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[RP] Les Langueurs Océanes

Sandhor
Il n'a jamais eu d'histoire avec une femme, si l'on passe cette prime amourette, avant qu'il ne rejoigne le bord d'un deux mâts, ses treize ans sonnant à peine.

C'était un béguin sans importance, l'un de ces élans adolescents qui vous échauffent un peu trop le bas ventre sans que vos mains ne se résignent à avoir le courage de délacer vos braies ou de cueillir un sein trop vert, trop plat, mais sur lequel vos yeux se perdent un peu trop souvent. La petite était mignonnette et un peu marginale ; c'était le genre d'enfant qui avait vieilli un peu trop vite, et qui trouvaient qu'être tout seul à deux, c'était pas si mal. Elle l'avait regardé avec l'admiration naïve d'une gosse qui idéalise l'autre quand il montait ses lignes, et il avait fait semblant qu'il connaissait quelque chose à ce qu'il faisait, pour se donner de l'importance, pour paraître expérimenté. En guise de signe d'intérêt et en réponse à ce qu'elle lui tenait compagnie, il avait détaillé les hameçons, les lignes et les nœuds qu'il apprenait. Taciturne, taiseux mais ayant compris sans se l'avouer que le petit cœur flanchait pour le sien, son regard de glace avait fui les prunelles scintillantes autant qu'il l'avait pu, pour ne pas avoir à dire, alors, qu'elle lui plaisait aussi.

C'est spécial, les garçons. Ca vous montre qu'ils vous aiment par les gestes, et pas par les mots. Regardez un gamin qui détourne le regard quand une mouflette lui tend une fleur ou lui envoie des petits cœurs avec les yeux ; c'est ça la pudeur, et c'est ça l'attachement, paradoxalement. On mesure à quel point un petit a flanché à la manière dont, son torse bombé d'un souffle lui manquant quand elle est à côté de lui, il s'arrange pour ne pas la regarder et ne pas trahir les airs experts qu'il prend en parlant de la pêche, du sport, ou de tout ce qui, soudain et depuis elle, a perdu cette aura de la passion pour la nimber elle. Les faux détachements des garçonnets signent qu'ils sont amoureux, à l'encre indélébile.

Il était devenu mousse à l'âge où s'amuser tout seul suffisait encore* ; la môme devait avoir grandi, maintenant, peut-être épousé contre son âme un triste bigot et elle devait avoir, à l'heure qu'il est, deux ou trois marmots qui pleurent pour avoir leur lait**. C'est à elle qu'il avait pensé quand les marins du bateau où il officiait l'avait emmené à un bordel dans une escale. Ils l'avaient encouragé, bruyants, hué presque comme il était monté avec une jeune femme prête à lui offrir ses charmes contre la bourse où ses camarades avaient cotisé pour lui offrir ce « cadeau ».

Jamais il n'avait oublié ce sentiment de gêne, assis au bord d'un matelas sans forme, les mains sur les cuisses, le regard à ses chausses ; cette impression d'être encore un petit garçon devant une femme qui savait ce qu'elle devait faire. Et elle avait su. Patiemment, le rassurer. Lui parler avec douceur, le réconforter. Le guider, aussi, lui apprendre. Lui dire de placer sa main là, de ne pas presser trop fort, voyons, ce ne sont pas des balles de soule !, de glisser la pulpe là, ou encore là. De se laisser faire, de ne pas avoir peur, aussi. Oh bien sûr, ça n'avait pas duré bien longtemps, forcément. Mais au milieu d'un quotidien de tapes viriles sur l'épaule, d'éclats de rire gras et masculins, ça avait été une bulle de douceur. De celles qu'on se remémore au milieu d'un nuit de tempête, quand le bateau craque et crie sa peine d'être ivre d'un vent furieux vous hurlant votre petitesse à tous et d'une mer impétueuse, qui cabre, impulsive, pour vous déloger de dessus son dos.
De celles à qui on fait appel quand la solitude vous prend au soir et se rappelle à vous sous les draps.

Elle avait été gentille, il avait été doux, d'après elle. A son abandon précoce, elle avait souri sans se moquer de lui, lui avait embrassé la joue en lui chuchotant que c'était pas si mal, et lui avait adressé un clin d'oeil tendre. Ils étaient restés une dizaine de minutes dans la pièce, histoire de prétendre que la reddition n'avait pas été si rapide. Elle s'était lavée et refardée, il avait refait des dizaines de fois le lacet de son col ou de ses chaussures, pour passer le temps, sans trop avoir s'il fallait qu'il sorte ou non de la pièce. C'est au bas de l'escalier qu'elle avait prétendu qu'il avait été honorable, et qu'il avait compris ce qu'elle voulait leur signifier à tous. Qu'il n'avait pas été un garçonnet ; qu'il avait été comme les autres, comme eux tous.
C'est là qu'il avait pleinement fait partie de l'équipage. Les hommes se reconnaissent deux choses : le courage du labeur, et la virilité aux femmes. Alors il était devenu un homme par deux fois ce soir là ; la première en s'abandonnant pour la première fois au giron d'une femme, dont il se souviendrait jusqu'à sa mort, la seconde dans le regard de ses pairs pères, qui l'avaient accueilli dans leur monde sitôt en avait-il visité l'origine.

Etait-ce pour cela qu'il avait toujours eu cette tendresse particulière pour ces filles qui n'ont pas de manières, les hospitalières, les dociles, que d'autres appellent les filles faciles ?*** Etait-ce pour cela qu'il avait instantanément noté le harassement dans le regard de cette rouquine qui se tenait auprès de lui ? Toujours est-il que la main qu'il avait glissé à sa nuque se voulait protectrice, que celle qui avait cueilli son menton l'avait fait sans violence, et que le baiser à sa chevelure ait été tendre, sans qu'il ne réfléchisse à ce qu'il faisait. C'était naturel, étrangement, avec elle.

Ce corps frêle contre le sien, ça lui avait fait quelque chose, ça lui faisait quelque chose, même. Comme une envie de parler d'hameçons, de lignes ou de nœuds... C'est pour ça qu'il a reculé la nuque, aussi, au sourire qu'elle lui a lancé. Pour ça qu'il a essayé de ne pas noter le mordillement de la lèvre inférieure féminine par les nacres, qu'il aurait voulu assister dans cette tâche, et qu'il s'est résolu à ne pas aller remplacer par les siennes, de justesse. Pour ça aussi qu'il a changé de sujet, qu'il a proposé de boire, après avoir tout à l'heure parlé du bois qui craque, banalité énoncée pour éviter à sa bouche de trahir ses pensées.


- Oui, merci je veux bien... Et euh... sans vous déranger... pourrais-je avoir de quoi débarbouiller... tout ça ? 

Le geste qu'elle ajoute est explicite, et il allait opiner quand elle s'est hissée sur ses orteils pour venir lui grignoter le flanc de la mâchoire d'un baiser, entre la commissure de la bouche, la barbe et l'os, sorte de triangle des Bermudes où il voudrait qu'elle se perde.

Ca le sonne, un instant ; ça le désarme, presque littéralement, cet élan adorable qui lui fait ajouter ce murmure et qui, lui, le mène à échapper un soupir où elle pourra lire sans équivoque l'envie réciproque, la satisfaction aussi, d'avoir entendu cela. Elle repose les talons au sol, comme pour ponctuer le moment. Il allait grommeler quelque chose d'inaudible pour garder la face, mais il y a ce je-ne-sais-quoi chez elle qui lui fait faire machine arrière. La main, refermée, vient se poser sur la joue, les doigts recroquevillés contre le derme encore caché d'une poudre en rideau. Le pouce, lui, vient dessiner la pommette, avec lenteur, avec tendresse, avant qu'il ne fasse un pas en arrière, à regrets, le regard fuyant un peu.

Il lui désigne l'espace de la pièce, un peu reculé, où se trouve un baquet de bois recouvert d'un linge pour éviter les échardes, dans lequel lui peut se tenir debout, s'agenouiller sans doute. Il y a aussi un seau, au dessus duquel il se rase ou se rince le visage et les mains au besoin. Il s'y rend, et ouvre la porte de deux placards, pour cacher à la vue cet espace réservé à l'hygiène, lui faire un petit paravent improvisé avant l'heure. Pour conclure, il sort une chemise propre de l'un des meubles à la porte ouverte, et la pose sur le battant, à disposition


- Tu trouveras ce qu'il te faut là. Je te mets ça si tu veux te changer. Ca sera trop grand, j'imagine, t'es taillée comme une brindille. Enfin, une très jolie brindille, mais...

