Aelis
Par un après-midi de mai, Aélis, comme à son habitude, brodait tranquillement, assise sur le châssis de la fenêtre de sa chambre, sous le regard bienveillant de Sally, qui réussissait à ne pas se plaindre de son sort quand sa jeune maîtresse travaillait sagement comme à linstant.
Et cependant, lesprit de la jeune fille vagabondait à des lieues à la ronde. Elle rêvait à linstant dune escapade à cheval. Et le Soleil rayonnant finit par la décider à passer à laction. Mais il faudrait déjouer la surveillance de la rombière, ce qui nétait pas chose aisée, car elle avait mission de garder Aélis enfermée sagement jusquà la fin de la journée, leur promenade quotidienne dans le parc de Bielle ayant déjà été effectuée dans la matinée.
Le meilleur des prétextes trouvés par Aélis était celui de se lever pour aller chercher un livre à la bibliothèque, située dans lautre aile du château. La gouvernante opina du chef, et la jeune fille partit en direction des écuries sans demander son reste, longeant les murs de peur quun importun laperçoive. Là, elle demanda à un palefrenier de lui faire seller la jument quelle montait dhabitude, Santiago étant encore trop jeune pour quelle puisse le monter. Puis elle ordonna à un valet de prévenir Sally de son départ, et lui indiqua quils ne devaient sinquiéter delle que si elle nétait pas rentrée avant la tombée de la nuit.
Une fois installée en amazone sur sa selle, la jeune fugitive lança sa monture au galop et sen fut à travers champs. Elle aimait cette sensation du vent qui vous fouette le visage, qui fait danser vos cheveux par dessus vos épaules, qui enfin apporte un fantastique souffle de liberté. Enfin, elle était plus libre que lair, et elle galopait dans les plaines, pareille à ces chevaliers dAsie Centrale dans leurs steppes sans frontières. Elle ne faisait quun avec sa monture, et cela provoquait en elle un étourdissant sentiment de bien-être.
Peut-être deux heures durant, elle chevaucha ainsi, jusquau moment où un dérèglement dans le galop de la jument lui fit sentir que quelque chose clochait. En effet, la pauvre bête avait perdu un fer. Et comme Aélis ne voulait risquer de blesser un cheval qui ne lui appartenait même pas, elle descendit de selle et emmena la jument par la bride jusquau village le plus proche.
Ceint dun tablier en cuir, un homme au cheveux blancs et au visage bruni par le temps était affairé à donner de grands coups de marteau sur une barre rougie sous la braise. Aélis lui expliqua la raison de sa venue, et il consentit, avec une lenteur propre à la région, à ferrer sa jument dès quil aurait fini son ouvrage. Et comme lhomme était habile, mais lent, elle décida de lui confier sa monture, le temps pour elle daller faire le tour du village.
Et pour en faire le tour, elle leut vite fait. Une charmante petite église en pierre blanche; de petites chaumières paysannes; des femmes qui échangeaient des potins alors quelles faisaient leur lessive au lavoir, mais qui se turent quand la jeune fille passa près delles, sans doute impressionnées par les vêtements dAélis qui ne reflétaient pas le milieu dans lequel elles avaient toujours grandi, et qui les rendaient donc méfiantes; des hommes regroupés dans la taverne, et qui lui lancèrent des regards assortis de commentaires peu aristotéliciens sur son passage; et des marmots crasseux qui jouaient aux osselets au milieu de la chaussée, faisant jurer les charretiers.
Amusée, elle se dirigea vers la sortie du village. Dune chaumière isolée des autres émanaient des cris et, lui semblait-il, des pleurs denfant. La gaieté dAélis se mua en un irrépressible besoin de savoir, savoir ce qui se tramait, et pourquoi pleurait un enfant quon invectivait à grands cris. Elle sapprocha doucement, contournant la chaumière. Ce quelle découvrit dans la cour la figea deffroi. Une femme, plus rouge quun coq et le visage déformé par la colère battait à laide dune branche de sapin une blonde petite fille qui ne devait pas avoir plus de quatre ans, à moitié nue et le dos déjà tout ensanglanté. Elle comprit bien vite le motif de cette barbarie, une cruche brisée en deux gisait sur le sol de terre meuble. Ne pouvant en supporter davantage, elle hurla un net:
- Arrêtez !
