Solinazelie Elle s'était décidée à partir le soir même pour aller voir la mer. De ce fait, forcément quitter le duché de Champagne dans lequel elle vivait depuis sa sortie de son couvent.
La jeunette n'aimait pas la foule, elle se sentait vite oppressée lorsqu'il y avait du monde autour d'elle. Cependant, elle voulait encore rendre service à une personne avant de partir, l'aider à un champ ou un élevage. Elle aimait aider les autres, tant qu'on ne faisait pas attention à elle, cela lui convenait parfaitement.
Elle profita alors du trajet la menant aux abords de la mairie, le soleil réchauffant son corps gracile, ce vent léger qui caressait sa joue afin de lui offrir un peu de fraîcheur. Elle se sentait bien et voulait profiter encore un peu du calme environnant qui n'allait pas durer lorsqu'elle aurait atteint son but. Pour se faire, elle marcha lentement, mais sûrement.
C'est ainsi qu'elle se retrouva près du panneau des offres d'embauches, là où une foule s'agglutinait pour choisir la mieux payée. L'Azélie n'étant pas un monstre de muscles, elle prenait en général ce qui restait à sa portée. C'est pourquoi, elle resta en retrait avec l'espoir que ces gens allaient finir par partir.
Malheureusement pour elle, ce ne fut pas le cas, au contraire. Elle se fit emporter par un duo de bonhommes bedonnants qui, de par leur odeur, sortaient indubitablement de taverne.
Avec sa carrure de belette, Soline ne faisait pas le poids et sa cheville n'a pas eu le temps de suivre le reste de son corps. Elle tenta de reprendre son équilibre, frôlant au passage un barbu qui avait deux fois son âge, à première vue. Seulement voilà, la foule, sa cheville douloureuse qu'elle ne parvenait pas à poser au sol, l'élan qui l'avait transportée jusque là... Le frôlement se transforma en un accrochage de bras pour finalement terminer à genoux devant l'homme.
La tête dans les épaules de crainte d'être piétinée, une main posée sur sa jambe meurtrie, l'oppression qui commençait à lui enserrer le coeur, le souffle coupé par la peur, la brunette en aurait pleuré si elle avait su le faire. Elle était sensible, timide, craintive, mais elle ne pleurait jamais. Cela dit, elle souriait rarement aussi, rire, n'en parlons même pas.
Je... suis désolée...
Ah ça, elle l'était clairement. Mais le pardon ne l'aidait pas à se relever pour autant. Et elle s'en sentait incapable en l'état.
Solinazelie Affalée sur le sol, prostrée serait plutôt le mot juste, elle n'osait bouger malgré les coups qu'elle se prenait. Déjà de base, elle n'était pas bien haute la brune, mais imaginez vautrée, elle en devenait l'équivalent d'un ver de terre. Peu ragoûtantes mais bien utiles ces petites bestioles, ne pas en voir une image négative. L'idée est posée...
Les yeux fermés, elle attendait que les choses se calment, que chacun prenne son embauche et s'en aille. Une main tenait toujours sa cheville douloureuse, l'autre se posait sur son coeur pour tâcher de le calmer. Et silencieusement, elle priait pour que ça s'arrête.
C'est alors qu'elle sentit des bras la soulever avec facilité, elle avait presque l'impression de voler tant la dextérité du geste était présent. Ses paupières toujours closes, il lui semblait que la foule s'éloignait d'elle ou peut être l'inverse. C'est ainsi qu'elle prit conscience qu'elle était portée. La prise était ferme mais douce, le bras musclé mais la démarche souple. Ce n'était pas possible, elle devait rêver, il n'y avait pas quelqu'un en train de l'embarquer, personne qui ne la touchait.
Elle ouvrit les yeux en retenant sa respiration et distingua son visage. Le barbu devant qui elle s'était effondrée était bel et bien en train de l'emmener elle ne savait où. Ce n'était pas un rêve mais un cauchemar.
"Non, non, NOOOOOOON !"
Ah elle hurlait de l'intérieur l'Azélie mais pour sortir un son, il n'y avait plus personne. Elle avait beau ouvrir la bouche, aussi grand que ses yeux effrayés, le silence était, lui, bel et bien présent.