Il ajoute, après un raclement de gorge.

- Je vais aller te chercher de l'eau.

Il la plante un peu là, c'est vrai. Mais c'est pour la bonne cause. Déjà, lui, doit prendre l'air, pour essayer de se calmer, de trouver en lui la force de résister à être un type comme les autres devant elle. Muni d'un seau, il sort de la cabine, pour aller chercher ça, et revient, ci-fait, vers elle.

Est-elle entrée, déjà ? se demande-t-il à passer la porte. Dans tous les cas, il va poser le seau d'eau claire près de l'endroit désigné, et va servir à boire, histoire de s'occuper.

Ensuite, il sera toujours le temps de s'asseoir au rebord du lit, dans l'attente qu'elle ait terminé.



* Brassens, Supplique pour être enterré à la plage de Sète, allusion
** Brassens, Je suis un voyou, citation.
*** Jean-Jacques Goldman, Filles faciles.

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Rouquine
C'est marrant, comme la petite rouquine est certaine de ses charmes, mais Roxanne ne l'est pas. Non vraiment, c'est inexplicable, et pourtant, puisque c'est son vrai visage qu'elle lui montre depuis le début, fard ou non, elle n'est pas très sûre de lui plaire. La façade, ils l'aiment tous, sauf ceux qui préfèrent les maigres ou n'aiment pas les rousses, mais des goûts des hommes, on ne peut pas s'offusquer. Mais elle, avec ses regards fatigués, sa peur du boiteux, ses soucis ? Elle, n'est pas certaine de lui plaire. Il a dit pourtant avoir envie de l'embrasser, mais depuis qu'ils sont seuls il détourne si souvent d'elle son beau regard de glace qu'elle ne sait plus trop à quoi se tenir. Et là où la Rouquine n'aurait pas douté une seconde, la petite Roxanne se fait des noeuds au cerveau. Pourquoi lui caresser si tendrement la joue, si c'est pour dérober à nouveau son regard l'instant d'après ?

Elle suit des yeux son geste. Un baquet, parfait. Elle n'a pas l'intention de se baigner tout entière, c'est fait depuis son dernier client, à peine une heure plus tôt. Mais le geste est adorable ; surtout le paravent improvisé. Les yeux bleu-roy s'animent à nouveau de reconnaissance, et elle s'approche du baquet en souriant...


- Tu trouveras ce qu'il te faut là. Je te mets ça si tu veux te changer. Ca sera trop grand, j'imagine, t'es taillée comme une brindille. Enfin, une très jolie brindille, mais...

Brindille ? BRINDILLE ! ? Le "très joli" est perdu, ne le cherchez pas. Brindille il a dit! Quoi, il ne la trouve pas assez en chair pour lui ? Non parce que jamais, jamais foi de Rouquine, on ne l'avait traitée de brindille avant ! Elle ouvre et referme la bouche dans son dos, comme il la laisse seule avec son curieux mélange d'indignation et de doutes.

Bon, il aime peut-être les femmes très dodues... M'enfin, c'pas gentil de lui dire ça, surtout vu comment il l'a embrassée tout à l'heure, elle a bien senti son torse se plaquer à sa poitrine et sa main sur ses hanches, hein. Il a bien senti qu'il y a là de quoi remplir aisément la main d'un honnête homme ! "Brindille. J't'en foutrais, moi, de la brindille ! Une brindille c'est maigre, on y voit les côtes ! Oh Mon Dieu, le boiteux m'a affamée et j'ai perdu mes formes ! Non mais mes seins... sont pas petits, si ? " Songe-t-elle en soupesant les orbes blancs, piquée au vif. Sa poitrine ronde et vraiment pleine est son plus bel atout, et il l'attaque ! Enfin non, il ne l'attaque pas.. Mais c'est tout comme ! En plus, les seins ronds de cette taille, c'est rare, même que ! D'habitude ils sont en poire...."Arrête de t’énerver pour rien, enfin, Roxanne. C'est jamais qu'un homme, tu es bien placée pour savoir qu'ils blessent sans le vouloir.... Oui mais et mes hanches, hein ? J'en ai pas, peut-être ? Et mon petit ventre, il est pas assez rebondi ? Oh mon dieu il a raison, il n'est pas assez rebondi ! " Elle fait les cent pas, sans se rendre compte qu'elle se fait tourner toute seule en bourrique, et que ce sont tout simplement les nerfs qui lâchent. Des mois de captivité ou tout comme, ça nous a usé la poulette.

Alors quand il revient, elle remercie d'un signe de tête, et se débarbouille vite fait, penchée en avant sur le baquet, prenant soin de bien s'essuyer la bouche, c'est ce qu'elle aime le moins, ce rouge... Ses gestes sont rapides, habituels, mais ses mains tremblent un peu quand même. Elle se redresse, et l'observe, tandis qu'il sert à boire. Elle ne devrait pas lui faire reproche. Cet homme vient de la sauver ! Faudrait vraiment être une sacrée ingrate pour... Oui mais d'un autre côté, il lui plait beaucoup, vraiment beaucoup, et l'idée qu'elle puisse ne pas être parfaitement à son goût... Ben ça la vexe, voilà. Vexée comme un pou, la rousse.


Je suis pas une brindille, dit-elle d'une petite voix en s'approchant, levant sur lui son visage sans fard en signe de défi, comme pour contrebalancer le doute qu'elle ressent. Vous trouvez quand même pas que mes seins sont trop petits... Si ? ajoute-t-elle d'un air incrédule.

Parce que quand même, plus gros qu'elle... ça ferait un peu matrone, nan ? Oh zut, il est vieux, il aime peut-être les matrones... Ce serait logique...


Et puis j'ai des hanches, et même un peu de ventre, hein. Je suis pas une brindille..... Si ?

Sa voix est devenue à la fois aïgue, et tout petite. Elle est en train de se ridiculiser, et elle n'est même plus capable de s'arrêter, femme-enfant dans toute sa splendeur : femme au bord de la crise de nerfs, enfant parano d'être rejetée. Ses dernières paroles sont murmurées, d'une voix de petite fille un peu vexée et très très peu sûre d'elle, les yeux fixés sur ses pieds.

Si j'vous plais pas, hein... faut l'dire, hein... c'pas... grave..

Sauf que si, ce serait grave, hein. Puisqu'il lui plaît des tonnes.
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Sandhor
La sortie sur le pont n'avait pas aidé. Sa main forte au seau vide, il avait presque cherché ses marques sur ce bateau qu'il connaissait pourtant sur le bout des doigts. La lune elle-même ne lui aurait été d'aucune utilité ; quand on apprend à se repérer sur les flots aux étoiles, on a besoin de connaître sa maison les yeux fermés. Et ce navire, c'est sa maison, son chez lui, itinérant. Cet auguste capitaine est un saltimbanque de l'eau.

Il ne saurait pas dire s'il fait frais ou bon à l'extérieur, ou s'il bruine ou s'il vente, il n'y a pas fait attention. Ses sens sont restés dans la cabine, et c'est par gestes automatiques qu'il a puisé de quoi remplir le seau, aux réserves du bateau. Il aurait pu prendre de l'eau salée pour asaisonner ce corps de sirène et lui rappeler son élément d'ondine, mais il a eu la présence d'esprit de se dire que le sel lui aurait brûlé les yeux, qu'elle a de trop jolis pour les oser abîmer.

Ses yeux. Ces deux billes bleu roy qui rappellent les tropiques et donnent envie de s'y baigner. Ces deux boules de mer où il a déjà trop osé voguer, pour la sonder. Ces deux globes aux allures de ciel qu'il avait pour horizon il y a peu, encore. Ces deux rivages baignés de lumière où il ferait bon s'attarder. Ses yeux. Sa peau. Ce derme qu'elle voulait nettoyer et rendre naturel. Il était curieux de la voir sans fard, à vrai dire, dépouillée de ces artifices encore davantage qu'elle l'avait été, par bribes, au cours de la soirée.

