et se replongea dans les compositions florales. Des bruits de pas résonnèrent dans la nef alors que le troisième bouquet prenait forme. Avant qu'elle ait le temps de dire "ouf", Vanyelle se trouvait accrochée à son cou, exhibant fièrement la poterie qu'elle avait ramené toute seule de la boutique.
Mère ! Mère !!! Regarde ! C'est moi qui l'ai rapportée sans la casser. Tonton-Friandise ne m'a pas aidé une seule fois. Lui, au moins, il me laisse porter des choses quand on fait les courses..., déclara-t-elle en regardant Guccio poser son chargement.
Ermelina sourit en entendant le "lui, au moins" : quand on en venait au chapitre des revendications, la rouquine usait avec sa fille des mêmes stratagèmes qu'elle utilisait jadis avec son époux. Il suffisait d'orienter l'attention de l'enfant sur un autre sujet et le tour était joué : adieu récrimination et indignation, bonjour joie et gaité.
Vraiment, Vanyelle, je suis très fière de toi. Je vois qu'on peut te confier de grandes missions maintenant. Que dirais-tu de m'aider à faire de petits bouquets pour mettre aux pieds des statues, dans l'église ?
Les yeux de la petite se mirent à briller.
Pour de vrai ?
Oui, ma douce, répondit Ermi en souriant tendrement. C'est pour de vrai. Ensuite, si tu le veux bien, nous irons mettre les fleurs dans l'église et nous mettrons des bougies partout, pour que tout le monde puisse bien voir Tatie-Biscuit demain. Il faut dire que c'est un spectacle auquel ils ne seront pas prêts d'assister à nouveau, ajouta-t-elle pour elle-même. Je vais voir où est passé Guccio, indiqua-t-elle à l'enfant en se levant. Je vais voir s'il veut jouer avec nous à faire des bouquets.
Un saut dans la nef et un regard de chaton plus tard, Ermi, Guccio et Vanyelle s'étaient installés pour un atelier improvisé. La jeune femme avait ouvert la fenêtre et une douce brise s'engouffrait dans la pièce, faisant onduler les fleurs. Pour un peu, on aurait dit qu'elles dansaient et se réjouissaient aussi pour la cérémonie du lendemain. Ermelina se sentait bien, là, faisant travailler ses mains, discutant avec deux êtres chers à son coeur, riant, souriant, plaisantant. Malheureusement, toutes les bonnes choses avaient une fin : les baquets étaient vides, les poteries étaient pleines. Si la régularité n'était pas de mise, le résultat de l'ouvrage collectif n'en demeurait pas moins globalement harmonieux. Sachant le jeune Tolomei tout à fait autonome en matière d'agencement, comme le prouvait la présentation de ses marchandises dans son comptoir, Ermi put porter toute son attention sur sa progéniture. Alors que Guccio prenait soin d'installer un bouquet sur le sol à l'extrémité de chaque banc, Vanyelle et sa mère faisaient la tournée des saints, ornant comme elles pouvaient les niches. L'absence de "et lui, c'est qui ?" vanyellien finit par inquiéter la mère-poule. L'enfant cogitait visiblement et Ermi était bien placée pour savoir que, généralement, cela n'était pas un bon présage.
Mère ?
Oui ma douce ?
Tu es vraiment sûre que Tatie-Biscuit et Guccio ne pourront pas se marier ?
J'en suis sûre, ma douce. Tatie-Biscuit est amoureuse de Varden, et Guccio n'est pas amoureux d'elle donc ils ne peuvent pas se marier.
Ah... L'enfant replongea dans ses réflexions en installant un bouquet de sa composition aux pieds de Bynarr. Mais Alejandro n'était pas amoureux de Cocotine quand ils se sont mariés...
C'était ... différent, ma douce, répondit tant bien que mal une Ermi bien coincée. Disons... Qu'Alejandro était amoureux de Cocotine mais qu'il ne le savait pas encore. C'est une histoire de grandes personnes, c'est très compliqué à comprendre, tu sais. De fait, la rouquine se voyait bien dans l'incapacité d'expliquer la notion de "mariage arrangé plus ou moins forcé" à sa fille.
Bon, tant pis pour Tatie-Biscuit, alors. Vanyelle leva la tête et regarda sa mère dans les yeux. Et pourquoi tu ne te marierais pas avec Guccio ?
Pa... pardon ? coassa péniblement la diaconesse, manquant de peu de laisser tomber la dernière poterie qu'elle avait à mettre en place.
