Eldearde
- Neb a oar a gavo zeskift.*
La belle-mère est le paradigme de ces figures familiales dont le capital sympathie avoisine le zéro, voire côtoie les profondeurs abyssales. Tantôt jalouse, tantôt acariâtre, tantôt pétrie de mauvaiseté, les contes populaires la font armée d'un martinet, de haine bouffie pour les enfants d'un premier lit.
De la marâtre, Eldearde en a certainement la dégaine. Raide comme un passe-lacet, les noires coteries distendant encore un silhouette en échalas, blanche et élongée à l'instar d'un trait de craie, le timbre haut et claquant d'un coup de fouet... Son front trop grand, ses pommettes saillantes, ses lèvres pincées, sont l'incarnation de la sévérité ; point la sienne, cependant, mais celle d'une vie qui ne fait montre d'aucune pitié et qui taille les visages à coups de burin et de maillet.
Kierkegaard, néanmoins, s'en va en guerre contre les lieux communs, munie d'un simple vélin.
Cette prime géniture, ce garçon auquel elle ne reproche ni l'existence ni l'ascendance, elle n'en sera pas l'ennemie. L'acrimonie enfantine est la pire qui soi : elle se déchaîne, se pleure, se crie ; elle ne se répare pas et ne joue pas les agréables ; son caractère injustifiable la fait terriblement véritable.
Citation:
- Non, Madame, n'accusez point mémoire défaillante : je n'ai pas l'heur de vous connaître.
Parce que le Fatum en aura décidé ainsi, Limoges nous a éprouvées toutes deux, nous a bercées de ses vagues délusoires, sans jamais refluer notre âmes ivres de bruit et de calomnies à la baie du même comptoir.
Trois.
Je sais trois choses de vous. Pour une étrangère, vous songerez, à raison, que c'est déjà beaucoup. Trop ? Il vous faudra blâmer les indiscrétions de mon mari. Un dénommé Arry. Moustache lactée, grande gueule et léger boitillement ; je gage que vous le remettrez aisément.
Je vous sais à la fois végétale et animale, de chair et d'écorce, digne héritière des mânes d'un arbre sacrifié pour la jointure d'un coude et d'un poignet. Le menuisier, que dis-je, l'artiste qui vous dota de ce bras, journaliste à ses heures perdues, me compte parmi ses clientes assidues.
Je vous sais mariée à un homme exilé des steppes. Il vous a offert ce patronyme tout en angles et en traits, comme sculpté dans la glace de ces lointaines contrées.
Je vous sais loin de votre pays natal, celui des cromlechs qui n'ont pas dit leur secret, celui de Morgane et Viviane dont on entend le rire aux branches des peupliers, celui des phares et du far. Si toute votre personne, pétrie d'un mystère qui n'est pas sans rappeler celui de vos terres, attise grande curiosité, ce sont ces nobles origines qui motivent mon courrier.
C'est qu'il est, voyez-vous, un petit Brestois avec lequel il me serait doux de pouvoir échanger. Dans sa langue, dans l'apaisante mélodie de son parler.
Alors me voilà, avec mes gros sabots, à vous prier de quelques mots maladroits de bien vouloir m'enseigner les rudiments de votre patois.
Sans doute est-ce requête un peu bête ; sans doute me trouverez vous pleine d'arrogance et de fatuité d'ainsi quérir les services d'une donzelle que je n'ai jamais ne serait-ce que croisée.
Envoyez-moi au Diable, si je vous importune.
Acceptez et je vous payerai, pour ces leçons, une petite fortune.
- Vale !
* "Qui ne sait trouvera à s'instruire" en breton.
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[Blason en construction]