Respirer et rester calme, elle se commandait mentalement afin d'avoir une réaction, il serait temps.
S'il vous plaît...
Ses noisettes terrifiées ne quittaient pas le visage de l'homme.
Elle avait déjà entendu que des femmes de sa carrure pouvaient soulever des charrettes à elles seules pour sortir leur enfant de dessous. Soline, elle, était pétrifiée, une vraie statue de marbre. Jamais personne n'avait posé sa main sur elle et là, elle était coincée contre le corps d'un homme.
Je... Je vous en prie...
Rien de clair dans ce qu'elle racontait, aucun ordre concret pour qu'il la lâche, la repose, la décharge dans un coin de rue. Elle faisait au mieux de ses possibilités là, si si. Elle avait toujours craint la foule, mais le sexe opposé plus que tout. Les soeurs du couvent lui en avaient raconté des histoires sur ces êtres malsains, toute sa vie elle n'avait entendu que ça.
C'est là qu'elle se rendait compte à quel point elle était faible et fragile. Qu'allait-elle devenir maintenant, s'il ne la laissait pas ?
Solinazelie Mais qu'est ce qu'elle était en train de faire l'Azélie ? Comment avait-elle réussi à se retrouver dans cette situation alors qu'à l'heure actuelle, elle devrait être en train de récolter du maïs ou traire des vaches ou n'importe quoi d'autre du même genre...
Mais non, plutôt que tripoter les pis de vaches, elle était collée contre un bonhomme dont elle ignorait absolument tout. Et qui comptait l'emmener chez lui, qui plus est. Non pas que l'intention soit mauvaise à la base, puisque c'était pour la soigner, mais il n'empêche qu'il aurait au moins pu lui en parler avant de lui faire traverser la moitié des bois.
L'inconnu lui assura une prise plus ferme, lui permettant alors de croire qu'elle ne se retrouverait pas à manger le sol dans l'immédiat. C'était toujours ça de pris, malgré le fait que son coeur se soit emballé. Non pas par le contact des corps mais toujours bel et bien par la peur qui l'étreignait jusqu'à l'âme. Il n'avait certes pas l'apparence d'un tueur sanguinaire ou d'un bourreau, mais elle savait également qu'il ne fallait jamais se fier aux apparences et que l'habit ne faisait pas le moine.
La jeune fille, qui n'était plus une enfant (fallait que je le place ^^), restait là à le fixer, lui qui ne bougeait maintenant plus. Néanmoins, elle avait l'impression d'être miniature et aussi légère qu'une souris entre ses bras.
Son souffle se faisait rapide, elle ne savait réellement pas ce qu'elle devait faire. Si on lui avait dit qu'en milieu de journée elle serait dans les bras d'un homme, elle en aurait ri. Elle qui ne rit jamais, elle l'aurait sans doute fait.
Il reprit sa marche pour s'arrêter à nouveau. Soline se rendait bien compte qu'il essayait d'éviter son regard, mais elle était curieuse des expressions qu'il pouvait avoir. Cela lui permettrait peut être alors de voir un changement quand le monstre au fond de lui sortirait. C'est qu'elle se référait aux histoires des nonnes, l'homme étant un être impur, malfaisant, malsain, etc... Elle ne pouvait décemment pas penser autrement.
En l'état, elle ne pouvait pas être contre le fait de le suivre. Elle ne savait même pas si elle serait capable d'avancer de trois pas sans s'effondrer.
Elle hocha la tête affirmativement pour répondre à sa question. Quitte à mourir de ses mains, autant retarder le moment le plus loin possible. Tant qu'elle était sur le chemin de chez lui, elle était en vie. Elle aviserait ensuite la situation. C'est qu'elle devait partir le soir même aussi.
Qui... Qui êtes vous ?
Il faut toujours connaître le nom de la personne qui vous tuera. Bon il n'avait aucune intention pernicieuse, mais ça, Soline ne le savait pas.
Solinazelie L'hasard ? Est ce qu'il cherchait à lui passer un message en se présentant de la sorte ? Il était clair pour la jeunette que c'était bel et bien le hasard qui les avait fait se retrouver dans cette situation, mais tout de même, il aurait pu lui donner son nom.
