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[RP] Toute destinée est une suite d'accidents ….

Alphonse_tabouret
... à retardement avec le coup de grâce au bout.
(Henri Fauconnier )




L’escale bretonne prenait fin, et si un temps les embruns et le sel cristallisé à même les parois vertigineuses des rivages granités l’avaient accaparé assez pour l’apaiser, il n’en sentait désormais plus que les épines, ronces vives dont les cohortes de baies avaient toutes le gout acre de la terre. Inadapté à ce monde fait de convictions identitaires qu’il se savait incapable d’adopter, lui qui ignorait précisément de quoi on l’avait fait, c’était pourtant à Von Frayner qu’il devait son dédain le plus brusque pour ces terres qu’il avait appris à aimer, mandataire d’un mensonge qu’il avait jeté en pâture à un chat aveuglé par la méfiance tacite lovée entre Chimera et lui. Rien ne le retenait plus à Vannes depuis que les babillements de Morvan avaient déserté Cholet et rien ne l’insupportait plus que la crinière rousse et sauvage de cette mère présentée et présumée traitresse.
Les bagages étaient faits depuis le matin même, possessions rares se résumant a si peu qu’il aurait pu entamer ce voyage les mains dans les poches, presque rajeuni de quelques années pour sentir sur le bout de la langue ses dix-sept ans passés. Pas de coups, pas de hurlements rauques, pas de main paternelle pour s’abattre cette fois ci sur les vestiges de sa conscience, mais le parfum restait le même, enrubanné de défaite malgré l’horizon neuf qui s’ouvrait.

Jusqu’au Mussadinais, le chemin serait long et s’il avait quitté les Flandres à pied, c’était cette fois confortablement installé dans un coche qu’il choisissait d’assujettir la route à ses envies, aussi, profitant de la sortie d’un client pour passer la porte de la bâtisse réservée aux voyageurs et leurs locations, le jeune homme se plaça silencieusement en vue du propriétaire dont l’attention était tournée vers une demoiselle à la toilette irréprochable, ourlée impeccablement dans un ensemble sans nul doute fait sur mesure. Désintéressé, les pensées tournées vers cette autre terre qu’il ne connaissait pas, il n’accorda d’abord que peu d’attention au binôme qui parlementait au comptoir, étirant la mesure de sa patience jusqu’à ce qu’un soupir n’écorne sa rêverie, reconnaissant l’agacement commerçant sans la moindre difficulté pour avoir tant de fois discerné celui de son ainé s’exaspérant avec une cliente récalcitrante. Sans déformer la pose immobile qu’il avait adopté, le regard coula sur la silhouette de la demoiselle, écoutant avec un peu plus d’intérêt la conversation en cours.

S’essayant au négoce, la donzelle malmenait visiblement le tenancier par un verbe qui, sans être houleux, portait l’indéniable griffe de ceux qui usent de la servilité sans en avoir gouté les contours les plus abruptes, égrenant dans les mots employés, tout l’épouvantable caractère dont elle semblait doté et s’il aurait pu se laisser attendrir peut être, au fil d’un sourire, d’une moue tristement boudeuse, l’exaspération grandissante de son interlocuteur laissait peu de chance à la jeune femme d’obtenir ce qu’elle voulait. Il restait peu de choses aux petites gens face à l’imposante stature de l’opulence, et le pouvoir, aussi minime soit-il, était un véritable joyau quand ces insupportables autres ne pouvaient y poser leur veto.