Et se précipita entre la mégère et lenfant quelle violentait.
- Et qui quvous zestes pour mparler dla sorte ? Ctenfant al est à moi, cest-y lcuré il a dit quand la Margot al est morte lmois dernière eudla tubercule.
En dautres circonstances, Aélis aurait sans doute éclaté de rire, mais elle se contenta de répondre :
- Je suis Aélis Maledent de Feytiat, la sur de sa Grâce la Duchesse Mélisende.
Elle détestait mettre en avant sa parenté avec la duchesse de ces terres, mais elle escomptait que ce titre ferait effet sur la paysanne. Ses doutes savérèrent être fondés, puisque ladite paysanne tourna sur la seconde les talons, rentra dans son logis et en claqua la porte derrière elle, laissant à Aélis le temps de voir quatre autres têtes blondes qui regardaient la scène avec de grands yeux apeurés.
La jeune fille se pencha vers la petite, lui essuya le visage et la prit par la main pour lemmener jusquau village. Là une lavandière lui donna un linge humide, avec lequel elle put nettoyer superficiellement les plaies de la petite Louise, qui navait ouvert la bouche que pour lui dire son prénom. Son cheval récupéré, elle prit sa petite protégée en croupe et partit au pas vers le château de Bielle, bien déterminée à ne pas laisser les choses se passer ainsi.
Jusquau soir, avec laide de Sally qui ne pouvait se résigner à être fâchée, elle soccupa de Louise. Elles lui firent prendre un bain, Aélis lui peigna soigneusement les cheveux pendant que Sally pansait le dos meurtri de la petite, elles lui dégotèrent une robe propre, un petit bonnet de toile, et Aélis passa ensuite une heure à jouer avec elle à la balle et à essayer den apprendre plus sur elle. La chose était bien simple, la petite, orpheline depuis peu avait été confiée à sa tante qui la battait régulièrement, elle ainsi que ses quatre frères et surs restés sur place.
Attrapant la main de Louise, sa protectrice lemmena en direction de la salle des audiences de Bielle. Elle exposa son cas à Louis, et après quelques heures de tergiversions, elle ressortit avec un magnifique projet en tête. Elle allait fonder un orphelinat, dans lequel elle pourrait accueillir orphelins et enfants abandonnés, et leur donner un peu damour et une éducation. Louis prendrait à sa charge tous les frais.
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Et cependant, lesprit de la jeune fille vagabondait à des lieues à la ronde. Elle rêvait à linstant dune escapade à cheval. Et le Soleil rayonnant finit par la décider à passer à laction. Mais il faudrait déjouer la surveillance de la rombière, ce qui nétait pas chose aisée, car elle avait mission de garder Aélis enfermée sagement jusquà la fin de la journée, leur promenade quotidienne dans le parc de Bielle ayant déjà été effectuée dans la matinée.
Le meilleur des prétextes trouvés par Aélis était celui de se lever pour aller chercher un livre à la bibliothèque, située dans lautre aile du château. La gouvernante opina du chef, et la jeune fille partit en direction des écuries sans demander son reste, longeant les murs de peur quun importun laperçoive. Là, elle demanda à un palefrenier de lui faire seller la jument quelle montait dhabitude, Santiago étant encore trop jeune pour quelle puisse le monter. Puis elle ordonna à un valet de prévenir Sally de son départ, et lui indiqua quils ne devaient sinquiéter delle que si elle nétait pas rentrée avant la tombée de la nuit.
Une fois installée en amazone sur sa selle, la jeune fugitive lança sa monture au galop et sen fut à travers champs. Elle aimait cette sensation du vent qui vous fouette le visage, qui fait danser vos cheveux par dessus vos épaules, qui enfin apporte un fantastique souffle de liberté. Enfin, elle était plus libre que lair, et elle galopait dans les plaines, pareille à ces chevaliers dAsie Centrale dans leurs steppes sans frontières. Elle ne faisait quun avec sa monture, et cela provoquait en elle un étourdissant sentiment de bien-être.
Peut-être deux heures durant, elle chevaucha ainsi, jusquau moment où un dérèglement dans le galop de la jument lui fit sentir que quelque chose clochait. En effet, la pauvre bête avait perdu un fer. Et comme Aélis ne voulait risquer de blesser un cheval qui ne lui appartenait même pas, elle descendit de selle et emmena la jument par la bride jusquau village le plus proche.