Ca serait bien, non ? On pourrait voir Tonton-Fraindise plus souvent, et puis je pourrai tout le temps aller jouer dans sa boutique, non ? Et puis ça ferait un nouveau mariage. J'aime bien les mariages, moi. Et puis tu aurais aussi une jolie robe de princesse. Tu crois que celle de Tatie-Biscuit sera aussi belle que celle de Cocotine ou que celle de Zaza ?
Laisser la petite s'éloigner du sujet fâcheux qu'était le mariage en général et son éventuel remariage en particulier semblait la chose la plus sage à faire. Aussi Ermi fit-elle mine d'écouter gravement tout ce que la petite pouvait lui dire en matière de mode. Visiblement, le seul mariage auquel elle avait assisté, là-bas en Espagne, l'avait profondément marqué. Peut-être les choses auraient-elles été moins gênantes si la mariée n'avait pas eu des moeurs plus légères qu'une plume et le marié énormément de choses à se faire pardonner auprès de la demoiselle et auprès de Zaza, tenancière l'établissement clos où les futurs époux avaient fait connaissance grâce à son intermédiaire...
En parlant de robe, ma douce, Guccio t'en a apporté une splendide pour être encore plus belle demain, glissa Ermelina, discrètement et fourbeusement dans la conversation. Quand nous aurons fini ici, je te la montrerai. Et si nous allions nous occuper des cierges, maintenant ?
La petite opina du bonnet avec énergie et courut dans la sacristie, histoire d'accélérer un peu le mouvement. La rouquine hâta le pas et jeta un coup d'oeil en direction de Guccio. Le Florentin avait terminé de son côté. Le voyant ainsi les bras ballants, la diaconesse ne put résister à la tentation de lui trouver un peu d'occupation. A la demande de Vanyelle, elle confia une belle provision de bougies à l'enfant et l'envoya en direction du choeur. Prenant la boîte de chandelles, elle se dirigea tranquillement vers le marchand. Elle n'eut pas besoin de formuler quelque demande que ce soit : comme toujours, un grand regard plein d'innocence et un grand sourire suffirent à faire comprendre à Guccio ce qu'on attendait de lui.
Sans attendre la réaction du principal intéressé Ermi se dirigea vers la pile de tentures et entreprit de les suspendre. Naturellement, lorsqu'elle se trouva à pied d'oeuvre, elle ne put faire autre chose que contempler dans une contre-plongée parfaite les crochets métalliques plantés dans la pierre loin, très loin au-dessus de sa tête. Certaines mauvaises langues auraient pu dire que de toute façon, n'importe quel objet situé à plus de six pieds de hauteur était définitivement hors de portée de la rouquine, et ils n'auraient pas eu tort. Comme l'endroit n'était pas propice aux élans verbaux fortement colorés, Ermelina se contenta de grommeler un vague "pourquoi faut-il toujours qu'ils conçoivent tout pour des girafes ???", s'en alla récupérer le tabouret qui avait soutenu vaillament son séant peu de temps auparavant et se mit enfin à l'ouvrage. Alors qu'elle gesticulait de son mieux pour mettre en place le premier panneau, un constat s'imposa : l'idée consistant à parer l'église était bonne en théorie, mais en théorie seulement. Il ne fallait pas être doté d'un instinct particulièrement développer pour se douter de la galère dans laquelle la rouquine s'était encore embarquée. Complètement absorbée par sa tâche, elle n'entendit même pas Guccio rappeler avec tact qu'il mourrait de faim. Au lieu de réitérer sa demande, qui lui aurait permis d'accéder directement au panier, le vaillant Florentin préféra prendre la place de la rouquine et installer efficacement les tentures. Lorsque la dernière tapisserie fut en place, Ermelina passa une main lasse sur ses yeux. Ils avaient presque terminé, ce qui n'était pas dommage compte tenu de la chaleur de cette mi-juillet et des efforts fournis en continu depuis le point du jour.
Guccio, merci du fond du coeur, mon ami... Sans toi, il est certain que nous n'aurions pas terminé dans les temps, il aurait sans doute fallu y passer la soirée. Je vais ranger la sacristie pour que tout soit fin prêt pour demain. Euuuuuuuuh... La rouquine marqua un temps d'arrêt et croisa les doigts. Pendant ce temps, pourrais-tu passer prendre le poêle que j'ai commandé chez le tisserand, s'il te plait ?