Écoutez Madame… Le ton était monté d’une mesure, plus puissant sans être criard, permettant à quiconque d’autre d’entendre et de suivre, le fil des tractations jusque-là tenues secrètes entre eux… On est les seuls cette semaine à partir pour Pau… L’oreille du chat se dressa instinctive, le lieu cité figurant à la carte de son itinéraire, la tête basculant définitivement vers le duo à quelques pas de lui. J’vous répète que c’est un emplacement à bagages par location de place. C'est pas une question d'argent mais d'poids... Ça sert à rien de surcharger la voiture si les bêtes doivent caner en route...
Quittant son appui, Alphonse s’approcha, chat délicat dont les pas restaient inaudibles quand bien même le parquet lui était inconnu, habitué à se présenter en ombre plutôt qu’en consistance à ses interlocuteurs les plus anodins, animal dont la discrétion faisait partie de chaque grain de chair et tandis qu’il prenait place à côté de la brune demoiselle, son regard s’ancra au ticket réservée par sa voisine, le submergeant brièvement d’une fébrilité tempétueuse remontant à ses nerfs pour se fracasser au masque souriant qu’il se forçait à ne fendiller d’aucune jubilation mauvaise, le souffle tenu à sa gorge crispée, s’assurant une seconde fois d’un coup d’œil discret du patronyme tatoué avant de remonter le velours de son regard vers le propriétaire de l’étape. Le Très Haut pouvait finalement avoir de le sens de l'humour...

Excusez-moi de vous interrompre… Je prends le coche pour Pau, commença-t-il en déposant sur le comptoir, le ticket qui lui avait été donné lors de sa réservation… et n’ai en tout et pour tout qu’un seul bagage à charger…. Peut-être pourrions-nous trouver à nous arranger entre nous ? proposa-t-il en tournant enfin le visage vers sa voisine, percutant pour la première fois le regard bleu, l’autorité têtue de son expression, jusqu’à sa bouche pincée d’une moue prouvant s’il en doutait encore, un caractère visiblement trempé de contrariétés.
Alphonse Tabouret, se présenta-t-il en inclinant courtoisement la tête.
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Isaure.beaumont
Pour elle aussi l'escale bretonne prenait fin. Cette escale clandestine qui lui donnait des sueurs froides dès lors qu'elle pensait à Judas. Judas et ses mains aussi rudes que froides. Judas qui hantait ses nuits, lui rappelant sans cesse sa désobéissance et la sanction qui serait la sienne s'il l'apprenait.

Perchée sur la pointe de ses pieds, et du haut de ses dix-sept années, elle se mesurait à un commerçant aguerri qui ne comptait pas capituler, ni ne se laissait intimider par son obstination. Béatrice venait de leur fausser compagnie, les privant d'un emplacement supplémentaire pour leurs bagages, et pour cela, Isaure la maudissait. Trop occupée à défier l'homme de son dur regard bleu, elle ne fit pas attention à l'homme dont les yeux s'égarèrent sur son titre de transport.
Aussi, quand il s'adressa à elle, elle se retourna sèchement vers lui, bouche pincée et nez froncé. Il lui fallut quelques instants pour décrypter les paroles de l'inconnu et quand enfin, elle prit toute la mesure des mots, la jeune femme se dérida.


Vous feriez cela ? Et prenant le loueur à témoin. Ah vous voyez ! Vous voyez ! Voilà un homme aristotélicien, un homme serviable. Vous devriez en prendre exemple ! Voilà qui est réglé. Je ne vous remercie pas.

Se tournant vers son sauveur, elle lui rendit son salut dans un sourire dans lequel on sentait encore toute la crispation des dernières minutes.

Messire Tabouret, je ne sais comment vous remercier. Il était impensable que j'abandonne l'une de mes malles ici. Isaure. Je m'appelle Isaure Von Fra…yner. Ou comment réduire à néant toutes les précautions des derniers jours. Se rendant compte trop tard de sa méprise, elle tourna finalement le dos à son vis-à-vis et rejoignit la paysanne vernolienne dans les bras de laquelle dormait Amadeus. Elle lui désigna le coche qu'elles occuperaient, l'invitant sèchement à y monter tandis qu'elle orchestrerait le chargement de leurs affaires.

Bientôt, elle embarqua, suivie de leur nouveau compagnon de route. Le coche s'ébranla.

Quelques lieues les séparaient à présent de Vannes. Isaure était restée tout ce temps silencieuse, peut-être bercée par la course du coche. Elle observait fixement Alphonse, le détaillant minutieusement, le visage grave, quand enfin elle rompit le silence.


