Nebulue Nebulue était là, encore à parler seule comme une folle - ou alors parlait-elle à son python? - tandis qu'elle tirait ses cartes inlassablement, comme si son destin pouvait changer. Mais à vrai dire, elle n'en avait que faire de son destin, ce qui l'intéressait réellement était celui des autres, celui dont elle pouvait avoir une emprise dessus à coup de manipulations même si elle ne le faisait que très rarement. Il lui fallait un réel intérêt pour cela comme récupérer de rares ingrédients pour ses mixtures étranges qu'elle ne gardait que pour les plus désespérés.
Ce jour-ci, la mort lui était apparue et cela ne pouvait être des plus vrais en ce qui la concernait. Quitter Budapest avec la menace pesante de se faire brûler vive... Son arrivée dans le royaume de France... La Cour des Miracles... Le changement avait bien eu lieu c'était évident. Mais les choses ne changeaient-elles pas encore et toujours pour cette hongroise masquée.
Changeman... Changeman... Arrête donc de sourtir carthe hülye!
Son accent était flagrant, surtout quand elle se mettait à parler la langue du royaume même si le masque étouffait cette voix si enfantine. Si seulement les personnes savaient ce qu'elle disait en hongrois... Ce n'était clairement pas des compliments. Si seulement les personnes pouvaient apercevoir qui se cachait sous ce masque d'homme... Ils l'auraient probablement encore plus prise pour une enfant même si elle était loin d'être de petite taille. Mais être prise pour une enfant ne la dérangeait guère.
Pendant ce temps le python sortit de l'abri, glissant telle une ombre sur le sol jusqu'à sentir la présence de quelqu'un, sa langue fourchue capta l'odeur d'une étrangère et, bon joueur qu'il était, se laissa glisser jusqu'aux jambes de l'inconnue sans la toucher. Il attendait le bon moment pour se faire sentir mais Nebu s'en rendit compte de sa disparition. Ce n'était pas spécialement un bruit qui le lui fit comprendre mais plus le fait de ne plus voir la tâche blanche à l'intérieur. Quand elle parlait seule, aucun bruit ne pouvait la distraire.
Rapidement et laissant ses cartes sur le tissu qui couvrait la table, elle écarta le pan de tissu qui couvrait la porte et sortit en s'écriant sans voir dans un premier temps la personne que le serpent suivait.
Ekkaryn! Gyere vissza ide!
Elle récupéra le serpent sur le sol de ses mains gantées et le déposa sur ses épaules couvertes par sa cape, ne laissant entrevoir aucun morceau de chair. Il pesait c'était une évidence, quelque chose que l'on aurait bien pu deviner vu la longueur du reptile, trois mètres ce n'était pas rien.
Puis elle remarqua enfin l'encapuchonnée.
Vous âtes ici pour qouelque chosse?
Polie comme elle était, elle n'attendit aucune réponse et alla remettre le serpent dans la bicoque branlante.
Nebulue Le serpent à l'abri, la cartomancienne se mit à parler encore une fois.
C'est un coul de sac, rien par là bas.
Les yeux gris de fouineuse, visibles depuis les ouvertures dédiées par le masque, détaillaient la femme qui se trouvait devant elle. Son regard était étrange et ses mouvements tout autant, penchant la tête de droite à gauche, son corps suivant, pour la détailler dans tous les angles tel un animal curieux.
Tirer les carthes? Igen! Igen! C'est vingthe écous.
Elle hocha la tête à chaque "igen" de prononcé comme pour marquer ce qu'elle disait. Puis, telle une vieille bohémienne, elle lui fit signe d'entrer dans les lieux tout en tenant le pan de tissu, gardant un oeil sur le python qui avait retrouvé sa place sur le fauteuil.
Entrez, entrez. Et assis sur le tabourette. Attention à nou pas tomber!
Quel épouvantable accent elle avait... A croire qu'il était là exprès pour la rendre encore plus étrange mais non! Elle devait être arrivée ici au tout au plus depuis un mois et ses cours de langue à Budapest ne travaillaient pas forcément sur l'accent. Mais il fallait se l'avouer, le reste, à part Ekkaryn, étaient là pour justement susciter l'étrange. Nebulue aimait être étrange aux yeux des autres.