Le Florentin était vraiment d'une excellente composition : sans rien dire, il quitta l'église pour accomplir la dernière quête du jour. Ermelina et Vanyelle, elles, purent contempler un moment l'église. Les rayons du soleil couchant, colorés par les vitraux, embrasaient la nef et donnaient comme un souffle de vie à la statuaire locale. Mais l'heure n'était plus à la contemplation. Rassemblant conjointement leur courage et leur énergie, les deux Lioncourt firent place nette dans ce qui fut leur quartier général pour la journée.
Enfin terminé ! s'exclama Ermelina dans un authentique cri du coeur. Et si nous allions attendre Guccio dehors, ma douce ? Nous pourrions lui improviser un petit encas avec nos provisions, que t'en semble ?
L'enfant hocha la tête pour marquer son approbation. Ermelina l'observa avec attention et sourit : le marchand de sable ne mettrait pas longtemps à passer ce soir... C'est en souriant toujours que mère et fille s'installèrent sur les marches. Lorsque Guccio revint, un échange stratégique s'opéra : le panier à provisions finit entre les mains du Florentin alors que la rouquine s'emparait du poêle. Alors que le jeune homme se jetait sur la nourriture, Ermelina rentra une dernière fois dans l'église et alla ranger l'étoffe. Lorsqu'elle retrouva son petit monde, réglait son compte à une belle pomme. La diaconesse s'installa à côté de lui, faisant la conversation pour lui laisser le temps de se sustenter. Enfin, quand le contenu du panier ne fut plus qu'un lointain souvenir, les trois Chauriens se levèrent. Guccio soulagea Ermi de sa commande et la diaconesse prit sa fille qui s'endormait dans ses bras. En compagnie de Guccio, elle prit le chemin de l'auberge qui allait aussi devenir celle de son ami le temps d'une nuitée. Il était plus que temps de se glisser au fond d'un lit douillet : la journée du lendemain allait être riche en activités et en émotions, il faudrait être en forme pour tout affronter.
_________________
De retour dans la sacristie dont, elle en était persuadée, elle finirait par connaitre le petit nom de chaque pierre avant le lendemain soir, Ermelina se recala sur son tabouret et inspira profondément. Le parfum des lys et des iris devenait grisant, ce qui n'était pas pour lui déplaire ; délicatement, elle piocha quelques végétaux et se replongea dans les compositions florales. Des bruits de pas résonnèrent dans la nef alors que le troisième bouquet prenait forme. Avant qu'elle ait le temps de dire "ouf", Vanyelle se trouvait accrochée à son cou, exhibant fièrement la poterie qu'elle avait ramené toute seule de la boutique.
Mère ! Mère !!! Regarde ! C'est moi qui l'ai rapportée sans la casser. Tonton-Friandise ne m'a pas aidé une seule fois. Lui, au moins, il me laisse porter des choses quand on fait les courses..., déclara-t-elle en regardant Guccio poser son chargement.
Ermelina sourit en entendant le "lui, au moins" : quand on en venait au chapitre des revendications, la rouquine usait avec sa fille des mêmes stratagèmes qu'elle utilisait jadis avec son époux. Il suffisait d'orienter l'attention de l'enfant sur un autre sujet et le tour était joué : adieu récrimination et indignation, bonjour joie et gaité.
Vraiment, Vanyelle, je suis très fière de toi. Je vois qu'on peut te confier de grandes missions maintenant. Que dirais-tu de m'aider à faire de petits bouquets pour mettre aux pieds des statues, dans l'église ?
Les yeux de la petite se mirent à briller.
Pour de vrai ?
Oui, ma douce, répondit Ermi en souriant tendrement. C'est pour de vrai. Ensuite, si tu le veux bien, nous irons mettre les fleurs dans l'église et nous mettrons des bougies partout, pour que tout le monde puisse bien voir Tatie-Biscuit demain. Il faut dire que c'est un spectacle auquel ils ne seront pas prêts d'assister à nouveau, ajouta-t-elle pour elle-même. Je vais voir où est passé Guccio, indiqua-t-elle à l'enfant en se levant. Je vais voir s'il veut jouer avec nous à faire des bouquets.