Elle a eu l'honnêteté du regard, d'abord, puis celle des mots. De ces vérités d'instants qui s'ancrent à l'esprit de celui qui les reçoit, avec la gratitude d'avoir été l'élu de ce moment de vrai, sans fioriture, sans fausse pudeur, sans ce jeu d'équilibriste entre ce qui n'est pas vraiment faux et ce qui n'est pas tout à fait vrai ; cette frontière entre ce que l'on veut que l'autre voit, et ce qu'il doit oublier de soupçonner. Il est conscient qu'elle a fait son métier de faux semblants et qu'elle doit savoir, de par ses activités professionnelles, instiller des idées entre les deux oreilles masculines. Bien sûr qu'il sait tout ça. Et pourtant, qu'aurait-elle eu à gagner, avec lui, ce soir ? Il n'était pas question de gagner un écu ou deux de plus en le flattant, puisqu'il n'était pas question d'argent, tout court. Et puis, pour une inexplicable raison, il lui a fait confiance d'emblée, et c'est toujours le cas maintenant. Il l'a crue et il la croit, quoi qu'elle dise, puisqu'elle a eu l'air sincère, puisqu'elle n'a pas de raison de mentir.

Il n'empêche que si quelque chose le rendait méfiant, c'était lui-même. En homme avisé, Sandhor savait que la personne qu'on doit le plus craindre, c'est soi-même, la plupart du temps, sinon toujours. Et cette petite là, elle a un effet sur lui qu'il ne devrait pas avoir. Elle était lasse ce soir, tant et si bien qu'il a pu le noter d'instinct, en arrivant – il faut dire qu'elle ne le cachait pas non plus. Elle lui avait demandé, s'il l'embarquait, de l'aider à mettre les voiles loin de son bouge et il l'avait emmenée dans sa cabine. L'idée de savoir qu'un autre que lui évoluait dans son petit monde, c'était étrange mais pas si dérangeant parce que c'était elle. Un ou une autre n'y serait entré que pour ressortir les pieds devant, ça, c'était certain. Mais qu'elle, ce bout de femme là, évolue au milieu de ses outils et babioles, c'était... c'était bien, voilà tout. Il aurait pu désamarrer à l'instant et barrer sec pour profiter du bercement des flots avec elle pour regarder le soleil réveiller les poissons sous le lit de cette couverture de mer épaisse et noire. Rien de romantique, hein ; juste lui montrer ce moment qu'il aimait bien vivre tout seul, quand l'eau est une sorte d'huile opaque caressée d'une lumière douce. C'est comme ça qu'on savait que la mer est une femme ; elle prend des allures bien jolies aux flammes des bougies.

Oui, non, quand même pas partir comme ça. Alors il s'était intimé silencieusement un « Arrête tes conn'ries, Sandhor, t'as quel âge, imbécile ? », et était rentré dans la cabine avec le seau.

Il avait peu croisé son regard, avait répondu au signe de tête par un geste du menton entendu, et avait patienté en servant du vin, les gestes sûrs mais l'esprit tourné de l'autre côté du paravent. Ca l'agaçait, en quelque sorte, d'en avoir envie, « quand même ». D'être, au final, comme tous ces hommes qui la regardaient en s'imaginant l'étreindre ; il ne le lui dirait pas et pourtant, on ne peut pas être lâche et se mentir à soi-même, toujours. Il en a envie depuis qu'elle a glissé à ses genoux, depuis qu'elle l'a embrassé, et le baiser qu'elle a glissé à sa barbe tout à l'heure n'a fait que raviver la sensation de délice qu'il a ressentie quand elle avait pressé son corps au sien.

Il était penché sur la table quand elle était revenue du point d'eau improvisé.


- Je suis pas une brindille

Cette voix, toute petite, trahissant un je-ne-sais-quoi de mal assuré, ça l'a fait se redresser et tourner le visage vers ce regard de défi relevé vers lui. C'était digne d'une affirmation d'enfant qui froncerait les sourcils et vous dirait « j'suis pas p'tite ! » ou « c'est pas vrai ! » . Il en reste coi un instant, avant que les plissures de ses yeux ne trahissent une certaine tendresse. Cette indignation sous-jacente avait quelque chose d'adorable, et c'est une expression de malice qui vient remplacer la tendresse quand elle poursuit en parlant de sa poitrine. Et du reste de ses courbes féminines.

Le silence. C'est le silence qu'il lui oppose d'abord, un peu interdit et, clairement, surpris par ses propos. A chaque partie du corps qu'elle mentionne, le feu de glace de ses yeux coule à chacune, la détaille, l'envisage. L'apprécie, à juste titre. Il faut que sa voix perde en intensité et que son regard se fixe à ses pieds pour qu'il comprenne que c'est vraiment important et qu'au lieu de la complimenter, il a tapé à côté, pile poil là où le bât blesse. Merde.

Alors il l'observe, quelques secondes, sans trop savoir quoi dire. Il se rapproche finalement, et ploie, de manière à la regarder par en dessous, rompant l'axe pupilles – orteils de deux boules de glace iceberg.


- J'trouve tes seins parfaits comme ils sont. Pis tes hanches, pis ton ventre, pis l'reste aussi. J'sais qu'y a des choses qu'on doit pas dire aux dames, mais disons qu'si j'devais refaire la sirène de la tête de proue, t'en s'rais sûr'ment le modèle, gamine. Et on s'presserait pour venir voir l'plus beau bateau d'la terre. Et... l'premier penché par-d'ssus la balustrade pour la r'garder, ce s'rait moi. T'es pas une brindille, je voulais parler de ton gabarit. T'es juste... pile comme il faut.

Il finit par se redresser, et de poursuivre:

- Regarde-moi, tu veux ? J'ai dit ça pour te dire de façon détournée que t'étais un petit brin d'femme à côté de moi. Je voulais pas que tu crois que je t'ai fait venir là uniquement parce que j'ai envie d'toi.

Il se penche à son oreille, pour confier finalement:

- T'es bien jolie comme ça, sans ce maquillage sur ta figure.

Il a dit, alors il se replie, comme il le fait toujours quand il vient de lâcher un semblant de ce qu'il ressent. Il s'arrange pour croiser son regard, cette fois, pour conclure:

- Je t'ai servi une coupe de vin. Et comment qu'tu t'appelles, Mélusine?*


- *Mélusine, la sirène reçoit ce nom lorsqu’elle se baigne dans une cuve. — (Johannes Baptist Rietstap, Armorial général : précédé d’un Dictionnaire des termes du blason, tome 1 (A–K), G. B. van Goor Zonen, Gouda, 1884)

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Rouquine
D'abord, quand elle a commencé à parler, il l'a regardée, et rien que ça, une fois qu'elle se sera calmée, ça lui plaira beaucoup. Beaucoup trop d'hommes vous tournent le dos quand vous leur parlez, histoire de cacher leurs réactions. Pas celui là. Ensuite elle a cru voir de la tendresse dans ses yeux, assez vite remplacée par de... l'amusement ? Elle ne sait pas quoi en penser, et de toutes façons, les yeux fixés à ses chausses, elle est trop embarrassée pour réfléchir. Elle a vu son regard détailler ce qu'elle mettait en doute... Rien que ça, ça aurait du la rassurer, l'arrêter. Mais qu'est-ce qui lui a pris de se montrer si peu sûre d'elle devant un inconnu ? Hein ? De quoi a-t-elle l'air, maintenant ? Il va croire qu'elle a menti, quand elle a dit qu'elle était propriétaire d'un Bordel... Quelle catin qui se respecte doute de ses propres atouts ?

Elle reste immobile, attendant l'éclat de rire moqueur ou le grommellement agacé. D'abord, rien. Silence de mort, silence de gêne, silence de désapprobation...? Et puis d'un coup, un oeil de glace, là sous son nez. Instinctivement elle relève le menton d'un micro pouce. La surprise, sans doute, ou l'envie inconsciente qu'il ne se torde pas le cou. Elle est un peu gênée de croiser les miroirs de glace, mais en même temps ça la rassure, ça la rassure énormément, qu'il veuille la regarder
.

- J'trouve tes seins parfaits comme ils sont. Pis tes hanches, pis ton ventre, pis l'reste aussi.

Rouquine se mord la lèvre, détourne à nouveau le regard. Et rosit. Une catin qui rosit, c'est un comble, et pourtant. Parfaits, il a dit. Et le reste, aussi.

- J'sais qu'y a des choses qu'on doit pas dire aux dames, mais disons qu'si j'devais refaire la sirène de la tête de proue, t'en s'rais sûr'ment le modèle, gamine. Et on s'presserait pour venir voir l'plus beau bateau d'la terre. Et... l'premier penché par-d'ssus la balustrade pour la r'garder, ce s'rait moi. T'es pas une brindille, je voulais parler de ton gabarit. T'es juste... pile comme il faut.