C'est mon fils. Elle désigna l'enfant qui dormait toujours sur les genoux de la grasse vernolienne. Amadeus. Avez-vous des enfants, messire…. Tabouret ? Et sans lui laisser le temps de répondre elle enchaîna. Quel bon vent vous a amené en Bretagne ? En êtes-vous familier ?
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Amadeus.vf


~ Un cœur pour aimer, des oreilles pour entendre ~

Et cela fonctionne dès le plus jeune âge. Malgré l'emportement et la frustration de sa douce mère, le petit Von Frayner dormait à poing fermé dans les bras de sa nourrice improvisée mais apprivoisée depuis le temps de leur départ de l'unique lieu qu'il lui semblait avoir connu. Petit ange recroquevillé en boule sur les genoux nourriciers balancés dans une cadence de coche en marche, il bougeait peu, bien qu'un mince filet de bave s'écoulait sur une de ses joues, glissant dangereusement sur la jupe paysanne de celle qui le tenait sans grande difficulté. Parfois quelques petits hoquets endormis et lointains s'échappaient des lèvres enfantines rêveuses, comme pour marquer sa présence malgré la barrière du sommeil. L'enfant s'était habitué petit à petit aux doux cahotements berceurs de la voiture, et savourait avec plaisir ce moment béni de sa sieste. L'apprentissage de la marche était plus fatigant qu'on pouvait le croire, et le sommeil réparateur lui offrait la possibilité de faire entendre sa voix balbutiante mais puissante à son réveil.

Un réveil qui arriva au bout de quelques temps de route. Probablement pas assez pour pouvoir finir le voyage tranquillement, sans cris, et sans pleurs. Mais personne n'avait malheureusement d'emprise sur ce point. Etant un gros dormeur, peut-être accepterait-il de refaire une sieste un peu plus tard... ? Qui sait, si l'ont ne croit pas à la nature au moins peut-on espérer être chanceux. Aussi hasardeux que cela puisse paraître, trop de silence avait fini par alléger le sommeil enfantin qui tirait lentement vers les retrouvailles avec la conscience et qui ouvrit finalement les yeux au moment où Isaure évoquait les enfants. Mot magique qui rend à l'enfant sa capacité de mouvement, après quelques secondes de désembuage d'esprit qui permettent à sa maman d'enchaîner et de terminer son lot de questions. Amadeus aura-t-il hérité du sale caractère paternel ET de la curiosité maternelle ? L'avenir le dirait.

En attendant, voilà le môme brun qui commence à gesticuler de ses petits bras potelés en babillant de mécontentement de ne fixer que le haut de la coche. Amadeus se tortille tant qu'il parvient à se retourner en s'entortillant la main dans la jupe de sa nourrice. Motricité et habilité ne sont pas encore totalement au point dans ce petit être débutant. Cela vaut quelques tentatives de grommellements teintée de pastel de pleurs, jusqu'à ce qu'il parvienne - avec un peu d'aide - à se libérer. Chose faite, et à présent sur le ventre, il ne reste plus qu'à fixer mère Isaure avec des yeux de merlan fris qui réclament tendrement d'être réquisitionné. Votre fils, mère. Que je puisse, moi aussi, observer cet inconnu généreux donateur d'emplacement à bagages.


Alphonse_tabouret
Surpris, indéniablement, le chat n’en montra rien sous le flot qui franchissait les lèvres de la jeune femme, si ce n’était l’élargissement discret de prunelles noires posées sur ce visage pale qui lui sembla receler mille trésors, s’attendrissant presque du sourire agréable qu’elle lui opposa quand elle se sut sauvée des affres commerçantes.

