Sabaude


Ecrit à 4 mains
La compagnie qu’il formait avec ces hommes et ces femmes de bonne ou de mauvaise fortune, prenait, dans l’esprit de Sabaude, l’apparence d’un banc de brume que les courants d’air façonnaient sous l’inspiration d’un être surnaturel. Le voyage vers l’Espagne avait troqué son air paresseux et tranquille contre un autre de bataille où chacun, par ses engagements ou ses convictions, prenait place dedans ou dehors. La pérégrination apporta aussi son lot de surprises.
Séparés à Toulouse, ce fut à Labrit, que le Duc de Messey accompagné du Duc d’Aunou le Faucon retrouva leurs compagnons. La ville nichée dans son écrin forestier entre les bras de Leyre, avait quelques jours plus tôt été le témoin de la folie guerrière des hommes qui avait frappé à l’envi, n’épargnant personne ni même la fougueuse Axelle depuis lors alitée et placée entre les mains expertes de sa fidèle Lénu.
L’endroit n’était pas que le théâtre de drames, on joua aussi dans ses rues une saynète improvisée qui plus tard retrousserait les coins des bouches rieuses.
Un vent farceur souffla sur deux amis impatients et leur ravit le plaisir de savourer des retrouvailles attendues sitôt la séparation entamée. Comme empreinte de cette magie que l’on conférait parfois aux lieux et aux choses, Labrit, le temps d’une journée, abrita les deux jeunes hommes en veillant à les maintenir séparés et dans l’ignorance de l’occasion, jusqu’au départ précipité de l’un, l’autre le rejoignant sur le chemin du départ avant que l’obscurité n’ait englouti les voyageurs.
Ce jour-là, Sabaude quitta le chevet de la gitane le cœur presque à l’arrêt dans l’encoignure de la porte d’où s’élançait la rue qui le mènerait sur les pas de Tabouret venu plus tôt visiter la blessée. Drapé dans son manteau aussi sombre que son humeur pouvait l’être, il s’imprégna du sentiment de l’hiver, de sa rudesse, et de la nature endormie avant de poursuivre celui dont il devinait les affres. Il dépassa la dernière habitation, hors d’haleine, et le vit à quelques toises, prêt à avaler de nouvelles lieues pour il ne savait quelles affaires. Il arrêta sa course contre une barrière qui menaça de s’écrouler, sans chercher à réduire la distance. Quelque chose tapi au fond de lui l’empêchait d’aller plus loin. Reproches, fierté ou crainte, il n’aurait su dire ce qui le clouait sur place. Sa main sûre et agile se referma sur un caillou de la taille d’un œuf de caille sur lequel un soleil de fin d’après-midi dardait un de ses rayons orangé, et l’envoya cogner le dos de sa cible.
Alphonse ! L’appela-t-il avec force.
Le cavalier avait senti dans son dos la percussion se faire sans pour autant s’en croire la cible distinctive, potentielle victime d’une congère verticale, et si ce n’avait été la voix de Sabaude l’interpellant, il aurait poursuivi sa route sans y accorder plus d’attention, dédié aux pensées d’un croquis à même son cœur ; pour la première fois depuis deux ans, il avait retrouvé les traits d’Antoine et partout, depuis qu’il avait quitté le campement, ne voyait plus qu’eux.
Les mains se crispèrent sur les rênes de l’animal pour freiner le trot à peine entamé, martelant la neige à ses sabots en pivotant tandis que son cavalier discernait enfin la silhouette du Goupil sur le bas du chemin. La surprise d’un sourire attisa ses lèvres ; il n’avait pas vu Sabaude depuis de longues semaines, Alcide appliqué à consumer le temps pour rattraper le passé, anesthésier l’absence du présent, et en éprouva le manque immédiat à la seule teinte de sa voix.
Au premier jour de mars, Carcassonne, devant l’église, à midi ! De la détermination et un soupçon d’impériosité firent vibrer la voix claire de Messey.
Le ton haussa un sourcil d’étonnement sur le visage brun ; de ce frère chiot, il connaissait chaque note et ne lui avait jamais entendu celle-ci encore à son attention. L’ordre se devinait, sans concession, noué d’une anxiété trouble que le jeune homme accusa d’un hochement de tête, le ventre pincé d’un regret de refuser la descente et la chaleur d’une accolade à l’ami trop longtemps éloigné, d’absorber le temps au plaisir des odeurs communes en guise de grèves; la bride d’un sceau comtal en poche ne tolérait plus son retard, même bref et morcelait la parenthèse entraperçue de responsabilités auxquelles il ne pouvait se soustraire.
Au premier jour de mars, à midi, confirma-t-il, énumérant les règles de l’invitation dans un sourire doucement curieux qui fut dissous d’un talon au flan du cheval bondissant brièvement pour relancer sa course. Patience serait employée pour éluder l’extraordinaire du comportement renard sans crainte ; depuis quelques semaines, plus que jamais, Alphonse la délayait avec maestria.
Alors Sabaude fit demi-tour non sans avoir avant épié la forêt qui avait avalé le revenant, attentif au moindre frisson.