Vous voulez tirer les carthes pour savoir sur la famille? Sur la fortoune? L'avenir? Il faut savoir avant de tirer et visoualisser, sinon, ça ne marche pas!
Sa voix continuait à faire des hauts et des bas, finissant chaque phrase dans un semblant d'exclamation, comme si elle possédait la vérité ultime. Peut-être la possédait-elle aux yeux des autres mais elle était loin de la savoir. Elle ne savait qu'interpréter les cartes.
Cirsi vagyok.
Elle mit la main près du cur tout en sortant cette phrase mais n'attendit aucune réponse en retour, sachant bien que ce qu'elle disait dans sa langue natale ne serait pas compris par le premier venu.
Nebulue Une fois à l'intérieur, elle avait pris place sur son fauteuil et attendit sagement que le serpent vienne lui faire une écharpe avant de commencer à passer sa main sur ses lisses et blanches écailles. Elle osa même lui déposer un semblant de baiser à travers son masque. Puis, d'un mouvement agile elle rassembla les cartes pour les mélanger de la main gauche.
Le destin... Le destin... Vague soujet... Visoualisez ce que vous voulez savoir. Bien en tête.
Lentement, elle commença à disposer les cartes sur le tissu de la table, usant encore et toujours de la main gauche. Aucun mot ne fut prononcé par elle à ce moment-là, comme si elle usait de sa concentration pour insuffler de la magie dans les cartes. Elle disposa la première carte à la gauche de la cliente puis une à sa droite. Les deux premières étaient maintenant posées, il ne manquait plus que les suivantes. La carte suivante fut placée en haut des deux premières et la dernière en dessous, toujours par rapport à la personne qui se trouvait en face de Nebu.
Prête pour savoir le destin?
Encore une fois elle n'attendit aucune réponse, de toute façon elle avait déjà payé donc qu'elle soit contente ou non lui était égal et puis les cartes ne mentaient jamais. Nebu retira l'un de ses gants pour laisser voir une main frêle et extrêmement blanche, semblant même translucide aux lueurs des bougies.
La première carte fut tournée, c'était celle à la gauche de la femme.
Le jougement... Carthe intéressante... Elle est dans le bon sens... Bon signe. Le futur sera différent de maintenant.
Puis ce fut le tour de la seconde, juste à côté de la première.
Le diable! Quelque chose de mauvais arrivera! Prenez garde!
Puis ce fut le tour de la suivante, celle située en haut. C'était les amoureux qui se présentait dans le mauvais sens.
Les amoureux... Après le diable et dans le mauvais sensse... Mauvais! Très mauvais! Vous allez perdre qouelque chosse.
Et ce fut le tour de la carte située en bas.
Mais! Le pape a été tiré. Vous trouverez un amour pouissant après les épreuves.
Elle regarda une dernière fois pour avoir une vision global des choses et non individuelles.
Votre vie va changer. D'abord, en mal, vous perdrez qouelque chosse. Mais! L'amour sera là.
Ses yeux de fouineuse se déposèrent sur sa cliente tandis qu'elle remettait son gant toujours aussi lentement que tout ce qu'elle avait fait depuis qu'elle était rentrée dans son boui boui. Elle croisa ses doigts gantés, observant la réaction de cette personne qui se trouvait en face d'elle.
Aimez-vous votre destin? Impossible de changer une fois connu, impossible!
Elle insista bien sur le impossible, après tout c'était cela tirer les cartes, insuffler une idée dans la tête des clients pour qu'eux même mettent en marche la roue du destin. Lentement elle récupéra les cartes et les mélangea inlassablement comme si ce mouvement la calmait, l'apaisait.
Nebulue La première personne que reçut la hongroise s'en allait mais alors qu'elle s'éloignait elle ne dit qu'une seule chose.
Faites attention au futur bébé.
