Gaston.phlebite
Scène 1
AN de grâce 1466 à Cambrai, mois d'avril, une propriété change de main.
Nous nous croyions alors à son âge d'or. Mais nous étions bien loin d'imaginer le joyau que la ville allait pouvoir devenir par nos oeuvres politiques, foi de Gaston ! Car la cité fortifiée de Cambrai, ville frontalière de tradition plus impériale que française, fief des Bourrins et auparavant de puissants Comtes-Evèques, terreau d'indépendance et de révoltes communales, haut lieu de culture et parfois même d'hérésies voire de sorcelleries, se parait déjà d'innombrables merveilles architecturales, baroques et gothiques.
Or l'un de ces édifices, tombant doucement en ruines, intéressait tout particulièrement mon maistre Amédée.
Le type du lieu s'apparentait au béguinage, sorte de couvent laïc, ayant hébergé diverses sociétés au fil des décennies. Aux veuves et aux orphelins avaient succédé une obscure secte d'aristotéliciens schismatiques, lesquels s'étaient voilà peu rendus coupables de non-paiement de rentes viagères aux dépends du belliqueux Marquisat d'Arlon. En ma qualité de héraut de la maison, il ne m'avait point été difficile de vérifier les obligations dont mon Sire avait hérité par la force de poussiéreux contrats de droit privé.
Une cour intérieure et un puits, deux maisons à coursives reliées entre-elles par une chapelle et son beffroi.
Certes ce que l'on qualifiera ici de place forte restait sacrément humble pour un seigneur de renom tel que mon lige, mais sa simple apparence masquait d'indéniables atouts stratégiques. Le clocher permettait d'observer les alentours, les quatre murs étaient suffisamment hauts pour dissuader le premier venu d'une éventuelle escalade. Les balcons sur les coursives offraient de bonnes positions aux archers, la porte principale était solide. Mais ce qui nous intéressait en premier lieu, c'était le passage secret.
Une poterne cachée derrière un buisson, un couloir ténébreux, un autel s'ouvrant sur la crypte de la chapelle.
Lorsque tinta l'office du soir, que Notre-Dame appela ses fidèles, moi, Phlbite, menai l'assaut en compagnie d'une maigre poignée de frères d'armes. L'affaire fut vite entendue, comme l'on prit nos mauvais payeurs par la plus totale des surprises à l'heure du Magnificat. Dieu m'est témoin : une grande majorité des résidents se rangea à notre côté contre promesse d'un doublement de pitance. Les réfractaires, quant à eux, furent passés au fil de l'épée et leurs corps jetés depuis les murailles de l'entrée.
Bientôt le lieu allait pouvoir devenir le principal avant-poste artésien du clan arlonnais. Ménage de printemps.
Ainsi s'annoncèrent les Vêpres cambrésiennes, tonitruant chapitre de l'histoire féodale d'Artois.