Bon déjà, il la met dans le même panier que les dames. Rien que pour cela, elle lui sauterait bien au cou, tiens. Mais il n'a pas fini, et pour rien au monde elle ne l'interromprait, puisqu'il a l'air d'être en humeur de lui faire des compliments. Elle sourit, timidement d'abord, puis de plus en plus large, quand il décrit la tête de proue... et déglutit carrément à la suite. Il serait le premier à se pencher pour la regarder ! Et elle est pile comme il faut ! Non vraiment, elle va lui sauter dessus dans deux secondes...

- Regarde-moi, tu veux ? J'ai dit ça pour te dire de façon détournée que t'étais un petit brin d'femme à côté de moi. Je voulais pas que tu crois que je t'ai fait venir là uniquement parce que j'ai envie d'toi.

Elle n'a pas envie de le regarder. Ses yeux retombent résolument à ses chausses. Elle a honte d'avoir douté d'elle, d'avoir fait un caprice, alors qu'il est si.... il est si...Pas le temps de tenter même un début de pensée sur ce qu'il est. Il explique, et bien en plus. Et... il s'inquiète de ce qu'elle pense ? Clignant des yeux, elle ravale un hoquet de surprise. Pas uniquement parce qu'il a envie d'elle. Alors pourquoi ? Amitié Aritostélicienne ? Pour une simple catin ? On s'en fiche, il a envie d'elle. Et le plus fou, c'est qu'elle est super flattée, comme une fille... normale. Comme une fille qui ne serait pas habituée à ce qu'on ait envie d'elle, tout le temps, parce que c'est son métier. Comme une fille, quoi.

- T'es bien jolie comme ça, sans ce maquillage sur ta figure.

Elle s'apprêtait à s'approcher, mais le murmure a figé Roxanne, comme une statue de sel. Il aime son vrai visage. Elle aussi, elle se trouve plus jolie sans fard. Mais les clients ne lui disent jamais, puisqu'ils ne la voient jamais sans... Alors à part son propre avis, hein... Elle se jetterait bien à nouveau dans ses bras, en s'excusant d'avoir dit quoi que ce soit, mais à nouveau il s'éloigne. Cet homme est une sacré anguille ! Elle jette un petit regard par en dessous, histoire de voir quelle tête il fait maintenant et se fait choper la main dans le sac. Enfin les yeux dans les yeux.

- Je t'ai servi une coupe de vin. Et comment qu'tu t'appelles, Mélusine?

Mélusine, comme la fée ? Elle sourit au surnom et ... arrête de respirer. Merde. C'est vrai qu'elle ne lui a pas donné son surnom ! Elle ne peut pas donner son prénom... Si ? Non, y a des règles. Mais oui, elle a envie. Merde.

Je...


Elle s'empare du verre de vin posé sur la table et l'inhale plus qu'elle ne le boit. Au diable les convenances, elle en a trop besoin. Le petit coup de fouet lui rend l'usage de ses jambes et à nouveau elle s'approche. Mais alors, vraiment tout près. Si près qu'elle doit basculer la tête en arrière pour le regarder dans les yeux.

Pardon, je voulais pas vous embêter. Enfin... j'ai cru que... Parce que moi je vous aime bien, en fait. Et brindille, d'où je viens, c'est pas gentil, quoi... Alors bon...

Elle sait ce qu'il doit penser : "Quoi, c'est ça, une catin professionnelle, avec des clients nobles, propriétaire et tout ? Ben niveau éloquence, elle repassera... Elle vaut pas beaucoup mieux que le bouge d'où je l'ai sortie. " Sauf qu'elle a perdu tous ses moyens, à la seconde où ces yeux de glace l'ont mise à nu, ont vu derrière le masque et le faux sourire. A la minute où cet inconnu a décidé de l'aider.

On m'appelle la Rouquine. Et... je voudrais vous dire mon vrai nom mais seulement si vous jurez de ne pas l'utiliser en public. Parce que... c'est ... pas pour les clients.

Du regard, elle fouille le sien, comme si on pouvait s'assurer d'un regard qu'une personne tiendra promesse. Comme si les yeux ne savaient pas mentir. Son nom, elle l'a dit à qui, au juste ? Désirée, après l'avoir connu plus d'une année. Emilla, qu'elle avait bêtement prise pour une soeur. Baudouin, bien sûr, mais elle était amoureuse... Baile, la seule cliente en qui elle ait eu totale confiance et... Jules ? Non, elle ne l'a même jamais dit à Jules ! Et pourtant, elle avait pleine confiance en Jules, hein. Mais bon, ils n'étaient pas intimes... Mais avec Sandhor aussi, elle est bien loin de l'intimité, non ? Alors pourquoi cette furieuse envie de lui donner son précieux prénom? Pour la même raison qu'elle s'est débarbouillée. C'est Roxanne qui veut cet homme. Pas la catin. Comme avec Baud... Oh, merde.... Déglutissant furieusement, et en sachant très bien que c'est pas une bonne idée de continuer sur cette voie, elle continue quand même.


C'est votre tour de me donner un baiser.

Ha! Comme quoi les deux identités sont plus mélangées qu'on ne pourrait le croire, et Roxanne a un peu d'effronterie en elle, au final. Mais il a dit qu'elle était parfaite, et qu'elle lui plait sans fard, alors qu'il le prouve, songe-t-elle en sachant fort bien qu'elle se ment. La vérité ? Elle brûle de savoir comment il embrasse, quand il mène la danse.
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Sandhor
Elle a eu l'attitude adorable d'une gamine prise en faute, les yeux fixés à ses pompes, le regard fuyant d'autant, et ça a eu un effet tout particulier sur cet homme habitué à commander, à diriger, à savourer une autorité naturelle et certaine sur son entourage. Savoure-t-il celle là ? Oui et non, elle a surtout l'avantage non négligeable de l'aider à retrouver un peu de son calme, brièvement. Elle a cependant l'inconvénient de n'apaiser en rien le désir qu'elle suscite chez lui et qu'il se reproche à lui-même de ressentirn au vu du déroulement de la soirée.

Mais il l'a regardée, beaucoup, depuis que ses yeux ont croisé les siens, à l'entrée dans ce bouge affreux. Il a guetté ses réactions, ensuite, l'a analysée, étudiée. S'est tourné vers ses matelots quand ils la reluquaient un peu trop. L'a scrutée alors qu'ils s'apprétaient à quitter l'endroit, et notamment lorsqu'il a toisé le Boiteux. L'a dévisagée quand elle est sortie de derrière le paravent improvisé fait de portes de placard, un peu comme s'il la voyait pour la première fois. Et la jeune femme qu'il avait devant lui, que d'aucuns considèreraient peut-être bien trop jeune pour lui, c'était bien la première fois qu'il l'envisageait véritablement.

Celle que le maquillage déguisait comme si elle portait un masque, héroïne de nuits câlines, sa cape en forme de houppelande bleue clair en costume noctune. Celle qui était pourtant bien plus jolie sans artifice ; plus attirante encore sans le fard anonyme des filles qu'on ne veut pas connaître, puisqu'elles se cachent sous l'uniforme anonyme de lèvres trop rouges pour être gourmandes. Ce doit être pour cela qu'il n'embrasse que rarement, un peu comme on rechignerait à goûter un dessert trop sucré, préférant les délices subtils d'une douceur plus savamment dosée.

Elle attise ses appétits, et davantage encore depuis qu'elle se tient là, toute proche, dans l'attitude absurde d'un solitaire qui rougirait d'être plus petit que des grosses pierres de pacotille, lesquelles brilleraient bien moins tout en se rêvant indispensables. Elle a un charme incroyable parce qu'elle ne veut pas le charmer ; une aura incommensurable parce qu'elle ne cherche pas à attirer son regard ; elle lui donne envie parce qu'elle ne s'essaie pas à la satisfaction rapide d'un désir automatique, presque mécanique. Plus elle le fuit, plus elle lui plaît ; ça lui paraît même saugrenu qu'elle ne s'en soit pas rendu compte, au final, tellement il lui semble que ce qu'il est charmé transpire de lui.