Elle cligna des yeux, cherchant à comprendre une raison à cela. Peut être que c'était son nom finalement. Peut être qu'il était né par hasard et que ses parents n'avaient pas l'imagination nécessaire pour lui trouver un autre prénom. Ou peut être qu'elle était carrément à côté de la plaque. Beaucoup d'incompréhension mais surtout de questions qui lui passaient par la tête et qu'elle ne poserait sans doute jamais.
Elle se contenta de le regarder, croisant à nouveau son regard à l'évocation de ce nom, toujours. Elle n'y voyait encore aucune folie dans ses yeux, rien qui laissait présager qu'elle finirait égorgée au milieu des bois. Ou pendue à un arbre. Ou éventrée et jetée aux cochons. C'est qu'elle avait une imagination débordante l'Azélie quand elle s'y mettait.
Ils venaient de tourner sur un chemin plus lumineux. Les arbres étant plus clairsemés par là, le soleil laissait passer ses rayons et lui réchauffait la peau glacée par l'effroi de ses pensées morbides.
Toujours fixée sur ce visage qu'elle détaillait, jusqu'au moindre poil au menton de l'homme, elle faillit sursauter lorsqu'il ouvrit à nouveau la bouche en sortant un son.
Alors, elle lui aurait bien dit s'appeler Jacqueline ou Marguerite, histoire de brouiller les pistes, mais dans tous les cas, ça n'aurait pas arrangé sa situation. Et elle ne pouvait pas mentir, cela allait contre sa nature. C'est pourquoi, de la même manière qu'il l'avait fait, elle prit une profonde inspiration avant de lui répondre dans un souffle...
Soline...
Ils n'étaient pas muets, ni l'un, ni l'autre, mais honnêtement, ils ne risquaient pas de saouler leur entourage inexistant en baragouinages incessant.
Lorsque le ciel se dégagea, elle tourna la tête afin de regarder où ils se trouvaient. C'est là qu'elle l'aperçut, la petite maison avec une grange attenante. Un magnifique jardinet parfaitement entretenu venait compléter le tableau. Ce terrain au milieu de la forêt était tout bonnement paradisiaque aux yeux de l'ingénue, oursonne sur les bords.
C'est... joli...
Et le pire, c'est qu'elle était sincère. Simplement comme pour parler, elle était nulle pour exprimer son ressenti. Encore faudrait-il qu'elle ait appris à le faire, ce qui n'était pas son cas. Rares étaient les fois où elle avait montré un quelconque sentiment.
Il lui était arrivé de rougir parce que c'était une chose qu'elle ne parvenait pas à contrôler. Mais toutes autres émotions se marquant sur son visage juvénile, elle ne savait pas faire. Et pas faute d'avoir déjà essayé. Quoique... Une fois, elle avait bu de la prune qu'on lui avait offerte et un semblant de sourire avait étiré ses lèvres. L'alcool désinhibe, c'est bien connu.
Solinazelie Les vaches furent le premier son qu'elle entendit lorsqu'ils s'approchèrent de la maison, hormis les oiseaux qui piaillaient bien évidemment.
Elle avait reporté son attention sur l'homme lorsqu'elle sentit la tension qui se relâchait, ce qui lui permit d'apercevoir un sourire fugace. Lazar semblait plus à l'aise de se retrouver dans un lieu familier, l'Azélie sentait, elle, l'angoisse monter d'un cran.
Il la déposa doucement sur un banc à proximité de l'entrée de la demeure le temps d'ouvrir la porte. Elle observait le moindre de ses faits et gestes afin d'avoir le temps de se préparer au choix final qui lui reviendrait. Car pour elle, on avait toujours le choix, même en mourant. Elle pouvait regarder en face son assassin, fermer les yeux au moment où ça se passerait, pleurer, supplier, crier, se taire... Elle n'était encore pas décidée, tout dépendrait de la manière de faire du tueur.
Parce qu'elle n'en démordait pas la brunette, malgré les gestes attentionnés et prudents du barbu, elle se l'imaginait toujours comme une personne malfaisante. Allez savoir pourquoi.