Un saut dans la nef et un regard de chaton plus tard, Ermi, Guccio et Vanyelle s'étaient installés pour un atelier improvisé. La jeune femme avait ouvert la fenêtre et une douce brise s'engouffrait dans la pièce, faisant onduler les fleurs. Pour un peu, on aurait dit qu'elles dansaient et se réjouissaient aussi pour la cérémonie du lendemain. Ermelina se sentait bien, là, faisant travailler ses mains, discutant avec deux êtres chers à son coeur, riant, souriant, plaisantant. Malheureusement, toutes les bonnes choses avaient une fin : les baquets étaient vides, les poteries étaient pleines. Si la régularité n'était pas de mise, le résultat de l'ouvrage collectif n'en demeurait pas moins globalement harmonieux. Sachant le jeune Tolomei tout à fait autonome en matière d'agencement, comme le prouvait la présentation de ses marchandises dans son comptoir, Ermi put porter toute son attention sur sa progéniture. Alors que Guccio prenait soin d'installer un bouquet sur le sol à l'extrémité de chaque banc, Vanyelle et sa mère faisaient la tournée des saints, ornant comme elles pouvaient les niches. L'absence de "et lui, c'est qui ?" vanyellien finit par inquiéter la mère-poule. L'enfant cogitait visiblement et Ermi était bien placée pour savoir que, généralement, cela n'était pas un bon présage.
Mère ?
Oui ma douce ?
Tu es vraiment sûre que Tatie-Biscuit et Guccio ne pourront pas se marier ?
J'en suis sûre, ma douce. Tatie-Biscuit est amoureuse de Varden, et Guccio n'est pas amoureux d'elle donc ils ne peuvent pas se marier.
Ah... L'enfant replongea dans ses réflexions en installant un bouquet de sa composition aux pieds de Bynarr. Mais Alejandro n'était pas amoureux de Cocotine quand ils se sont mariés...
C'était ... différent, ma douce, répondit tant bien que mal une Ermi bien coincée. Disons... Qu'Alejandro était amoureux de Cocotine mais qu'il ne le savait pas encore. C'est une histoire de grandes personnes, c'est très compliqué à comprendre, tu sais. De fait, la rouquine se voyait bien dans l'incapacité d'expliquer la notion de "mariage arrangé plus ou moins forcé" à sa fille.
Bon, tant pis pour Tatie-Biscuit, alors. Vanyelle leva la tête et regarda sa mère dans les yeux. Et pourquoi tu ne te marierais pas avec Guccio ?
Pa... pardon ? coassa péniblement la diaconesse, manquant de peu de laisser tomber la dernière poterie qu'elle avait à mettre en place.
Ca serait bien, non ? On pourrait voir Tonton-Fraindise plus souvent, et puis je pourrai tout le temps aller jouer dans sa boutique, non ? Et puis ça ferait un nouveau mariage. J'aime bien les mariages, moi. Et puis tu aurais aussi une jolie robe de princesse. Tu crois que celle de Tatie-Biscuit sera aussi belle que celle de Cocotine ou que celle de Zaza ?
Laisser la petite s'éloigner du sujet fâcheux qu'était le mariage en général et son éventuel remariage en particulier semblait la chose la plus sage à faire. Aussi Ermi fit-elle mine d'écouter gravement tout ce que la petite pouvait lui dire en matière de mode. Visiblement, le seul mariage auquel elle avait assisté, là-bas en Espagne, l'avait profondément marqué. Peut-être les choses auraient-elles été moins gênantes si la mariée n'avait pas eu des moeurs plus légères qu'une plume et le marié énormément de choses à se faire pardonner auprès de la demoiselle et auprès de Zaza, tenancière l'établissement clos où les futurs époux avaient fait connaissance grâce à son intermédiaire...
En parlant de robe, ma douce, Guccio t'en a apporté une splendide pour être encore plus belle demain, glissa Ermelina, discrètement et fourbeusement dans la conversation. Quand nous aurons fini ici, je te la montrerai. Et si nous allions nous occuper des cierges, maintenant ?
La petite opina du bonnet avec énergie et courut dans la sacristie, histoire d'accélérer un peu le mouvement. La rouquine hâta le pas et jeta un coup d'oeil en direction de Guccio. Le Florentin avait terminé de son côté. Le voyant ainsi les bras ballants, la diaconesse ne put résister à la tentation de lui trouver un peu d'occupation. A la demande de Vanyelle, elle confia une belle provision de bougies à l'enfant et l'envoya en direction du choeur. Prenant la boîte de chandelles, elle se dirigea tranquillement vers le marchand. Elle n'eut pas besoin de formuler quelque demande que ce soit : comme toujours, un grand regard plein d'innocence et un grand sourire suffirent à faire comprendre à Guccio ce qu'on attendait de lui.