Ceint dun tablier en cuir, un homme au cheveux blancs et au visage bruni par le temps était affairé à donner de grands coups de marteau sur une barre rougie sous la braise. Aélis lui expliqua la raison de sa venue, et il consentit, avec une lenteur propre à la région, à ferrer sa jument dès quil aurait fini son ouvrage. Et comme lhomme était habile, mais lent, elle décida de lui confier sa monture, le temps pour elle daller faire le tour du village.
Et pour en faire le tour, elle leut vite fait. Une charmante petite église en pierre blanche; de petites chaumières paysannes; des femmes qui échangeaient des potins alors quelles faisaient leur lessive au lavoir, mais qui se turent quand la jeune fille passa près delles, sans doute impressionnées par les vêtements dAélis qui ne reflétaient pas le milieu dans lequel elles avaient toujours grandi, et qui les rendaient donc méfiantes; des hommes regroupés dans la taverne, et qui lui lancèrent des regards assortis de commentaires peu aristotéliciens sur son passage; et des marmots crasseux qui jouaient aux osselets au milieu de la chaussée, faisant jurer les charretiers.
Amusée, elle se dirigea vers la sortie du village. Dune chaumière isolée des autres émanaient des cris et, lui semblait-il, des pleurs denfant. La gaieté dAélis se mua en un irrépressible besoin de savoir, savoir ce qui se tramait, et pourquoi pleurait un enfant quon invectivait à grands cris. Elle sapprocha doucement, contournant la chaumière. Ce quelle découvrit dans la cour la figea deffroi. Une femme, plus rouge quun coq et le visage déformé par la colère battait à laide dune branche de sapin une blonde petite fille qui ne devait pas avoir plus de quatre ans, à moitié nue et le dos déjà tout ensanglanté. Elle comprit bien vite le motif de cette barbarie, une cruche brisée en deux gisait sur le sol de terre meuble. Ne pouvant en supporter davantage, elle hurla un net:
- Arrêtez !
Et se précipita entre la mégère et lenfant quelle violentait.
- Et qui quvous zestes pour mparler dla sorte ? Ctenfant al est à moi, cest-y lcuré il a dit quand la Margot al est morte lmois dernière eudla tubercule.
En dautres circonstances, Aélis aurait sans doute éclaté de rire, mais elle se contenta de répondre :
- Je suis Aélis Maledent de Feytiat, la sur de sa Grâce la Duchesse Mélisende.
Elle détestait mettre en avant sa parenté avec la duchesse de ces terres, mais elle escomptait que ce titre ferait effet sur la paysanne. Ses doutes savérèrent être fondés, puisque ladite paysanne tourna sur la seconde les talons, rentra dans son logis et en claqua la porte derrière elle, laissant à Aélis le temps de voir quatre autres têtes blondes qui regardaient la scène avec de grands yeux apeurés.
La jeune fille se pencha vers la petite, lui essuya le visage et la prit par la main pour lemmener jusquau village. Là une lavandière lui donna un linge humide, avec lequel elle put nettoyer superficiellement les plaies de la petite Louise, qui navait ouvert la bouche que pour lui dire son prénom. Son cheval récupéré, elle prit sa petite protégée en croupe et partit au pas vers le château de Bielle, bien déterminée à ne pas laisser les choses se passer ainsi.
Jusquau soir, avec laide de Sally qui ne pouvait se résigner à être fâchée, elle soccupa de Louise. Elles lui firent prendre un bain, Aélis lui peigna soigneusement les cheveux pendant que Sally pansait le dos meurtri de la petite, elles lui dégotèrent une robe propre, un petit bonnet de toile, et Aélis passa ensuite une heure à jouer avec elle à la balle et à essayer den apprendre plus sur elle. La chose était bien simple, la petite, orpheline depuis peu avait été confiée à sa tante qui la battait régulièrement, elle ainsi que ses quatre frères et surs restés sur place.
Attrapant la main de Louise, sa protectrice lemmena en direction de la salle des audiences de Bielle. Elle exposa son cas à Louis, et après quelques heures de tergiversions, elle ressortit avec un magnifique projet en tête. Elle allait fonder un orphelinat, dans lequel elle pourrait accueillir orphelins et enfants abandonnés, et leur donner un peu damour et une éducation. Louis prendrait à sa charge tous les frais.
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