Côté défenseurs - à Reims (le bien, le mal, cest une question de point de vue, quand on a pas faim, qu'on ne se fait pas taper dessus, et tout cela)
Nous guettions les ombres et les silences à la lisière de la Nuit, des nuits durant, jusqu'aux aubes bleues et aux chants d'oiseaux.
Puis les brumes venaient, précédant les jours, ...
L'ennemi était fort loin.
Nous faisions une guerre d'attente et de mots, une guerre de slogans, d'idées, ...
Les autres armes étaient affûtées surtout, et huilées. On les sortait aux entrainements et aux parades. Il y avait peu de parades.
Lorsque les brumes se levaient, le courrier arrivait pour en effilocher les derniers voiles, et nous apporter les nouvelles.
L'ennemi avait bougé. Il avait pris Troyes. Il avait pris Langres. Il avait signé des décrets. Il ceci, il cela ...
Les gens de là bas avaient enterré leurs trésors. Ils ne pouvaient espérer vaincre avec les armes et les clameurs. Ils vaincraient par le silence et l'attente ...
Comme nous tous.
Avec l'aube venait un petit vent qui répandait le parfum des jacinthes. L'air sentait bon, et les douces chaleurs à venir.
Les parfums des fleurs se mêlaient à ceux de nos fers et de nos cuirs, ... "esprit de chaudron", "écume de bourrelier" ... et la soupe.
La soupe, c'était ma faute. Le régime pain-viande devenait malsain. Il y avait des jeunes pousses à foison. Une soirée de repos, une discussion avinée avec le cuistot sur les bienfaits des fruits et des légumes de saison, et sur une bande de gamins oisifs qui ne demandaient qu'à se rendre utiles pour la guerre ... et nous voilà à gouter des soupes de cressons et de pourpier, agrémentant les derniers légumes de l'hiver.
Et les gamins de nous les apporter aux avant-postes. Et ils avaient bien appris leurs leçons les bougres : chacun à son tour, sans couper les lignes de tir, chaque fois par un autre chemin. Ils en étaient fiers en plus !
Après la soupe viendrait la relève que voilà.
Quelques mots échangés, les nouvelles ... le plus souvent des biches et des renards que nous avions aperçus dans les environs que des adversaires tapinois.
Puis retour vers Reims avec notre attirail, et les gamins, qui paradaient mieux que nous, armés de marmites vides et de louches propres.
Reims, ... et le camp.
C'était un endroit ... polissé. Les effluves de la ville dominaient celles du camp. Et la ville était proprette itou pourtant.
Des tentes bien rangées, des armes en faisceaux, et des alignements de chaussettes et de caleçons en train de sécher. On avait même sablé les lices ...
De temps à autres, on nous envoyait des brigands pour nous amuser. Et cela nous donnait des occasions de camper où il fallait, le temps qu'ils comprennent que nous avions le temps, et qu'ils se débandent, ou se fassent prendre où ils étaient.
Et en attendant, et bien, c'était comme une grande réunion de famille parfaitement organisée, avec quelques faux départs, quelques vrais originaux, quelques cuites mémorables et d'autres, les vraies, où l'on refaisait le monde.
Et des bulles, de champagne ou de savon.
Le camp donc ... le temps du rapport, quelques mots griffonnés qui disaient tous "tout va bien" ... si tout allait mal, le réveil eût été tout en cloches et en cris, et beaucoup moins en plumes.
Enfin, donc, le rapport, et puis ma paillasse.
Dormir. M'oublier entre les mains de Dieu ... jusqu'au soir, et la prochaine garde ...
...
...
...
... ou presque.
Le réveil vint trop tôt. Un rêve érotique qui s'achève sur une course de cochon. ... une des choses pour lesquelles j'aime la salade : elle ne s'encourt jamais quand on l'approche avec un couteau effilé. Ni ne vient vous réveiller en couinant de terreur, poursuivie par un cuistot rougeaud essoufflé.
Mangez de la salade !
...
Bref, donc, les bras de Dieu. ...