Isaure.beaumont
Ces dernières semaines étaient rythmées par l'attente. La terrible attente. L'abominable attente. Et plus que celle du procès, c'était celle des réponses d'Octave qui la rendait fébrile. Elle espérait toujours recevoir une lettre de plus, avant que le procès n'ait lieu, que le jugement soit rendu.
Aussi, quand on remit enfin entre ses mains le précieux papier, elle quitta la compagnie de tous et s'isola pour lire les mots tant attendus dans le calme le plus parfait.
Plume et encrier furent tirer avec hâte, et au secret de sa chambre, elle débuta sa réponse, traçant avec soin ses lettres.
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Aussi, quand on remit enfin entre ses mains le précieux papier, elle quitta la compagnie de tous et s'isola pour lire les mots tant attendus dans le calme le plus parfait.
Plume et encrier furent tirer avec hâte, et au secret de sa chambre, elle débuta sa réponse, traçant avec soin ses lettres.
Citation:
Mon cher Octave,
Si lidée de recevoir ma tête vous déplaît vous men voyez navrée sachez que je peux tout à fait la faire porter à dautres que vous. Maurice serait dailleurs ravi de lavoir, puisquil men a fait lui-même la demande. Mais quoiquil en soit, Cassian est daccord avec vous : il pense également quils niront pas jusquà me la couper, mais se contenteront de ma langue. Je ne veux pas subir une telle amputation, Octave ! Que ferais-je ainsi, privée delle ? Je préfère plutôt mourir que de ne plus pouvoir parler ! Sils décident pour moi cette sentence, je jure Octave, je jure que je me rue sur eux pour les tuer de mes ongles que jacérerai pour loccasion, de me défendre jusquà ce que mort sensuive. Je préfère de loin cette issue définitive à une pareille mutilation. Que lon me condamne au silence par la mort, mais pas à une vie de silence !
Pour votre gouverne, il est évident que je me suis relue avant de vous faire parvenir cette missive afin de massurer que je ne vous la livrerai pas avec quelques disgracieuses fautes. En avez-vous repérées pour me poser cette question ? Vous avez par ailleurs une étrange idée du romantisme et il serait absurde que jen use dans mes courriers et encore plus à votre attention. Le romantisme est lapanage des jeunes sottes rêvant de mariage ou pire, damour , ce que jai été autrefois, mais cette ère est révolue. Je sais dorénavant ce que réservent les promesses des hommes et le mariage.
Votre sens de lhumour, Octave, ma toujours laissée perplexe, mais je suis rassurée de savoir que vous ne moublierez pas trop vite. Mais un jour, le temps fera son uvre peut-être demain, et vous serez alors dans lincapacité de vous remémorer lexacte teinte de mes cheveux, léclat de mes yeux ou la taille de mon nez. Quant à ce portrait volontairement erroné que vous dressez, si ce nest la blondeur et la minceur de son buste, je plains cette jeune femme si elle existe: elle doit être tristement hideuse. Jose donc espérer que nous navons à vos yeux aucune ressemblance et que rien dans ce descriptif ne vous fait réellement penser à moi.
Jattends que mon procès débute et si je feins de ne pas lêtre, je suis en réalité terriblement inquiète de ce qui mattend. Pour vous répondre, si vous peinez à mimaginer bandit de grands chemins ou traître, jai pourtant été reconnue coupable pour ce qui sapparentait à un brigandage à leurs yeux il y a quelques mois en Provence, juste avant de séjourner en A&C. De plus, javais été, mais sans doute le savez-vous déjà, condamnée pour haute trahison suite à la tentative de prise de Conflans, lors de la Fronde de notre bon Roy Eusaias. Je ne vous ai jamais demandé dailleurs si vous aviez participé également à cette bataille. Jai dormi plusieurs jours en geôle et ai échappé à une exécution grâce au soutien de celle qui était alors ma suzeraine et épouse de notre bon Roy, mais jy ai perdu les terres que mavait remises mon frère, par la volonté de mon défunt père.
En ce qui concerne Caia, je nai à aucun moment songé à devenir sa marraine. Je ne men sens pas le droit. Jespérais, qui sait, pouvoir officier le jour de son baptême et ainsi la recommander au Très-Haut. Mais il eût été très présomptueux de mimposer moi-même en tant que marraine.
A propos des enfants, jai reçu il y a peu une missive dAxelle, qui souhaite récupérer Arnoul, de façon assez précipitée. Jignore ce quelle sait de leur fugue ou de ma condamnation à venir, mais jose espérer quelle ne léloigne pas sciemment de moi pour ces faits-là. Je me sens désuvrée à lidée de ne plus les avoir à mes côtés. Peut-être est-ce un signe du Très-Haut : les enfants doivent retourner à leur vie avant que la mienne ne prenne fin. Je pensais que le départ dArnoul serait un soulagement et que son absence me réjouirait, mais je dois avouer que la perspective de ne plus lavoir bientôt mattriste plus que je ne laurais cru. Cet enfant nest pas facile, mais il a quelque chose dattachant, si on y regarde de suffisamment loin. Quant à Caia, jaimerais écarter de mes pensées la réalité de la séparation qui se profile. Sans doute est-ce pour le mieux.
Si je suis épargnée, je pourrai ainsi retourner à mes occupations premières, sans avoir à minquiéter pour leur bien-être. Je mefforce de voir leur départ comme une libération. Après tout, Je pourrai terminer la licence daristotologie tout en réalisant ce projet dont je vous ai parlé. Une fois quil sera lancé, il ne me restera quà trouver une personne de confiance pour le gérer et ferai de Brynjar mon héritier. Ainsi, il ne manquera jamais de rien, et ses parents non plus. Je vais dailleurs vous abandonner sur ces quelques mots. Dans léventualité où ma tête roulerait jusquà vos pieds ou ceux dun autre, je me dois de rédiger un testament et décrire une lettre dadieu à ceux qui ont compté.