Von Frayner.
Le profil de Judas se dessina à ses tempes, le ramenant quelques mois plus tôt à l’entrevue corrompue des passions maladives de cet hôte surprenant, égrenant sommairement pour les avoir déjà tant de fois décortiquées depuis quelques semaines, les trois rencontres qui avaient fini par sceller les croisements noueux de leurs chemins.
Sœur, cousine, parente éloignée, Alphonse s’interrogeait sans même effleurer la possible chance de se trouver en compagnie de la femme attitrée, juste conscient qu’Isaure était à elle seule un angle d’approche paré des plus beaux atours de la coïncidence. Iphigénie des temps modernes, tête de liste au sacrifice sur l’autel d’une guerre entreprise par ses pairs, témoin innocente à l’aube d’une chasse engagée un soir hivernal à l’abri d’un bureau parisien, dommage collatéral admis dont l’insolence fautive du chat s’enhardissait à l’idée de mesurer l’ampleur qu’il pouvait prendre. Jetée en pâture à la curiosité féline, il s’accorda au ton de sa voix à courir sur les traits de son visage, notant le soin porté au maquillage, la peau blanchie par une poudre de bonne facture dont il avait souvent eu l’occasion de s’enivrer les sens au crépuscule de quelques soirées galantes, laissant émerger à la façon d’astres de cobalt, deux yeux joliment bordés d’une épaisse rangée de cils. Il laissa son regard filer sur la bouche qui bien que souriante, avait gardé quelque chose de l’enfant boudeur dans la moue naturelle qu’elle adoptait en finissant de préparer son départ, avant de noter, amateur, le comprimé à la gorge naissante, refrénant l'insolence naturelle à provoquer la faute en s'attardant à la poitrine juvénile.
Le choix du costume trouvé, inattendu sauveur à l’épine posée par ses exigences, Alphonse retarda son assise dans le coche, observant sous l’excuse de la flânerie courtoise la plus élémentaire, les gestes, le ton, l’énergie emportée au gré des ordres que la jeune fille donna jusqu’à être satisfaite, attendant qu’elle monte à son tour pour récupérer la dernière place vacante et s’y installer. Si la soif lui lézarda les tempes, il s’attacha à maitriser la nonchalance du regard porté tantôt sur le décor défilant, tantôt sur ses compagnons de route, prudent, méticuleux à choisir les embranchements les plus naturels, conscient que l’aubaine mise à sa disposition ne dépendait que de ses talents pour croitre et se fortifier, retenant un sourire de satisfaction de venir embaumer ses lèvres quand la voix de la brune retentit de nouveau

C'est mon fils. Les onyx se posèrent sur l’enfant désigné dont le voile du sommeil jusque-là paisible s’effilochait doucement, accordant une attention nette à sa silhouette potelée, père en devenir dont l’âme toute entière se trouvait gonflée d’un orgueil imbécile à la simple pensée du ventre arrondi de sa maitresse, laissant un sourire spontané tracer à ses lèvres un dessin avenant. Amadeus. Avez-vous des enfants, messire…. Tabouret ? Quel bon vent vous a amené en Bretagne ? En êtes-vous familier ?

Alphonse, la reprit il poliment en sous entendant la demande à user du prénom avant de poursuivre. Je ne pas encore cette chance, Dame, mais j’espère en avoir un jour. La fascination du comptable pour les enfants avait atteint son paroxysme lorsque le vagissement de Morvan avait crevé jusqu’au ciel mêlé de granit des falaises bretonnes, et la grossesse couvée d’Axelle aiguillonnait en lui des réflexes neufs qu’il découvrait, fasciné de constater qu’il possédait des bribes d’instincts communs aux autres quand dix-sept années durant, on l’avait remodelé pour en faire un objet unique. C’est un bel enfant…
Et cela l’était ; brun, le regard vif, luisant d’une curiosité franche envers l’entourage à portée de son attention, solide enfant qui avait dû hériter du père vu la silhouette fluette de sa mère et qui semblait porter à son front les prémices d’une beauté étrangement austère.
Si j’ai eu la chance d’être logé quelques temps à Cholet, je ne suis néanmoins point breton, reprit-il en reportant son attention sur Isaure, niant les terres paternelles pour se projeter à l’asile qu’on lui proposait, sans nationalité, au prise d’une identité projetée dans un serment palois aux couleurs d’un futur proche. Je venais prendre des nouvelles une amie dont mes affaires à Paris m’avaient éloigné trop longtemps… Annelyse de Dénéré… Peut-être la connaissez-vous… Si la phrase supposait une réponse, il n’en épiça pas l’interrogation, la réservant pour la suivante, sur le ton badin de la conversation quand toute son attention était portée à chaque mot, chaque silence, et chaque intonation. Et vous-même, qu’allez-vous faire à Pau ? Rejoignez-vous votre époux ?
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Isaure.beaumont
C’est un bel enfant…