Sans attendre la réaction du principal intéressé Ermi se dirigea vers la pile de tentures et entreprit de les suspendre. Naturellement, lorsqu'elle se trouva à pied d'oeuvre, elle ne put faire autre chose que contempler dans une contre-plongée parfaite les crochets métalliques plantés dans la pierre loin, très loin au-dessus de sa tête. Certaines mauvaises langues auraient pu dire que de toute façon, n'importe quel objet situé à plus de six pieds de hauteur était définitivement hors de portée de la rouquine, et ils n'auraient pas eu tort. Comme l'endroit n'était pas propice aux élans verbaux fortement colorés, Ermelina se contenta de grommeler un vague "pourquoi faut-il toujours qu'ils conçoivent tout pour des girafes ???", s'en alla récupérer le tabouret qui avait soutenu vaillament son séant peu de temps auparavant et se mit enfin à l'ouvrage. Alors qu'elle gesticulait de son mieux pour mettre en place le premier panneau, un constat s'imposa : l'idée consistant à parer l'église était bonne en théorie, mais en théorie seulement. Il ne fallait pas être doté d'un instinct particulièrement développer pour se douter de la galère dans laquelle la rouquine s'était encore embarquée. Complètement absorbée par sa tâche, elle n'entendit même pas Guccio rappeler avec tact qu'il mourrait de faim. Au lieu de réitérer sa demande, qui lui aurait permis d'accéder directement au panier, le vaillant Florentin préféra prendre la place de la rouquine et installer efficacement les tentures. Lorsque la dernière tapisserie fut en place, Ermelina passa une main lasse sur ses yeux. Ils avaient presque terminé, ce qui n'était pas dommage compte tenu de la chaleur de cette mi-juillet et des efforts fournis en continu depuis le point du jour.
Guccio, merci du fond du coeur, mon ami... Sans toi, il est certain que nous n'aurions pas terminé dans les temps, il aurait sans doute fallu y passer la soirée. Je vais ranger la sacristie pour que tout soit fin prêt pour demain. Euuuuuuuuh... La rouquine marqua un temps d'arrêt et croisa les doigts. Pendant ce temps, pourrais-tu passer prendre le poêle que j'ai commandé chez le tisserand, s'il te plait ?
Le Florentin était vraiment d'une excellente composition : sans rien dire, il quitta l'église pour accomplir la dernière quête du jour. Ermelina et Vanyelle, elles, purent contempler un moment l'église. Les rayons du soleil couchant, colorés par les vitraux, embrasaient la nef et donnaient comme un souffle de vie à la statuaire locale. Mais l'heure n'était plus à la contemplation. Rassemblant conjointement leur courage et leur énergie, les deux Lioncourt firent place nette dans ce qui fut leur quartier général pour la journée.
Enfin terminé ! s'exclama Ermelina dans un authentique cri du coeur. Et si nous allions attendre Guccio dehors, ma douce ? Nous pourrions lui improviser un petit encas avec nos provisions, que t'en semble ?
L'enfant hocha la tête pour marquer son approbation. Ermelina l'observa avec attention et sourit : le marchand de sable ne mettrait pas longtemps à passer ce soir... C'est en souriant toujours que mère et fille s'installèrent sur les marches. Lorsque Guccio revint, un échange stratégique s'opéra : le panier à provisions finit entre les mains du Florentin alors que la rouquine s'emparait du poêle. Alors que le jeune homme se jetait sur la nourriture, Ermelina rentra une dernière fois dans l'église et alla ranger l'étoffe. Lorsqu'elle retrouva son petit monde, réglait son compte à une belle pomme. La diaconesse s'installa à côté de lui, faisant la conversation pour lui laisser le temps de se sustenter. Enfin, quand le contenu du panier ne fut plus qu'un lointain souvenir, les trois Chauriens se levèrent. Guccio soulagea Ermi de sa commande et la diaconesse prit sa fille qui s'endormait dans ses bras. En compagnie de Guccio, elle prit le chemin de l'auberge qui allait aussi devenir celle de son ami le temps d'une nuitée. Il était plus que temps de se glisser au fond d'un lit douillet : la journée du lendemain allait être riche en activités et en émotions, il faudrait être en forme pour tout affronter.
_________________