L.aconit
- ... Mon père.
Soyez fier de moi, tournez vos yeux d'airain vers ce fils qui vous admire en silence, d'être si grand. D'être si fort. D'être tout ce qu'il n'est pas et ne sera jamais. Ce fils qui ne sera jamais chevalier. Jamais capitaine. Mais jamais plus égaré.
Mon père, aimez-moi. Pour ce que je suis et tel que je suis né. Pour mes défauts nombres, et ma pudeur publique, mes peurs phobiques, ma virilité avortée. Je ne suis pas le fils parfait, mais j'ai d'autres talents que l'art de chasser. L'art de me battre. L'art de séduire. Je sais prier. Je sais aimer. Je connais l'abnégation et le don de soi. Je connais la servitude et la bienveillance. Pas un jour ne sait s'enfuir sans que je ne cherche à exprimer ces choses innées en moi.
Mon père, aimez-moi. Je sais mes défauts en nombre, et je n'ai de cesse que de tenter de les aplanir. Si je ne suis pas comme vous un homme de terrain, un stentor, un patriarche qui sait punir ou réunir, si mes mains sont bien douces là où les vôtres pointent orageusement l'horizon des ennemis, je ne suis qu'amour, patience, je suis votre fruit.
Mon père, aimez-moi. Acceptez mes mains. Elles peuvent vous bénir. Acceptez mon vin, il peut communier. Acceptez mon âme, elle est grande et tournée vers les autres. Soyez-heureux pour moi, regardez ce qu'est devenu l'écuyer de Retz, qui vous regarde en apôtre. Pas un fils plus fier n'aura pu sortir de vos entrailles, de vos viscères.
Mon père, aimez-moi. Je ne vous donnerai point de petit fils, mais soyez assuré déjà, que je tracerai à notre nom une digne destinée. Pour une fois une seule, regardez-moi mon père. Prenez mes mains. Et des lèvres ou des yeux, de la bouche ou des gestes, dites moi seulement que vous êtes fier de moi.
Amen.
Il se signa, restant un moment dans sa position de prière, dans la cathédrale vide. Si la route avait été longue, elle n'était rien comparée au long chemin que Faust Nicolas avait du faire pour arriver à formuler ses voeux. Face à ce père peu expansif, les lettres ne servaient à rien. La pudeur et le silence les abolissaient toutes, et chassaient leurs inflexions jusqu'aux silences cadenassés. Alors, lorsque les messagers n'avaient que le ressac du rien à ramener, l'enfant persistait, lançant ses cailloux avec plus de force, priant Dieu de lui ramener enfin l'ombre d'un ricochet.
Citation:
De Marwenn
Objet de Bretagne, par delà les dolmens
De Marwenn
Objet de Bretagne, par delà les dolmens
Monseigneur,
puisqu'il en est ainsi.
L'humble diaconesse que je suis est ravie de vous voir accéder a une telle charge. Vos fidèles peuvent se réjouir de vous avoir pour veiller sur eux. J'ai informé votre père de la bonne nouvelle par un courrier. Il est actuellement en mer pour chasser des pirates... Oui. Vous avez bien lu. Il chasse le flibustier. Quant à vos frères et surs, je ne les ai pas croisés récemment. Mais ne doutez pas qu'ils soient tous très fier de vous. [...]
Racontez moi votre voyage. Rome doit être une ville magnifique, bien differente des prairies pluvieuses que j'ai connu toute ma vie.
Je vous embrasse.
Marwenn.
Prenant son courage à deux mains bien blanches, bien glabres, bien tendres, le jeune prélat se redressa jusqu'à se lever, et quitter le calme du lieu saint pour aller annoncer de vive voix à son père qu'il avait été nommé évêque par Rome. Craignait-il sa réaction? Plus que de raison. C'est que dans le silence se cultivait souvent l'imprévisible. Serait-il fier? Troublé? Secrètement déçu? Serait-il seulement honnête ? Puisque le Grand Duc n'était pas le plus assidu des correspondants, légitimement trop occupé par son règne, le jeune Montfort Toxandrie avait fait le déplacement. Allant au devant de la déception ou de l'encouragement.
L'avenir le dirait.
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