Ou comment flatter l'orgueil maternel. Le regard fier d'Isaure glissa de son vis-à-vis, qu'elle avait fini d'observer, à son précieux fils qui s'agitait déjà. La jeune femme s'étonnait encore de la vigueur dont faisait preuve Amadeus, et s'émerveillait chaque jour des progrès qu'elle lui voyait faire. On ne s'improvisait pas mère, et encore moins lorsqu'on avait été privée du contact de son enfant dès les premiers mois de sa courte vie. Aussi, le comprendre n'était pas toujours aisé, et quand bien même le regard de son fils l'implorait de le délivrer de l'étreinte de la nourrice, elle se contenta de déposer un doux baiser sur la joue rebondie et rougie de l'enfant.

Annelyse de Dénéré ? S'il lui avait laissé suffisamment de temps, elle lui aurait répondu que si le nom de famille ne lui était pas inconnu, il ne lui semblait pourtant pas connaître son amie. Mais peu lui importait, elle l'écoutait poursuivre, un sourire serein accroché aux lèvres. La Bretagne s'éloignait, et avec elle, les problèmes aussi. Il lui semblait que jamais Judas ne saurait qu'elle avait défié son autorité et qu'elle avait assisté, avec leur fils, aux noces de Finn. Et à mesure que les terres interdites s'estompaient, la peur de la sanction s'envolait. Judas lui paraissait loin et elle, hors de portée.

C'était sans compter la curiosité de son compagnon de route. Si la première question la fit sourire gentiment, dévoilant de petites dents plutôt blanches, la seconde rappela à la jeune femme que l'ombre de son époux planait. Le visage s'assombrit un instant, et le sourire jusque-là sincère se transforma en un rictus amer. L'idée de se prétendre veuve l'effleura un instant mais ce fut pourtant la vérité qui passa la barrière de ses lèvres.


Mon époux vaque à ses occupations en Alençon. Un homme fort occupé... Sourire crispé à cette dernière précision pleine d'ironie. Elle reprochait à son époux de passer plus de temps à chasser ou courir les bordels qu'à se faire une place en politique. C'était pour elle un homme oisif et vicié qui s'éloignait bien trop de l'idéal qu'elle s'était fait d'un époux. Elle reprit, la voix légèrement vibrante. Je me rends donc sur mes terres de Béarn afin de ne pas le détourner de ses… affaires et de gérer un peu celles de Miramont, laissé bien trop longtemps à l'abandon. Il s'agissait plutôt d'une fuite, d'une évasion autorisée par l'époux, le temps pour chacun de retrouver ses esprits, d'oublier les derniers déchaînements de violence du seigneur sur sa jeune épouse. Tôt ou tard, elle devrait retourner à Verneuil, affronter le regard méprisant de son époux.

Elle se força à sourire et pour dissimuler sa gêne, elle se pencha sur son fils qui manifestait depuis un moment déjà son insatisfaction et le prit à bras. Les gestes maternels étaient mal assurés, maladroits, témoignant aussi bien du manque d'expérience de la jeune femme que de son désarroi présent.

Elle laissa un silence pesant s'insinuer entre eux. Le regard braqué sur le paysage et fuyant celui d'Alphonse, elle se concentrait pour se reforger un masque, les bras enserrant un peu plus l'enfant. Elle se voulait de fer quand elle n'était faite que d'argile. La fatigue des derniers jours et l'angoisse de voir son époux apparaître sur les terres bretonnes de Marzina pour lui retirer leur fils avait eu raison des remparts qu'elle s'était érigée et la laissait désemparée devant un inconnu. Une fois qu'elle eût repris un peu de contenance, elle reposa son regard sur Alphonse, espérant qu'il n'avait rien perçu de son agitation, et relâchant son étreinte autour d'Amadeus. D'une voix un peu trop guindée, elle l'interrogea
: C'est donc pour retrouver votre épouse que vous faites route pour Pau ? Elle l'étudia attentivement. Se pouvait-il qu'il soit, lui aussi, un époux froid et impulsif ? Non, cela lui paraissait impossible. Judas, lui, l'avait toujours méprisée, même bien avant qu'il ne soit question d'épousailles. Alphonse lui paraissait être un homme patient et raisonnable.
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Alphonse_tabouret
L’ombre fugitive passant au visage de la jeune femme l’absorba quelques instants au frémissement de ses réflexes les plus définitifs, le velours noir de son regard courant sans scrupule le long de la moue contrariée, lui trouvant le charme enfantin de la crainte, la lascivité de la colère et les senteurs d’un mépris tissé de contradictions, ramenant aux tempes mâles les grèves où s’échouaient les possibles.

