Ils s'étaient quittés là, dernière image imprimée aux pupilles de la Jeneffe d'un Alphonse gourmandant ses lèvres sans oser les prendre, sensation brûlante au creux du ventre plus présente encore créée par cette piqûre du regard l'ayant laissée décontenancée et troublée lorsque leurs doigts entrelacés avaient quitté le cocon protecteur. Longtemps sa voix avait résonné au plus profond de son esprit, se questionnant sur son monde à lui, opaque, redoutable, saturé de mystères provoquant une certaine réticence à y pénétrer pour celle qui n'y avait jamais évolué. La porte s'était refermée sur la silhouette de l'homme, laissant la femme appuyer sur l'huis un front chaud et sous lequel bouillonnaient de trop nombreuses interrogations, fatigue prenant peu à peu le dessus alors que les heures matinales s'égrainaient et que son quotidien avait repris le dessus sur cette parenthèse mystique et énigmatique. Parfois, depuis cette nuit de décembre déroutante et imprévisible, Erwelyn fermait les yeux pour revivre la sensation du souffle chaud venant caresser sa joue, s'imprégner à nouveau du timbre de la voix s'abîmant à son oreille, revoir les prunelles sombres dénuées de jugement étendre leur voile sur son visage, recomposer l'ourlet des lèvres sachant manier les mots tout autant que les sourires. Quand enfin ses paupières se relevaient, le souvenir du Loup voletait encore un peu dans son esprit puis finissait par s'estomper, pour revenir y séjourner de temps à autre.
La fin d'année n'avait pas été propice aux rencontres crépusculaires ou matineuses et plus le temps s'écoulait, plus l'alcine se terrait au fond d'elle, affaiblissant le courage trouvé pour aller rejoindre le loup en ce clair-obscur, le rendant parfois inexistant. Janvier était venu, chargé d'excuses et de dérobades transgressant le pacte scellé, laissant une espèce de culpabilité s'insinuer en elle et l'idée convaincante qu'une invitation au crépuscule serait déboutée par l'Ysengrin qui sommeillait en lui. Le temps aurait pu filer indéfiniment, hardiesse des premiers instants la quittant jour après jour, et plonger dans les méandres du passé cette rencontre s'il n'y avait pas eu cette journée où, déambulant dans la capitale bien éveillée, le visage de la soubrette au fagot de bois fut croisé. Ses prunelles s'y accrochèrent durant de longues secondes, s'égrainant en une éternité, la replongeant dans cette nuit hivernale et retrouvant toutes les sensations qui doucement s'étaient éteintes, mais pourtant encore bien ancrées en elle. Alors, sans réfléchir plus avant, ne laissant pas la raison prendre le pas sur l'impromptu, ses pas la menèrent en son office où un simple mot fut griffonné sur un parchemin. Ysengrin,
pour nous offrir une parenthèse crépusculaire au creux des frondaisons, joignez-vous à moi ce soir à Londeau, à l'orée de la forêt de Bondy.
Sorcière
Un sourire se greffa à son visage, la forêt de Bondy étant réputée pour ses nombreuses légendes, propices au pacte d'un Loup et d'une Sorcière. Réputée pour d'autres choses aussi, bandits et autres canailles en ayant fait un lieu de larcins et de repaire. Mais la crainte de faire de mauvaises rencontres fut chassée de son esprit aussi vite qu'elle était venue, après tout, qui aurait eu l'heur de s'en prendre à deux créatures de la nuit, s'apprivoisant et régnant sur leur territoire nocturne ? Le billet partit donc en direction de l'Aphrodite, confié à un page qui avait reçu des directives claires, celles d'attendre en un coin obscur la sortie d'Alphonse du lupanar pour lui glisser subrepticement en main. Quant à celle qui à nouveau se sentait vibrer et renaître en circé, c'est sombrement et sobrement vêtue à la garçonne qu'elle prit la direction du lieu qui accueillerait leurs nouvelles errances, si Lupin répondait à l'invite de l'Armide. A l'ombre d'un chêne, alors que doucement le voile sombre de la nuit coulait sur les arbres, maisonnées et champs, Erwelyn patientait, visage levé en direction de la voûte céleste, chevelure emmêlée par la cavalcade ayant recouvré sa couleur naturelle, où le châtain clair se disputait ardemment avec l'argenté qui avait pris le dessus depuis des événements ayant marqué son esprit et son corps, tombant sur des épaules recouvertes d'une cape chaude. _________________