Inlassablement, elle mélangeait les cartes, chantonnant dans sa langue natale et regardant le plafond. Ses jambes étaient croisées et l'une d'elle bougeait en rythme, se balançant d'avant et en arrière. Ekkaryn se promenait dans l'habitacle, usant de sa langue fourchue pour sentir l'air et se diriger, à la recherche de la moindre souris qui pourrait lui servir de retard.
Vu sa taille, il ne lui était pas impossible de manger un chien de taille moyenne ou encore des chats. Tout animal de taille moyenne pouvait passer le long de son gosier, avalé d'une traite et en entier. Aujourd'hui, son dévolu s'était lancé sur un rat qui cavalait sur les poutres en hauteur. Et le serpent entra en chasse.
Lentement, la bête se laissa glisser jusqu'à sa proie qui, occupée à faire sa toilette, n'avait pas encore vu le danger s'approcher, sournois et mortel. C'est alors que le serpent attaqua. La souris avait senti trop tardivement sa présence et se trouvait maintenant emprisonnée dans les anneaux et l'étouffaient lentement, jusqu'à entendre ses os craquer.
La hongroise regarda la scène à travers le masque avec une mine de dégout et espérant de n'avoir rien à nettoyer de ses fringales.
Ekkaryn...
Elle continua de le fixer encore quelques secondes, jusqu'à ce que ce dernier finisse son repas. Enfin, la hongroise l'abandonna et soupira, reprenant son inlassable mélange des cartes, comme obnubilée par elles. C'était donc tout naturel qu'elle n'entendit pas la blonde arriver, ni même son serpent qui était en train de faire sa sieste digestive. Il était évident que l'invité surprise avait eu tout le luxe d'admirer les décorations et elle était encore calme. Celle-là, c'était une dure, une vraie de vraie.
Nebulue aima déjà le défi qui se présentait à elle. Elle sentait que, comme elle, ses mains avaient déjà été couvertes de sang et évidemment, le sang de ses victimes.
Le masque se tourna vers elle, se penchant à droite et à gauche comme pour la regarder dans tous les angles possibles tout en lui faisant signe de s'assoir de la main gauche dont le gant noir cachait la peau.
Jó napot.
Lentement, elle quitta le fauteuil et rejoignit la blonde pour la regarder de plus près, faire le tour, toujours en penchant étrangement la tête des deux côtés. Ses mains suivaient les lignes que formaient le corps sans jamais le toucher. Il fallait bien que la hongroise trouve façon de s'amuser, elle qui l'avait laissée entrer par mégarde, non préparée. Pourquoi fallait-elle qu'elle accentue toujours autant les choses? Rien d'étonnant qu'elle fut chassée de Budapest pour sorcellerie. Elle cherchait toujours la petite bête.
Cirsi vagyok.
Nebulue Lentement, la hongroise retourna à son fauteuil où elle se laissa y choir, son regard se portant désormais sur le python qui continue à dormir en pensant que jamais il va servir pour cette personne qui avait pris place. Sous son masque, elle était déçue mais rien n'était visible bien évidemment sous ce qui cachait son visage. L'expression porter un masque prenait tout son sens avec cette dernière.
Puis elle bascula la tête en direction de la blonde en soupirant. Qu'allait-elle bien pouvoir faire? Elle n'avait pas réellement envie de tirer les cartes, c'était quelque chose de plutôt ennuyeux pour elle, pourquoi ne pas lui proposer une potion? Selon son cas cette dernière pourrait facilement accepter.
Mais certains cas ne nécessitaient pas cela mais plus de... Clairvoyance. Alors elle le sut, il lui fallait à tous les coups tirer les cartes pour cette étrangère.
Elle récupéra ses cartes de tarot dans sa main gauche avant de replacer correctement son masque de la main droite. Elle avait l'impression d'étouffer là dedans mais elle s'était donnée un rôle et se devait de le tenir jusqu'au bout, peu importe les sacrifices nécessaires. Elle était bien plus forte que tout cela.