Mon époux vaque à ses occupations en Alençon. Un homme fort occupé...

Le fauve s’agita sous l’épaisseur du costume ne subissant pourtant aucune fluctuation quand c’était une brulure incandescente qui remontait le long de ses nerfs et malmenait d’une joie mauvaise les contreforts de sa prestation, abandonnant l’animal aux prises avec l’urgence de l’adéquation à la suite qu’il entrapercevait. S’il ne doutait pas de l’étendue de la famille Von Frayner, le champ des possibles venaient de brusquement se dissoudre pour ne laisser que peu de mouvements à une continuité de plus en plus nette, sans pour autant prétendre encore à percevoir toute l’ironie jubilatoire de la situation, prudent. S’il en concevait l’hypothèse, il n’attribuait pas encore de rôle à Isaure, ne la drapant d’aucun des artifices du mariage, et n’accorda qu’un froncement de sourcil pensif à la déclaration, preuve visible que l’information l’amenait à une pensée, mais scellée à ses lèvres pour ne lui fournir aucune importance, laissant au fil de la conversation tout le loisir de se rediriger sur ce sujet-là quand il cesserait de feindre la rétention.
Je me rends donc sur mes terres de Béarn afin de ne pas le détourner de ses… affaires et de gérer un peu celles de Miramont, laissé bien trop longtemps à l'abandon.
Il hocha la tête, sans rien rajouter, la laissant combler le silence en s’appropriant l’enfant sur lequel il posa à nouveau son regard, prenant conscience du malaise dans les gestes affectifs qui se reportèrent sur l’héritier et le décortiquant derrière le voile d’une indifférence factice à la mère, la délaissant pour étendre son intérêt au fils. Isaure semblait fatiguée, nerveuse, ses doigts délicats agités d’une fièvre blême qui, si elle se déliait visiblement avec la route engloutie par le coche, ne perdurait pas moins en un halo sombre autour de son visage sévère.
C'est donc pour retrouver votre épouse que vous faites route pour Pau ? reprit-elle, amenant Alphonse à relever son regard vers elle, croisant à la fusion des gemmes bleues, les onyx feutrées de son regard, étirant un sourire d’excuse à ses lèvres comme si son célibat devait se pardonner, esclave qui avait cru un temps que même sa femme lui serait imposée par les aspirations des autres quand il avait soif de n’assouvir que les siennes le long des calculs froids qu’il se devait d’établir pour son bâtard encore dans la chaleur du ventre maternel.

Je ne suis pas marié, ni même fiancé… Sans les titres et les terres, il ne servait à rien de sacrifier une liberté si chèrement gagnée, et si l’argent était une force sur laquelle il savait pouvoir s’appuyer pour argumenter, c’était l’assurance d’un titre qui lui ouvrirait les portes d’un horizon espéré… car je n’ai rien de concret pour l’heure à offrir à une femme. Mes modestes origines me forcent à me bâtir par moi-même… La bourgeoisie, aussi riche et opulente soit elle, ne valait pas grand-chose face à l’inébranlable élégance froide de la noblesse, broutille populaire dont il avait conscience et dont il ne doutait pas dans l’austère pli du visage pourtant gracieux de sa compagne de voyage. Lettré, érudit, courtois, tout cela ne valait rien face au respect intrinsèque qui se manifestait dans la déclinaison des titres, et si longtemps cet état de fait l’avait torturé au point de se perdre dans le gouffre d’une vengeance sourde, essaimant aux lèvres nobiliaires la souillure de la chair en guise de médicamentation, cette envie de la faire plier à la soif de ses lubies les plus perverses, lui était passée depuis longtemps déjà, ne gardant aux tempes que les images déliées de ces visages honteux de faiblesse, salis, fébriles, la commissure des lèvres encore nacrée de leurs vices à assouvir.
Un instant, son esprit dévia, s’appropriant les courbes du visage féminin pour le distendre au gré d’une humeur lascive, grimant ses traits d’une plainte voilée à sa gorge tendue, maquillant les yeux bleus d’une étincelle orgiaque, attardant dans le pli d’un sourire, la vision échevelée d’une jouissance déformant jusqu’à l’incontrôlable ivresse, l’air boudeur affiché par la donzelle et se demanda si c’était sur ce corps là que s’était échiné Von Frayner jusqu’à l’ensemencer…

