Rouquine
[Un rade à marins quelconque, près du port de Bordeaux.]
Elle a moins de 20 ans, et déjà, elle est montée bien haut et retombée bien bas. Réprimant un soupir, Rouquine, puisqu'elle se fait nommer ainsi, force un sourire sur ses lèvres fardées et s'accoude au bar, attendant le chaland qui la fera sauter sur ses genoux en lui pinçant les fesses, et avec un peu de chance, monter à l'étage pour dix minutes de "bonheur". Un coup dil blasé autour d'elle. Pas grand monde, ce soir... Le sourire retombe tout naturellement.... Vite, on le remet en place. Ce n'est pas en tirant la gueule qu'elle paiera ses dettes. Il lui faut sortir d'ici !
Ah, il est bien révolu, le temps où elle avait une clientèle riche, noble, voire même très noble... Protégée par le nom d'un Dauphin de France, par le bras d'un Chevalier, et propriétaire d'un petit bordel cossu à Paris avec trois amis fidèles... Que sont-ils devenus ? L'ont-t-ils cherchée, lorsqu'elle a disparu ? Elle était avec Jules, sur les routes, lorsque l'attaque a eu lieu. Son dernier souvenir... Elle était étendue au sol, les côtes en feu, Jules penché au dessus d'elle lui caressait les cheveux. Elle a cru sa dernière heure venue, à appelé Baudouin, le seul amour qu'elle ait connu et qu'elle pensait rejoindre aux cieux. Et puis les jambes et le tronc d'un homme derrière Jules, un cri muet qui ne voulait pas sortir et il s'est écroulé, assommé.
L'assommeur, qui l'a ensuite embarquée ici, jure avoir cru la sauver du barbu. Quelle ironie ! Ou quel mensonge .... Il jure aussi être retourné sur les lieux et n'avoir trouvé personne. S'il dit vrai, Jules n'est pas mort, c'est déjà ça... Sauf qu'il n'a répondu à aucune missive. Pas plus que les deux autres d'ailleurs. Incapable d'écrire elle même, elle a du demander à son "sauveur" d'écrire pour elle. A-t-il seulement envoyé les lettres ? Cela ne fait rien, elle en a renvoyé elle même par la suite. Aucune réponse.
Rouquine jette un coup dil à son patron-sauveur-geôlier. Posté derrière le comptoir, il baille aux corneilles. Il s'appelle Gontran, mais tout le monde l'appelle "Le Boiteux ". Et il tient ce... Bouge. Dégueulasse. Ah il l'a soignée, oui. Hébergée, et nourrie. Mais après des mois de convalescence, les côtes brisées et le visage tuméfié... Elle a fini par se remettre, par retrouver son joli visage et sa peau laiteuse. Et comme par hasard, bien qu'elle n'ait pas coûté si cher, il insiste pour qu'elle "paie sa dette". En nature, évidemment. Et depuis de très long mois, évidemment ! La dette est largement repayée, songe-t-elle. Quand elle bossait au Boudoir, une heure de son temps aurait suffi.... Mais trop désargentée pour voyager, trop seule pour se défendre, la rouquine vivote donc comme fille à soldats ou à marins. La grande classe.
Gontran, puis-je me retirer ? Les rares clients sont...
Sont déjà montés avec elle. Ce soir.
En v'la un qui ent' la rouquine. Vois d'abord si y t'veut pas du bien.
"Du bien" Ah ça, les hommes lui veulent toujours du "bien", pas pour ça qu'ils lui en font ! S'il est une expression inventée par les hommes pour se servir du corps des femmes, c'est bien celle-ci. Réprimant un énorme soupir, la jeune fille se retourne. Elle force un sourire à ses lèvres, mais le nouveau venu devra être bigleux pour manquer l'ennui et la détresse dans son regard. Il est des soirs où on ne peut plus cacher ces choses là.
_________________
Elle a moins de 20 ans, et déjà, elle est montée bien haut et retombée bien bas. Réprimant un soupir, Rouquine, puisqu'elle se fait nommer ainsi, force un sourire sur ses lèvres fardées et s'accoude au bar, attendant le chaland qui la fera sauter sur ses genoux en lui pinçant les fesses, et avec un peu de chance, monter à l'étage pour dix minutes de "bonheur". Un coup dil blasé autour d'elle. Pas grand monde, ce soir... Le sourire retombe tout naturellement.... Vite, on le remet en place. Ce n'est pas en tirant la gueule qu'elle paiera ses dettes. Il lui faut sortir d'ici !
Ah, il est bien révolu, le temps où elle avait une clientèle riche, noble, voire même très noble... Protégée par le nom d'un Dauphin de France, par le bras d'un Chevalier, et propriétaire d'un petit bordel cossu à Paris avec trois amis fidèles... Que sont-ils devenus ? L'ont-t-ils cherchée, lorsqu'elle a disparu ? Elle était avec Jules, sur les routes, lorsque l'attaque a eu lieu. Son dernier souvenir... Elle était étendue au sol, les côtes en feu, Jules penché au dessus d'elle lui caressait les cheveux. Elle a cru sa dernière heure venue, à appelé Baudouin, le seul amour qu'elle ait connu et qu'elle pensait rejoindre aux cieux. Et puis les jambes et le tronc d'un homme derrière Jules, un cri muet qui ne voulait pas sortir et il s'est écroulé, assommé.
L'assommeur, qui l'a ensuite embarquée ici, jure avoir cru la sauver du barbu. Quelle ironie ! Ou quel mensonge .... Il jure aussi être retourné sur les lieux et n'avoir trouvé personne. S'il dit vrai, Jules n'est pas mort, c'est déjà ça... Sauf qu'il n'a répondu à aucune missive. Pas plus que les deux autres d'ailleurs. Incapable d'écrire elle même, elle a du demander à son "sauveur" d'écrire pour elle. A-t-il seulement envoyé les lettres ? Cela ne fait rien, elle en a renvoyé elle même par la suite. Aucune réponse.
Rouquine jette un coup dil à son patron-sauveur-geôlier. Posté derrière le comptoir, il baille aux corneilles. Il s'appelle Gontran, mais tout le monde l'appelle "Le Boiteux ". Et il tient ce... Bouge. Dégueulasse. Ah il l'a soignée, oui. Hébergée, et nourrie. Mais après des mois de convalescence, les côtes brisées et le visage tuméfié... Elle a fini par se remettre, par retrouver son joli visage et sa peau laiteuse. Et comme par hasard, bien qu'elle n'ait pas coûté si cher, il insiste pour qu'elle "paie sa dette". En nature, évidemment. Et depuis de très long mois, évidemment ! La dette est largement repayée, songe-t-elle. Quand elle bossait au Boudoir, une heure de son temps aurait suffi.... Mais trop désargentée pour voyager, trop seule pour se défendre, la rouquine vivote donc comme fille à soldats ou à marins. La grande classe.
Gontran, puis-je me retirer ? Les rares clients sont...
Sont déjà montés avec elle. Ce soir.
En v'la un qui ent' la rouquine. Vois d'abord si y t'veut pas du bien.
"Du bien" Ah ça, les hommes lui veulent toujours du "bien", pas pour ça qu'ils lui en font ! S'il est une expression inventée par les hommes pour se servir du corps des femmes, c'est bien celle-ci. Réprimant un énorme soupir, la jeune fille se retourne. Elle force un sourire à ses lèvres, mais le nouveau venu devra être bigleux pour manquer l'ennui et la détresse dans son regard. Il est des soirs où on ne peut plus cacher ces choses là.
_________________