Ses mains gantées reprirent alors leur petit manège, recommençant à mélanger les cartes de différentes manières mais toujours par la main gauche, sinon tout aurait été faussé et elle n'était pas une débutante, loin de là. Ses iris continuaient de la fixer, se voulant pesants et oppressants, comme une entrave qui se mettrait à l'étouffer. Elle voulait voir comment elle allait réagir face à cela.
Pour les carthes ou pour oune mixture? Les mixtures, très efficaces et rapides.
Enfin le python bougeait et se rendit auprès de la cartomancienne, se plaçant sur ses genoux. L'animal était lourd et coupait légèrement la circulation de ses jambes mais par de gestes habiles, elle lui fit comprendre de passer le haut de son corps le long de ses épaules.
La hongroise sentait maintenant toutes les parties de son corps correctement et sa main caressa ses écailles qui lui paraissaient si douces comme à leur habitude, même à travers le tissu des gants qui empêchaient un réel contact entre l'animal et la femme.
Nebulue Et encore une fois ce fut les cartes qui avaient été choisies, sans compter que cette fois-ci elle se donna bien plus de travail car elle avait proposé des mixtures. Elle qui espérait que cela soit le plus court... Mais non! C'est donc lasse qu'elle déposa les cartes devant elle avant de les couper en deux de la main gauche. Puis la question tomba.
Et qu'est ce que vous voulez savoir? Il faut visualiser ce qu'on veut savoir, sinon ça marche pas! Les carthes sont capricieuses et il faut souivre les règles.
Cette fois-ci elle avait envie de faire différemment, et si c'était la cliente qui choisissait les cartes? Mais cela aurait été trop compliqué et laborieux, il lui aurait fallu lui expliquer, l'empêcher de faire un faux mouvement... Trop de travail en somme. Mais elle avait oublié le plus essentiel et se rattrapa vite de son erreur.
Tirer les carthes c'est 15 écous, pour les mixtures ça va de 5 à 100 écous, tout dépend pour faire quoi. Tuer quelqu'un moins cher que le soigner.
Tout avait été dit désormais, enfin à sa connaissance. Nebu retira le gant couvrant sa main droite, blanche et fantomatique comme à son habitude, et la déposa sur la tête de son serpent, profitant enfin de ces écailles qui brillaient de mille feux aux yeux de la cartomancienne. Ce dernier se contentait d'humer l'air à l'aide de sa langue et bougeait lentement la tête en direction de sa cliente sans pour autant s'approcher. Le temps de l'amusement était fini et il fallait qu'il la laisse travailler tranquillement. Après tout, c'était ce qui payait les repas gargantuesques de l'animal, manger des rats et des souris alors qu'il était habitué à bien mieux comme avec un lapin ou un faisan. Certaines fois il avait même le droit à des cailles mais ce n'était que pour les jours de fête et cela n'arrivait pas si souvent que cela, quelques fois par an tout au plus.
Elle abandonna un moment ses cartes et bougea le reptile pour pouvoir se lever du fauteuil. Là où elle se rendit ne fut pas très loin, c'était juste une cassette en fer cachée par un pan de tissu à l'intérieur du semblant de mur. Une fois dans ses mains elle retourna s'assoir et l'ouvrit calmement. A l'intérieur se trouvaient une petite bourse qui devait contenir tout au plus une centaine d'écus, un grand livre épais et qui pesait bien son poids et plusieurs petites fioles à peine plus grandes qu'un petit-doigt contentant toutes sortes de liquides colorés avec leurs étiquettes écrites en hongrois. Elle n'allait tout de même pas les écrire dans une autre langue alors qu'il suffirait d'un toute petite erreur pour sauver ou tuer quelqu'un. Il ne maquerait plus qu'elle donne de la cigüe à l'un de ses clients qui venait pour un simple rhume...
Nebu garda la cassette ouverte à côté d'elle sans se préoccuper que son contenu soit à la vue de tous. Après tout ce n'était qu'un simple recueil d'herboristerie, des traitements et des poisons. Elle rassembla les deux tas de cartes et commença calmement à tirer après avoir eu la réponse de la blonde.