Ses sourires, légers et timides dans un premier temps, ses regards furtifs qui lui échappent alors que ses propres iris restent résolument en quête des siens, cette manière dont elle le regarde par en dessous, dans une maigre tentative de saisir l'expression masculine, ce souffle suspendu... Dieu, qu'elle parle ! Qu'elle réponde à sa diatribe ! Lui ne parle que pour contraindre ses lèvres à être sages, encore un peu... Encore un tout petit peu, histoire que ses bras ne cherchent pas à l'étreindre et la mener à se blottir à nouveau contre lui, juste pour le bonheur, et le soulagement, aussi, de sentir ce corps voluptueux contre le sien.

Un mot, enfin. Deux lettres, celles qu'il voulait entendre, au final. Ce « je », si rare dans la bouche d'une femme ayant épousé cette carrière. Le geste suivant est criant d'être si silencieux. Cette coupe saisie, humée... ce léger gain de temps au corps en sablier, cette tentative de trouver en l'alcool l'ivresse qui saura lui faire perdre ses doutes... C'est un Bordeaux, choisi par lui et pour lui, dans un vignoble des environs. Vieilli en fûts de chêne, comme lui semble l'être. Au corps corsé, solide. Pas âpre le moins du monde, il semble même étonnamment doux au parfum, malgré la couleur de sa robe. C'est un petit trésor de vin, à vrai dire. De ceux qui surprennent, qui séduisent, et qu'on n'oublie pas.

Elle s'est approchée ; au diable le vin, puisqu'il ne boit plus qu'elle, ses gestes, ce regard qu'elle lui tend alors qu'elle casse sa nuque vers l'arrière pour pouvoir le regarder. Un souffle le prend au dessus du diaphragme, comme la partie inférieure de son ventre se contracte ; elle le grise plus sûrement que le nectar le ferait. Pour la première fois depuis un temps qui lui a paru bien long, elle le regarde dans les yeux, de son propre chef. Il se tait, écoutant la suite, alors que derrière ses tempes ne bat que l'idée de sa proximité à lui. Concentration. Maîtrise... Désir, toujours.


Pardon, je voulais pas vous embêter. Enfin... j'ai cru que... Parce que moi je vous aime bien, en fait. Et brindille, d'où je viens, c'est pas gentil, quoi... Alors bon... 

Elle ne peut pas savoir ce qu'il pense, à ce moment là. Ses yeux ont eu une plissure attendrie et attentive, son regard iceberg se réchauffe, sans doute, mais aucun son ne sort de sa bouche encore ; elle poursuit.

On m'appelle la Rouquine. Et... je voudrais vous dire mon vrai nom mais seulement si vous jurez de ne pas l'utiliser en public. Parce que... c'est ... pas pour les clients. 

Il n'est pas un client à ses yeux ; ça tombe bien parce qu'aux siens, elle ne vend pas ses charmes. Elle n'est pas une putain faisant commerce de son corps sur ce bateau ; il n'est pas le capitaine en escale qui chercherait à monnayer la levée d'une trop grande solitude. Ils sont Sandhor et … et la jeune femme qui se cache derrière Rouquine. Celle qui n'ose pas se présenter, un peu comme ces femmes timides qui mettraient en avant une amie plus en confiance, pour détourner l'attention, quand on l'aborde. Elle déglutit, signe d'une appréhension particulière, alors il allait répondre, quand elle a ajouté cette phrase qui suspend un instant son geste.

C'est votre tour de me donner un baiser. 

Cette fois, il n'y tient plus ; il prend juste le temps de la rassurer, puisque c'est, à l'évidence, important.

- Ce qui se dit et se passe ici n'appartient qu'à nous.

Comme elle lève la tête pour le regarder, la sienne ploie et d'abord, il n'agit pas. Il se contente de noyer son regard dans le sien, comme si l'instant était solennel, comme si toute l'envie qu'il avait accumulée jusque là demandait un instant pour se faire à l'idée de franchir le pas. Il sait que ce baiser en appellera d'autres, que cette étreinte des lippes sera le premier pas vers d'autres embrassades, qu'elles soient suaves, sulfureuses ou délicates. Le revers de ses doigts vient caresser la pommette, en dessiner le contour avec douceur puis se perdre plus bas, à la naissance des boucles rousses, juste à l'orée de la jointure du trapèze et du cou, quand le pouce se place naturellement en parallèle verticale à l'oreille. C'est une possession non violente, plus un soutien qu'autre chose. Une caresse immobile, sans doute.

Il aurait pu prendre sa bouche avec ferveur, avec pour seuls égards ceux dévolus à son propre désir, mais il a envie que ce premier baiser soit particulier. Alors ses lèvres décident de séduire leurs vis-à-vis. Lentement, avec une certaine douceur, l'inférieure, fine, vient caresser sa supérieure partenaire, une fois... deux fois, trois fois... La barbe, sans doute adoucie par les soins apportés un peu plus tôt dans la journée, doit lui épargner un contact trop dru. Peu à peu, la lippe supérieure vient soulever sa jumelle, pour permettre un baiser plus langoureux, non imposé, partagé. L'autre main glisse peu à peu à la nuque féminine, sans étau, sans carcan, alors qu'il prolonge cette union due, et réclamée.

Finalement, il confie à ses lèvres, dans un murmure bas:


- Dis-moi qui j'embrasse...
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Rouquine
- Ce qui se dit et se passe ici n'appartient qu'à nous.

Oui, ça lui plaît, ça. Un moment secret, hors du temps, hors du métier. Un moment dangereux, mais elle y pensera plus tard. Si elle avait été aux aguets, au travail, elle aurait vu l'inspiration sèche, le désir, la retenue. Elle aurait décortiqué, analysé, elle se serait adaptée. Mais c'est Roxanne qui mène ce soir ; elle ne voit que les yeux qui s'adoucissent, ce glacier comme prêt à fondre pour elle, juste un petit peu. Elle ne sent ce que cette main qui vient cueillir sa joue, et s'y abandonne, penchant légèrement la tête vers la grande paume.

Un souffle est pris et retenu alors qu'il approche doucement, plus doucement qu'elle tout à l'heure si c'est possible, et frôle ses lèvres sans hâte. Elle n'a pas l'habitude de ça, la p'tite rousse, et en vient même, une fraction de seconde, à se demander s'il n'est pas en train d'hésiter, s'il ne va pas reculer son visage dans une seconde pour lui dire "non, une femme sur un bateau porte malheur" ou encore "non, j'embrasse pas les catins, fardées ou non". C'est incohérent, cette crainte, après ce qu'il vient de dire... Mais elle l'aime déjà vraiment trop bien pour ne pas être pétrie de crainte qu'il ne la repousse. Fermant les yeux, elle pousse un léger soupir de soulagement et d'envie lors-qu’enfin le baiser s'approfondit. Un demi pas de plus, une poussée du talon, la voilà sur la pointe des pieds, lovée à lui, incapable de juste se laisser faire tant son corps, naturellement, tend vers celui plus grand et rassurant du marin. Il a une main à sa nuque, elle glisse ses bras à sa taille. Et ne retient pas un gémissement frustré quand la langue quitte la sienne, la forçant à rouvrir les yeux pour comprendre pourquoi diable il met fin à son délice. Allumeur !


- Dis-moi qui j'embrasse...

Elle cligne des yeux. Puis les referme, et répond tout contre ses lèvres, dans un souffle rapide où perce sa hâte de reprendre le baiser.

Roxanne, je m'appelle Roxanne. Encore...

Elle demande, mais sans s'en rendre compte elle a déjà commencé à prendre d'elle même ce qu'elle veut, alors que des lèvres elle grignote les siennes, par petits baisers doux, une puis l'autre... S'il ne revient pas vite prendre sa bouche, c'est elle qui s'emparera de lui. Ce soir elle n'est pas catin. Ce soir elle a le droit de réclamer.

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Sandhor
Il a été doux, patient, compréhensif, pas parce qu'il a su les codes et donné les bons mots de passe*, mais par respect pour elle. Il a frôlé ses lèvres, les a cueillies sans mollesse mais avec un certain égard pour la jeune femme qu'il avait en face de lui. C'est aussi un peu ce qui l'a retenu, en plus du fait que la soirée ait si mal commencé pour elle. Qu'elle soit si jeune, ou lui si vieux ; elle au printemps, lui en automne... Cela fait des années maintenant que son dernier été est passé, elle n'en a pas encore connu vraiment la chaleur. Quel âge a-t-elle, cette petite ? Vingt-ans, dix-huit ? Dix-sept ans à la limite ? Il ressuscite**, au moment où elle se hisse sur la pointe de ses pieds pour épouser le large buffet qui n'a plus la forme de V d'antan et qui a pris le pli de demeurer un rectangle large portant les stigmates d'une musculation jadis bien plus développée. Il porte beau, encore, bien sûr, mais il a conscience aussi du temps qui a passé, de la mer aussi, qui a semé dans sa chevelure et sa barbe un peu du sel de son eau.