Et même lorsqu'il lui tendit le bras pour l'aider à se relever, avant de se raviser. Elle avait du mal à le cerner, c'était sans doute pour cette raison qu'elle était si méfiante. Pour ne pas dire purement paranoïaque.
Elle évalua la situation calmement, calcula la distance jusqu'à la porte et jusqu'à l'orée du bois. Le sol semblait assez lisse, le mur lui offrait quelques prises, elle se hissa en se tenant au bord de la fenêtre près du banc avant de se traîner à cloche pied jusqu'à l'homme.
Elle lui attrapa ensuite le bras avant de passer le seuil pour inspecter l'intérieur de la chaumière. Sa réflexion l'avait poussée à penser qu'il devait y avoir des couteaux ou un hachoir ou un quelconque objet tranchant avec lequel elle pourrait éventuellement se défendre.
En pénétrant à l'intérieur, elle découvrit un endroit totalement différent de ce qu'elle s'était imaginé. Aucun animal empaillé, tête de cerf accroché au mur ou crâne posé sur le bord de la cheminée. Aucune chaîne fixée au mur, d'objets divers de torture et odeur de sang ou de chair en décomposition.
Au contraire.
L'air embaumait la sauge, la menthe, l'origan... Elle ne pouvait que constater que c'était une maison tout ce qu'il y avait de plus normal. Elle soupira légèrement, la tension la quittant pour un temps.
Puis elle se laissa guider jusqu'à la table et plus précisément jusqu'au siège contigu le plus proche. Sans lâcher le bras de Lazar, elle releva à nouveau ses noisettes sur le visage barbu.
Merci...
Et maintenant, ils faisaient quoi ?
Solinazelie Elle était à peine installée que l'homme s'évapora dans une pièce annexe.
La belette en profita pour jeter un oeil sur tout ce qu'il y avait autour d'elle avec plus d'attention. L'intérieur ne ressemblait réellement pas à un endroit où des massacres avaient eu lieu mais plutôt à une maisonnette tout ce qu'il y avait de plus classique. Il était même agréable, rassurant. Sans doute les effluves des plantes qui venaient la calmer ou qui, justement, étaient présent pour annihiler sa volonté de s'enfuir.
Vivre longtemps en recluse n'aidait vraiment pas au développement social...
Puis "L'hasard" revint avec un tabouret surmonté d'un coussin qu'il installa devant elle en l'invitant à y poser sa jambe. Et là, gros dilemme pour la jeunette. Oui, encore un.
Pourquoi avait-il fallu qu'elle se blesse à la cheville ? Elle allait devoir lui montrer maintenant. Or, il n'en était pas question. Les soeurs lui avaient fortement interdit de dévoiler ces parties là de son corps, en plus d'autres, devant autrui. C'était très mal perçu, vulgaire même. Mais si elle ne le faisait pas, elle ne serait pas soignée. Car en vue des soins qu'il lui prodiguait depuis qu'il l'avait sauvé de la foule, puis du transport prudent à travers les bois, puis de la délicatesse avec laquelle il l'avait installée, puis l'attention qu'il avait eu à lui mettre un coussin sur le tabouret pour enfin s'atteler à préparer un cataplasme... Il n'était carrément pas un assassin. Ce n'était pas plus mal, mais la situation n'était pas non plus avantageuse pour Soline.
Si elle montrait sa cheville à un homme, passerait-elle pour une catin ? Mais si elle ne le faisait pas, parviendrait-elle à remarcher et partir en voyage comme elle l'avait décidé ? Parce qu'une fois soignée, il lui faudrait encore rentrer chez elle, récupérer ses affaires puis partir... Elle lâcha un soupir.
Pourquoi se retrouvait-elle toujours dans ce genre de situation ? A croire qu'elle attirait les ennuis. Et ce, depuis toujours... Combien de fois son amie s'était-elle moquée de la maladresse Azélienne ? On va dire que c'était son défaut de fabrication.
Elle ferma les yeux puis soupira à nouveau. Elle avait l'impression que des heures étaient passées à cogiter sur le fait de oui elle dégage sa jambe, non elle ne le fait pas.
Finalement, elle retira sa chausse, dénuda sa jambe blessée et la posa sur le coussin. Pour sûr, en sortant d'ici, elle irait se confesser !