Je vais à Pau dans l’espoir de gagner une nouvelle vie, fit-il enfin en chassant le soupir imaginaire perdu à son oreille aux teintes brunes et bleues, choisissant ses mots avec une précaution infinie pour ne point dénaturer l’essence première de ses idées, les présentant selon un angle bien précis pour en garder la saveur de la vérité qui lui était si chère… peut être alors serais-je en mesure de subvenir convenablement aux besoins d’une famille… Pour l'instant mon unique fait d'arme consiste à avoir sauvé vos malles d'un manque de place, conclut-il dans un sourire venant lézarder, cabot, à ses lèvres épicées. Il attarda un silence volontaire de quelques secondes dans l’observation de la route, avant de reprendre, comme s’il se décidait à en parler, ramenant à lui les certitudes qu’il avait emmagasiné et les jouant, nonchalamment.
J’ai eu l’occasion de rencontrer quelqu’un de votre famille lors de festivités de fin d’année… Judas Von Frayner. Il l’interrogea d’un regard calme, refrénant l’avidité de sa prunelle dans la continuité badine des propos échangés et sitôt envolés au fil d’une prétendue insignifiante conversation : Le connaissez-vous ?

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Isaure.beaumont
La conversation dériva bientôt sur la situation de son vis-à-vis, ce qui soulagea la jeune femme. Détendue, elle écouta attentivement Alphonse, un fin sourire ourlant ses lèvres. La menace Judéenne semblait s'être éloignée, tout comme la Bretagne. Mais c'était sans compter l'obstination de son voisin qui revint bientôt à la charge: J’ai eu l’occasion de rencontrer quelqu’un de votre famille lors de festivités de fin d’année… Judas Von Frayner. Le connaissez-vous ?

Le nom de son époux résonna à ses oreilles. Quel péché avait-elle commis pour que le Très-Haut s'acharne ainsi. Dissimulant son trouble, elle leva le nez vers Alphonse et d'un ton détaché lui répondit.

Si je le connais ? C'est mon époux.

Elle ne laissa transparaître aucune émotion. Ne sachant quelles relations ce compagnon de route providentiel entretenait avec son époux, elle prenait soin de ne pas en dire trop. Sa rencontre avec Alphonse était-elle réellement fortuite ? Ou bien s'agissait-il d'une manœuvre de son époux pour la piéger et mieux la punir ensuite ?

Elle ne quitta pas Alphonse du regard. La prudence était de mise. Elle n'avait pas le droit à l'erreur. Ses réponses devaient être pesées pour que rien ne lui fasse défaut.


Vraiment ? Je ne me souviens pas qu'il m'ait parlé de vous, mais je suis tellement tête en l'air.. J'espère que sa compagnie vous fut agréable.
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Alphonse_tabouret
L’impassibilité au visage féminin fut la réponse à ses questions les plus immédiates, et si la joie cruelle de trouver les choses bien faites lacéra un instant les terres calmes dans lesquelles il se retranchait, cette fois ci, elle ne se contenta pas d’accentuer l’odeur âcre et épicée de la joute engagée quelques mois plus tôt à la faveur de son bureau parisien, mais dévala jusqu’à faire frémir de béatitude le museau du monstre tapi en son centre, forçant l’animal à crisper brièvement la mâchoire pour retenir toute expression superflue. Il ne s’agissait pas d’une femme fière de son nom, profitant de l’occasion pour vanter les mérites de son époux, ni même d’une compagne amoureuse, la lueur des perles bleues n’oscillant que dans une méfiance toute maquillée à l’impavidité de son visage, mais d’une maitrise entière s’orchestrant à l’entente seul du nom, verrouillant en un battement de cœur les quelques lueurs de gaités qu’elle avait semé durant ce trajet.