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La compagnie qu’il formait avec ces hommes et ces femmes de bonne ou de mauvaise fortune, prenait, dans l’esprit de Sabaude, l’apparence d’un banc de brume que les courants d’air façonnaient sous l’inspiration d’un être surnaturel. Le voyage vers l’Espagne avait troqué son air paresseux et tranquille contre un autre de bataille où chacun, par ses engagements ou ses convictions, prenait place dedans ou dehors. La pérégrination apporta aussi son lot de surprises.
Séparés à Toulouse, ce fut à Labrit, que le Duc de Messey accompagné du Duc d’Aunou le Faucon retrouva leurs compagnons. La ville nichée dans son écrin forestier entre les bras de Leyre, avait quelques jours plus tôt été le témoin de la folie guerrière des hommes qui avait frappé à l’envi, n’épargnant personne ni même la fougueuse Axelle depuis lors alitée et placée entre les mains expertes de sa fidèle Lénu.
L’endroit n’était pas que le théâtre de drames, on joua aussi dans ses rues une saynète improvisée qui plus tard retrousserait les coins des bouches rieuses.
Un vent farceur souffla sur deux amis impatients et leur ravit le plaisir de savourer des retrouvailles attendues sitôt la séparation entamée. Comme empreinte de cette magie que l’on conférait parfois aux lieux et aux choses, Labrit, le temps d’une journée, abrita les deux jeunes hommes en veillant à les maintenir séparés et dans l’ignorance de l’occasion, jusqu’au départ précipité de l’un, l’autre le rejoignant sur le chemin du départ avant que l’obscurité n’ait englouti les voyageurs.
Ce jour-là, Sabaude quitta le chevet de la gitane le cœur presque à l’arrêt dans l’encoignure de la porte d’où s’élançait la rue qui le mènerait sur les pas de Tabouret venu plus tôt visiter la blessée. Drapé dans son manteau aussi sombre que son humeur pouvait l’être, il s’imprégna du sentiment de l’hiver, de sa rudesse, et de la nature endormie avant de poursuivre celui dont il devinait les affres. Il dépassa la dernière habitation, hors d’haleine, et le vit à quelques toises, prêt à avaler de nouvelles lieues pour il ne savait quelles affaires. Il arrêta sa course contre une barrière qui menaça de s’écrouler, sans chercher à réduire la distance. Quelque chose tapi au fond de lui l’empêchait d’aller plus loin. Reproches, fierté ou crainte, il n’aurait su dire ce qui le clouait sur place. Sa main sûre et agile se referma sur un caillou de la taille d’un œuf de caille sur lequel un soleil de fin d’après-midi dardait un de ses rayons orangé, et l’envoya cogner le dos de sa cible.
Alphonse ! L’appela-t-il avec force.
Le cavalier avait senti dans son dos la percussion se faire sans pour autant s’en croire la cible distinctive, potentielle victime d’une congère verticale, et si ce n’avait été la voix de Sabaude l’interpellant, il aurait poursuivi sa route sans y accorder plus d’attention, dédié aux pensées d’un croquis à même son cœur ; pour la première fois depuis deux ans, il avait retrouvé les traits d’Antoine et partout, depuis qu’il avait quitté le campement, ne voyait plus qu’eux.
Les mains se crispèrent sur les rênes de l’animal pour freiner le trot à peine entamé, martelant la neige à ses sabots en pivotant tandis que son cavalier discernait enfin la silhouette du Goupil sur le bas du chemin. La surprise d’un sourire attisa ses lèvres ; il n’avait pas vu Sabaude depuis de longues semaines, Alcide appliqué à consumer le temps pour rattraper le passé, anesthésier l’absence du présent, et en éprouva le manque immédiat à la seule teinte de sa voix.
Au premier jour de mars, Carcassonne, devant l’église, à midi ! De la détermination et un soupçon d’impériosité firent vibrer la voix claire de Messey.
Le ton haussa un sourcil d’étonnement sur le visage brun ; de ce frère chiot, il connaissait chaque note et ne lui avait jamais entendu celle-ci encore à son attention. L’ordre se devinait, sans concession, noué d’une anxiété trouble que le jeune homme accusa d’un hochement de tête, le ventre pincé d’un regret de refuser la descente et la chaleur d’une accolade à l’ami trop longtemps éloigné, d’absorber le temps au plaisir des odeurs communes en guise de grèves; la bride d’un sceau comtal en poche ne tolérait plus son retard, même bref et morcelait la parenthèse entraperçue de responsabilités auxquelles il ne pouvait se soustraire.
Au premier jour de mars, à midi, confirma-t-il, énumérant les règles de l’invitation dans un sourire doucement curieux qui fut dissous d’un talon au flan du cheval bondissant brièvement pour relancer sa course. Patience serait employée pour éluder l’extraordinaire du comportement renard sans crainte ; depuis quelques semaines, plus que jamais, Alphonse la délayait avec maestria.
Alors Sabaude fit demi-tour non sans avoir avant épié la forêt qui avait avalé le revenant, attentif au moindre frisson.
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