Que le Très-Haut vous garde, Octave, et quil guide vos pas jusquau trône comtal que vous occuperez à merveille, je nen ai aucun doute.
Isaure
Si lidée de recevoir ma tête vous déplaît vous men voyez navrée sachez que je peux tout à fait la faire porter à dautres que vous. Maurice serait dailleurs ravi de lavoir, puisquil men a fait lui-même la demande. Mais quoiquil en soit, Cassian est daccord avec vous : il pense également quils niront pas jusquà me la couper, mais se contenteront de ma langue. Je ne veux pas subir une telle amputation, Octave ! Que ferais-je ainsi, privée delle ? Je préfère plutôt mourir que de ne plus pouvoir parler ! Sils décident pour moi cette sentence, je jure Octave, je jure que je me rue sur eux pour les tuer de mes ongles que jacérerai pour loccasion, de me défendre jusquà ce que mort sensuive. Je préfère de loin cette issue définitive à une pareille mutilation. Que lon me condamne au silence par la mort, mais pas à une vie de silence !
Pour votre gouverne, il est évident que je me suis relue avant de vous faire parvenir cette missive afin de massurer que je ne vous la livrerai pas avec quelques disgracieuses fautes. En avez-vous repérées pour me poser cette question ? Vous avez par ailleurs une étrange idée du romantisme et il serait absurde que jen use dans mes courriers et encore plus à votre attention. Le romantisme est lapanage des jeunes sottes rêvant de mariage ou pire, damour , ce que jai été autrefois, mais cette ère est révolue. Je sais dorénavant ce que réservent les promesses des hommes et le mariage.
Votre sens de lhumour, Octave, ma toujours laissée perplexe, mais je suis rassurée de savoir que vous ne moublierez pas trop vite. Mais un jour, le temps fera son uvre peut-être demain, et vous serez alors dans lincapacité de vous remémorer lexacte teinte de mes cheveux, léclat de mes yeux ou la taille de mon nez. Quant à ce portrait volontairement erroné que vous dressez, si ce nest la blondeur et la minceur de son buste, je plains cette jeune femme si elle existe: elle doit être tristement hideuse. Jose donc espérer que nous navons à vos yeux aucune ressemblance et que rien dans ce descriptif ne vous fait réellement penser à moi.
Jattends que mon procès débute et si je feins de ne pas lêtre, je suis en réalité terriblement inquiète de ce qui mattend. Pour vous répondre, si vous peinez à mimaginer bandit de grands chemins ou traître, jai pourtant été reconnue coupable pour ce qui sapparentait à un brigandage à leurs yeux il y a quelques mois en Provence, juste avant de séjourner en A&C. De plus, javais été, mais sans doute le savez-vous déjà, condamnée pour haute trahison suite à la tentative de prise de Conflans, lors de la Fronde de notre bon Roy Eusaias. Je ne vous ai jamais demandé dailleurs si vous aviez participé également à cette bataille. Jai dormi plusieurs jours en geôle et ai échappé à une exécution grâce au soutien de celle qui était alors ma suzeraine et épouse de notre bon Roy, mais jy ai perdu les terres que mavait remises mon frère, par la volonté de mon défunt père.
En ce qui concerne Caia, je nai à aucun moment songé à devenir sa marraine. Je ne men sens pas le droit. Jespérais, qui sait, pouvoir officier le jour de son baptême et ainsi la recommander au Très-Haut. Mais il eût été très présomptueux de mimposer moi-même en tant que marraine.
A propos des enfants, jai reçu il y a peu une missive dAxelle, qui souhaite récupérer Arnoul, de façon assez précipitée. Jignore ce quelle sait de leur fugue ou de ma condamnation à venir, mais jose espérer quelle ne léloigne pas sciemment de moi pour ces faits-là. Je me sens désuvrée à lidée de ne plus les avoir à mes côtés. Peut-être est-ce un signe du Très-Haut : les enfants doivent retourner à leur vie avant que la mienne ne prenne fin. Je pensais que le départ dArnoul serait un soulagement et que son absence me réjouirait, mais je dois avouer que la perspective de ne plus lavoir bientôt mattriste plus que je ne laurais cru. Cet enfant nest pas facile, mais il a quelque chose dattachant, si on y regarde de suffisamment loin. Quant à Caia, jaimerais écarter de mes pensées la réalité de la séparation qui se profile. Sans doute est-ce pour le mieux.
Si je suis épargnée, je pourrai ainsi retourner à mes occupations premières, sans avoir à minquiéter pour leur bien-être. Je mefforce de voir leur départ comme une libération. Après tout, Je pourrai terminer la licence daristotologie tout en réalisant ce projet dont je vous ai parlé. Une fois quil sera lancé, il ne me restera quà trouver une personne de confiance pour le gérer et ferai de Brynjar mon héritier. Ainsi, il ne manquera jamais de rien, et ses parents non plus. Je vais dailleurs vous abandonner sur ces quelques mots. Dans léventualité où ma tête roulerait jusquà vos pieds ou ceux dun autre, je me dois de rédiger un testament et décrire une lettre dadieu à ceux qui ont compté.
Que le Très-Haut vous garde, Octave, et quil guide vos pas jusquau trône comtal que vous occuperez à merveille, je nen ai aucun doute.
Isaure
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