Je t’envierai presque ce don, Judas…

Le sourire d’Isaure avait disparu, et son attention n’était plus déviée par les babillements de l’enfant qui accaparait pourtant nombre de ses instants jusque dans la conversation, tournée toute entière vers le chat, érigée noblement à la manière d’une défense dont les parfums auraient été ceux d’un immobilisme détaché

Je ne me souviens pas qu'il m'ait parlé de vous, mais je suis tellement tête en l'air. J'espère que sa compagnie vous fut agréable.

Je n’étais pas d’envergure à l’intéresser ce soir-là
, répondit-il simplement en haussant les épaules sans aucune fatalité, accusant par ce geste, la simple précision des choses, au fil d’une vérité savamment ourlée d’ombres pour en tirer tous les profits. On se vantait rarement auprès de son épouse de fréquenter les bordels, même grimés à l’occasion en respectable salle de réception, tout comme l’on se targuait peu, en général, d’avoir parmi ses relations, un comptable de lupanar, aussi doué soit-il dans l’exercice de ses fonctions. Le bal de Noël n’avait pas été propice aux discussions mais aux danses, et le diable avait disparu aux douze coups de minuit sans qu’il ne parvienne à discerner de quels enfers il avait gangréné l’aube du vingt-cinq décembre. De là à vous dire si sa compagnie fut agréable ou pas… , poursuivit il en jetant un coup d’œil sur le paysage défilant, laissant brièvement sa phrase en suspens, comme si tout cela n’avait pas la moindre importance, discussion empreinte de banalités quand c’était à la source même des hasards qu’il venait de s’abreuver… à choisir, je préfère la vôtre, conclut-il avant de poursuivre, avouant sobrement, laissant les sous-entendus étoffer selon les bons vouloirs de sa voisine, l’ombre de ses mots, en étirant un sourire doucement impertinent à ses lèvres, comme s’il se fut agi d’une confidence faite à l’abri des oreilles indiscrètes. Pour être honnête, je doute que votre mari et moi ayons assez de points communs pour tenir une simple conversation, fit-il sans afficher la moindre trace d’humilité mais tout au contraire, l’éclat fugace et volontaire d’un certain contentement à cette idée. Que cela ne vous empêche pas de lui passer mon bonjour à l’occasion. La politesse a le loisir de ne pas souffrir d’hypocrisie, parait-il, conclut-il en s’enfonçant dans la banquette sommaire pour prendre ses aises en la contemplant de nouveau pleinement.
Miramont disiez-vous ?, demanda-t-il en changeant abruptement de sujet, rongeant implacablement son frein en mesurant à sa juste valeur, l’ampleur de la tâche qu’il s’était fixé au travers de cette rencontre fortuite, mais tout aussi attentif à lire sur le visage de son vis-à-vis, le moindre signe attenant à un changement d’humeur, apaisement ou contrariété, chaque morceau abandonné au spectacle de son regard sans compromis valant à l’instant le poids fécond de la vue d’ensemble. J’imagine qu’il n’y a pas meilleure augure pour s‘installer dans le voisinage que de vous proposer mon aide si d’aventure vous en aviez besoin.

Apprivoiser Isaure sans le moindre empressement était une tâche à laquelle il n’avait pas peur de se mesurer, ignorant candide des aléas de l’affection et des troubles qu’ils semaient à chaque édification stratégique, ne discernant pour l’heure que les perspectives qu’il avait choisi, et s’y pliant , monstre patient dont chaque mouvement serait désormais soumis à la valse d’une obligatoire lenteur .

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