Somme toute, il est resté relativement sage, de par son expérience et la maîtrise de ses nerfs, mais... comment lui résister ? Comment être raisonnable et stoïque face à une jeune femme dont le sourire l'a ravi, dont les yeux l'ont charmé, dont la candeur l'a désarmé ?

Ce premier baiser échangé, la satisfaction qu'il a ressentie en franchissant ce pas à nouveau, chez lui, dans son espace, et celle qu'il a décelée chez elle avant de laisser naître une part de frustration quand sa langue a arrêté sa course délicate pour qu'il l'interroge... C'était trop peu, ça nourrissait des envies d'encore, à l'instar de la manière dont elle a fermé les yeux, dont elle a soupiré, scellée à lui en enlaçant sa taille.

Elle lui répond, signant de fait ce qu'elle a annoncé plus tôt. Ce prénom, c'est pas pour les clients, et il n'est pas consommateur. C'est joli, Roxanne, ça évoque un tas de trucs, sur lesquels il s'appesantira peut-être plus tard. Ce qu'il a en tête, là, c'est cet « Encore » murmuré tout contre ses lèvres, et le fait qu'elle les cueille à nouveau, d'elle-même. Qu'elle se serve, pressée, à son buffet, qu'elle gourmande et dévore, mais qu'elle continue, oh, Dieu !

C'en est fini de penser, de peser le pour, le contre, l'avant, l'après. S'il y a des égards, ils seront pour le corps, à commencer par ce visage qu'il cueille en coupe pour rendre baiser à baiser. Comme il la surplombe, il se penche d'autant, torse plaqué à son buste. Elle s'est hissée à lui, attisant d'autant ce corps mâle dont elle a tendu chaque once de peau, de désir à peine voilé dont, du reste, il ne saurait plus rien cacher.

C'est le signal, le déclic. Celui qui fait que les langues se mêlent à nouveau, après l'assaut de la digue des lèvres. Un ballet suave auquel se mêle peu à peu le sulfureux de l'absence de retenue, puisque les barrières de la révérence ont été franchies.

Une coupe ? Quelle coupe ? Il a dû l'en délester, quand il l'a embrassée ou quand elle a enroulé ses bras à lui, peu importe. C'est d'une autre ivresse dont il est friand, alors qu'une jambe se fraye un chemin entre les siennes, comme pour marquer sa présence sans s'imposer déjà.

Les mains, elles, glissent au cou, à la ligne d'épaules, le bout des doigts écartant le tissu pour dénuder le trapèze en tapis rouge et laisser l'espace pour que le velours de baisers mutins puisse s'y loger. Le cou, ensuite, dans un élan plus affamé, plus affirmé, plus conquérant, reçoit les éloges d'une lente vendange de baisers égrainés. Il longe des lippes le col de la houppelande bleu clair où il voudrait éteindre la nuit ; l'étreindre encore, entre ses bras, ça devient une idée fixe, un leitmotiv.

Elle le rend fou d'envie, lui qui laisse la pointe de son nez en prémice à une légère morsure des nacres à la peau fine protégée des boucles où il se niche, l'une de ses larges mains glissant le long de la colonne pour se glisser au creux des reins dans une caresse pleine de sous-entendus.

Il la désire ; tout son corps crie qu'il la veut, au dernier degré. La main libre glisse de la nuque au lacet ou au nœud, ou quoi que ce soit qui tient la robe en place, mais avant que de la faire céder, il tient à s'assurer qu'elle le veut vraiment. Il tient à l'entendre le formuler, à la fois pour l'excitation que cela va procurer, et pour être certain qu'elle le veut, elle aussi. Qu'elle a ce même besoin, ardent, de le sentir fondre en elle.

Un murmure est glissé à l'oreille, annonciateur de plus de suavité à venir :


- Redis-moi cet encore. Dis-moi que tu le veux.

Elle n'a rien à craindre, ici. Si hommage il y a, il sera loin des élans furtifs des matelots qu'elle fréquente par la force des choses. Déjà, il impulse le mouvement de la faire reculer, baiser après baiser, jusqu'au lit sur le côté.

Ce soir, Rouquine ne montera pas de marin à sa couche ; Roxanne sera étendue au lit du Capitaine... Si elle le demande, si elle le réclame, et surtout, si elle le souhaite.



* Goldman, Le ballet
** Gainsbourg, Sea, Sex and Sun.

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Rouquine
[Embrasse moi idiot, c'est vraiment beaucoup beaucoup mieux que les mots....]

Enfin, il l'embrasse à nouveau. Enfin, elle sent qu'il la désire, vraiment. Elle. Oh les clients désirent, oui. Mais ils désirent leur propre plaisir, leur soulagement, et si ça aide qu'elle soit jolie, ça n'est pas vraiment elle qu'ils voient. Surtout les marins, qui, elle le sait, pensent souvent à la fille qu'ils ont laissé au port. Elle est anonyme pour eux. C'est bien pour ça que les baisers sont rarissimes... C'est bien pour ça que ce baiser là, il a tant de valeur, qu'elle s'y jette sans retenue, une petite main quittant la taille pour se faufiler à sa nuque, comme si elle se préparait à le retenir s'il lui prenait l'envie saugrenue d'arrêter à nouveau.

Tout son corps se fait chèvrefeuille et roseau à la fois. Elle ploie sous lui, pour mieux l'enlacer, l'attraper, le garder. A la jambe avancée elle colle le bassin, aux lèvres elle facilite le chemin, offrant son cou et son décolleté qui déjà s'affole d'une respiration plus saccadée. Une pensée fugace lui traverse l'esprit... C'est fou de songer qu'une heure plus tôt, épuisée et découragée, elle aurait juré n'avoir envie que de dormir, et de fuir la gent masculine à tout prix. Mais maintenant tout son corps est en éveil. Toutes ces caresses avortées de marins ne pensant qu'à leur plaisir l'ont laissée affamée, elle s'en rend bien compte à présent que le Capitaine s'intéresse aux petits bouts de sa peau que les autres n'ont pas touchés.* Alors, est-ce si étonnant qu'elle le désire si ardemment, lui qui l'a tirée de là, l'a traitée comme une dame, et l'embrasse si bien ici, la mordille si bien là... lui.. glisse une main... là ?

Oh Mon Dieu. S'il continue il va vraiment voir qu'elle n'a rien d'une dame... cette dernière caresse lui tire un gémissement impatient, et elle espère qu'il saura vite la défaire de sa robe. Oui, le lacet, là... en un geste il pourrait... Son sang bout, si elle pouvait seulement reprendre ses lèvres et l'embrasser avec toute l'avidité qu'elle ressent, toute cette urgence....


- Redis-moi cet encore. Dis-moi que tu le veux.

M'enfin ! Que doit faire une catin pour se faire comprendre ? Elle lui a réclamé un baiser, l'a presque dévoré déjà ! Sous l'effet du désir, la galanterie du Capitaine qui lui semblait si parfaite il y a quelques minutes, la dérangerait presque à présent. Elle va pas lui faire un dessin... si ? Si. Parce qu'il l'a vue au plus bas, et qu'il est adorable de vouloir s'assurer qu'elle ne se sent pas obligée, pour le remercier. Alors elle recule d'un pas, puis de deux, jusqu'à ce que ses cuisses touchent le lit derrière elle. Et d'un geste expert pratiqué des centaines de fois sur cette houppelande bien plus simple à enlever qu'il n'y paraît, elle fait tomber le vêtement au sol. Nue en un clin d’œil, c'est l'apanage de la catin. Sa peau trop blanche frisonne et sa poitrine pleine se rebelle un peu au contact de l'air trop frais, mais c'est un regard brûlant qu'elle lui lance, le menton relevé comme pour le défier de ne pas lui sauter dessus. .

Encore.

Juste au cas où ça ne serait pas encore assez clair, parce qu'elle ne pense pas qu'elle supporterait qu'il s'interrompe une nouvelle fois, la jeune rousse avance à nouveau pour se lover contre lui, se pendre à son cou et lui mordiller gentiment la lèvre inférieure avant d'y souffler....

Prends-moi, ou je vais finir pas me vexer.


*Brassens la mauvaise herbe

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Sandhor
Like a lazy ocean hugs the shore
Hold me close, sway me more
Like a flower bending in the breeze
Bend with me, sway with ease...


Il aurait pu rire, amusé, de la sentir tantôt ployer, tantôt s'enrouler à lui, son corps de lierre s'arrimant au sien comme elle l'étreint à mesure qu'il s'avance. La jambe, légèrement fléchie, est venue solliciter en retour une intimité qu'il espèrait aussi désireuse que la sienne étrique ses braies, la chair contrainte à la sagesse par un tissu trop étroit depuis que son bassin a épousé son aine.

Il aurait pu s'en gargariser, mais non, rien de tout cela. L'envie seule domine, insidieuse, faisant battre aux tempes un sang trop vif, trop chaud, pour que la moindre autre idée ne se dessine à son esprit que celle de posséder ce qu'elle lui a ôté en reculant, en s'extirpant de ses bras. Elle a buté, quoique doucement, au lit derrière elle, et la patience du marin, si elle fut faite de mille impatiences jusque là**, cède le pas à un désir irrépressible, dans un effet de domino qui fait s'effondrer toute galanterie. Comme la houppelande est ôtée, et glisse à cette peau diaphane dont la blancheur satinée appelle la sienne, rugueuse et mâle, déjà, il lui semble que son bas ventre bouillonne vivement.

Ce lever de rideau de tissu sur la scène de son corps, ça lui donne des envies de brigadier, même si l'idée de n'y frapper que trois coups lui paraît insuffisante. Ce corps là, il ne peut que s'imaginer s'y fondre, dans une houle marine conquérante, jusqu'à faire céder la plage chaleureuse et féminine, la submergeant après en avoir mille fois léché les grains de sable blanc qui la composent.

La fraîcheur de l'air ambiant mène la pointe d'un orbe velouté à s'ériger en protestation, et jamais ne lui a-t-il semblé que noisette fut si alléchante, si gourmande, si sucrée.
Sa bouche, affamée, s'entrouvre sous la beauté de ce spectacle de fierté, de celle de la poitrine à celle du menton, en passant par le regard. Elle le défie, son torse se soulève d'envie. D'ailleurs, c'est le moment qu'il choisit pour ôter sa chemise en réponse, et l'envoyer gésir plus loin, dans un coin ou un autre de la cabine, sans plus de considération que cela.

Nu, le torse porte les stigmates de sa mâturité, une pilosité grisonnante venant dessiner le relief d'un poitrail large et toujours musculeux, bien davantage dans sa partie supérieure qu'inférieure ; il fait bien longtemps que le bas ventre a perdu ces tablettes qui feraient des ravages des siècles plus tard, pour se contenter d'une paroi solide et endurcie par des années d'efforts dans la navigation.

Ses yeux sont rivés aux siens, aussi fiers et observateurs que les prunelles féminines se sont faites brûlantes. Les pupilles s'écartent lorsqu'il l'entend le défier.


Encore.

Le sourire qui vient soulever les coins supérieurs de sa bouche ne fait que confirmer ce qu'elle aura pu constater, si d'aventure elle aura laissé son regard couler jusqu'à ses braies pour en constater la tension. L'envie, l'ivresse aussi, dessinent une forme oblongue au creux du vêtement désormais étriqué, d'autant qu'elle se love à nouveau à lui. Elle mordille sa lèvre, grignote au passage, les derniers restes de retenue.

La main droite, d'instinct, vient cueillir l'arrière de la cuisse en un geste possessif, sous l'un des orbes postérieurs, de manière à river la jambe contre son bassin, le temps de dessiner sans doute la moitié supérieure de son profil du bout des doigts. La bouche, elle, vient se servir au buffet gourmand de la sienne, dans un baiser qui n'a plus rien de pudique ni de sage. Elle flirte avec ses sens, fait naître un feu ardent sous son enveloppe de chair ; chaque once de sa peau veut épouser la sienne, s'y mêler, s'y presser, s'y fondre. Profitant de l'espace créé, il rive à nouveau sa cuisse à l'origine de son monde et de son désir, dans une attitude bien plus autoritaire que précédemment. Il ne souhaite plus attiser, il souhaite s'y imposer ; puisqu'elle a rendu les armes, puisqu'elle murmure à nouveau, il témoigne ainsi de l'emprise impérieuse qu'elle impose à ses sens. D'un geste du bassin, d'une première estocade, il intime au corps féminin de ployer à la couche, son genou s'y enfonçant alors qu'il suit l'élan qu'il a lui-même provoqué. C'est une reculade sans doute, mais aux draps, pour y remonter. Baiser après baiser, il s'arrange pour que les boucles rousses, bientôt, reposent à l'oreiller. Lui s'est allongé, emprisonnant entre ses jambes l'une des cuisses féminines, si bien qu'il se tient légèrement de côté, dans cette projection sur les couvertures.

Comme il surplombe son visage du sien pour y lire la réaction de l'apogée de cette prime action de possession, sa main droite intime une légère griffure de l'aine à l'entrecuisse, plus traînante que douloureuse. Cette course en avant, cette plongée vers les draps, c'est une envolée, une projection vers davantage.

La pulpe du pouce, puis du majeur, caressent cette perle de chair que les hommes érigent en trésor. Un grognement de frustration à peine assouvie s'échappe en paradoxe de sa bouche ; c'est son propre esprit qui le gronde suffisamment pour que la main se face soudain plus intrusive, dans un mouvement sec que le poignet déclenche à la chair ourlée. Elle a voulu qu'il prenne, il prend, mais de sa main d'abord, de manière à pouvoir se dévouer dans un premier temps au plaisir de sa partenaire. Son plaisir à lui, il le trouve dans la manière dont le corps se tend et réclame davantage. C'est cela qu'il guette, alors que la glace de ses iris parcoure la mer de ses prunelles.

Voilà, Roxanne, la première estocade dans ce duel, dans ce corps à corps qui commence à peine. Il a quarté du pied, en escarmouche, coupé, feinté, s'est avancé, s'est immiscé. Son bassin pressant contre sa hanche sans cacher la dureté de sa virilité née d'elle, ce Cyrano de l'eau ne saurait en jouer jouer bien longtemps avant d'entreprendre davantage et pourtant...


A la fin de l'envoi, il touche...***

Uniquement.




* Sway, Dean Martin
** Allusion à une citation de François Mitterrand.
*** Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte I, Scène 4.

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Rouquine
Elle n'a eu qu'une seconde pour entrevoir son torse avant que de s'y coller, mais cela n'a que peu d'importance. Ce qui l'attire à lui comme un aimant, ce sont ses yeux, brûlants eux aussi, qui ont caressé ses seins aussi sûrement qu'une main le ferait, qui témoignent de son envie, qui lui ont manifesté tour à tour, depuis qu'elle l'a rencontré, considération, amusement, gentillesse, compréhension, force et désir. Les yeux sont les fenêtres de l'âme, dit-on, et jamais cliché n'a été plus vrai. Elle s'est collée à lui, entreprenante mais jamais aguicheuse, car la rouquine ne sait pas aguicher, ni par sa nature, ni par son métier. Jamais elle ne propose quoi que ce soit pour le dérober ensuite.
Ce torse qu'elle a à peine vu, elle le découvre donc d'une menotte descendue de la nuque où elle était nichée, le long d'une épaule large et rassurante, de pectoraux encore fermes, et elle doit consciemment s'empêcher de descendre plus bas que le ventre pour plonger dans les braies, de toute façons inaccessibles, collées qu'elles sont contre son bassin. Après le torse dévoilé et le petit sourire, cette présence affirmée au creux d'elle pleine d'assurance, finit de la rassurer qu'il ne la fera plus attendre.


A la main sous sa cuisse, elle prend une petite inspiration d'attente. Au baiser lourd de promesses et qui n'a plus rien de sous entendu, elle s'abandonne avec enthousiasme, sans plus retenir les petits gémissements empressés que le marin provoque en imposant sa cuisse au creux d'elle. Elle est tombée au lit des centaines de fois, mais rarement avec si bonne grâce. A ce visage qui la surplombe, les lèvres offrent un sourire fugace d'envie partagée avant de retrouver leur position instinctive, entrouvertes, cherchant l'air et les baisers. Les yeux tantôt le scrutent pour s'enivrer de ce désir d'homme qui attise le sien, tantôt le supplient d'obtenir une nouvelle caresse. Ils se ferment pourtant quand la main descend directement, délaissant la poitrine frémissante, en une caresse lente qui lui fait basculer la tête en arrière en se mordant les lèvres, impatiente. Elle a déjà tellement envie de lui que son petit ego de catin peut bien aller se rhabiller, il a déjà caressé sa poitrine des yeux, et la complimentera à nouveau plus tard, des mains ou de la bouche ; elle n'avait qu'à pas le défier de se hâter, aussi.. Déjà le bassin se tend pour apprécier la lenteur de cette main qui cherche à lui procurer du plaisir plutôt qu'à posséder comme les autres avant elle. Au pouce et au majeur, elle ne peut réprimer un petit sursaut en réponse; de ces petits sursauts qu'on a quand on a peur d'avoir mal, même si l'inconfort ne vient jamais. Trop sensible pour son bien, trop sensible pour son métier, ces petits sursauts sont son lot quotidien. Fort heureusement il ne s'y est attardé que le temps d'attiser son désir, contrairement à ces freluquets qui viennent au bordel en bande, avec pour défi mutuel de faire jouir une professionnelle blasée, et s'acharnent bêtement sur son pauvre bouton à fleur de peau. L'intrusion des doigts en elle lui fait rouvrir les yeux de surprise, et redresser la tête pour croiser son regard. Alors ça...elle n'est pas habituée. Ça, c'est une caresse qu'on offre à une amante, et qu'elle n'a reçue qu'une seule fois dans vie.


- Oh.

Les yeux qu'elle découvre guettant son visage sont presque plus efficaces que la caresse. La tête retombe à l'oreiller, les petites mains avides viennent caresser ça et là le peu de peau qu'elles peuvent atteindre, une épaule, une fesse encore trop habillée. Elle ne peut pas détourner le regard, sirène prise dans les filets du marin ; le souffle court et audible, elle déglutit alors que son bassin, profitant qu'elle est trop surprise pour conserver une once de pudeur, ondule en appel à cette main qui la tient au corps aussi sûrement que les yeux de glace lui tiennent l'âme.
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Sandhor
Oubliées, les résolutions de sagesse, la tempérance et le maintien d'une certaine pudeur. Le geste de la nuque pour croiser son regard, ce « oh » qu'elle a échappé n'ont fait que rasséréner ce que lui hurle son esprit, si toutefois il est encore capable de lui souffler autre chose que ces envies d'encore qui lui vrillent le bas ventre du désir de l'entendre réitérer cela. La main a fondu, avec une force contenue mais un rythme qui s'accroît, à la féminité chaleureuse et s'est gorgée d'un gant de trouble, liquoreux, féminin, qui a achevé de lui faire perdre toute hésitation.

Elle le veut, il en est certain, elle n'est plus cette femme perdue et lasse qu'il a sortie d'un guêpier ; elle n'est plus cet objet aux gestes automatiques dans lesquels transpireraient un manque d'allant. Ce « oh » que ses lèvres ont cédé n'était pas soufflé sur le ton mielleux ou volontairement exagéré que son métier l'a peut-être déjà poussée à prononcer, dans un encouragement, peut-être mu par l'envie d'en finir rapidement.

Lui n'est pas client, elle n'est pas putain, à l'instant T, ils sont amants. Et elle est diablement exquise, ainsi allongée en-deçà de lui, dont le bassin s'impose à l'aine dans un besoin de conquête évident. Ses braies étriquées se sont muées en prison, en carcan à son désir, alors il est temps d'en dénouer les liens et d'en écarter les pans pour libérer la hampe de chair avide de se terrer à l'abri du giron féminin. Son regard au sien, il se laisse glisser entre les cuisses de la rousse au corps de rêve, avant que son visage ne descende un peu plus bas, pour mordiller la ligne de la mâchoire, pour prendre un baiser, encore, pour s'abattre au cou que la bouche dévore de baisers enflammées. Son parfum, la chaleur de sa peau diaphane, l'ampleur de la poitrine qu'il sent contre son torse, c'est assez pour nourrir le braiser de son désir, si toutefois il l'eut fallu.

Quelle preuve autre que cette démonstration de l'urgence ardente de goûter, d'embrasser, de cueillir ladite poitrine en une vertigineuse dégustation de sa peau. En appétit, il vient gourmander les deux noisettes, ces cerises sur le gâteau des orbes veloutés, de lippes brûlantes, enfiévrées.

Petit à petit, la gorge, le ventre sont parcourus d'un élan fiévreux, enthousiaste, exalté, comme il gronde son plaisir à ces découvertes. Lui, le marin, le vieux loup de mer, n'a jamais eu tant d'ivresse à découvrir une terre nouvelle ; elle est un de ces rivages cachés qui s'offrent comme un trésor à celui qui l'a su aller quérir. La bouche se fait figure de proue au vaisseau masculin ; elle part en éclaireur, dévale à la hanche, là, à l'aine, jusqu'à rejoindre le lagon irisé que sa main a précédemment exploré. Le corps, lui, glisse aux draps pour mieux se placer, avant que les lèvres, enfin, dépassent les digues battues par les eaux féminines.

La nuque se casse en arrière pour que, de là où son menton frôle le mont de vénus, il puisse lui tendre un sourire aussi carnassier que complice. Sans quitter ses yeux, il ploie ; qui d'autre qu'un capitaine au long cours aurait pu être si obsédé par le besoin impérieux de traverser la cascade, et d'explorer la cavité qui, peut-être, ouvre ses portes au-delà du flot rageur ?

Qu'importe qui. Des deux, c'est lui qui cède le premier et rompt le contact visuel, bien décidé à venir se repaître de l'émoi qu'il a lui même provoqué. Ce soir, il n'est pas question de régler rapidement son affaire à une tension égoïste. Ce soir ils ont le temps...

A nous deux, Roxanne.

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Rouquine
Ce regard. Elle ne veut pas le croiser, elle veut se plonger dedans, ne plus le quitter durant toute l'étreinte... Du coin de l'oeil, le geste de Sandhor pour se libérer de ses braies est repéré, et un sourire impatient vient jouer sur les lèvres de la jeune fille. Oh oui, qu'il vienne sur elle, en elle, qu'elle puisse caresser ses cheveux, sa barbe, ses ép...

Mais déjà il s'échappe, et la chevelure rousse retombe à l'oreiller, d'assez bonne grâce. S'il lui faut attendre, il faut bien avouer que cette façon qu'il a de la faire patienter est exquise. A-t-elle jamais reçu autant de caresses en si peu de temps ? Non, assurément non... La gorge s'offre aux baisers, frémissante; les reins se cambrent, le dos s'arque, projetant la fière poitrine en avant ; tout le corps d'instinct se tend au lèvres du marin, dans ce ballet instinctif et inutile, puisqu'on a jamais vu un homme refuser de combler les quelques centimètres le séparant d'un sein qu'il désire, si sa compagne ne le jetait pas à sa rencontre... Mais le corps veut, le corps tremble, le corps panique à l'idée que les lèvres s'éloignent, et se jette aveuglément en avant. A corps perdu, dit-on. Et on a raison.

Elle gémit, elle frémit, elle caresse et attire, les mains dans le poivre et le sel qui viennent si bien assaisonner sa peau. Des "oh", il lui en tirera encore quelques uns, à mesure qu'il explore la peau bien trop sensible de la petite catin. Clavecin oublié dans un conservatoire, dont on a jamais joué que trois notes, et qui soudain s'éveille sous les mains d'un concertiste chevronné, la jeune rousse chante et s'épanouit.

A mesure que le marin explore, toutefois, une sourde inquiétude réussit à percer les nuages de plaisir, et elle relève la tête, cherchant son regard. Il s'approche un peu trop de l'endroit le plus sensible ; combien de fois s'est-elle mordu la lèvre, dans ce métier, pour ne pas laisser voir qu'elle a mal ? Ce regard de prédateur qu'il lui jette la mène à se mordre la lèvre, troublée, et à renoncer à tirer sur ses épaules pour l'encourager à renoncer, à remonter vers son visage. Mais elle soufflera tout de même un "attention, doucement", bien décidée à profiter de tous les privilèges qu'être amants confère. La catin se bâillonne, mais Roxanne s'y refuse. Ce soir elle n'aura pas mal.

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